Actuel / Julian Assange et la Suisse, une longue histoire
L'installation de la sculpture de Davide Dormino, "Anything to Say?", inaugurée aux Bains des Pâquis à Genève le 5 juin 2021. Devant la sculpture de gauche à droite: Hafid Ouardiri; Frédérique Perler; Juliana de Diane25; Stella Moris; Carlo Sommaruga; Davide Dormino. © Markus Schweizer
Assange est enfin libre! Après quatorze ans de harcèlement judiciaire scandaleux et cinq ans de réclusion dans une cellule de haute sécurité pendant 23 heures sur 24, on ne peut que s'en réjouir. Même si cette joie laisse un petit goût amer, dans la mesure où cette libération n'a pu être obtenue qu'en plaidant coupable pour diffusion d'informations touchant à la défense nationale des Etats-Unis.
On se consolera en se disant que cette triste histoire aura montré l'abjecte soumission de la justice britannique à l'allié américain et que son issue aura permis d'éviter un éventuel jugement de la Cour Suprême américaine qui aurait pu limiter la portée du Premier Amendement sur la liberté de la presse.
Les quatorze années qu'aura duré son enfermement, d'abord à l'ambassade d'Equateur puis à la prison de Belmarsh, auront aussi mis en lumière la profonde ambivalence, et parfois la trahison des médias à l'égard de celui qui a été perçu à juste titre et par beaucoup comme le héraut – et le héros – de la liberté d'expression.
Il faut se souvenir que dans les années 2010-2011, Assange a été une star, adulée par les médias du monde entier pour avoir révélé les exactions de l'armée américaine en Irak. Puis quand le vent a tourné et qu'il a dû se réfugier à l'ambassade d'Equateur en juin 2012 pour échapper aux fausses accusations montées contre lui par les services américains et la police suédoise – il était accusé de délit sexuel par deux prostituées qui se sont ensuite rétractées – et se soustraire à la menace d'extradition vers ce pays, et de là vers les Etats-Unis, les médias et les journalistes qui avaient publié ses révélations se sont alors retournés contre lui. A commencer par le Guardian qui avait été au cœur des Wikileaks et dont le rédacteur en chef, Alan Rusbridger, fut invité à quitter ses fonctions en 2015 après avoir aggravé son cas en publiant les documents d'Edward Snowden en 2013.
En 2016, après les révélations de Wikileaks sur la corruption du Parti Démocrate et le rôle trouble joué par Hillary Clinton alors en lice pour les présidentielles, la campagne contre Assange est devenue hystérique. On l'a notamment associé au Russiagate et aux accusations de collusion avec la Russie lancées contre Trump après l'échec d'Hillary Clinton, accusations qui furent par la suite démenties par les deux procureurs spéciaux nommés pour rétablir la vérité des faits.
Pendant près de dix ans, Assange fut lâché par la plupart des médias occidentaux, qui s'épanchèrent sur ses prétendus ébats sexuels et l'accusèrent de ne pas être un journaliste mais un dangereux narcissique qui avait «révélé ses sources» (alors que la tâche de les caviarder incombait aux médias, Assange étant lui-même une source), reprenant sans vergogne la bonne vieille stratégie des services de renseignement qui consiste à salir le messager quand on ne peut contester son message. Aujourd'hui encore, certains journalistes peu scrupuleux continuent à stigmatiser la soi-disant «dérive» d'Assange pour justifier leurs propres manquements.
Grâce au travail inlassable de sa femme Stella, de son père John Shipton et de son équipe d'avocats, et au soutien d'un réseau mondial de journalistes et de personnalités offusquées par ces revirements et l'odieux traitement qu'on lui faisait subir, la pression en faveur de sa libération reprit heureusement de l'élan après 2020. Des députés australiens puis le nouveau Premier ministre Albanese protestèrent tandis que les manifestations et autres démarches parallèles s'intensifièrent jusqu'au résultat actuel.
Cela étant dit, il faut rappeler que la Suisse, et Genève en particulier, ont joué un rôle important tout au long de l'affaire. D'innombrables démarches et lettres, notamment pour réclamer la grâce présidentielle d'Obama et de Trump, furent entreprises. Le 4 novembre 2010, sortant de sa semi-clandestinité, Assange a donné sa première conférence de presse internationale au Club suisse de la presse. Un mois plus tard, le 6 décembre, Postfinance fermait le compte de «Assange Julian Paul» à Genève, compte qui recueillait les dons versés à Wikileaks, au prétexte que son détenteur ne résidait pas en Suisse. Par la suite, l'équipe de Wikileaks pilotée par Kristinn Hrafnsson, et celle de ses avocats, d'abord conduite par l'ancien juge espagnol Baltazar Garzon puis par sa femme Stella, donneront une dizaine de conférences de presse et d'interventions à l'adresse du Conseil des Droits de l'Homme, avec l'aide discrète de Haiyun-Ray Antileo de la Fondation Courage. J'ai moi-même eu le plaisir de le retrouver dans son exil équatorien à Londres en 2015 avec Darius Rochebin pour un entretien diffusé par la RTS et l'Hebdo. En 2021, un appel de Genève en faveur de sa libération a été lancé aux Bains des Pâquis.
Enfin, il faut mentionner les dénonciations courageuses de Nils Melzer, l'éminent juriste suisse qui était à l'époque rapporteur spécial des Nations-Unies sur la torture. Nils Melzer a raconté les dessous de l'affaire dans un livre édifiant (L'Affaire Assange. Histoire d'une persécution politique, Editions Critiques 2022), avant d'entrer au CICR comme responsable du droit international.
Il est juste qu'au moment où Assange a recouvré sa liberté, ces actions, positives et négatives, soient rappelées.
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Certes, le sommet a réuni un peu plus de participants que les précédents, qui avaient rassemblé une quarantaine et une cinquantaine d'Etats à Djeddah et à Malte en 2023. Mais il a surtout été boycotté par la plupart des Etats membres des Nations Unies et la grande majorité de la population mondiale, surtout si l'on sait que certains pays inscrits comme l'Inde ou le Brésil n'y ont envoyé que des délégations de second rang. Le président colombien Guillermo Petro a bien résumé la situation, lui qui a renoncé à se rendre en Suisse au dernier moment après avoir découvert qu'il s'agissait d'une réunion unilatérale destinée à prolonger la guerre plutôt qu'à faire la paix. Le fait qu'on a associé pour la conférence de presse finale les présidents ghanéen et chilien pour donner une coloration moins occidentalo-centrée à la réunion, ne trompera que les esprits crédules. </p> <p>Quant au communiqué final, écrit et réécrit plusieurs fois sur pressions ukrainiennes et otaniennes tout en étant contesté par les pays du Sud, il n'a pas fixé d'agenda pour la suite et a répété ce qu'on avait déjà entendu. Il s'est contenté de dire que la prochaine rencontre devrait inclure «les parties au conflit», ce qu'on savait déjà depuis le début. C'est un piètre résultat et on a l'envie de dire: tout ça pour ça! Quant au nombre des signataires finaux, il n'a cessé de diminuer, passant de 85 selon le communiqué triomphant de dimanche à 76 après les dernières défections de l'Irak, de la Jordanie et du Rwanda (et sachant que le Kosovo, comptabilisé par la Suisse n'est pas encore un Etat reconnu). Aucun membre des BRICS ne s'y est associé.</p> <p>On notera aussi que la conférence aura eu son petit scandale avec la sortie de Justin Trudeau au moment de la photo de famille finale. En reprenant les slogans des collaborateurs ukrainiens et massacreurs de Juifs en 1942-1944 («Gloire à l'Ukraine» et «Gloire aux héros»), le monde entier, à l'exception des médias européens qui n'en ont pas soufflé mot, aura pu se convaincre que la <i>standing ovation</i> qu'il avait adressée au SS Hunka au Parlement canadien l'an dernier n'était pas le fruit du hasard. Il s'agissait sans doute de plaire à l'importante communauté ukrainienne du Canada, dont beaucoup sont descendants d'immigrés bandéristes qui ont fui le pays en 1945. Cela prouve une fois de plus que ce «sommet de la paix» n'en était pas vraiment un, pour lui en tout cas. La présidente de la Confédération qui se penche en souriant vers Trudeau à ce moment-là montre aussi qu'elle n'a pas compris ce qui se passait.</p> <p>Dernière remarque, l'écho médiatique. Autant les dithyrambes et les éloges ont été nombreux en Suisse pour saluer la performance et l'engagement de Mme Amherd et M. Cassis, autant la presse mondiale aura été avare de commentaires. «Aucun grand journal américain n'a évoqué le Bürgenstock dans ses éditions du lundi», selon la RTS. <i>Le Monde</i> a parlé d'un sommet aux ambitions modestes et d'une timide déclaration finale. Idem en Allemagne, en Italie et dans les autres pays européens. Seule la presse russe en a fait ses choux gras, généralement pour se moquer de l'absence de résultat. On verra comment Présence suisse, qui compile chaque année les articles qui font la réputation de la Suisse, jugera l'événement.</p> <p>Et la suite direz-vous? Il n'y en aura pas. Du moins pas dans l'immédiat et pas en Suisse dans tous les cas. Comme on l'a vu, l'OTAN va redoubler de bellicisme. On peut s'attendre à une nouvelle escalade lors de son sommet de juillet. La livraison d'armes permettant de frapper le cœur de la Russie, longtemps présentée comme une ligne rouge qu'elle ne franchirait pas, vient de tomber. L'entrée en guerre des F-16 ne contribuera pas non plus à l'apaisement. Côté russe, la proposition de négociation de Vladimir Poutine, qui ne faisait que sanctionner le présent état des choses sur le terrain, a été sèchement repoussée par Kiev et les Occidentaux. On peut gager que les Russes, loin de réduire leurs exigences, les accroitront à l'avenir.</p> <p>Dans ces circonstances, le seul point positif du Bürgenstock, à savoir que l'Occident avait pour la première fois accepté de parler de paix depuis février 2022 (jusqu'ici tous les pacifistes étaient traités de traitres à la cause ukrainienne) et a désormais reconnu la nécessité d'inclure la Russie dans les prochaines négociations, est désormais compromis. L'Europe se retrouve désormais dans la même configuration que le Vietnam au début des années 1970 lorsqu'on avait évoqué l'ouverture de négociations. Obsédés par l'idée d'améliorer leur position diplomatique, les Etats-Unis avaient alors redoublé d'ardeur au combat, noyant non seulement le Vietnam du Nord mais aussi le Cambodge et le Laos voisins sous des tapis de bombes, de napalm et d'agent orange cancérigène.</p> <p>Vous savez comment cela s'est terminé, trois ans et des centaines de milliers de victimes plus tard.</p>', 'content_edition' => 'Mais avant d'aller plus loin, soyons beau joueur et reconnaissons que la rencontre aura été un beau succès hôtelier pour la Suisse. L'accueil et la sécurité y ont été parfaits. Comme pour le Forum de Davos, nous savons mobiliser nos soldats et nos millions pour assurer à nos hôtes de marque un séjour de première classe. Mais en termes de contenu et de diplomatie, le bilan est autrement moins flatteur. 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Et quand, pour nouer la gerbe, on invite au festin des vainqueurs les Allemands comme s'il s'agissait d'innocentes victimes, tout en écartant ceux à qui on doit la victoire, on peut sérieusement questionner la sincérité et l'honnêteté de la démarche (même si l'on pense que les Allemands d'aujourd'hui ne sont pas coupables des errements criminels de leurs ancêtres de 1945).</p> <p>Car on ne répétera jamais assez que si les Ukrainiens et les autres Républiques aujourd'hui indépendantes qui formaient alors l'URSS ont aussi versé leur sang pour libérer l'Europe du fascisme, – dont le grand-père de Zelensky, héros de l'Armée rouge qui doit aujourd'hui se retourner dans sa tombe – beaucoup d'entre eux ont largement collaboré avec l'envahisseur nazi. Qui sait encore que sur les 300 exterminateurs du camp de la mort de Treblinka, trente étaient Allemands et que tous les autres étaient lituaniens et ukrainiens? Qui se souvient de Simone Veil dénonçant naguère à la télévision française la participation active des bandéristes, actuels alliés de Zelensky, à la Shoah par balles en Ukraine? Invoquer la famine de 1932 pour justifier la collaboration avec les SS en 1943, comme on l'entend trop souvent dans la bouche de ceux qui soutiennent l'Ukraine, relève du sophisme honteux. Quand la Présidente estonienne montre avec fierté son mémorial aux victimes du communisme tout en effaçant les monuments aux morts contre le nazisme et en niant l'existence des collabos locaux qui ont participé à l'éradication de certains de leurs concitoyens, elle ne fait rien d'autre que réécrire l'histoire d'une façon qui ne peut que susciter un haut-le-cœur.</p> <p>Le révisionnisme historique est partout à l'œuvre. 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Mi-mai, la Suisse fut le seul pays à s'abstenir lors du vote d'une résolution du Conseil de sécurité destinée à prévenir la course aux armements spatiaux, résolution à laquelle s'opposaient les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France et quatre autres pays qui leur sont dévoués. </p> <p>Plus grave, la Suisse est en train de renier le droit humanitaire et le droit international dont elle s'était pourtant fait la championne ces dernières décennies. Coincée par ses prises de position pro-israéliennes, anti-UNWRA et anti-Hamas – une aberration quand on connait son implication en faveur dans le processus de paix de Genève en 2003 et son attachement passé à discuter avec toutes les parties d'un conflit – elle n'a jamais condamné les exactions de l'armée israélienne à Gaza et n'a toujours pas réagi à la demande de la CPI d'inculper les dirigeants israéliens et du Hamas pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Elle est le seul pays d'Europe à être resté muet alors même que l'Espagne, l'Irlande et la Norvège, très engagées en Palestine, viennent au contraire de reconnaitre l'Etat palestinien. </p> <p>Berne, qui s'était félicitée à grand bruit de la demande d'inculpation de Poutine, n'a donc rien à dire lorsque le procureur de cette même Cour instruit une plainte du même type contre des dirigeants qui ont manifestement dépassé toutes les bornes de l'admissible depuis des mois. Quelle perte de crédibilité inouïe! 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Le fait que Poutine ait désigné un de ses proches à la réputation impeccable, le mathématicien de formation et technocrate avisé de l'économie Andrey Belooussov, manifeste en tout cas une claire volonté de reprise en mains et de réorganisation de la défense sur des bases beaucoup plus efficaces et acceptables pour l'opinion publique et les militaires. On ne pouvait plus continuer à mobiliser autant d'argent pour qu'il disparaisse dans des poches indélicates.</p> <p>L'autre surprise de ce remaniement vient de la nomination de Nikolaï Patrushev, ancien président du Conseil de sécurité, et d'Alexey Dyumin, ex-garde du corps de Poutine et ancien gouverneur de Toula, comme assistants personnels du président. Personne ne sait ce que ces nouvelles fonctions, vagues et peu concrètes, signifient. 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Si l'on veut comprendre la Russie d'aujourd'hui et ne se tromper ni sur sa volonté ni sur son potentiel, il faut considérer Poutine comme un néo-Richelieu et un néo-Colbert, qui tient à conjuguer à la fois la souplesse et la force innovative du capitalisme libéral et les moyens de la puissance étatique.</p> <p>C'est en réussissant à transformer le pays en s'inspirant de ces modèles que la Russie gagnera la guerre contre l'Occident coalisé. Ce n'est plus une question de choix mais de nécessité bien comprise. 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Démocratie, bonheur individuel, flexibilité, innovation, progrès scientifiques, épanouissement des arts et de la culture étaient de son côté. Or cela n'est plus que très partiellement vrai. La démocratie s'est corrompue en oligarchie et s'est muée en un régime où l'état d'exception, la surveillance de masse et la répression des idées iconoclastes, de la liberté de pensée et d'expression se sont fortement accrus sous le prétexte de lutter contre le terrorisme et les «ingérences extérieures». </p> <p>Le respect de la morale et des droits de l'Homme s'est terriblement affaibli depuis qu'on peut voir une puissance occidentale, Israël, massacrer sans scrupule des milliers de femmes et d'enfants innocents sans provoquer le moindre blâme dans la presse et chez les dirigeants politiques. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
4 Commentaires
@Alain Schaeffer 28.06.2024 | 08h23
«"Salir le messager quand on ne peut contester son message'':
en effet celui qui relève ou révèle les problèmes, dénonce, devient le problème. Parce qu'il dérange, il est attaqué. C'est une dynamique humaine malheureuse fréquente.»
@willoft 28.06.2024 | 10h39
«Bravo pour ce rappel d'un scandale.
On pourrait parler de Guantanamo aussi.
Hélas, l'Europe s'apprêtant à réélire von der Leyen signe son oubli définitif de la scène international.»
@hum 29.06.2024 | 09h47
«Le plus incroyable est que les USA n'auraient pas hésité à condamner Assange à une peine plus lourde que sa source Chelsea Manning, alors que ce dernier était et citoyen américain et militaire (donc largement traître à sa patrie). Peut-être que l'esprit woke (fête des LGBTQ sur le gazon de la Maison-blanche les début juin) a été bénéfique pour Manning, qui avait changé de sexe.
Je lis ici pour la première fois que les deux femmes ayant porté plainte contre lui étaient des prostituées, ce qui ne change rien puisqu'il était un mâle blanc ... sauf peut-être qu'elles sont plus vénales. Normal que la Suède aie rejoint l'OTAN !
»
@Christophe Mottiez 01.07.2024 | 10h49
«la réaction occidentale -principalement anglo-saxonne- suite aux divulgations de julian assange a été inique.
ceci étant dit, s'il avait divulgué des informations secrètes ne visant pas les états-unis, mais la russie, la réaction du régime russe aurait été pire: il aurait été assassiné comme anna politkovskaya, alexandre litvinenko, natalia estemirova, alexeï navalny, etc.
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