Actuel / Lutter contre le «doomscrolling»: les stratégies des adolescents
Faire défiler des contenus sur l'écran de son téléphone sans pouvoir s'arrêter, voilà le doomscrolling. Shutterstock
Le temps des vacances est là. La réjouissance de cette perspective s’accompagne pourtant d’une crainte certaine pour nombre d’adultes: la vision de l’adolescente ou de l’adolescent de la famille scotché à son téléphone, s’adonnant à une activité désormais connue sous le nom de scrolling.
Face à ce phénomène, les adolescents cherchent – et trouvent parfois – des parades pour garder la maîtrise de leur navigation sur le web, et plus largement de leur temporalité. Exploration et conseils pour passer tous ensemble des vacances (plus) sereines…
Un phénomène socialement partagé
Avant toute chose, il convient de prendre la mesure du phénomène de doomscrolling, et de reconnaître son impact social. En effet, si la focale est souvent mise sur les adolescents pour évoquer les craintes, non négligeables, que cette pratique fait peser sur la santé mentale et sociale de ces derniers, le doomscrolling n’est absolument pas générationnel. En tant qu’internautes, nous sommes tous confrontés et soumis aux stratégies mises en place par les plates-formes pour nous inciter à rester connectés le plus longtemps possible, et au même endroit.
Cette captation de l’attention nous concerne tous, quel que soit notre âge, notre statut, à partir du moment où nous utilisons des objets connectés. Nombreux sont d’ailleurs les adolescents qui pointent des usages adultes du smartphone peu exemplaires, à l’instar de Nicolas, 14 ans, qui s’amuse du paradoxe : « Mon beau-père va beaucoup sur Facebook, il y passe un temps fou et après il me dit ‘Hey oh, doucement avec Snapchat, Nico !’ ».
Ce constat d’une « société de maintenant » qui rend le téléphone indispensable au quotidien pour tous, et pour tout type d’activités, qu’elles soient professionnelles, académiques, ou personnelles, conduit Lucy, 16 ans, à appeler les adultes à une introspection :
« Je vois mes parents ils sont des fois plus sur les écrans que moi, et c’est un problème général en fait, ça ne concerne pas que moi, ou les jeunes, faut arrêter avec ça, les parents ils ne sont pas mieux et ils n’arrivent pas mieux que nous à gérer les choses, en fait ».
Entre culpabilité et stratégies pour faire face
Les usages et pratiques numériques des adolescents accordent, de fait, une place majeure au smartphone. Cet objet total répond à des besoins de sociabilités extrêmement structurants et nécessaires à cet âge de la vie, mais aussi à des besoins informationnels nombreux, assouvis quotidiennement, en lien avec l’actualité ou des questions liées à leurs centres d’intérêt ou encore aux activités scolaires.
Lorsqu’on écoute les adolescents sur ce rapport au smartphone, il est frappant de noter la culpabilité qui émane de leurs propos. Ainsi, Ambre, 17 ans, confie : « Des fois même on s’en veut, parce qu’on gâche du sommeil, on gâche du temps en famille, on gâche du temps pour faire nos devoirs ou faire des choses à l’extérieur ! », cependant que Melvin souligne : « Ce temps que tu passes comme ça, c’est franchement angoissant, et en même temps c’est compliqué parce que tu peux pas te couper du monde non plus ! Faut un équilibre, quoi ».
Cet équilibre, les adolescents le cherchent, déployant des stratégies multiples pour tenter de garder la maîtrise de leur temporalité, de leurs activités, de leur estime de soi aussi : « quand je perds du temps comme ça, je me sens nulle ! »,note ainsi Romane, 17 ans. Une enquête qualitative menée auprès de 252 adolescents âgés de 11 à 19 ans a permis de documenter plus avant ces stratégies.
Parmi ces stratégies, la plus répandue est l’activation du mode « Avion » ou « Ne pas déranger » du téléphone, avec l’espoir de favoriser sa concentration sur une tâche. D’aucuns prennent des décisions plus radicales, consistant à ne pas installer une application qu’ils ont identifiée comme potentiellement problématique pour eux. C’est le cas de Geoffrey, 17 ans, qui a « choisi de ne pas télécharger TikTok justement parce que ça prend trop de temps ».
Une autre stratégie souvent relatée consiste à désinstaller temporairement une application, « le temps que la tension retombe » face à l’afflux de notifications ; note Juliette, 17 ans. Cette stratégie est adoptée essentiellement par des lycéennes et lycéens soit lors de périodes de révisions intenses soit lorsque la saturation se fait sentir :
« Par moment, je le sens, je me sens oppressée par ça et j’arrive plus à gérer, alors je désinstalle l’appli. Tout de suite, je sens que ça va mieux, je me sens moins sous pression, et puis quand je sens que je me suis calmée, un peu apaisée on va dire, alors je réinstalle l’appli […] Je ne peux pas ne plus l’utiliser du tout, c’est pas possible, j’en ai besoin, j’aime ça, j’apprends des trucs avec ça, je suis les infos aussi avec ça » (Apolline, 16 ans).
L’éducation, meilleure ennemie du doomscrolling
Comment soutenir les adolescents dans ces efforts de résistance à la captation de l’attention et à la fatigue informationnelle qui s’en suit ?
De façon certaine, l’idée d’une imposition d’un contrôle strict est illusoire, et même contre-productive, cela ne ferait que générer frustrations et tensions. Plus encore, une telle mesure ne propose pas de solutions à l’adolescent pour exercer un véritable pouvoir d’agir. Prendre à bras-le-corps cette problématique suppose une réponse éducative à plusieurs niveaux.
Il apparait d’abord essentiel de considérer cette question pour ce qu’elle est : une question socialement partagée, qui nous engage tous dans des méandres et des recherches de tactiques pour ne pas se perdre dans le flux. Pour favoriser la concentration et la maîtrise, on peut ainsi (se) conseiller de désactiver au maximum les notifications des applications les plus chronophages. En outre, l’excès en tout est un défaut, et dégrade le plaisir ressenti dans l’activité : plus on maîtrise le temps passé en ligne, plus on le savoure aussi dignement. Voilà un argument qui peut faire mouche.
Ceci dit, pour comprendre ce qui (nous) pousse à ce « défilement morbide » (appellation québécoise du doomscrolling), il faut apprendre les ressorts de l’économie de l’attention, saisir finement quels sont les processus qui nous traversent lorsqu’on est confronté aux stratégies mises en œuvre par les industries du numérique (dark pattern, design émotionnel, notamment).
Réseaux sociaux, tous accros ? (Décod’actu – Lumni, 2018).
Pour autant, cette explication essentielle ne doit pas renvoyer aux seuls utilisateurs la responsabilité de la maîtrise : l’arsenal juridique déployé, à travers le règlement sur les marchés numériques (Digital Market Act – DMA) en complément du règlement sur les services numériques (Digital Service Act – DSA), vient précisément protéger les internautes et tenter de faire contre-poids face à la puissance économique et industrielle des plates-formes.
Étant donné son importance quasiment existentielle au sens propre du terme, une éducation aux médias et à l’information du quotidien se doit d’intégrer cette problématique à la fois sociale et politique. Tous les adolescents racontent leurs difficultés à faire face à cette fatigue informationnelle et aux processus de captation, mais racontent aussi et surtout conjointement leur aspiration à partager des moments de qualité avec les autres, dont la famille.
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Ces adolescents expriment le souhait de s’informer de façon apaisée, et d’être dépositaires d’une capacité à agir sur le monde qui les entoure. On ne peut ainsi que leur recommander et nous recommander de s’abonner à ces « médias positifs » qui se sont donnés pour mission de nous informer avec de l’actualité joyeuse. De quoi non seulement nourrir autrement les algorithmes en leur imposant un autre monde souhaité, le nôtre, mais aussi partager une information qui fait du bien et enrichit les sociabilités.
Enfin, le ralentissement face à l’accélération est un enjeu politique majeur. Parce que ralentir, arrêter le flux, c’est prendre le temps de la réflexion et de la maturation de la pensée. Une qualité citoyenne. Et cela peut même passer par le fait de scroller… Ensemble.
Anne Cordier, Professeure des Universités en Sciences de l’Information et de la Communication, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Nombreux sont d’ailleurs les <a href="https://cfeditions.com/grandir-informes/">adolescents qui pointent des usages adultes du smartphone peu exemplaires</a>, à l’instar de Nicolas, 14 ans, qui s’amuse du paradoxe : « Mon beau-père va beaucoup sur Facebook, il y passe un temps fou et après il me dit ‘Hey oh, doucement avec Snapchat, Nico !’ ».</p> <p style="text-align: left;">Ce constat d’une « société de maintenant » qui rend le téléphone indispensable au quotidien <a href="https://theconversation.com/relations-sociales-le-numerique-peut-il-compenser-le-manque-dechanges-directs-158984">pour tous</a>, et pour tout type d’activités, qu’elles soient professionnelles, académiques, ou personnelles, conduit Lucy, 16 ans, à appeler les adultes à une introspection :</p> <blockquote> <p>«<em> Je vois mes parents ils sont des fois plus sur les écrans que moi, et c’est un problème général en fait, ça ne concerne pas que moi, ou les jeunes, faut arrêter avec ça, les parents ils ne sont pas mieux et ils n’arrivent pas mieux que nous à gérer les choses, en fait </em>».</p> </blockquote> <h3 style="text-align: left;">Entre culpabilité et stratégies pour faire face</h3> <p style="text-align: left;">Les usages et pratiques numériques des adolescents accordent, de fait, une place majeure au smartphone. Cet <a href="https://hal.science/hal-03349696/document">objet total</a> répond à des <a href="https://theconversation.com/ladolescent-et-les-reseaux-sociaux-quels-impacts-psychiques-59646">besoins de sociabilités extrêmement structurants et nécessaires à cet âge de la vie</a>, mais aussi à des <a href="https://cfeditions.com/grandir-informes/">besoins informationnels</a> nombreux, assouvis quotidiennement, en lien avec <a href="https://theconversation.com/lena-situations-squeezie-hugo-decrypte-comment-ces-createurs-de-contenu-bousculent-linformation-traditionnelle-226171">l’actualité ou des questions liées à leurs centres d’intérêt</a> ou encore aux activités scolaires.</p> <p style="text-align: left;">Lorsqu’on écoute les adolescents sur ce rapport au smartphone, il est frappant de noter la culpabilité qui émane de leurs propos. Ainsi, Ambre, 17 ans, confie : « Des fois même on s’en veut, parce qu’on gâche du sommeil, on gâche du temps en famille, on gâche du temps pour faire nos devoirs ou faire des choses à l’extérieur ! », cependant que Melvin souligne : « Ce temps que tu passes comme ça, c’est franchement angoissant, et en même temps c’est compliqué parce que tu peux pas te couper du monde non plus ! Faut un équilibre, quoi ».</p> <p style="text-align: left;">Cet équilibre, les adolescents le cherchent, déployant des stratégies multiples pour tenter de garder la maîtrise de leur temporalité, de leurs activités, de leur estime de soi aussi : « quand je perds du temps comme ça, je me sens nulle ! »,note ainsi Romane, 17 ans. Une <a href="https://www.clemi.fr/clemi-sup/publications-du-clemi-sup/quand-les-adolescents-racontent-le-smartphone-une-enquete-sur-la-reception-de-la-bande-dessinee-dans-la-tete-de-juliette">enquête qualitative menée auprès de 252 adolescents</a> âgés de 11 à 19 ans a permis de documenter plus avant ces stratégies.</p> <p style="text-align: left;">Parmi ces stratégies, la plus répandue est l’activation du mode « Avion » ou « Ne pas déranger » du téléphone, avec l’espoir de favoriser sa concentration sur une tâche. D’aucuns prennent des décisions plus radicales, consistant à ne pas installer une application qu’ils ont identifiée comme potentiellement problématique pour eux. C’est le cas de Geoffrey, 17 ans, qui a « choisi de ne pas télécharger TikTok justement parce que ça prend trop de temps ».</p> <p style="text-align: left;">Une autre stratégie souvent relatée consiste à désinstaller temporairement une application, « le temps que la tension retombe » face à l’afflux de notifications ; note Juliette, 17 ans. Cette stratégie est adoptée essentiellement par des lycéennes et lycéens soit lors de périodes de révisions intenses soit lorsque la saturation se fait sentir :</p> <blockquote> <p>« <em>Par moment, je le sens, je me sens oppressée par ça et j’arrive plus à gérer, alors je désinstalle l’appli. Tout de suite, je sens que ça va mieux, je me sens moins sous pression, et puis quand je sens que je me suis calmée, un peu apaisée on va dire, alors je réinstalle l’appli […] Je ne peux pas ne plus l’utiliser du tout, c’est pas possible, j’en ai besoin, j’aime ça, j’apprends des trucs avec ça, je suis les infos aussi avec ça </em>» (Apolline, 16 ans).</p> </blockquote> <h3 style="text-align: left;">L’éducation, meilleure ennemie du doomscrolling</h3> <p style="text-align: left;">Comment soutenir les adolescents dans ces efforts de résistance à la captation de l’attention et à la fatigue informationnelle qui s’en suit ?</p> <p style="text-align: left;">De façon certaine, l’idée d’une imposition d’un contrôle strict est illusoire, et même contre-productive, cela ne ferait que générer frustrations et tensions. Plus encore, une telle mesure <a href="https://theconversation.com/interdire-les-ecrans-ou-eduquer-au-numerique-linsoutenable-alternative-229397">ne propose pas de solutions à l’adolescent</a> pour exercer un véritable pouvoir d’agir. Prendre à bras-le-corps cette problématique suppose une réponse éducative à plusieurs niveaux.</p> <p style="text-align: left;">Il apparait d’abord essentiel de considérer cette question pour ce qu’elle est : une question socialement partagée, qui nous engage tous dans des méandres et des recherches de tactiques pour ne pas se perdre dans le flux. Pour favoriser la concentration et la maîtrise, on peut ainsi (se) conseiller de désactiver au maximum les notifications des applications les plus chronophages. En outre, l’excès en tout est un défaut, et dégrade le plaisir ressenti dans l’activité : plus on maîtrise le temps passé en ligne, plus on le savoure aussi dignement. Voilà un argument qui peut faire mouche.</p> <p style="text-align: left;">Ceci dit, pour comprendre ce qui (nous) pousse à ce <a href="https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/fiche-gdt/fiche/26558477/defilement-morbide?utm_campaign=Redirection%20des%20anciens%20outils&utm_content=id_fiche%3D26558477&utm_source=GDT">« défilement morbide »</a> (appellation québécoise du <em>doomscrolling</em>), il faut apprendre les <a href="https://www.clemi.fr/sites/default/files/clemi/BD%20Dans%20la%20t%C3%AAte%20de%20Juliette.pdf">ressorts de l’économie de l’attention</a>, saisir finement quels sont les processus qui nous traversent lorsqu’on est confronté aux stratégies mises en œuvre par les industries du numérique (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Dark_pattern">dark pattern</a>, <a href="https://shs.hal.science/halshs-01599184/document">design émotionnel</a>, notamment).</p> <figure style="text-align: left;"><iframe frameborder="0" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ltTHAE_C-XI?wmode=transparent&start=0" width="440"></iframe></figure> <h4 style="text-align: left;"><em><span>Réseaux sociaux, tous accros ? (Décod’actu – Lumni, 2018).</span></em></h4> <p style="text-align: left;">Pour autant, cette explication essentielle ne doit pas renvoyer aux seuls utilisateurs la responsabilité de la maîtrise : l’arsenal juridique déployé, à travers le règlement sur les marchés numériques (<a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/284907-dma-le-reglement-sur-les-marches-numeriques-ou-digital-markets-act">Digital Market Act</a> – DMA) en complément du règlement sur les services numériques (<a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/285115-dsa-le-reglement-sur-les-services-numeriques-ou-digital-services-act">Digital Service Act</a> – DSA), vient précisément protéger les internautes et tenter de faire contre-poids face à la puissance économique et industrielle des plates-formes.</p> <p style="text-align: left;">Étant donné son importance quasiment existentielle au sens propre du terme, une <a href="https://theconversation.com/pour-une-education-aux-medias-et-a-linformation-de-tous-les-jours-225299">éducation aux médias et à l’information du quotidien</a> se doit d’intégrer cette problématique à la fois sociale et politique. Tous les adolescents racontent leurs difficultés à faire face à cette fatigue informationnelle et aux processus de captation, mais racontent aussi et surtout conjointement leur aspiration à partager des moments de qualité avec les autres, dont la famille.</p> <p style="text-align: left;"><em>[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters</em> The Conversation. <em>Et vous ? <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/subscribe/?promoted=la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a> pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]</em></p> <p style="text-align: left;">Ces adolescents expriment le souhait de s’informer de façon apaisée, et d’être <a href="https://cultinfo.hypotheses.org/1432">dépositaires d’une capacité à agir sur le monde qui les entoure</a>. On ne peut ainsi que leur recommander et nous recommander de s’abonner à ces <a href="https://lemediapositif.com/">« médias positifs »</a> qui se sont donnés pour mission de nous informer avec de l’actualité joyeuse. De quoi non seulement nourrir autrement les algorithmes en leur imposant un autre monde souhaité, le nôtre, mais aussi partager une information qui fait du bien et enrichit les sociabilités.</p> <p style="text-align: left;">Enfin, le <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-code-a-change/tout-va-trop-vite-mon-bon-monsieur-une-critique-de-l-acceleration-technologique-avec-hartmut-rosa-7804601">ralentissement face à l’accélération</a> est un enjeu politique majeur. Parce que ralentir, arrêter le flux, c’est prendre le temps de la réflexion et de la maturation de la pensée. Une qualité citoyenne. Et cela peut même passer par le fait de scroller… Ensemble.<img src="https://counter.theconversation.com/content/226172/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p> <hr /> <p style="text-align: left;"> </p> <h4 style="text-align: left;"><span><a href="https://theconversation.com/profiles/anne-cordier-1518848">Anne Cordier</a>, Professeure des Universités en Sciences de l’Information et de la Communication, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/universite-de-lorraine-2158">Université de Lorraine</a></em></span></h4> <h4 style="text-align: left;">Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. Lire l’<a href="https://theconversation.com/lutter-contre-le-doomscrolling-les-strategies-des-adolescents-226172">article original</a>.</h4> </div>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'lutter-contre-le-doomscrolling-les-strategies-des-adolescents', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 168, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => 'https://theconversation.com/lutter-contre-le-doomscrolling-les-strategies-des-adolescents-226172', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Edition) {} ], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5147, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Le Conseil national suisse au service de la propagande de guerre étrangère', 'subtitle' => 'La tradition humanitaire de la Suisse est en grand danger. 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Visiblement, il entretient un lien direct avec certains parlementaires.</p> <h3>Des enfants morts comme des numéros</h3> <p>Il y a quelques jours, je me suis entretenue par Zoom avec un médecin travaillant à Gaza et trois autres qui y ont travaillé pendant un certain temps. Leurs récits étaient tout simplement horribles. Des enfants gravement blessés lors de bombardements, que l'on ne pouvait pas identifier, n'attribuer à aucune famille et qui mouraient comme des numéros. Des blessés et des malades qui meurent par manque de moyens les plus élémentaires. Des enfants qui arrivent à l'hôpital pour boire de l'eau dans les toilettes. Et oui, tous sont malades. On craint l'épidémie de poliomyélite, et on ne la combat que pour éviter qu'elle ne s'étende à Israël. Israël interdit toujours de parler de génocide, mais il n'y a pas d'autre mot.</p> <h3>Il ne savait pas</h3> <p>Le conseiller national (UDC) David Zuberbühler, qui s'est exprimé au parlement, prétendra peut-être un jour qu'il ne «savait pas». Aux autres votant-e-s qui se sont exprimé-e-s contre l'envoi de l'aide d'urgence, je laisse le bénéfice du doute, sûrement ils et elles ne sont que des suiveurs-ses.</p> <p>Le plus à blâmer reste le conseiller fédéral Cassis, même s'il a reconnu qu'il ne fallait pas couper son financement à l'UNRWA précisément au moment où éclatait la plus grande crise humanitaire que l'office ait eue à gérer. Cassis a pourtant bien œuvré au démantèlement de l'UNRWA depuis son entrée en fonction, a répété à Trump qu'elle faisait «partie du problème», n'a pas soutenu le directeur Pierre Krähenbühl lorsqu'il a été contraint de démissionner après avoir été calomnié. Il a refusé à Philippe Lazzarini le soutien dont il avait besoin et a obéi aveuglément aux exigences israéliennes. Cassis semble n'avoir jamais compris le rôle de la Suisse en tant qu'Etat dépositaire de la Convention de Genève, ni l'avantage en termes de réputation internationale de voir des Suisses à la tête de l'agence humanitaire en tant que commissaires généraux.</p> <p>Cette dernière a été fondée par la communauté internationale pour accueillir les réfugiés expulsés par Israël lors de la création de l'Etat. Pour inciter les pays environnants à accueillir les réfugiés, les soulager et les apaiser, c'est-à-dire pour protéger Israël.</p> <p>Malgré cela, Israël travaille depuis des décennies au démantèlement de l'UNRWA en utilisant toutes les accusations possibles et imaginables, le plus souvent inventées de toutes pièces. Cela s'explique par le fait que le statut de réfugié garantit aux Palestiniens un droit au retour. Israël veut l'éliminer par tous les moyens.</p> <p>L'UNRWA fournit du travail et des moyens de subsistance aux Palestiniens dans cinq pays, en tant que bénéficiaires ou employés. C'est la seule organisation qui peut apporter une certaine aide à Gaza. Elle travaille de manière apolitique pour le compte des Nations Unies tant que les Palestiniens en dépendent, c'est-à-dire tant qu'ils n'ont pas leur propre Etat, et peut justifier à 100% de ses activités. Les accusations israéliennes se sont jusqu'à présent toujours révélées fausses, il convient donc de douter des nouvelles accusations à venir.</p> <h3>Les «autres organisations» n'existent pas</h3> <p>Quelle prétention de la part des parlementaires suisses que de vouloir supprimer rapidement cette organisation de l'ONU et de la mettre en place sous une autre forme. Il n'est pas seulement absurde, mais aussi totalement malveillant de la part de conseillères nationales de dire qu'il faut donner l'argent à d'autres organisations à Gaza. 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Ce traité scientifique et pratique du XII<sup>e</sup> siècle, qui décrit les règles à suivre dans les relations amoureuses, définit l’amour comme une passion innée, qui naît de la contemplation de la beauté et d’une obsession envers l’être aimé.</p> <p>Capellanus énumère différents types d’amour : l’amour vrai, entre personnes de même rang social ; l’amour vulgaire, ou charnel ; l’amour impossible ; et l’amour malhonnête (que l’auteur condamne car il est contraire aux préceptes moraux).</p> <p><a href="https://images.theconversation.com/files/602539/original/file-20240624-17-k8ly0n.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img src="https://images.theconversation.com/files/602539/original/file-20240624-17-k8ly0n.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" alt="Au Moyen Âge, on définissait l’amour de différentes manières. 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Cet excès expliquait le lien entre les mots « amour » et « amer ». Selon lui, la maladie frappait le cerveau et pouvait provoquer des pensées et des inquiétudes intenses chez l’amant. Dans le même ordre d’idées, la thèse de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Boissier_de_Sauvages_de_Lacroix">Boissier de Sauvages</a> associe le mal d’amour à la mélancolie.</p> <p>Selon le <a href="https://patrimoniodigital.ucm.es/s/patrimonio/item/639079"><em>Lilium Medicinae</em> de Bernardo De Gordonio</a>, cette pathologie, causée par « l’amour des femmes », pouvait conduire à la mort du malade. Il était entendu que l’homme était obsédé par les images de sa bien-aimée. Dans ces conditions, la température du corps, le flux sanguin et le désir sexuel augmentaient. Dans son manuel, Gordonio analyse les symptômes, parmi lesquels la couleur jaunâtre de la peau, l’insomnie, le manque d’appétit, la tristesse constante due à l’absence de l’être aimé, etc. Cet état était considéré comme une maladie, appelée <em>amor hereos</em> ou <em>aegritudo amoris</em>.</p> <figure><a href="https://images.theconversation.com/files/602540/original/file-20240624-25-d9rgpq.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img src="https://images.theconversation.com/files/602540/original/file-20240624-25-d9rgpq.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" alt="_Rencontre d’Anne et Joachim à la Porte dorée_ de Jean Hey, fin du XVᵉ siècle" /></a></figure> <h4 style="text-align: center;"><span><em>Rencontre d’Anne et Joachim à la Porte dorée</em> de Jean Hey, fin du XVᵉ siècle.</span><span></span><span><a href="https://www.nationalgallery.org.uk/paintings/jean-hey-master-of-moulins-the-meeting-at-the-golden-gate-charlemagne">National Gallery</a></span></h4> <p><a href="https://webs.uab.cat/arnau/fr/arnaudevilanova-2/">Arnaud de Villeneuve</a>, médecin médiéval, attribuait ce trouble à un jugement erroné de la « mémoire cogitative », située dans le cerveau. 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Lucrèce consacre le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/De_rerum_natura">livre IV du <em>De Rerum Natura</em></a> au thème de l’amour, le considérant comme une maladie dangereuse pour l’équilibre mental de l’être humain. Pour Garcilaso de la Vega, cet état peut conduire à la folie et à la mort. Dans son <a href="https://www.poemas-del-alma.com/garcilaso-de-la-vega-soneto-xiv.htm">sonnet XIV</a>, il explique comment sa passion amoureuse l’a conduit au désespoir, où il ne trouve ni paix ni repos.</p> <p>On constate aussi que la maladie afflige des personnages littéraires bien connus. Le <em>Livre du Bon Amour</em> de l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Archipr%C3%AAtre_de_Hita">archiprêtre de Hita</a> montre la lutte entre l’esprit chrétien et l’amour de Dieu, d’un côté, et « l’ amour fou » qui ronge l’amant, de l’autre. Dans <a href="https://es.wikipedia.org/wiki/El_Corbacho"><em>El Corbacho</em></a> de l’archiprêtre de Talavera, l’« amour fou » est décrit comme la cause directe de l’aliénation mentale et même de la mort.</p> <h4 style="text-align: center;"><a href="https://images.theconversation.com/files/602537/original/file-20240624-17-m51n2s.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img src="https://images.theconversation.com/files/602537/original/file-20240624-17-m51n2s.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" alt="Première édition de _La Célestine ou tragicomédie de Calixte et de Mélibée_ de Fernando de Rojas. Burgos, 1499" /></a></h4> <h4 style="text-align: center;"><em><span>La Célestine ou tragicomédie de Calixte et de Mélibée_ de Fernando de Rojas. Burgos, 1499.</span> <span><a href="https://www.cervantesvirtual.com/obra/comedia-de-calisto-y-melibea--0/">Cervantes Virtual</a></span></em></h4> <p>Leriano, le héros de <a href="https://www.fayard.fr/livre/prison-damour-9782213607542/"><em>La Prison d’amour</em> de Diego de San Pedro</a>, souffre lui aussi du « mal d’amour », une passion profonde pour Laureola qui lui fait perdre l’appétit et le sommeil, et manque de le tuer.</p> <p>Dans <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_C%C3%A9lestine"><em>La Célestine</em></a>, Calixte manifeste un désir sexuel démesuré qui le conduit à la folie amoureuse. Sans oublier que l’objectif final du Don Quichotte de Miguel de Cervantes est de faire connaître <a href="https://www.cervantesvirtual.com/obra-visor/el-ingenioso-hidalgo-don-quijote-de-la-mancha-6/html/05f86699-4b53-4d9b-8ab8-b40ab63fb0b3_5.html">l’étendue de sa passion</a> à sa bien-aimée, Dulcinée.</p> <p>Dans <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Tirant_le_Blanc"><em>Tirant le Blanc</em> de Joanot Martorell</a>, l’attirance du protagoniste pour Carmésine occasionne un manque d’appétit, des crises d’insomnie, des pleurs et des soupirs. De même, dans <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Espill"><em>Espill</em> de Jaume Roig</a>, le sage Salomon diagnostique dans les rêves du protagoniste un maladie d’amour dee à une passion amoureuse démesurée.</p> <h3>Existait-t-il un remède au mal d’amour ?</h3> <p>La guérison passait par une double recommandation : régime alimentaire et discipline morale. Le <a href="http://www.cairn.info/revue-cahiers-d-etudes-hispaniques-medievales-2015-1-page-29.htm">régime prescriptif</a> consistait à éviter le vin, la viande rouge, le lait, les œufs, les légumes et les aliments de couleur rouge, qui incitent au mouvement du sang et au désir sexuel. Le malade d’amour devait manger de la viande blanche, du poisson et boire de l’eau ou du vinaigre. Il était également nécessaire de bien transpirer et de prendre un bain avant de manger.</p> <p>Il convenait aussi de dominer ses pulsions charnelles afin de soumettre la volonté, en posant une plaque de fer froid sur les reins (berceau supposé du désir), en dormant sur un oreiller rempli d’orties, en se baignant dans l’eau froide, etc.</p> <p>Les instincts charnels étaient la cause principale de tous ces maux. Une vie vertueuse, éloignée de la passion excessive, permettait de trouver l’harmonie entre le corps et l’âme, car le mal d’amour pouvait conduire à la mort et, pire encore, à la damnation de l’âme.<img src="https://counter.theconversation.com/content/234964/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p> <hr /> <h4><span><a href="https://theconversation.com/profiles/anna-peirats-1491377">Anna Peirats</a>, IVEMIR-UCV, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/universidad-catolica-de-valencia-5465">Universidad Católica de Valencia</a></em></span></h4> <h4>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. 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Ce n’est pas en étant tous d’accord que nous permettrons à la réflexion de progresser, ce n’est pas en refusant l’altérité. Il arrive que certains de nos articles dérangent des lecteurs et des lectrices, nous l’assumons. <strong>Notre but n’est pas de vous plaire, il est de vous donner matière à penser. </strong></p> <p>Economiquement, nous sommes <strong>totalement indépendants</strong>, nous ne vivons que de vos abonnements et de vos dons, n’avons <strong>ni sponsors ni annonces publicitaires</strong>. Nous pouvons le faire car la majorité de nos contributeurs sont bénévoles, comme notre comité de direction; nous sommes toutes et tous <strong>animés par la passion pour le journalisme d'information et de réflexion</strong>. 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Le handicap et son récit prennent souvent le pas sur la performance sportive en elle-même. Le problème ? Tous les handicaps et toutes les disciplines paralympiques ne seraient pas considérés comme inspirants par les personnes non handicapées ; de ce fait, certains parasportifs se retrouvent délaissés par les sponsors.</p> <p>C’est ce qui ressort d’une <a href="https://www.paraperf-ldt3.fr/">enquête</a> menée auprès de 15 sportifs paralympiques, présélectionnés pour les derniers Jeux de Tokyo, et de 42 membres de leurs staffs (directeurs sportifs, entraîneurs, kinésithérapeutes, préparateurs physiques et mentaux, médecins, assistants sportifs, guides, membres de la famille).</p> <h3>Une vision du parasportif déformée par les biais</h3> <p>Les entretiens menés pour l’enquête mettent en évidence que l’accès aux sponsors n’est pas uniquement – ni même principalement – lié à la performance sportive ; il est fortement dépendant du handicap, et surtout du type de reconnaissance qui lui est associé.</p> <p>Deux catégories de parasportifs ont ainsi plus de chance d’être sponsorisés, comme le résume l’un des athlètes interviewés :</p> <blockquote> <p>« En général, ce sont des amputés qui font très valides. 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Tandis que le second consiste à percevoir « toutes les différences comme autant de manques, toutes les altérités comme autant de moindre-être ».</p> <p><em>[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters</em> The Conversation. <em>Et vous ? <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/subscribe/?promoted=la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a> pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]</em></p> <p>À l’intersection de ces deux biais, se situe <a href="https://doi.org/10.4324/9781003196747-23">« l’inspiration porn »</a> : il s’agit de la tendance des personnes non handicapées à être inspirées par les personnes en situation de handicap, sur la base de leurs moindres faits et gestes, considérés comme exceptionnels, compte-tenu d’une situation de handicap elle-même supposée tragique.</p> <h4><iframe frameborder="0" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/SxrS7-I_sMQ?wmode=transparent&start=0" width="440"></iframe></h4> <h4><em>Conférence de la comédienne, journaliste et militante australienne des droits des personnes handicapées Stella Young sur l’inspiration porn et l’objectivation du handicap, TEDxSydney 2014.</em></h4> <p>L’inspiration porn combine ainsi le misérabilisme, qui présuppose que la vie des sportifs en situation de handicap est nécessairement plus dure et malheureuse que celle des sportifs non handicapés, et le populisme, qui transforme des personnes et des faits ordinaires en héros et actions exceptionnelles.</p> <h3>Un biais rejeté : le misérabilisme</h3> <p>Dans le parasport de haut niveau, le misérabilisme se retrouve par exemple dans les photos publiées dans les médias : d’après une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/17430437.2011.557271">étude</a> de 2011 menée dans cinq pays européens, les sportifs paralympiques aux Jeux de Sydney (en 2000), d’Athènes (en 2004) ou de Pékin (en 2008), étaient photographiés dans des postures beaucoup moins actives que les athlètes non handicapés, renforçant ainsi la vision misérabiliste qui présente les personnes en situation de handicap comme des individus faibles et inactifs.</p> <p>Si l’attendrissement et la compassion associés au misérabilisme peuvent encourager certains sponsors à financer des sportifs, ce biais est nettement dénoncé et rejeté par les athlètes et leur staff : certains regrettent que les médias dramatisent leur histoire et négligent leur parcours sportif, d’autres considèrent que les parasportifs sont souvent présentés comme des athlètes nécessairement malheureux, d’autres encore veulent avant tout être considérés comme des sportifs de haut niveau.</p> <p>Le misérabilisme peut en outre avoir un effet contre-productif sur l’accès au sponsoring et nuirait même à certaines disciplines, comme la boccia – un sport qui s’apparente à la pétanque, mais se joue en fauteuil roulant, par équipe mixte, avec des balles en cuir. La raison ? L’intérêt engendré par le misérabilisme diminuerait lorsque le degré d’invalidité augmente. Autrement dit, un handicap léger vaut mieux, en termes d’intérêt et de sponsoring, qu’un handicap plus lourd et plus visible.</p> <p>À cela s’ajoute le fait que la boccia n’a pas d’équivalent chez les personnes non handicapées, et qu’elle se révèle ainsi moins « inspirante » pour les valides : n’intégrant pas l’inspiration porn, ce sport est donc moins digne d’intérêt… et de financements.</p> <h3>Un biais risqué : le populisme</h3> <p>Échappatoire possible au misérabilisme : le rapprochement avec l’imaginaire du sportif cyborg, équipé de technologies de mobilité (fauteuil, prothèses).</p> <p><a href="https://doi.org/10.1177/0038038511413421">Une étude</a>, publiée en 2011, estimait d’ailleurs que plus le corps d’un sportif paralympique est éloigné de cet idéal, plus il est probable qu’un imaginaire tragique – plutôt qu’héroïque – se développe à propos de ce sportif, et que ce dernier soit victime de misérabilisme.</p> <p>D’après <a href="https://doi.org/10.1177/21674795231158542">l’enquête de l’INSEP et de l’Université de Montpellier</a>, les sportifs paralympiques perçus en tant que cyborgs seraient en revanche bien préservés d’une représentation médiatique misérabiliste… mais l’exaltation autour de leurs capacités surhumaines les exposerait davantage à une représentation populiste de leur pratique.</p> <p>L’étude de 2011 sur la couverture médiatique des parasportifs, évoquée précédemment, révélait d’ailleurs aussi une surreprésentation, dans les photos publiées, des athlètes en fauteuil roulant et/ou disposant de prothèses, et une sous-représentation des sportifs ayant des déficiences moins technologisées.</p> <p>Au-delà des récits de sportifs cyborgs, une autre vision populiste des athlètes paralympiques consiste à les considérer comme des « supercrips » : des athlètes faisant un <a href="https://www.liberation.fr/sports/jeux-olympiques/jeux-paralympiques-2024-teddy-riner-qualifie-les-para-athletes-de-super-heros-et-se-prend-un-ippon-20240822_3QGMORH3IBFW7NLH4SPL54LI6Q/">usage héroïque et performant</a> de leur corps handicapé.</p> <p>La thématique de la résilience par le sport est alors souvent mise en avant, autour d’un récit qui raconte et glorifie les qualités extraordinaires et héroïques d’un sportif paralympique – ainsi que ses exploits très spéciaux au-delà et malgré son handicap.</p> <p>Un biais aux multiples risques : il prétend que les efforts individuels permettent de tout accomplir et gomme ainsi les injustices et les inégalités de chances entre sportifs non handicapés et handicapés.</p> <p>Il répand en outre l’idée que seules les personnes extraordinaires peuvent réussir dans le parasport. Une vision loin d’être réaliste et qui retombe dans l’inspiration porn : les personnes non handicapées ont du mal à évaluer les capacités réelles des parasportifs, et projettent sur ces derniers des attentes souvent faibles, suscitant ainsi des éloges injustifiés.</p> <h3>Les parasportifs à la fois victimes et acteurs des biais</h3> <p>L’enquête dévoile cependant que les sportifs eux-mêmes, via la présentation qu’ils proposent aux médias, aux entreprises ou dans leurs publications sur les réseaux sociaux, ne cherchent pas forcément à s’opposer au populisme ou à l’inspiration porn… puisque ces biais leur permettent d’accéder aux sponsors.</p> <p>« En fait mes résultats, ils s’en fichent un peu, c’est vraiment le sacrifice que je fais tous les jours qui a l’air de plus les intéresser », témoigne par exemple un nageur paralympique.</p> <p>L’athlète se retrouve ainsi confronté à l’inspiration porn et est obligé de l’accepter puisque cette trame narrative de l’histoire est celle que les sponsors souhaitent vendre. Le dépassement de soi, l’aspect héroïque de la vie malgré le handicap, sont les sujets attendus par les sponsors et qu’ils préfèrent financer… et donc que mettent en scène les parasportifs.</p> <p>Pour ces derniers, la question se pose ainsi : les sponsors leur attribuent-ils de l’argent en raison de l’admiration qu’ils éprouvent par rapport à leur expérience sportive malgré leur handicap, ou le financement récompense-t-il les efforts auxquels ils s’astreignent quotidiennement dans leur quête de médailles ?</p> <p>L’étude met finalement en évidence deux résultats importants : d’une part, les normes sociales excluent les parasportifs les moins inspirants de l’accès aux sponsors ; d’autre part, elles les obligent à mettre en avant leur handicap plutôt que leurs performances sportives.</p> <h3>Un changement de prisme s’impose</h3> <p>Pour changer cette vision déformée par le misérabilisme, le populisme et l’inspiration porn, les sportifs interviewés ont des idées. À commencer par la suppression de la distinction entre sport et handisport. « L’objectif, c’est d’arriver au même niveau… enfin de devenir un sport. Pas un sport handicap, pas du handisport […], mais de devenir un sport comme les autres, explique par exemple un membre d’une équipe nationale de rugby-fauteuil. D’être au même niveau que les autres, qu’on puisse bénéficier des mêmes choses. » Il plaide également pour que le handicap devienne la norme.</p> <p>Développer une « politique de la prise en compte de la différence » permettrait selon les chercheurs de l’Insep et de l’Université de Montpellier de reconnaître non pas seulement les parasports qui sont inspirants pour les personnes non handicapées, mais l’ensemble des parasports sur la base de l’unique expérience sportive.</p> <p>En attendant un tel changement de perspective, la publication des sociologues ouvre déjà la voie à de nouvelles études. En particulier pour réfléchir à la dimension genrée des représentations des sportifs paralympiques et à son importance dans l’attribution des sponsors. Il serait intéressant par exemple d’orienter de nouvelles enquêtes vers une perspective <a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-i-comme-intersectionnalite-146721">intersectionnelle</a>, afin d’analyser la façon dont s’articulent le genre et le handicap dans le processus d’accès des sportifs paralympiques aux sponsors.<img src="https://counter.theconversation.com/content/237151/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p> <hr /> <h4><span><a href="https://theconversation.com/profiles/yann-beldame-1640482">Yann Beldame</a>, Anthropologue, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/universite-de-montpellier-2403">Université de Montpellier</a></em>; <a href="https://theconversation.com/profiles/helene-joncheray-1238384">Hélène Joncheray</a>, Sociologue du sport, HDR, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/universite-paris-cite-4263">Université Paris Cité</a></em>; <a href="https://theconversation.com/profiles/remi-richard-1436116">Rémi Richard</a>, Maître de Conférences en sociologie du sport et du handicap, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/universite-de-montpellier-2403">Université de Montpellier</a></em> et <a href="https://theconversation.com/profiles/valentine-duquesne-1434510">Valentine Duquesne</a>, PhD en sociologie du sport, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/universite-paris-cite-4263">Université Paris Cité</a></em></span></h4> <h4>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. 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