Analyse / La culpabilité donne-t-elle tous les droits?
Le président américain Bill Clinton assiste à une cérémonie en l'honneur des survivants du génocide des Tutsis à Kigali, le 25 mars 1998. A ses côtés le président rwandais Paul Kagame. © Ralph Alswang / White House Photograph Office - source officielle
Israël à Gaza, le Rwanda dans le Kivu. Ces deux pays, responsables des massacres qui s’y perpètrent, jouissent-ils d’une forme d’impunité en raison de la culpabilité de la communauté internationale qui n’a pas su, pu, voulu empêcher la Shoah et le génocide des Tutsis?
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Tel-Aviv continue à pilonner des hommes, des femmes et des enfants en toute impunité. Quant au Rwanda, malgré la preuve irréfutable qu’il joue un rôle déterminant dans la persistance des horreurs perpétrées dans les provinces du Kivu, son président Paul Kagame continue de figurer parmi les «chouchous» de la communauté internationale, qui admire sa capacité à avoir su rebondir après le génocide d’un million de Tutsis il y a tout juste 30 ans.</p> <p>C’est que les pays européens et nord-américains, entre autres, continuent à être rongés par un fort sentiment de culpabilité de n’avoir pas su, pu ou voulu faire cesser le drame absolu du massacre de plus d’un million de Tutsis en avril 1994, au vu et au su du monde entier. Aujourd’hui, on sait que cette horreur aurait pu être stoppée, mais qu’elle ne le fut point par manque de volonté politique. 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Au Ghana, la loi votée par le Parlement en février dernier, qui prévoit des peines sévères à l’encontre de personnes appartenant à la communauté LGBTQ, n’a pas encore été ratifiée par le président Nana Akufo Ado. Si celle-ci venait à être promulguée, le président ghanéen redoute une réaction de la Banque mondiale similaire à ce qui s’est déjà passé en Ouganda. L’institution financière internationale a en effet déjà suspendu à deux reprises l’octroi de nouveaux crédits à ce pays d’Afrique centrale, après l’adoption de lois particulièrement répressives à l’égard des homosexuels.</p> <p>«L’Occident ne viendra pas gouverner l’Ouganda», avait proclamé la présidente du Parlement ougandais, face aux critiques des pays européens et des Etats-Unis, qui avaient brandi la menace de sanctions économiques. 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Malgré quelques avancées, cette question demeure ultrasensible. Dans une interview accordée à Bon pour la Tête, Patrick de Saint-Exupéry évoque les thèses révisionnistes apparues au fil des ans. Et questionne y compris l’attitude des autorités suisses qui ont refusé d’arrêter Félicien Kabuga, un des acteurs clés du génocide, réfugié dans notre pays.', 'subtitle_edition' => 'Le journaliste français Patrick de Saint-Exupéry, auteur de plusieurs ouvrages de référence sur la question (*), fut l’un des premiers à évoquer la responsabilité de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda il y a tout juste 30 ans. Malgré quelques avancées, cette question demeure ultrasensible.', 'content' => '<p><strong>BPLT: La France aura mis beaucoup de temps avant de reconnaître sa part de responsabilité dans le génocide des Tutsis au Rwanda. 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Mais il reste encore du chemin… </p> <p><strong>Vous avez été un des premiers à évoquer la part de responsabilités des dirigeants français de l’époque, et au premier chef du président François Mitterrand, ce qui a vous a valu de nombreuses attaques, des procès. </strong></p> <p>Les responsabilités sont à ce point « lourdes et accablantes » que de nombreux acteurs du dossier se sont – consciemment ou inconsciemment – réfugiés dans le déni. « Les responsables politiques et militaires qui nous ont poussés, et continuent de nous inciter à défendre ce que fut leur politique, nous sont plus odieux que ne sont injustes ceux qui nous accusent de complicité de génocide » : ce propos a été tenu par le colonel Patrice Sartre, qui fut un des responsables sur le terrain des troupes françaises déployées au Rwanda dans le cadre de l’opération Turquoise.</p> <p><strong>Y compris, récemment, de la part d’Hubert Védrine, pour quel motif ?</strong></p> <p>Je reproche à Hubert Védrine de s’employer à banaliser le génocide des Tutsis du Rwanda. L’ancien secrétaire-général de l’Élysée n’est pas d’accord, il a porté plainte. </p> <p><strong>Comment expliquer le soutien inconditionnel de la France à un régime préparant ouvertement un génocide, avant, pendant, et après ?</strong></p> <p>C’est bien le nœud. À entendre Hubert Védrine, il s’agissait de préserver <em>« le pré carré »</em> de la France en Afrique. Au prix d’un million de morts en cent jours ?</p> <p><strong>Comment expliquer la faillite des Nations Unies, celle de l’Union africaine, et plus généralement de la « communauté internationale », accusée le 7 avril par le président rwandais Paul Kagame de « nous avoir tous laissé tomber » ? </strong></p> <p>Paris, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, s’est employé à défendre les intérêts de ses alliés rwandais, ceux-là mêmes qui commettaient le génocide. 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Ne trouvant pas de champ d’application au Rwanda, des voix tentent de la transposer artificiellement au Congo.</p> <p><strong>Vous racontez dans votre </strong><strong>dernier livre <em>La Traversée</em> votre</strong><strong> périple de Kigali à Kinshasa. Que vous a-t-il appris ?</strong></p> <p>Que des massacres – et il y en a eu au Congo dans les années 1995-1996 – ne font pas un génocide. On peut bien sûr raconter ces massacres avec le vocabulaire de l’extermination – comme on raconterait Waterloo – mais ce serait alors une tromperie intellectuelle.</p> <p><strong>Des extrémistes hutus songent-ils toujours/encore à renverser le régime en place ? </strong></p> <p>Une fois mise en œuvre, la logique du génocide n’a pas de fin, jamais. Au Tribunal international sur le Rwanda, j’ai entendu des accusés de crime de génocide menacer ouvertement ceux qui osaient témoigner : « Toi, tu n’as donc pas peur ? Tu sais pourtant que nous finirons le travail. 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Mais, plus important encore, est l’usage du terme « volonté ». Comme les États-Unis, la Belgique, la Suisse, l’Afrique et le reste du monde, la France n’a pas eu la « volonté » d’arrêter ce génocide alors que cela était possible. Dans les jours suivant le début de l’extermination, des troupes françaises ont été déployées au Rwanda pour évacuer les ressortissants étrangers, mais avec interdiction absolue d’intervenir. Il était même précisé dans la directive n°008/DEF/EMA du 10 avril 1994 qu’il fallait éviter que les médias soient témoins du tri sélectif opéré. Les premiers évacués par Paris ont ainsi été la veuve du président rwandais, Agathe Kanziga, soupçonnée d’être au cœur du génocide, et son entourage dont bon nombre d’extrémistes.</p> <p><strong>Peut-on dire que 30 ans après, la question des responsabilités dans le génocide rwandais demeure une question (ultra)sensible en France ?</strong></p> <p>En un sens, votre question témoigne de cette ultra-sensibilité. Vous parlez en effet de génocide rwandais. Pour ma part, je ne connais pas de « génocide rwandais », ni de « génocide allemand ». Je connais le génocide des Juifs par les nazis, et l’extermination des Tutsis par les extrémistes hutus. Ça a l’air d’un détail, mais les mots sont importants. 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Laquelle estime que la prise de pouvoir des entreprises au sein de la COP représente «une évolution dangereuse, qui conduit vers des solutions privées à des problèmes publics».</p> <h3>Des lobbyistes deux fois plus nombreux</h3> <p>Si d’une COP (Conférence des Parties) à l’autre, la présence croissante du secteur privé, à l’affût de nouvelles opportunités d’affaires, était perceptible, celle de Dubaï a battu tous les records. Les lobbyistes représentant les intérêts de l’agrobusiness ainsi que des industries pétrolières et gazières furent en tout cas deux fois plus nombreux que lors de la COP précédente. Y compris au sein des délégations nationales, ce qui leur a permis d’avoir un accès direct à l’information et aux salles de négociations. Mais les multinationales ne cherchent pas seulement à peser sur les négociations. 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Et le Bezos Earth Fund a joué un rôle moteur dans plusieurs des initiatives annoncées lors de la COP28. «Des initiatives privées, en dehors du processus multilatéral officiel», relève le rapport de GRAIN. Et pour compenser l’énorme empreinte carbone du groupe, Amazon gère désormais des projets – par ailleurs très controversés – dans le bassin amazonien, dont trois au Pérou, couvrant 210’000 hectares.</p> <p>Mais ce sont les entreprises des Emirats arabes unis, pays hôte, et d’autres Etats du Golfe, qui constituent désormais une force majeure dans la promotion des compensations carbone à l’échelle mondiale. Parmi les entreprises émiraties qui ont profité de la COP pour signer des contrats, figure la très contestée société <i>Blue Carbon</i>, fondée et présidée par un membre de la famille royale, le cheikh Ahmed Dalmook Al Maktoum. 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Pourquoi une telle impuissance de la communauté internationale?
Quel est le lien et le point commun entre ces deux régions, hormis les atrocités commises à l’encontre des populations civiles? L’impuissance de la «communauté internationale» à y mettre un terme est l’un d’eux. Les demandes pour un cessez-le-feu adressées à Israël pleuvent de partout, assorties de mobilisations monstres aux quatre coins de la planète, rien n’y fait, pas plus que celle de mandats d’arrêt par la Cour Pénale Internationale contre Benjamin Netanyahu et les dirigeants du Hamas pour crimes de guerre. Tel-Aviv continue à pilonner des hommes, des femmes et des enfants en toute impunité. Quant au Rwanda, malgré la preuve irréfutable qu’il joue un rôle déterminant dans la persistance des horreurs perpétrées dans les provinces du Kivu, son président Paul Kagame continue de figurer parmi les «chouchous» de la communauté internationale, qui admire sa capacité à avoir su rebondir après le génocide d’un million de Tutsis il y a tout juste 30 ans.
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Culpabilité et business as usual
Kigali a pourtant mis en coupe réglée l’Est de la République démocratique du Congo, les deux provinces du Kivu où se trouvent une bonne partie des réserves mondiales de coltan, ce minerai essentiel à la fabrication de nos iPhones. Après avoir disparu, vaincu par l’armée congolaise, le M23, soutenu par le Rwanda, a repris du service, et terrorise les populations civiles, au prix d’atroces souffrances. Aléas de la sémantique, ses hommes, qui mériteraient amplement le qualificatif de «terroristes», sont simplement désignés comme des «rebelles». La présence de groupes armés et la corruption généralisée favorisent une contrebande alimentée par les multinationales, peu regardantes sur l’origine du coltan qu’elles achètent. Un négoce illicite qui transite par le Rwanda, devenu premier producteur au monde de coltan... alors qu’il n’en possède aucune mine.
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Il est essentiel de désigner, de dire précisément ce qui a été, ce que fut la dernière solution finale du XXe siècle mise en œuvre au Rwanda.</p> <p><strong>Propos recueillis par Catherine Morand</strong><strong></strong></p> <hr /> <p><em>(*) “L’inavouable : la France au Rwanda”, 2004, Les Arènes; réédité en 2009 dans une édition revue et augmentée, sous le titre : “Complices de l’inavouable : la France au Rwanda”, Les Arènes</em></p> <p><em>“La Fantaisie des Dieux”, BD, dessins de Hippolyte, 2014, rééditée en 2024, Les Arènes</em></p> <p><em>“La Traversée, une odyssée au coeur de l’Afrique”, 2021, Les Arènes</em></p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'genocide-des-tutsis-au-rwanda-il-y-a-30-ans-l-engagement-de-paris-reste-une-grenade-degoupillee', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 126, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 12682, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4838, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Au Sénégal, une révolution dans les urnes', 'subtitle' => 'L’élection à la présidence d’un jeune opposant au régime en place, porteur d’un ambitieux programme de «rupture», montre qu’un changement est possible dans le cadre d’un processus démocratique. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
3 Commentaires
@aloula 13.09.2024 | 11h59
«Pour ressentir de la culpabilité il faut avoir un sens du bien et du mal, en bref avoir un sens moral. Si les politiciens avaient un sens moral, ça se saurait et le monde ne serait pas dans cet état effroyable.
Les Occidentaux veulent les richesses du Congo donc les Droits de l'Homme, la justice vont en droite ligne à la poubelle.
Quant à Israël, le projet sioniste remonte à la fin du 19ème siècle et la Shoah n'a rien à voir. Et en matière de culpabilité, si le monde se sent coupable en ce qui concerne les camps de concentration, qu'en est-il des innombrables victimes appartenant à d'autres ethnies, mouvements politiques et religieux?
A noter encore qu' à la suite du procès de Nuremberg, les Juifs sont les seuls à avoir reçu des compensations pour ce qu'ils ont subi. Des milliards ont été versés à Israël parce que c'est Israël qui était supposé avoir la charge de la réhabilitation des survivants.
Donc la culpabilité n'a pas grand chose à voir dans cette affaire. Mais bien plutôt la volonté des Occidentaux d'avoir une tête de pont dans ce Moyen-Orient tellement riche en hydrocarbures avec, à l'appui, une propagande d'une efficacité sans pareille.»
@aloula 13.09.2024 | 11h59
«Pour ressentir de la culpabilité il faut avoir un sens du bien et du mal, en bref avoir un sens moral. Si les politiciens avaient un sens moral, ça se saurait et le monde ne serait pas dans cet état effroyable.
Les Occidentaux veulent les richesses du Congo donc les Droits de l'Homme, la justice vont en droite ligne à la poubelle.
Quant à Israël, le projet sioniste remonte à la fin du 19ème siècle et la Shoah n'a rien à voir. Et en matière de culpabilité, si le monde se sent coupable en ce qui concerne les camps de concentration, qu'en est-il des innombrables victimes appartenant à d'autres ethnies, mouvements politiques et religieux?
A noter encore qu' à la suite du procès de Nuremberg, les Juifs sont les seuls à avoir reçu des compensations pour ce qu'ils ont subi. Des milliards ont été versés à Israël parce que c'est Israël qui était supposé avoir la charge de la réhabilitation des survivants.
Donc la culpabilité n'a pas grand chose à voir dans cette affaire. Mais bien plutôt la volonté des Occidentaux d'avoir une tête de pont dans ce Moyen-Orient tellement riche en hydrocarbures avec, à l'appui, une propagande d'une efficacité sans pareille.»
@simone 13.09.2024 | 16h37
«Vous avez raison: l'Occident est prisonnier d'un sentiment de culpabilité entretenu soigneusement par certaines forces politiques ou économiques qui en tirent tout le profit possible. »