Actuel / La Suisse que j'aime
L'hôtel Waldhaus à Sils-Maria (GR). © Paebi - CC BY-SA 4.0
La visite d'un auguste palace de la vallée de l'Engadine offre des possibilités insoupçonnées d'admirer et d'aimer la Suisse. Pour toutes les raisons que l'on ne cite – hélas – plus.
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En 2009, lors d'une dictée imposée à 1'348 enfants français de seconde, deux tiers d'entre eux ont obtenu un zéro. 14% seulement ont eu la moyenne. Dit autrement, les francophones dans leur majorité ne maîtrisent pas leur langue à l'écrit. Pourtant la dictée est un véritable sport national: on en a organisé une en 2018 au stade de France.</p> <p>Les enfants de 2024 savent parfaitement parler mais font, en moyenne, deux fois plus de fautes que ceux de 1985. On se demande toujours comment améliorer la situation, trop rarement comment on est arrivé à ce lamentable état des choses. Pourtant un constat avait été fait en 1783 déjà, sous la plume de Rivarol dans son <em>Discours sur l'universalité de la langue française</em>: «On se fit une langue écrite et une langue parlée, et ce divorce de l'orthographe et de la prononciation dure encore». Il existe donc un divorce au cœur même de notre langue. On en apprend deux: une langue parlée et une langue une écrite, tout à fait distinctes l'une de l'autre. Ce qui explique <em>pourquoi </em>la dictée est un enfer, mais pas <em>comment</em> elle l'est devenue.</p> <p>Comment est-il possible que nous soyons incapables de maîtriser notre propre langue à l'écrit? Pour commencer, il faut remonter un peu le cours du temps. Langue latine, le français a évolué du bas-latin et s'est ensuite mâtiné de langues germaniques pour parvenir à ce langage qu'on parlait dans le bassin parisien à la fin du Moyen-Age. On le parlait, on ne l'écrivait presque pas. Pour l'écriture on se servait d'un latin bâtardisé et déjà criblé de mots français. Le français n'était rien d'autre que le patois parisien, c'était par conséquent la langue du roi. On l'écrivait phonétiquement, presque sans règle. Dans la chanson de Roland, écrite il y a mille ans, on écrit <em>fer</em> ou <em>fere</em> pour faire, <em>ki</em> pour qui, <em>e</em> pour et, <em>hom</em> pour hommes. Sous François Ier, premier roi de la Renaissance, on compte que moins de 10% de la population parle le français, et qu'une poignée d'entre eux seulement savent l'écrire. L'immense diversité des langues fait que le pouvoir du roi est mal compris et peu, ou mal, appliqué. D'où ce premier acte fondateur: l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, qui décrète que le français seul sera la langue de l'administration et de la justice. Cette ordonnance crée le premier rapprochement entre langue et pouvoir. Preuve de son importance capitale, l'ordonnance de Villers-Cotterêts est la plus ancienne loi citée encore de nos jours dans les tribunaux français.</p> <p>Cette loi crée toutefois autant de problèmes qu'elle en résout. Car s'il est décidé que le français seul exprimera la volonté royale, on ne sait pas de quel français il s'agit. C'est ainsi que va naître une querelle acharnée, qui dure encore de nos jours, sur la forme que doit adopter notre langue. Dès le XVIème siècle, les savants se divisent en deux camps opposés: les phonétistes, et les étymologistes. Pour les premiers, il faut continuer comme on l'a fait jusqu’alors et écrire comme on parle. C'est la pratique dominante, autrefois comme aujourd'hui, et notamment la pratique des latins et des grecs. Mais les étymologistes adoptent un point de vue très différent et, disons-le, bizarre.</p> <p>Ce sont les poètes tels que du Bellay et sa <em>Défense et illustration de la langue française</em> qui vont former notre orthographe. A cette époque, la France redécouvre son passé gréco-romain, une appellation fautive mais qui s'est imposée. A bien des aspects, la Renaissance est un retour à un passé fantasmé. Délaissant le style gothique, on met soudain des colonnes doriques et des statues du panthéon partout. De leur côté les intellectuels soumettent la langue au même exercice. Ils vont appeler leur invention «orthographe ancienne», comme si celle-ci était fidèle à l'orthographe romaine quand bien même elle est imaginée de toutes pièces. Le k est remplacé par qu pour tous les mots supposés venir du latin – <em>Kan</em> devient quand, <em>kel</em> devient quel, etc; on transforme les f en ph et les t en th lorsque le mot est supposé venir du grec, jusque dans nénuphar qui pourtant nous vient du persan; on écrit <em>ils faisaient</em>, car il vient de <em>fecerunt</em>, un mot qui désormais compte neuf lettres pour quatre sons, et deux fois le doublon <em>ai</em> – car il se fonde sur verbe <em>facere</em> – se trouve prononcé différemment.</p> <p>L'une des clés de cette orthographe consistant à imaginer une continuité entre le français et le latin, la décision a été prise de ne rajouter aucune lettre. Pourtant les sons avaient beaucoup évolué depuis l'empire romain. Les apports germaniques nous ont par exemple donné les <em>on</em>, <em>an</em>, <em>un</em>, <em>oin</em>, etc. Tous ces sons auraient pu être transcrits par une seule lettre. 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La difficulté de l'orthographe française ne relève pas du hasard. Elle révèle des phénomènes beaucoup plus profonds.</p> <p>L'orthographe étymologique a donc fini par s'imposer contre le français phonétique de la «pauvre orthographe», comme le raillait du Bellay. Encore faut-il s'assurer de l'uniformité de la langue à travers le royaume. L'initiative est prise par le cardinal de Richelieu en 1635, avec la création de l'Académie française. Etonnante institution linguistique qui, depuis bientôt quatre siècles, ne compte pas un seul linguiste dans ses rangs. Car la volonté de Richelieu n'est pas linguistique, mais politique. Il s'agit de s'assurer que la langue du roi soit respectée autant que ses lois, et que les intellectuels du royaume soient les obligés du monarque. Dès le début, l'Académie remplace son absence de but précis par du prestige. Sans aucun pouvoir réel, elle n'en a pas moins une grande puissance. On raille volontiers les Immortels, leurs privilèges ou leur âge. Pourtant, de la même manière que l'ordonnance de Villers-Cotterêts est la plus ancienne loi encore citée en France aujourd'hui, l'Académie est la plus ancienne institution à avoir survécu – intacte! – à la Révolution. Son rôle n'a jamais été prévu pour être cette supposée police de la langue qu'on a souvent moquée. Elle a été placée sous la protection du roi, des empereurs et désormais des présidents. Comme un Vatican ou une antique dynastie monarchique, l'Académie est pleine de vieilles traditions obscures, de costumes étranges, de mystères et de pompe. Dans la France du XXIème siècle, elle est la dernière expression physique d'une forme de continuité entre la France de l'Ancien régime et la République. C'est précisément son inutilité pratique qui lui confère sa dignité. En tant que temple de la langue, l'Académie est la gardienne de l'unité française.</p> <p>Lentement mais sûrement, la langue devient ainsi un des dénominateurs de la nation et l'un des piliers de l'absolutisme. Le roi en personne se manifeste à travers sa politique linguistique que couronne l'Académie, revêtue de sa toute-puissance pour unifier l'usage de la langue, de <em>sa </em>langue. A l'unification <em>par</em> la langue, décidée à Villers-Cotterêts, succède l'unification <em>de</em> la langue, décidée par l'établissement de l'Académie. Ces unifications successives permettent plus qu'elles ne reflètent l'unification de la nation même.</p> <p>A la cour de Versailles, les poètes et les dramaturges, souvent académiciens eux-mêmes, donc obligés du roi, vont se charger de donner à la langue tout son prestige. C'est de cette époque que date la transformation définitive du vieux français en notre français actuel, notamment depuis la publication du dictionnaire de 1740. Cette époque aura donc fixé les canons de l'architecture, des arts et de la langue. On peut difficilement lire Ronsard dans le texte, mais pour Molière ou Diderot on ne rencontre pas un problème.</p> <p>La cour des Bourbons, avec ses codes particulièrement rigides, même pour l'époque, contribue lentement à inscrire dans la langue une dimension qui, elle aussi, n'a fait que se renforcer avec l'âge: celle de sélection sociale. On n'est pas accepté si on ne parle pas correctement le français, un accent provincial vous exclut de toute fonction sérieuse, et la maîtrise de la langue assure la gloire même aux roturiers. La difficulté qu'avaient inscrite dans l'orthographe les linguistes du XVIème siècle se transforme alors presque en code secret. La langue sert à la fois à répandre le prestige royal, mais également à restreindre l'accès au roi et à la cour. Cette fonction sélective ne connaît pas la crise. Les élites françaises sont encore largement choisies de nos jours selon des critères linguistiques.</p> <p>Nous voilà juste avant la Révolution. 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Et comme il n'existe plus ni roi, ni dieu pour se faire respecter, les législateurs vont considérablement accentuer la notion de la langue en tant qu'expression du pouvoir, jusqu'à en faire un pouvoir en tant que tel.</p> <p>Cette nouvelle politique est résumée dans le <em>Rapport et projet de décret sur l'organisation des écoles primaires </em>de 1791 qui stipule «que la langue française devienne en peu de temps la langue familière de toutes les parties de la République». A une époque où seuls 15 ou 20% de la population parle cette langue, il faut imaginer la violence de cette ambition. Talleyrand, dans son <em>Rapport sur l'instruction publique</em>, propose de «chasser cette foule de dialectes corrompus, derniers vestiges de la féodalité». En 1794, Barère de Vieuzac rédige un <em>Rapport du Comité de salut public sur les idiomes</em>: «L'idiome appelé bas-breton, l'idiome basque, les langues allemande et italienne ont perpétué le règne du fanatisme et de la superstition, assuré la domination des prêtres, des nobles et des praticiens, empêché la révolution de pénétrer dans neuf départements importants, et peuvent favoriser les ennemis de la France». Et de conclure: «Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton; l'émigration et la haine de la République parlent allemand; la contre-révolution parle l'italien, et le fanatisme parle le basque. Cassons ces instruments de dommage et d'erreur». 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Pour bien marquer son intention, il avait également souhaité que la mise en terre soit faite avant le culte, et non après. Le résultat fut tout à fait original. Plus de deux cent personnes avaient fait le voyage, certains des coins les plus reculés du continent, pour assister à l'enterrement d'un homme dont ils ne verraient pas le cercueil, et pour lequel aucune évocation ne serait servie par l'officiant. Cette vaste assistance, que l'amour pour mon père et sa famille avaient déplacée jusque dans cette église, n'a eu droit au final qu'à un culte ordinaire. Un culte excellent, grâce à un pasteur inspiré et une organiste hors pair. Mais un culte ordinaire.</p> <p>Lorsque j'ai pris connaissance des exigences de mon père, j'ai été moins surpris qu'inquiet. Face à une cérémonie si radicalement sobre, certains risqueraient de rester sur leur faim. Au bout de l'expérience, je me suis demandé si mon père n'avait pas eu là une intuition aussi dissidente que salvatrice. Car nos enterrements, libérés des obligations rituelles, semblent s'être quelque peu dispersés en une infinité de variations, aussi stressantes pour les proches que confondantes pour l'assistance. Comme pour les mariages, la disparition de la transcendance ritualisée a pour effet immédiat de reporter toute la cérémonie sur les individus qui se prêtent à l'exercice, jeunes mariés ou défunts. On assiste donc à une surenchère d'arrangements floraux, de chansons, de portraits, de discours et de performances dont le but est de souligner l'individualité humaine et non plus le divin. J'ai par exemple assisté à des funérailles où toute parole avait été bannie au profit d'une suite de chansons choisies par celui qui, dans son cercueil, n'en profiterait même pas. Comme personne ne parlait et que rien d'autre ne nous unissait que d'être assis à écouter des chansons en regardant un cercueil, la chose ressemblait plus à un salle d'attente d'aéroport qu'aux derniers adieux à un être cher. 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L'Eglise y réaffirmait son magistère, les cercles sociaux et familiaux y étaient représentés selon leurs hiérarchies et dans l'ordre de succession, et tout cela se passait sans aucune originalité, dans le cadre strict d'une liturgie connue de tous et sans surprise aucune. Sauf exception, la personnalité du défunt importait peu, seul le rite, la société constituée et la continuité de la tradition comptaient. Cela nous semble à bien des égards étouffant et inhumain. Nous sommes devenus allergiques à toute forme de ritualisation formatée. Célébrer un être disparu sans se poser de questions et en ne faisant que suivre le rite liturgique nous semble ainsi presque barbare. Or le service funèbre de mon père m'a appris que cela n'est pas si évident.</p> <p>Il n'y a pas que cela. Je vis en Serbie, où les enterrements n'ont pas encore – mais ça vient – connu ces tendances. Dans un pays où l'Eglise orthodoxe a encore un pouvoir non négligeable et où identité nationale et religion ne font qu'un, les sacrements sont d'une surprenante uniformité. Lors de mon mariage, le pope ne nous avait posé qu'une seule question: voulez-vous la liturgie longue ou courte. Le reste allait de soi et ne nécessitait aucune instruction ou même d'opinion de notre part. Les enterrements sont à la même enseigne. Pour un occidental, la chose peut sembler brutale. Ainsi dans la plupart des cas, on enterre les morts le lendemain du décès. Et comme les gens sont généralement pris de court, on ne s'étend pas trop. En moins de trente minutes, le mort est sous terre ou consumé par le four crématoire. Le pope récite sa liturgie devant la tombe, tandis que des ouvriers en bleu de travail attendent, pelle en main, de la refermer. On ne passe pas une heure sur un banc d'église à essuyer ses larmes, à conforter ses voisins et à écouter les éloges de celui-ci ou de celle-là. 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Et les collations qui suivent un enterrement ne se réduisent pas à quelques cacahuètes et un verre de vin, ce sont de véritables festins où l'on se lâche tout à fait. Ici la mort et l'amour sont encore tout à fait ritualisés. Cette apparente banalité et cette uniformité permettent aux proches de se libérer d'une quantité de questions impossibles et de décisions complexes. Que survienne un décès et tout le monde passe en pilote automatique et peut ainsi se concentrer sur l'essentiel et non sur les détails.</p> <p>Mon père aurait probablement apprécié ces manières simples et répétitives. N'étant pas du tout d'un naturel timide, son choix d'une ritualisation stricte aurait pu surprendre. On aurait pu attendre de lui qu'il fasse éclater l'ouverture de Tannhäuser ou qu'il ait convié un orchestre philharmonique pour nous offrir l'Adagietto de Mahler sur l'esplanade. Mais en sortant de la cérémonie il m'est apparu que, peut-être, il visait bien plus haut que quelques flatteries post-mortem. En nous imposant un culte ordinaire et en s'effaçant complètement derrière le rite funéraire, mon père suggérait – je ne peux pas prétendre le savoir – qu'en escamotant son individualité, il participait à quelque chose de bien plus conséquent, qui lui offrait sa place dans la continuité d'une tradition et le sublimait très au-dessus des contingences immédiates de sa vie concrète. Cette attitude met l'accent sur les institutions et les traditions humaines et relègue les questions métaphysiques au second plan. On ne s'intéressait pas, ni à l'enterrement de mon père, ni dans les enterrements serbes, à l'existence de dieu ou à la vie après la mort. L'important, c'est d'en entendre les récits d'usage, selon les rites.</p> <p>Peut-être qu'une épure serait bienvenue dans nos enterrements. Pas un retour au passé systématique, pas non plus d'approches froides et administratives. Mais devoir tout réinventer et dépenser son énergie et ses nerfs à savoir comment on enterrera l'être aimé, est-ce vraiment la meilleure façon de vivre un deuil. 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Les derniers fêtards de Halloween, hagards et le maquillage défait, déambulaient sans but dans les couloirs. J'attendais le premier train en direction de l'aéroport de Genève. Une jeune femme s'est approchée de moi et m'a demandé dans un anglais hésitant si c'était le bon train. Dans la trentaine, elle avait une longue chevelure blond platine, un maquillage impeccable, une bouche refaite, des bottines à talons, une robe en laine moulante, un chapeau de cow-boy et de longs ongles peints. Cette apparence détonnait avec la fillette de cinq ans qui l'accompagnait, et avec son ventre rebondi de femme enceinte de plusieurs mois. J'en ai rapidement déduit qu'elle se rendait, comme moi, à Belgrade.</p> <p>Durant le trajet qui nous menait à Cointrin, comme le train était vide, nous avons fait connaissance. Cette jeune mère vit dans une grande ville au sud de Belgrade et vient de rendre visite à sa mère qui vit depuis plusieurs années près de Lausanne. Elle a longtemps pensé émigrer en Suisse mais depuis qu'elle est mère, son avis a changé. Elle ne veut pas que ses enfants aient les cheveux bleus et des piercings et des problèmes d'identité sexuelle. De plus, et je lui donne raison, la Serbie est particulièrement sûre, on y vit très bien, et même si le coût de la vie a considérablement augmenté, on est encore très, très loin des prix suisses. Et puis elle ne se fait aucun souci. Les offres de travail bien payé, elle en a autant qu'elle en veut. Car elle est officier supérieur d'infanterie dans l'armée serbe. Et le monde est plein de femmes très riches qui paient très chers les services d'un garde du corps féminin et surentraîné, sans compter qu'elle est également ceinture noire de karaté.</p> <p>Ma vie en Serbie est pleine de rencontres de ce type. C'est-à-dire de gens qui ne vivent pas encore dans la matrice idéologique et médiatique tellement contrainte du monde occidental. Je dis pas encore, mais peut-être devrait-on dire déjà plus, l'avenir nous le dira. Quoiqu'il en soit, ces mondes sont géographiquement proches, mais distants de plusieurs galaxies pour ce qui concerne la manière de penser.</p> <p>Pour ce qui concerne l'élection américaine, mes amis belgradois indiquent par leurs choix une indépendance d'esprit vivifiante. A Belgrade, on peut parler de cette élection librement. En Europe occidentale, dire qu'on est trumpiste est suicidaire d'une part, et prévisible d'autre part. Cela signifie que l'on est soit vieux, soit chrétien, soit conservateur, soit tous les trois. A Belgrade, un nombre considérable de mes amis, et surtout de mes amies, professent plus d'attachement pour Trump que pour Harris. Des jeunes femmes urbaines, sexuellement libérées, éduquées supérieures et athées qui non seulement pensent, mais disent que Trump serait leur choix si elles pouvaient voter. A Lausanne ou à Paris, si l'on fait partie des catégories jeunes, éduquées et urbaines, Kamala n'est pas une évidence, c'est une obligation.</p> <p>Ainsi qu'il s'agisse de Poutine ou de Trump, de la politique des genres, de changement climatique, d'immobilier, de culture pop ou de progrès technologiques, les Serbes ont leur façon de réfléchir et de se positionner sur chaque problème. Ce n'est donc pas massivement pour Trump que les Belgradois se déclarent, mais substantiellement plus qu'à Londres ou Zurich. Autrement dit il n'y a pas dans le comportement belgradois une opposition parfaite ou une symétrie prévisible: il y a une forme d'indépendance et de méfiance vis-à-vis de tout système narratif officiel. Il y a des raisons concrètes à cela, outre les évidences slaves et orthodoxes, qui sont un peu tarte-à-la-crème. Même pour ceux qui sont nés après les années 90, le souvenir de l'éclatement de la Yougoslavie est encore très vif. 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Qu'après l'échec du Grand Soir et de l'idéologie officielle de Fraternité et Unité, on ne pouvait plus compter que sur soi-même.</p> <p>Depuis donc plus d'un quart de siècle tout ce qui est déclaré, par un gouvernement serbe ou étranger, par un média dominant, par un personnage élu, tout est pris avec un recul <em>a</em> <em>priori</em>. On ne croit rien, en Serbie, avant d'en avoir au moins le début d'une preuve. Les Serbes se sont fait avoir et s'en souviennent. Avant de suivre toutes les modes et d'accepter tous les discours, on prend un peu de recul et on décide pour soi-même et pour ses propres intérêts de ce qui est acceptable ou pas. Toute militaire qu'elle soit, ma compagne de voyage n'en a pas délaissé son jugement. A force de se faire mobiliser des dizaines de fois par le gouvernement serbe en vue d'un affrontement inévitable et décisif avec les forces du Kosovo – qui n'est jamais venu bien sûr – elle a fini par perdre patience et foi. Elle en a déduit que son engagement ne sert que quelques élus incapables. Alors elle se tâte avec son mari pour imaginer un avenir à l'étranger, sans se presser, et surtout sans illusion aucune.</p> <p>Dans tout ce qu'elle était, dans son choix de carrière comme dans son apparence, dans son discours comme dans ses projets de vie, la jeune femme incarnait tout ce que la Serbie porte en elle de distinctif. C'est-à-dire un mélange de conservatisme assez rigide et de bon sens libéral, de quant-à-soi très développé et de compréhension du monde dans sa complexité. Ce n'est pas un état d'esprit vieillot, même si les apparences penchent dans ce sens. Dans la réalité, c'est une nouveauté née de circonstances distinctes, qui pourrait fort bien faire tache d'huile.</p> <p>Ces façons de penser sont encore anathèmes en Europe occidentale où la guerre en Ukraine s'est transformée en croisade, où Trump est un moustachu en chemise brune et où le tri des déchets est une eucharistie. 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Comme si je rendais un chauffeur de taxi coupable de ne pas être Ayrton Senna, ou la bistrotière du coin de la rue de ne pas être Alain Ducasse.</p> <p>Le temps moyen de visite du Louvre est d'environ une heure, snack et achats à la boutique compris. Ce qui signifie que l'écrasante majorité des visiteurs fonce tout droit vers la Joconde, bifurque pour faire coucou à la Vénus de Milo, puis fait une photo, de loin, de la Victoire de Samothrace avant de terminer au magasin de souvenirs pour y acheter des reproductions des bijoux portés par le modèle d'un portrait que l'on n'a pas eu le temps d'admirer. Spotify, l'application de streaming musical suédoise, propose une sélection à la fois gigantesque et minuscule à ses abonnés, dont je suis. Car comme le Louvre, Spotify aspire à l'universel et propose absolument tous les catalogues, de Palestrina au plus jeune rappeur de la côte est. Et comme le Louvre, Spotify ne vend effectivement qu'une partie infinitésimale de son catalogue. 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Caillebotte n'aurait jamais atteint ces hauteurs sans les milliers de peintres impressionnistes qui coexistaient à Montmartre à la fin du XIXème siècle. Personne ne devient un ou une grande artiste dans une solitude complète. Tous les grands noms de l'art sont entourés de myriades d'inconnus qui ont directement contribué à fertiliser ces quelques individus. Et tous les artistes qui ont acquis une renommée universelle font partie de vastes mouvements ou d'écoles qui ont été nourris par des milliers d'artistes anonymes, le plus souvent oubliés – et néanmoins absolument nécessaires.</p> <p>Comme nous ne valorisons plus que les artistes qui sont valorisés par le marché, les autres disparaissent avant même d'avoir livré bataille. Aujourd'hui, aucun peintre ne peut vivre de son art s'il n'est pas entouré par une galerie importante et par des institutions qui justifient des commandes et des subventions conséquentes. Aucun musicien ne peut vivre de son art sans un label puissant qui lui assure des tournées internationales. Aucun écrivain ne peut vivre de son art sans le soutien d'un éditeur réputé qui lui assure des campagnes de promotion dignes de celles que l'on réserve à des marques de vêtements. Les autres, les millions d'autres, sont très vite contraints à l'abandon en rase campagne, avant même d'avoir atteint leurs trente ans. Les conditions économiques de la production artistique sont devenues tellement exigeantes que même le rêve poussiéreux de l'artiste bohème est désormais inaccessible. On voudrait bien crever la faim dans un studio mal chauffé, mais même cela, on ne le peut plus. Alors on devient prof, ou publiciste, ou n'importe quoi pourvu qu'on puisse en vivre.</p> <p>Alors, bien sûr, le talent est une condition nécessaire et les collègues moins talentueux que Paul McCartney ont été oubliés. Mais Matisse, au début de sa carrière, était un mauvais peintre, un artiste sans talent. 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Mes compatriotes, depuis environ 30 ans, ont adopté l'esprit cocardier. Les drapeaux suisses, inexistants dans mon enfance sinon sur les plaques minéralogiques, sont désormais partout. On les dessine même en sucre glace sur les caracs. Le fameux vote de 1992 sur l'UE a en effet marqué la naissance de ce type de patriotisme braillard et agité, jusqu'alors étranger à nos contrées, que l'on appelle le nationalisme. Ces émotions vociférantes m'ont toujours semblé obscènes dans mon pays qui, privilège parmi les privilèges, s'était toujours refusé à être une nation. C'est-à-dire un pays qui n'a pas réalisé son unité dans le sang. Quand tous nos voisins se sont constitués malgré de formidables contraintes externes ou internes, la Suisse moderne s'est construite grâce à ses voisins, sans verser de sang ou presque. Napoléon s'est fendu pour nous d'une première constitution. Son Acte de Médiation de 1803 garantissait au jeune Etat, que «la nature a fait fédératif», une place à part, protégée et garantie, entre les plus querelleuses des nations du continent. Dans cette situation à la fois dangereuse et privilégiée, sise sur un tas de rochers arides et infranchissables et collectant les revenus du péage le plus profitable d'Europe, la Suisse a longtemps grandi dans l'ombre bienfaisante de ses voisins. Elle a su profiter de leur passage, de leur industrie et de leurs exilés intellectuels ou monétaires. Restant toujours à l'écart des boucheries qui dressaient les princes les uns contre les autres, gardant en mémoire le souvenir cuisant d'avoir déclenché les guerres de religion qui avaient failli la faire disparaître, la Suisse est ainsi parvenue en 1945 sans essuyer de pertes et plus prospère que jamais. Et sans jamais s'en vanter, laissant ce sport douteux à tous ceux qui, autour d'elle, rêvaient constamment de revanche.
La politique ingénieuse et cynique menée durant la Seconde guerre mondiale avait offert à la Suisse la plus extraordinaire campagne de communication que l'on pût imaginer, dont le slogan aurait pu se lire ainsi: «Quand le continent tout entier se jette dans la gueule de l'enfer, les Suisses restent poliment devant la porte». Cette manifestation du respect de l'esprit, et non de la lettre, de la neutralité armée avait permis au pays d'attirer vers lui les capitaux du monde entier. Rien ne pouvait être plus sûr, plus stable et plus discret que la Suisse. Ces capitaux avaient offert aux Suisses un essor économique extraordinaire, même au regard des Trente Glorieuses. Le secret bancaire, cette disposition juridique fortuite, permettait à ces capitaux de circuler librement, échappant à des autorités fiscales étrangères pour huiler la mécanique industrielle helvétique. Dénuée de ressources naturelles et d'accès maritime mais dotée d'une situation à la fois centrale et inexpugnable, la Suisse, pendant presque deux siècles, avait fait de la prudence, de la discrétion et de l'observation calculée des outils de survie autant que de profit. Notre culture politique était donc fondée sur une conscience aiguë des rapports de force: dans ce petit pays où tout vient de l'étranger, la menace autant que l'or, la vantardise et la suffisance n'étaient pas seulement suspectes, elles signifiaient une ignorance coupable du passé autant que des raisons même de notre prospérité.
Tout cela a pris abruptement fin en 1992, lors d'un vote de rejet du projet européen qui s'est transformé en matrice d'une nouvelle conception de notre identité collective. Au lendemain de ce séisme politique en effet, nous n'étions plus redevables aux puissances qui nous entourent, nous leur étions désormais supérieurs, moralement et financièrement. En quelques années, être suisse est devenu en soi une raison de fierté. On est riche et on a échappé aux guerres parce qu'on est suisse. Un Suisse est, par la grâce de sa naissance, plus malin et plus raisonnable que ses voisins, ces mastodontes boursouflés. Il existe dans cet esprit provincial et ignare une menace, que je crois être existentielle, sur ce qui constitue les bases de quelque chose d'infiniment plus précieux que notre seule prospérité: notre destin collectif. Et il m'arrive d'en désespérer et de perdre jusqu'à mon sentiment d'attachement lorsque je suis confronté aux manifestations de cet esprit, si contraire à ce qui a fait la grandeur de ce petit pays.
Un récent séjour en Engadine m'a mis du baume à mon passeport. En trois nuits, j'ai été plongé dans ce qui matérialise, historiquement, les vertus les plus authentiquement suisses, celles qui ont offert à mon pays la paix autant que la richesse à travers les âges.
L'hôtel Waldhaus domine le lac de Sils, à Sils-Maria. Imposante bâtisse crénelée bâtie en 1908 à flanc de coteau au milieu des sapins, le Waldhaus est une sorte de Neuschwanstein raisonnable. En soi, entouré des palaces qui ont fait la réputation et la fortune des Grisons, le Waldhaus n'est pas une exception. Il en est de plus anciens, de plus illustres, de plus beaux et de plus vastes. Ce qui fait son unicité se manifeste dès que l'on est accueilli sur les marches de l'hôtel, où vous attend la poignée de main du directeur. Or ce directeur, contrairement à tous les directeurs de palaces cinq-étoiles du monde, en est également le propriétaire. Plus exactement, il est, avec les membres de sa famille, la cinquième génération de propriétaires depuis la fondation du Waldhaus. Jamais cette famille n'a cédé à la tentation évidente de la vente à un grand groupe ou un fonds d'investissement. Jamais ils ne se sont résolus à s'agrandir ou à créer des antennes dans d'autres villes. Le Waldhaus n'est jamais devenu une marque, comme César Ritz, le petit hôtelier du val de Conches a voulu le faire. Le palace existe depuis 116 ans en son lieu solitaire et escarpé, presque sans modification, ne s'adaptant au temps que sous la force de la nécessité et de l'entretien.
Quand on y pénètre, une autre incongruité vous frappe par son absence. Dans tous les lobbys de palaces du monde on est accueilli par des vitrines et des boutiques vantant les grandes marques du luxe français ou italien. L'horloge est naturellement sponsorisée par une marque genevoise. Tout respire la consommation et vous y pousse. Dans le lobby du Waldhaus, il n'y a que la réception, la porte d'accès au grand salon, l'escalier monumental qui mène aux étages et la petite porte qui mène à la direction. Rien ni personne ne vous suggère d'acheter un sac à main ou une cravate. Aucune musique d'ambiance n'est diffusée par haut-parleurs. Un tableau indique les horaires des trains locaux, les itinéraires de balades, les cours de danse ou les horaires de massage. Ainsi on n'a pas tout à fait le sentiment d'être arrivé dans un palace, mais dans une pension de famille. Certes l'architecture, la hauteur des plafonds, les moulures et le mobilier rappellent Gatsby le Magnifique. Mais la patine, les gros fauteuils des années 40, les petits bouquets de fleurs de champs et les antiques fenêtres doubles respirent la maison de campagne d'un vieil oncle excentrique et élégant. En arrivant dans la chambre, dont le mobilier des années 70 est en parfait état d'entretien et de confort, un petit mot vous attend, rédigé à la main et signé du propriétaire, qui vous souhaite un excellent séjour.
Le parking du Waldhaus est également distinct des parkings de ses confrères étoilés. On n'y voit aucune Rolls ou Ferrari mais des voitures bourgeoises, grises et blanches, de celles que l'on achète à crédit. Ainsi les clients ne sont-ils pas des magnats du pétrole, des héritiers du Golfe ou des stars de la télé. Dans leur majorité ce sont des gens éduqués, plutôt au-delà de la quarantaine, souriants et respectueux des us et coutumes du lieu. Passées neuf heures et demie du soir, le musiciens ont rangé leurs violons et leur contrebasse, et les clients remontent sans bruit vers leurs chambres. On les revoit au matin, bâton de balade à la main, sac à dos et veste molletonnée aux couleurs vives, prêts à un tour du lac ou une excursion plus audacieuse vers le Corvatsch. On entend de l'anglais, de l'allemand, du suisse-allemand, du hollandais, de l'italien, un peu de français même, et le personnel s'y adapte avec des dons linguistiques étourdissants.
Le soir, au dîner, le propriétaire fait le tour des tables et vous souhaite une belle soirée. Il exécute sa ronde avec un plaisir manifeste, sans onctuosité. Alors qu'il s'approchait de la mienne, j'ai voulu lui poser une question. Il me semble me souvenir, lui dis-je, que la famille de ma grand-mère s'est rendue au Waldhaus, ce devait être au tournant des années 20 et 30. Alors les yeux du propriétaire se sont allumés. Sans s'asseoir à ma table, il a sorti un calepin et un stylo de sa veste et m'a demandé de lui donner toutes les données dont je me souvenais, noms, dates, lieux d'origine. «Je vais aller consulter mes archives et vous dirai très vite ce que j'y a trouvé», a-t-il conclu dans un français parfait, avec un sourire gourmand, impatient de se plonger dans ses grimoires.
Deux jours plus tard, une lettre était glissée sous la porte. J'y trouvais une recension exacte des séjours de mes aïeux, avec dates, numéros de chambres et adresses en Hollande, avec en plus un fac-similé des pages du registre de l'hôtel.
Ce sont des choses qui n'existent plus vraiment, qu'il faudrait chercher activement mais que l'on est plus sûr de découvrir par le hasard. Tout ce qui fait que la Suisse est devenue ce havre de paix prospère et envié est concentré dans ce bâtiment et dans sa gestion. Inchangé ou presque depuis 116 ans, toujours aux mains de la même famille, insensible aux modes, imperméable aux guerres et aux crises, le Waldhaus est un manifeste de continuité, qui est l'atout principal de la Suisse, presque sa raison d'être. Ceux qui vous y reçoivent, et qui en sont pourtant les propriétaires, vous font sentir bienvenu et accepté. Leur métier, mais aussi leur vie entière, est d'être à votre service et de témoigner une gratitude, sincère et non pas servile, pour votre visite. Les lieux sont d'une propreté irréprochable et ne sont pas opulents et tape-à-l'œil. Au Waldhaus on fait les choses à la perfection mais sans excès. Dans le lobby, pas de gigantesque composition florale, pas de marbre reluisant, pas de vitrines dorées. Dans les chambres, pas d'orchidées, de bains à bulle et de champagne dans un seau. Tout doit se faire pour répondre aux besoins des hôtes mais sans les écraser. Dans ces Grisons majestueux, mais loin de tout et privés de ressources, les touristes sont seuls capables de modifier durablement les conditions de vie des populations locales. Alors on les soigne et on les sert, discrètement et sans jamais leur faire ressentir que ce sont eux, ces étrangers, qui ont la chance d'être au Waldhaus.
La Suisse a écrit les plus belles pages de son histoire en suivant exactement cet esprit. Soucieuse de continuité, prudente, attachée à offrir le meilleur service possible sans jamais s'en vanter, consciente des rapports de force, aimant son métier. L'histoire récente a fait de cet état d'esprit un objet de musée, un peu risible, presque humiliant. Le ressac l'a repoussé jusqu'aux fins fonds de la Suisse, jusque dans les couloirs d'un vieil et magnifique hôtel. Je veux espérer qu'il en ressortira un jour et qu'il se répandra à nouveau parmi mes concitoyens.
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En 2009, lors d'une dictée imposée à 1'348 enfants français de seconde, deux tiers d'entre eux ont obtenu un zéro. 14% seulement ont eu la moyenne. Dit autrement, les francophones dans leur majorité ne maîtrisent pas leur langue à l'écrit. Pourtant la dictée est un véritable sport national: on en a organisé une en 2018 au stade de France.</p> <p>Les enfants de 2024 savent parfaitement parler mais font, en moyenne, deux fois plus de fautes que ceux de 1985. On se demande toujours comment améliorer la situation, trop rarement comment on est arrivé à ce lamentable état des choses. Pourtant un constat avait été fait en 1783 déjà, sous la plume de Rivarol dans son <em>Discours sur l'universalité de la langue française</em>: «On se fit une langue écrite et une langue parlée, et ce divorce de l'orthographe et de la prononciation dure encore». Il existe donc un divorce au cœur même de notre langue. On en apprend deux: une langue parlée et une langue une écrite, tout à fait distinctes l'une de l'autre. Ce qui explique <em>pourquoi </em>la dictée est un enfer, mais pas <em>comment</em> elle l'est devenue.</p> <p>Comment est-il possible que nous soyons incapables de maîtriser notre propre langue à l'écrit? Pour commencer, il faut remonter un peu le cours du temps. Langue latine, le français a évolué du bas-latin et s'est ensuite mâtiné de langues germaniques pour parvenir à ce langage qu'on parlait dans le bassin parisien à la fin du Moyen-Age. On le parlait, on ne l'écrivait presque pas. Pour l'écriture on se servait d'un latin bâtardisé et déjà criblé de mots français. Le français n'était rien d'autre que le patois parisien, c'était par conséquent la langue du roi. On l'écrivait phonétiquement, presque sans règle. Dans la chanson de Roland, écrite il y a mille ans, on écrit <em>fer</em> ou <em>fere</em> pour faire, <em>ki</em> pour qui, <em>e</em> pour et, <em>hom</em> pour hommes. Sous François Ier, premier roi de la Renaissance, on compte que moins de 10% de la population parle le français, et qu'une poignée d'entre eux seulement savent l'écrire. L'immense diversité des langues fait que le pouvoir du roi est mal compris et peu, ou mal, appliqué. D'où ce premier acte fondateur: l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, qui décrète que le français seul sera la langue de l'administration et de la justice. Cette ordonnance crée le premier rapprochement entre langue et pouvoir. Preuve de son importance capitale, l'ordonnance de Villers-Cotterêts est la plus ancienne loi citée encore de nos jours dans les tribunaux français.</p> <p>Cette loi crée toutefois autant de problèmes qu'elle en résout. Car s'il est décidé que le français seul exprimera la volonté royale, on ne sait pas de quel français il s'agit. C'est ainsi que va naître une querelle acharnée, qui dure encore de nos jours, sur la forme que doit adopter notre langue. Dès le XVIème siècle, les savants se divisent en deux camps opposés: les phonétistes, et les étymologistes. Pour les premiers, il faut continuer comme on l'a fait jusqu’alors et écrire comme on parle. C'est la pratique dominante, autrefois comme aujourd'hui, et notamment la pratique des latins et des grecs. Mais les étymologistes adoptent un point de vue très différent et, disons-le, bizarre.</p> <p>Ce sont les poètes tels que du Bellay et sa <em>Défense et illustration de la langue française</em> qui vont former notre orthographe. A cette époque, la France redécouvre son passé gréco-romain, une appellation fautive mais qui s'est imposée. A bien des aspects, la Renaissance est un retour à un passé fantasmé. Délaissant le style gothique, on met soudain des colonnes doriques et des statues du panthéon partout. De leur côté les intellectuels soumettent la langue au même exercice. Ils vont appeler leur invention «orthographe ancienne», comme si celle-ci était fidèle à l'orthographe romaine quand bien même elle est imaginée de toutes pièces. 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La difficulté de l'orthographe française ne relève pas du hasard. Elle révèle des phénomènes beaucoup plus profonds.</p> <p>L'orthographe étymologique a donc fini par s'imposer contre le français phonétique de la «pauvre orthographe», comme le raillait du Bellay. Encore faut-il s'assurer de l'uniformité de la langue à travers le royaume. L'initiative est prise par le cardinal de Richelieu en 1635, avec la création de l'Académie française. Etonnante institution linguistique qui, depuis bientôt quatre siècles, ne compte pas un seul linguiste dans ses rangs. Car la volonté de Richelieu n'est pas linguistique, mais politique. Il s'agit de s'assurer que la langue du roi soit respectée autant que ses lois, et que les intellectuels du royaume soient les obligés du monarque. Dès le début, l'Académie remplace son absence de but précis par du prestige. Sans aucun pouvoir réel, elle n'en a pas moins une grande puissance. On raille volontiers les Immortels, leurs privilèges ou leur âge. Pourtant, de la même manière que l'ordonnance de Villers-Cotterêts est la plus ancienne loi encore citée en France aujourd'hui, l'Académie est la plus ancienne institution à avoir survécu – intacte! – à la Révolution. Son rôle n'a jamais été prévu pour être cette supposée police de la langue qu'on a souvent moquée. Elle a été placée sous la protection du roi, des empereurs et désormais des présidents. Comme un Vatican ou une antique dynastie monarchique, l'Académie est pleine de vieilles traditions obscures, de costumes étranges, de mystères et de pompe. Dans la France du XXIème siècle, elle est la dernière expression physique d'une forme de continuité entre la France de l'Ancien régime et la République. C'est précisément son inutilité pratique qui lui confère sa dignité. En tant que temple de la langue, l'Académie est la gardienne de l'unité française.</p> <p>Lentement mais sûrement, la langue devient ainsi un des dénominateurs de la nation et l'un des piliers de l'absolutisme. Le roi en personne se manifeste à travers sa politique linguistique que couronne l'Académie, revêtue de sa toute-puissance pour unifier l'usage de la langue, de <em>sa </em>langue. A l'unification <em>par</em> la langue, décidée à Villers-Cotterêts, succède l'unification <em>de</em> la langue, décidée par l'établissement de l'Académie. Ces unifications successives permettent plus qu'elles ne reflètent l'unification de la nation même.</p> <p>A la cour de Versailles, les poètes et les dramaturges, souvent académiciens eux-mêmes, donc obligés du roi, vont se charger de donner à la langue tout son prestige. C'est de cette époque que date la transformation définitive du vieux français en notre français actuel, notamment depuis la publication du dictionnaire de 1740. Cette époque aura donc fixé les canons de l'architecture, des arts et de la langue. On peut difficilement lire Ronsard dans le texte, mais pour Molière ou Diderot on ne rencontre pas un problème.</p> <p>La cour des Bourbons, avec ses codes particulièrement rigides, même pour l'époque, contribue lentement à inscrire dans la langue une dimension qui, elle aussi, n'a fait que se renforcer avec l'âge: celle de sélection sociale. On n'est pas accepté si on ne parle pas correctement le français, un accent provincial vous exclut de toute fonction sérieuse, et la maîtrise de la langue assure la gloire même aux roturiers. La difficulté qu'avaient inscrite dans l'orthographe les linguistes du XVIème siècle se transforme alors presque en code secret. La langue sert à la fois à répandre le prestige royal, mais également à restreindre l'accès au roi et à la cour. Cette fonction sélective ne connaît pas la crise. Les élites françaises sont encore largement choisies de nos jours selon des critères linguistiques.</p> <p>Nous voilà juste avant la Révolution. 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Et comme il n'existe plus ni roi, ni dieu pour se faire respecter, les législateurs vont considérablement accentuer la notion de la langue en tant qu'expression du pouvoir, jusqu'à en faire un pouvoir en tant que tel.</p> <p>Cette nouvelle politique est résumée dans le <em>Rapport et projet de décret sur l'organisation des écoles primaires </em>de 1791 qui stipule «que la langue française devienne en peu de temps la langue familière de toutes les parties de la République». A une époque où seuls 15 ou 20% de la population parle cette langue, il faut imaginer la violence de cette ambition. Talleyrand, dans son <em>Rapport sur l'instruction publique</em>, propose de «chasser cette foule de dialectes corrompus, derniers vestiges de la féodalité». En 1794, Barère de Vieuzac rédige un <em>Rapport du Comité de salut public sur les idiomes</em>: «L'idiome appelé bas-breton, l'idiome basque, les langues allemande et italienne ont perpétué le règne du fanatisme et de la superstition, assuré la domination des prêtres, des nobles et des praticiens, empêché la révolution de pénétrer dans neuf départements importants, et peuvent favoriser les ennemis de la France». Et de conclure: «Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton; l'émigration et la haine de la République parlent allemand; la contre-révolution parle l'italien, et le fanatisme parle le basque. Cassons ces instruments de dommage et d'erreur». 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Pour bien marquer son intention, il avait également souhaité que la mise en terre soit faite avant le culte, et non après. Le résultat fut tout à fait original. Plus de deux cent personnes avaient fait le voyage, certains des coins les plus reculés du continent, pour assister à l'enterrement d'un homme dont ils ne verraient pas le cercueil, et pour lequel aucune évocation ne serait servie par l'officiant. Cette vaste assistance, que l'amour pour mon père et sa famille avaient déplacée jusque dans cette église, n'a eu droit au final qu'à un culte ordinaire. Un culte excellent, grâce à un pasteur inspiré et une organiste hors pair. Mais un culte ordinaire.</p> <p>Lorsque j'ai pris connaissance des exigences de mon père, j'ai été moins surpris qu'inquiet. Face à une cérémonie si radicalement sobre, certains risqueraient de rester sur leur faim. Au bout de l'expérience, je me suis demandé si mon père n'avait pas eu là une intuition aussi dissidente que salvatrice. Car nos enterrements, libérés des obligations rituelles, semblent s'être quelque peu dispersés en une infinité de variations, aussi stressantes pour les proches que confondantes pour l'assistance. Comme pour les mariages, la disparition de la transcendance ritualisée a pour effet immédiat de reporter toute la cérémonie sur les individus qui se prêtent à l'exercice, jeunes mariés ou défunts. On assiste donc à une surenchère d'arrangements floraux, de chansons, de portraits, de discours et de performances dont le but est de souligner l'individualité humaine et non plus le divin. J'ai par exemple assisté à des funérailles où toute parole avait été bannie au profit d'une suite de chansons choisies par celui qui, dans son cercueil, n'en profiterait même pas. Comme personne ne parlait et que rien d'autre ne nous unissait que d'être assis à écouter des chansons en regardant un cercueil, la chose ressemblait plus à un salle d'attente d'aéroport qu'aux derniers adieux à un être cher. 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L'Eglise y réaffirmait son magistère, les cercles sociaux et familiaux y étaient représentés selon leurs hiérarchies et dans l'ordre de succession, et tout cela se passait sans aucune originalité, dans le cadre strict d'une liturgie connue de tous et sans surprise aucune. Sauf exception, la personnalité du défunt importait peu, seul le rite, la société constituée et la continuité de la tradition comptaient. Cela nous semble à bien des égards étouffant et inhumain. Nous sommes devenus allergiques à toute forme de ritualisation formatée. Célébrer un être disparu sans se poser de questions et en ne faisant que suivre le rite liturgique nous semble ainsi presque barbare. Or le service funèbre de mon père m'a appris que cela n'est pas si évident.</p> <p>Il n'y a pas que cela. Je vis en Serbie, où les enterrements n'ont pas encore – mais ça vient – connu ces tendances. Dans un pays où l'Eglise orthodoxe a encore un pouvoir non négligeable et où identité nationale et religion ne font qu'un, les sacrements sont d'une surprenante uniformité. Lors de mon mariage, le pope ne nous avait posé qu'une seule question: voulez-vous la liturgie longue ou courte. Le reste allait de soi et ne nécessitait aucune instruction ou même d'opinion de notre part. Les enterrements sont à la même enseigne. Pour un occidental, la chose peut sembler brutale. Ainsi dans la plupart des cas, on enterre les morts le lendemain du décès. Et comme les gens sont généralement pris de court, on ne s'étend pas trop. En moins de trente minutes, le mort est sous terre ou consumé par le four crématoire. Le pope récite sa liturgie devant la tombe, tandis que des ouvriers en bleu de travail attendent, pelle en main, de la refermer. On ne passe pas une heure sur un banc d'église à essuyer ses larmes, à conforter ses voisins et à écouter les éloges de celui-ci ou de celle-là. 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Les derniers fêtards de Halloween, hagards et le maquillage défait, déambulaient sans but dans les couloirs. J'attendais le premier train en direction de l'aéroport de Genève. Une jeune femme s'est approchée de moi et m'a demandé dans un anglais hésitant si c'était le bon train. Dans la trentaine, elle avait une longue chevelure blond platine, un maquillage impeccable, une bouche refaite, des bottines à talons, une robe en laine moulante, un chapeau de cow-boy et de longs ongles peints. Cette apparence détonnait avec la fillette de cinq ans qui l'accompagnait, et avec son ventre rebondi de femme enceinte de plusieurs mois. J'en ai rapidement déduit qu'elle se rendait, comme moi, à Belgrade.</p> <p>Durant le trajet qui nous menait à Cointrin, comme le train était vide, nous avons fait connaissance. Cette jeune mère vit dans une grande ville au sud de Belgrade et vient de rendre visite à sa mère qui vit depuis plusieurs années près de Lausanne. Elle a longtemps pensé émigrer en Suisse mais depuis qu'elle est mère, son avis a changé. Elle ne veut pas que ses enfants aient les cheveux bleus et des piercings et des problèmes d'identité sexuelle. De plus, et je lui donne raison, la Serbie est particulièrement sûre, on y vit très bien, et même si le coût de la vie a considérablement augmenté, on est encore très, très loin des prix suisses. Et puis elle ne se fait aucun souci. Les offres de travail bien payé, elle en a autant qu'elle en veut. Car elle est officier supérieur d'infanterie dans l'armée serbe. Et le monde est plein de femmes très riches qui paient très chers les services d'un garde du corps féminin et surentraîné, sans compter qu'elle est également ceinture noire de karaté.</p> <p>Ma vie en Serbie est pleine de rencontres de ce type. C'est-à-dire de gens qui ne vivent pas encore dans la matrice idéologique et médiatique tellement contrainte du monde occidental. Je dis pas encore, mais peut-être devrait-on dire déjà plus, l'avenir nous le dira. Quoiqu'il en soit, ces mondes sont géographiquement proches, mais distants de plusieurs galaxies pour ce qui concerne la manière de penser.</p> <p>Pour ce qui concerne l'élection américaine, mes amis belgradois indiquent par leurs choix une indépendance d'esprit vivifiante. A Belgrade, on peut parler de cette élection librement. En Europe occidentale, dire qu'on est trumpiste est suicidaire d'une part, et prévisible d'autre part. Cela signifie que l'on est soit vieux, soit chrétien, soit conservateur, soit tous les trois. A Belgrade, un nombre considérable de mes amis, et surtout de mes amies, professent plus d'attachement pour Trump que pour Harris. Des jeunes femmes urbaines, sexuellement libérées, éduquées supérieures et athées qui non seulement pensent, mais disent que Trump serait leur choix si elles pouvaient voter. 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Comme si je rendais un chauffeur de taxi coupable de ne pas être Ayrton Senna, ou la bistrotière du coin de la rue de ne pas être Alain Ducasse.</p> <p>Le temps moyen de visite du Louvre est d'environ une heure, snack et achats à la boutique compris. Ce qui signifie que l'écrasante majorité des visiteurs fonce tout droit vers la Joconde, bifurque pour faire coucou à la Vénus de Milo, puis fait une photo, de loin, de la Victoire de Samothrace avant de terminer au magasin de souvenirs pour y acheter des reproductions des bijoux portés par le modèle d'un portrait que l'on n'a pas eu le temps d'admirer. Spotify, l'application de streaming musical suédoise, propose une sélection à la fois gigantesque et minuscule à ses abonnés, dont je suis. Car comme le Louvre, Spotify aspire à l'universel et propose absolument tous les catalogues, de Palestrina au plus jeune rappeur de la côte est. Et comme le Louvre, Spotify ne vend effectivement qu'une partie infinitésimale de son catalogue. 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Caillebotte n'aurait jamais atteint ces hauteurs sans les milliers de peintres impressionnistes qui coexistaient à Montmartre à la fin du XIXème siècle. Personne ne devient un ou une grande artiste dans une solitude complète. Tous les grands noms de l'art sont entourés de myriades d'inconnus qui ont directement contribué à fertiliser ces quelques individus. Et tous les artistes qui ont acquis une renommée universelle font partie de vastes mouvements ou d'écoles qui ont été nourris par des milliers d'artistes anonymes, le plus souvent oubliés – et néanmoins absolument nécessaires.</p> <p>Comme nous ne valorisons plus que les artistes qui sont valorisés par le marché, les autres disparaissent avant même d'avoir livré bataille. Aujourd'hui, aucun peintre ne peut vivre de son art s'il n'est pas entouré par une galerie importante et par des institutions qui justifient des commandes et des subventions conséquentes. Aucun musicien ne peut vivre de son art sans un label puissant qui lui assure des tournées internationales. Aucun écrivain ne peut vivre de son art sans le soutien d'un éditeur réputé qui lui assure des campagnes de promotion dignes de celles que l'on réserve à des marques de vêtements. Les autres, les millions d'autres, sont très vite contraints à l'abandon en rase campagne, avant même d'avoir atteint leurs trente ans. Les conditions économiques de la production artistique sont devenues tellement exigeantes que même le rêve poussiéreux de l'artiste bohème est désormais inaccessible. On voudrait bien crever la faim dans un studio mal chauffé, mais même cela, on ne le peut plus. Alors on devient prof, ou publiciste, ou n'importe quoi pourvu qu'on puisse en vivre.</p> <p>Alors, bien sûr, le talent est une condition nécessaire et les collègues moins talentueux que Paul McCartney ont été oubliés. Mais Matisse, au début de sa carrière, était un mauvais peintre, un artiste sans talent. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
4 Commentaires
@Lore 26.07.2024 | 05h56
«Petit souvenir nostalgique d’une suissesse aux origines variées: Suisse-alémanique, italienne, française, née à Lausanne.
Ma grand-mère maternelle originaire du canton de Zurich est venue comme fille au pair dans le canton de Vaud et y a rencontré mon grand-père français né à Genève dont le père avait traversé la frontière pour y épouser une jeune fille de Belfort enceinte alors que son divorce n’était pas prononcé ou autorisé (?) en France. Ma grand mère zurichoise avait travaillé auparavant comme femme de chambre au Waldhaus et en gardait une fierté transmise à sa descendance. J’y séjourne adulte avec mon mari et au retour je découvre une petite serviette (ou linge) pour mains dans ma valise. Acte manqué »
@simone 26.07.2024 | 16h11
«Merci de ce merveilleux article!»
@willoft 28.07.2024 | 00h50
«Pas facile d'osciller entre la tradition qui a fait son beurre et l'appréter de nouvelle manière!»
@stef 04.08.2024 | 16h40
«Superbe texte, merci »