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Analyse

Analyse / Israël-Palestine: la solution à deux Etats est-elle toujours possible?


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Le 23 décembre 2016, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 2334 qui condamne la colonisation du territoire palestinien occupé par Israël et réaffirme le soutien de la communauté internationale à la solution à deux Etats sur la base des frontières de 1967. Il s’agit de la dernière fois que l’organe de gouvernance le plus important du monde a consacré cette solution dans le droit international.



Jean-Daniel Ruch, traduit de l'anglais par Marta Czarska


Jean-Daniel Ruch a travaillé pour l’ONU, l’OSCE et le gouvernement suisse entre 1988 et 2023. Parmi ses nombreuses missions, il a été envoyé spécial de la Suisse pour le Moyen-Orient (2008-2012) et ambassadeur de Suisse en Serbie (2012-2016), en Israël (2016-2021) et en Turquie (2021-2023). Cet article reflète son opinion et non pas nécessairement la politique étrangère de la Suisse.


Les Etats-Unis se sont abstenus mais n’ont pas mis leur veto à la résolution. Le secrétaire d’Etat de l’époque, John Kerry, est considéré comme son architecte. Il a passé des années à travailler sans relâche avec le gouvernement israélien et l’Autorité palestinienne pour progresser vers la résolution de ce conflit interminable qui a été un fardeau pour tout gouvernement américain pendant les trente-cinq dernières années au moins. George H. Bush est le dernier président américain à avoir exercé une pression sérieuse sur Israël, au tout début des années 1990. Au lendemain de la première guerre du Golfe, il a menacé de ne pas accorder de garanties de prêt à Israël si celui-ci refusait de participer à un processus multilatéral, connu sous le nom de conférence de Madrid, visant à résoudre ce conflit. Depuis lors, l’idée de sanctionner Israël pour ses violations du droit international est un anathème pour tous les gouvernements américains et la plupart des gouvernements européens.

Peu après l’adoption de la résolution 2334, l’administration Trump est arrivée au pouvoir à Washington. Sous l’influence du gendre du nouveau Président, Jared Kushner, et de son ambassadeur en Israël, David Friedman, lui-même fervent partisan des colonies en Cisjordanie, Trump a pris des mesures audacieuses, mais futiles. Il a déplacé l’ambassade américaine à Jérusalem pour plaire au gouvernement de Netanyahou. Il a ensuite proposé un plan de paix qui s’éloigne considérablement du principe reconnu de paix basée sur les frontières de 1967. Comme la plupart des observateurs l’avaient prévu, les Palestiniens ont catégoriquement rejeté la proposition de Trump et le processus s’est enlisé une fois de plus, tandis que le gouvernement Netanyahou accélérait la colonisation de la Cisjordanie, accompagnée qui plus est d’une montée des violences des colons à l’encontre des Palestiniens.

L’administration Biden n’avait manifestement pas l’intention d’investir beaucoup de capital politique au Moyen Orient. L’Ukraine et la Chine étaient les principales priorités de la politique étrangère au départ. Biden n’a annulé aucune des décisions prises par Trump. Il n’a pas rapatrié l’ambassade américaine à Tel-Aviv. Il n’a pas rouvert le consulat général des Etats-Unis auprès de l’Autorité palestinienne, qui est devenu une section de l’ambassade américaine basée à Jérusalem. La situation sur le terrain est cependant restée relativement calme, malgré un nouvel échange de roquettes entre Gaza et Israël pendant 11 jours en mai 2021. L’impression générale était qu’un modus vivendi avait été trouvé, conduisant à une trêve fragile, avec le soutien financier du Qatar. En Cisjordanie, l’Autorité palestinienne n’était pas une menace pour le projet israélien. Et la troisième parcelle des territoires occupés, Jérusalem-Est, est de toute façon sous le contrôle total d’Israël. La fausse impression que cette chorégraphie pourrait se maintenir très longtemps était dominante. La question israélo-palestinienne avait disparu de l’ordre du jour international. Puis est arrivé le 7 octobre. Les attaques choquantes de ce jour-là et la riposte destructrice d’Israël, au-delà des conséquences humaines et humanitaires dramatiques, ont eu un impact psychologique et politique intense.

Il n’est pas question ici d’analyser les causes, les crimes et les conséquences de ce qui s’est passé à ce moment-là et dans les mois qui ont suivi. Mais, étonnamment, la question palestinienne est revenue au premier plan des préoccupations mondiales, au même titre que l’agression russe contre l’Ukraine. Très vite, tous les acteurs internationaux majeurs ont réaffirmé leur engagement en faveur d’une solution à deux Etats. Mais cette solution est-elle encore possible après toutes ces années de négligence internationale?

Non, le contexte régional et l’entreprise de colonisation ont rendu la solution à deux États impossible - Le point de vue du pessimiste

Les plus de 700'000 colons, mais aussi le contexte stratégique, politique et psychologique semble être un obstacle insurmontable à toute solution de paix.

Selon des chiffres fiables, près de 450'000 colons vivent en Cisjordanie et près de 250'000 à Jérusalem:

Quelques dizaines de milliers d’autres vivent sur le plateau du Golan, formellement un territoire syrien annexé en 1981. Jérusalem-Est a été annexée dans les faits en 1980. Ces territoires, ainsi que Gaza, sont considérés comme des territoires occupés en vertu du droit international. Les annexions et les colonies sont illégales en droit international. Le transfert de la population israélienne vers les territoires occupés est interdit par la quatrième convention de Genève et peut constituer un crime de guerre selon le statut de Rome de la Cour pénale internationale. L’Etat d’Israël a joué un rôle décisif dans la colonisation. Il a encouragé le transfert de sa population en confisquant des terres, en construisant des infrastructures et en offrant des incitations fiscales aux citoyens israéliens pour qu’ils établissent leur résidence dans les territoires occupés. La proportion de colons «économiques» – c’est-à-dire de personnes qui se sont installées dans les colonies illégales de Jérusalem-Est ou de Cisjordanie pour des raisons financières ou d’autres raisons pragmatiques – diminue par rapport aux colons «idéologiques». La plupart de ces derniers considèrent que ces terres leur appartiennent pour des motifs religieux ou historiques. Certains prétendent qu’elles ont été données par Dieu au peuple juif. La présence de sanctuaires juifs, comme le Caveau des Patriarches à Hébron, est pour eux une preuve suffisante qu’ils ont le droit d’occuper ces lieux. Ils parlent de territoires «libérés». Certains accepteraient de les désigner comme des territoires «contestés».

Quant aux Palestiniens, ils s’en tiennent à une interprétation stricte du droit international, selon laquelle tous les territoires occupés par Israël après la guerre des 6 jours de 1967 doivent faire partie d’un futur Etat palestinien. Cela signifie que plus de 700'000 colons devraient se retirer. Comment y parvenir? En 2005, le gouvernement israélien du Premier ministre Ariel Sharon a retiré 8'000 colons de 21 colonies de Gaza. Cet événement est devenu un drame national. Il est difficile d’imaginer comment près de 100 fois plus de personnes pourraient être expulsées de force de Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Qui s’en chargerait? A mesure que la proportion de colons augmente dans la population totale pour atteindre un peu moins de 10%, il en va de même pour ce qui est de la présence des colons dans l’armée et la police israéliennes. Et ce sont ces deux institutions qui seraient évidemment chargées d’évacuer les colons. Dès lors, cela devient difficilement concevable.

En outre, une partie, petite mais efficace, des colons devient de plus en plus organisée et violente. Cette tendance se poursuit depuis une dizaine d’années. Betselem, une ONG israélienne renommée de défense des droits de l’homme, a calculé que 2 millions de dunums de terres occupées ont été accaparés par Israël, ce qui correspond presque à la taille de l’Etat du Luxembourg. L’ONG fait également état d’une augmentation constante des incidents violents commis par les colons, y compris des meurtres de Palestiniens. Ceux-ci ont encore bondi après le 7 octobre. De leur côté, l’armée et les autres forces de sécurité ne se sont pas montrées disposées à mettre un frein à la violence des colons, bien au contraire. De nombreux rapports montrent que le personnel de sécurité se contente de regarder les colons harceler les Palestiniens, voire pire.

La montée de la violence des colons est le miroir d’un paysage politique israélien qui a glissé vers l’extrême droite. On entend par là une attitude de défiance totale à l’égard de tout retrait des territoires occupés et un refus absolu d’envisager l’octroi d’un Etat aux Palestiniens. Cette attitude extrême est également ancrée dans la crainte existentielle de nombreux Israéliens d’être un jour dépassés en nombre par les Palestiniens. La rhétorique et les actions de nombreux dirigeants palestiniens, arabes ou musulmans, comme le régime iranien, confortent les Juifs israéliens dans leur conviction que, sans un contrôle sécuritaire total sur les Palestiniens et une supériorité militaire stratégique sur les Etats voisins, ce serait l’existence même d’Israël qui serait menacée. 

Pour l’instant, sur le territoire contrôlé par Israël, de la mer Méditerranée à la mer Morte, vivent à peu près le même nombre de Juifs et de non-Juifs, principalement des personnes qui s’identifient comme Palestiniens, en majorité musulmans, mais comportant aussi une petite minorité chrétienne encore influente.  Le 7 octobre a provoqué un choc psychologique. Pour une partie encore plus importante de la population juive israélienne, il est devenu évident que vivre aux côtés d’un Etat palestinien équivaudrait à partager son lit avec le diable. Les sondages effectués au cours du premier trimestre 2024 indiquent un soutien presque total à l’éradication du Hamas, quel que soit le coût en vies palestiniennes innocentes. L’empathie pour les victimes civiles palestiniennes est pratiquement inexistante. Tout compromis avec le Hamas ou les Palestiniens en général serait perçu comme une humiliation et une défaite menaçant l’existence même de l’Etat d’Israël. La détermination de l’opinion publique israélienne pourrait être renforcée par les sondages effectués auprès de la population palestinienne, qui montrent un soutien constant de plus de 70% à l’action entreprise par le Hamas le 7 octobre. 

Se retirer ne serait-ce que d’un pouce de la Cisjordanie ne serait pas seulement perçu comme une concession inacceptable à la terreur. Ce serait également faire un cadeau majeur au pays qui a été constamment présenté comme l’ennemi juré d’Israël depuis au moins le retour au pouvoir de Netanyahou en 2009: l’Iran. Il est devenu soudainement évident pour tout le monde que, à la suite d’un certain nombre d’erreurs stratégiques commises par les Etats-Unis et Israël au cours des vingt dernières années, l’Iran encercle aujourd’hui Israël sur au moins cinq fronts: le Liban, la Syrie, l’Irak, le Yémen et Gaza. L’agression de Bush junior contre l’Irak a été l’erreur stratégique la plus lourde de conséquences commise par le principal allié d’Israël. Elle a permis au régime islamique de Téhéran de construire un pont terrestre jusqu’à la frontière même d’Israël, au Liban. Le JCPOA, l’accord nucléaire conclu par l’administration Obama en 2015, aurait pu offrir une opportunité de normaliser progressivement les relations entre les Etats-Unis et l’Iran, ce qui aurait pu être utilisé pour alléger la menace que le Hezbollah libanais fait planer sur Israël. Mais Donald Trump s’est retiré de l’accord, avec le plein soutien du Premier ministre israélien. L’Iran a alors poursuivi sa manœuvre d’encerclement autour d’Israël, qui apparaît aujourd’hui être l’otage de la dynamique Washington-Téhéran.

Par conséquent, pour des raisons pratiques – les colons –, politiques, psychologiques et stratégiques, il semble hautement improbable qu’Israël soit prêt à envisager dans un avenir proche les douloureux compromis qu’impliquerait nécessairement une solution à deux Etats. 

Du côté palestinien, les obstacles devraient être beaucoup moins nombreux. Le droit international, à savoir une solution basée sur les frontières de 1967, est très à l’avantage des Palestiniens. Le Hamas n’a cependant pas abandonné son intention de de créer un Etat palestinien «du fleuve à la mer», ce qui équivaut à éliminer l’Etat d’Israël. En 2017, le mouvement islamiste a pourtant publié un nouveau document dans lequel il affirmait être prêt à envisager la création d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967 dans le cadre d’une trêve ou d’une hudna à long terme, ce qui constitua un signe de compromis largement ignoré. Cette position a été réaffirmée en avril 2024 à l’occasion d’une rencontre entre le chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, et le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan. Il a même été rapporté que le Hamas supprimerait sa branche armée si un Etat palestinien était établi dans les frontières de 1967. Mais le Hamas n’est pas seul dans cette bataille. Il fait partie de ce que l’on appelle «l’axe de la résistance». Ce groupe de coordination anti-israélien, dirigé par les Gardiens de la révolution iraniens, associe le régime syrien, le Hamas et d’autres milices palestiniennes comme le Jihad islamique, le Hezbollah libanais, les milices irakiennes et les Houthis yéménites. Ils ont le sentiment d’être du côté des vainqueurs de cette guerre et ne sont donc pas sous pression pour faire des compromis. La situation est donc bloquée des deux côtés. 

Oui, la solution à deux Etats est toujours possible - Le point de vue de l’optimiste

En 2022, Shaul Arieli, ancien colonel israélien reconnu comme le meilleur expert des colonies et des colons, a publié une étude approfondie sur le sujet. Il conclut que l’idée selon laquelle les colonies de Jérusalem-Est et de Cisjordanie ont rendu impossible la solution à deux Etats est une apparence trompeuse qui ne résiste pas à une analyse détaillée. Parmi ses principales conclusions, il a constaté que:

  • Grâce à des échanges territoriaux dans une proportion de 1 pour 1, près de 80% des colons vivraient à l’intérieur des frontières d’Israël à la suite d’un accord de paix.
  • Parmi les 20% restant dans ce qui serait alors un Etat palestinien, une grande majorité serait prête à envisager une réinstallation en Israël à condition que des compensations soient offertes.
  • Au sein de ce même groupe, seule une infime proportion serait prête à recourir à des actes de résistance illégaux ou violents, tandis que la grande majorité n’envisagerait qu’une opposition légale.
  • Une immense majorité des colons est consciente du risque de devoir un jour se réinstaller à l’intérieur de la frontière israélienne.

En outre, l’étude montre que les trois objectifs définis par les gouvernements israéliens qui ont planifié l’entreprise de colonisation (plan Allon, 1967; plan Sharon, 1977) n’ont pas été atteints, à savoir:

  1. Encercler toute entité politique arabe avec des territoires israéliens, en délimitant une frontière reflétant les priorités israéliennes.
  2. Empêcher la création d’un Etat palestinien indépendant avec une contiguïté territoriale en assurant une présence israélienne substantielle, en particulier le long de la crête montagneuse centrale.
  3. Annexer à l’Etat d’Israël la totalité ou une partie importante des territoires occupés, sans remettre en cause la vision sioniste d’un Etat démocratique à majorité juive.  

Aujourd’hui, les colons juifs ne représentent que 14% de la population de la Cisjordanie (territoire appelé Judée et Samarie par les Israéliens). Comme indiqué plus haut, près de 80% de ce groupe se retrouverait en Israël à la suite d’un échange de territoires où la même surface de terre serait échangée entre l’Etat israélien et l’Etat palestinien selon la proposition suivante:

Parmi les 20% qui resteraient à évacuer, soit environ 100’000 personnes, ou 20 à 25’000 ménages, seule une infime partie est prête à lutter contre une solution à deux Etats par des moyens illégaux, alors que la plupart d’entre eux accepteraient de se réinstaller moyennant des compensations.

Le bon sens voudrait que la féroce explosion de violence qui s’est produite le 7 octobre et ses conséquences aient créé des barrières psychologiques et politiques encore plus élevées empêchant toute reprise des négociations entre Israéliens et Palestiniens. Toutefois, ce n’est peut-être pas le cas. Même si l’opinion publique israélienne soutient dans sa grande majorité la destruction du Hamas quel qu’en soit le coût humain, une prise de conscience brutale a eu lieu. La conscience que la question palestinienne ne peut plus être ignorée et s’est imposée dans la société. La gestion éternelle du conflit n’est pas une option souhaitable pour un nombre croissant de Juifs israéliens. Les sondages du premier trimestre 2024 indiquent qu’après le choc initial, une tendance se dessine en faveur de la solution à deux Etats. Au sein de la population palestinienne, elle s’élève à 45%, en augmentation. En Israël, 35% de la population juive exprime son soutien, soit 40% de l’ensemble de la population. Il est intéressant de noter que lorsque cette option est combinée à une normalisation avec l’Arabie Saoudite, ce chiffre grimpe à 52%.

Dans ce climat, le désir de séparation est beaucoup plus fort aujourd’hui qu’avant le 7 octobre. Par conséquent, les Israéliens pourraient être davantage disposés à payer le prix de l’évacuation des colonies. Plus de 100'000 Israéliens ont quitté leurs maisons dans le nord de la Galilée et dans les environs de Gaza après l’attaque du 7 octobre et les attaques du Hezbollah sur le nord d’Israël. La relocalisation n’est plus considérée comme inacceptable. Du côté palestinien, il y a également plus de voix aujourd’hui qui osent accuser le Hamas d’être responsable du désastre humanitaire qui a résulté des représailles israéliennes. 

Cela dit, pour sortir de cette tragédie, il faudra un leadership politique. On imagine mal Benjamin Netanyahu s’asseoir avec Mahmoud Abbas – sans parler d’Ismail Haniyeh ou de Yahya Sinwar – pour discuter de la fin du conflit. Du côté palestinien, on peut s’attendre à ce que le Hamas soit sérieusement affaibli, tant politiquement que militairement, à l’issue du conflit. Il y aura une chance unique de rafraîchir la direction palestinienne au sein d’un gouvernement unique. Cela n’a que trop tardé. Depuis 2007, la division entre Gaza et la Cisjordanie constitue un obstacle majeur à tout effort sérieux en faveur de la paix. Du côté israélien, les manifestations massives et les sondages montrent qu’il y a de fortes chances que Netanyahou soit démis de ses fonctions peu après la fin de cette guerre. Certains experts soupçonnent que c’est l’une des raisons pour lesquelles Israël a constamment essayé de provoquer l’Iran dans une escalade régionale. Les personnes les mieux placées pour succéder au Premier ministre qui est resté le plus longtemps en poste dans l’histoire d’Israël seraient toutes mieux préparées à trouver un arrangement avec les Palestiniens. Bien sûr, il reste une infime possibilité que les faucons israéliens, Smotrich et Ben Gvir, conservent des positions de pouvoir. Leur politique ne peut que conduire à de nouvelles effusions de sang. C’est là que la communauté internationale devrait jouer un rôle décisif. 

Comme indiqué plus haut, tous les grands acteurs internationaux, y compris les Etats-Unis, la Chine, la Russie et les puissances européennes, ont souligné qu’il n’y avait pas d’alternative à la solution à deux Etats. Aux Etats-Unis en particulier, l’actuel Premier ministre d’Israël et ses politiques sont de moins en moins compris. C’est également le cas dans plusieurs pays européens, en particulier l’Espagne et l’Irlande. Pendant très longtemps, les pays occidentaux ont été réticents à exercer une réelle pression sur Israël. Cette tolérance diminue rapidement.

Un point de vue réaliste

Le bon sens dit que pour ramener la paix au Moyen Orient, trois facteurs doivent être réunis: un Premier ministre israélien suffisamment fort pour faire des compromis; un dirigeant palestinien capable d’unir les différentes factions palestiniennes; un président américain prêt à utiliser son capital politique pour amener les deux communautés à conclure un accord. La guerre a causé d’immenses traumatismes et souffrances au sein des populations israélienne et palestinienne. Un retour au statu quo ante est peu probable. Pire: il s’agirait d’une nouvelle occasion manquée dont les conséquences pourraient être encore plus tragiques.

Il a été démontré plus haut qu’une solution à deux Etats reste techniquement possible. Sur le plan psychologique, les deux sociétés, comme le révèlent les sondages, semblent comprendre qu’il est nécessaire, pour leur simple survie, de dépasser le conflit. Les Palestiniens ont des raisons de craindre que les politiques israéliennes ne réduisent encore l’espace dans lequel ils peuvent vivre. Les Juifs israéliens ont tout autant de raisons de craindre d’être un jour submergés par leurs voisins. L’Iran n’est-il pas présent, directement ou par l’intermédiaire de ses alliés, sur cinq de ses frontières? Les représailles iraniennes contre le territoire israélien à la mi-avril, à la suite de l’attaque israélienne contre le consulat iranien à Damas dix jours auparavant, donnent un avant-goût du coût d’une escalade régionale. Israël et ses alliés auraient dû dépenser plus d’un milliard de dollars pour se protéger contre les missiles et les drones iraniens. Une escalade régionale peut-elle être évitée si un processus politique significatif n’est pas mis sur les rails? Quelles sont les alternatives à la solution à deux Etats? Un nettoyage ethnique dans un sens ou dans l’autre? Une guerre régionale impliquant les Etats-Unis et l’Iran, qui bénéficierait très probablement d’un soutien important de la part de la Russie? L’ampleur des destructions serait impensable et ne peut être dans l’intérêt de personne.

D’un autre côté, de nombreux travaux préparatoires ont été réalisés pour mettre au point la solution à deux Etats. Les paramètres Clinton (2000), mais aussi les résultats des pourparlers Olmert-Abbas (2008), restent des bases solides pour un accord. Mais le plan le plus détaillé est probablement le fruit du travail d’experts israéliens et palestiniens qui faisaient partie des deux équipes de négociation dans les années Clinton. Ils ont conçu un modèle d’accord de 500 pages, souvent connu sous le nom d’Initiative de Genève. Il ressort de ce document et d’autres qu’une paix est non seulement possible, mais qu’elle est aussi beaucoup moins coûteuse que n’importe quelle autre option. Il y aurait des échanges de terres dans une proportion de 1 pour 1 afin de ramener le plus grand nombre possible de colons à l’intérieur des frontières israéliennes. La Palestine serait un Etat démilitarisé et une solide coordination sécuritaire sous supervision internationale serait établie entre les deux Etats. D’autre part, la Palestine bénéficierait d’une continuité territoriale grâce à un corridor terrestre reliant la Cisjordanie et Gaza. Jérusalem-Est serait la capitale de la Palestine et un régime spécial serait convenu pour le Mont du Temple/Haram al-Sharif. L’épineuse question des réfugiés palestiniens serait résolue principalement par des compensations financières. Israël ne serait pas submergé par des millions de réfugiés palestiniens, comme le menacent parfois ceux qui ne sont pas intéressés par un compromis.

D’autres solutions sont à l’étude, comme une confédération ou un Etat binational. Aucune d’entre elles n’éviterait toutefois de devoir traiter les questions épineuses mentionnées ci-dessus. Mais si, techniquement, la solution à deux Etats reste possible, il n’est pas certain que les grandes puissances soient en mesure d’assurer l’investissement politique colossal qu’elle nécessiterait pour éliminer les extrémistes qui, de part et d’autre, veulent prolonger le conflit.

C’est probablement le plus grand défi à relever: affaiblir les extrêmes. Du côté israélien, les forces qui s’opposent à la solution à deux Etats doivent être isolées politiquement. Les colons impliqués dans les violences contre les Palestiniens en Cisjordanie et à Jérusalem doivent être punis pour leurs crimes. Les pays occidentaux doivent être fidèles à leurs principes et insister sur le fait que sans la fin de l’impunité, il y aura des conséquences. Désamorcer les fauteurs de troubles du côté palestinien peut s’avérer plus délicat. Le Hamas et d’autres factions violentes peuvent être affaiblis, mais ils ne disparaîtront probablement pas. Il n’y a pas de voie claire vers un nouveau système de gouvernance régissant à la fois la Cisjordanie et Gaza – et Jérusalem-Est en temps voulu. Est-ce qu’imposer un gouvernement choisi par les Etats arabes, avec l’accord des Etats-Unis et d’Israël, serait une bonne approche? D’un autre côté, des élections pourraient ramener le Hamas, qui reste plus populaire que le Fatah d’Abbas, en position de vainqueur, comme en 2006. Israël et l’Occident seraient-ils prêts cette fois à faire ce qu’ils ont refusé de faire il y a près de vingt ans, à savoir reconnaître comme légitime un gouvernement dirigé par le mouvement islamiste? Cela nécessiterait une révolution dans leurs politiques.

En fin de compte, la dynamique régionale jouera un rôle crucial. Sur la base des accords dits d’Abraham et de la normalisation des relations entre Téhéran et Ryad obtenue à Pékin en 2023, un cercle vertueux pourrait être encouragé entre Israël, les différentes factions palestiniennes et les puissances régionales. L’initiative de paix arabe, proposée par le roi saoudien en 2002, reste d’actualité. Elle propose la paix avec tous les pays arabes en échange de la fin de l’occupation. Tout au long de la guerre de Gaza, Washington et Téhéran se sont efforcés d’éviter une escalade régionale. Même l’attaque iranienne contre le territoire israélien, le 14 avril 2024, a été soigneusement calibrée avec l’intention déclarée d’éviter une escalade incontrôlable. Cela pourrait-il être le prélude à la reprise d’une approche plus constructive de la part des principaux acteurs?

Pour museler les extrêmes tout en offrant des incitations aux autres, il faudrait aussi que, après une longue, très longue période, Washington, Pékin et Moscou acceptent de travailler ensemble – ou du moins de ne pas perturber les efforts de l’une des autres puissances. Sont-ils prêts à coopérer sur le Moyen-Orient malgré leur concurrence mondiale, l’Ukraine et Taiwan? Il devrait être clair pour tout le monde que les avantages d’une coopération en vue d’une solution à deux Etats l’emportent largement sur les coûts. Cette solution ouvrirait une nouvelle ère qui profiterait à tous les habitants de la région et, en fin de compte, au monde entier.

En résumé, la solution à deux Etats reste souhaitable et est techniquement réalisable. Cependant, les obstacles psychologiques et politiques sont énormes. Et la volonté politique de consentir les investissements courageux et risqués nécessaires à l’ouverture d’une véritable perspective de paix n’est nulle part aussi massive qu’elle devrait l’être.

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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

4 Commentaires

@willoft 24.05.2024 | 05h34

«Excellent même si je ne vois pas comment on a pu créer un futur état en 3 parties, sinon avec le but et dès 1947, d'avaler le tout.
Sur les mêmes arguments israéliens, les États-Unis peuvent rendre leurs terres aux amérindiens.»


@XG 24.05.2024 | 09h38

«Article excellent qui ouvre des perspectives et rend un peu d'espoir, pour autant que tous y mettent de la bonne volonté, ce qui ne semble pas encore être le cas aujourd'hui. Mais tout peut changer très vite, une fois que Netanyahu sera parti pour de bon cette fois et que Mahmoud Abbas aura été remplacé aussi. »


@Pibeck 24.05.2024 | 14h52

«Je crois plus en un Etat binational laïque. Il mettrait fin à cette absurdité d’un « Etat juif ET démocratique » . Les deux parties doivent apprendre à vivre ensemble comme en Afrique du sud, en Suisse, l’Alsace, la Belgique. Est-ce plus difficile que le plan à deux Etats présenté dans cet eccellent article de J.-D. Ruch dont je me réjouis de lire le livre « Crimes et Tremblements » (ed. Favre ».»


@Christophe Mottiez 27.05.2024 | 18h07

«article très intéressant, mais dommage que la solution d'un seul état confédéral ou multiculturel ne soit pas davantage développée.

en prolongement du commentaire de @willoft 24.05.2024 | 05h34:

en amérique du nord, pour "résoudre" la question amérindienne, les colons européens ont eu recours au nettoyage ethnique et à des moyens démocidaires (massacres de grande ampleur, épidémies utilisées contre les amérindiens, génocide des bisons pour détruire la base économique de populations amérindiennes) et ethnocidaires (déculturation).

au moyen-orient, pour "résoudre" la question palestinienne, les colons juifs sionistes ont eu recours en 1948-49 au nettoyage ethnique de 750'000 palestiniens, mais les judéofascistes sionistes actuels non seulement rêvent d'achever le nettoyage ethnique commencé en 1948, mais sont aussi hantés par les "solutions" les plus extrêmes.
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