Actuel / L’homme à la tête du monstre
Bureaux de l'UBS à New York, 299 Park Avenue. © Allie_Caulfield - CC BY 2.0
Il a fait les titres ces jours en raison de son salaire et de ses bonus: 14,4 millions pour les neuf mois, en 2023, passés à la tête de l’UBS en train d’avaler le Credit Suisse. Aux commandes donc d’un monstre bancaire qui, si cela tourne mal – on parle de «risque systémique» –, plongerait la Suisse dans des affres économiques sans nom. Mais qui est donc Sergio Ermotti?
Les commentaires aigres sur sa rétribution, jusque chez certains politiciens de droite, ne lui font ni chaud ni froid. Peut-être même la juge-t-il trop faible, car il a gagné davantage lors de ses belles années chez Merryll Lynch. Sa compétence ne fait aucun doute. On a affaire à un surdoué de la banque. Sa carrière a connu quelques revers mais bien plus de succès.
Une trajectoire inimaginable à Paris ou à Londres. Ce fils d’immigrés italiens au Tessin, de milieu modeste, écolier peu brillant mais débrouillard, a commencé avec un apprentissage à la banque Corner de Lugano. Avec un salaire de 350 francs à ses dix-sept ans, dont il reversait une partie à sa maman et dont il investissait déjà une part à la bourse. Il rêvait de devenir joueur de foot professionnel ou au moins professeur de sport. Mais il gravit plutôt au pas de charge les échelons de l’établissement, modeste en comparaison des leaders. Il s’en alla apprendre l’anglais en Californie et fut étonnamment vite happé par diverses institutions financières américaines, et passa donc plusieurs années à New York. Là, en guise d’études, il décroche un diplôme de Certified Banking Expert et suit un cursus spécialisé d'Advanced Management Program auprès de l'Université d'Oxford.
Il jongle avec les marchés, notamment avec les produits dérivés à Londres, à Milan, et beaucoup à Zurich. En 2011, il devient CEO de l’UBS, sauvée de la crise financière américaine de 2008 avec l’aide du Conseil fédéral et de la Banque nationale suisse. Ecarté en 2020, il va se consoler avec sa femme sur une plage tropicale puis se consacre à ses propres affaires. En février 2023, c’est le triomphal retour en force: il devient à nouveau le patron de l’UBS et réalise un vieux rêve, le rachat de Credit Suisse. Avec l’aide Mme Keller-Sutter qui a exclu toute autre solution alors qu’il en existait, selon un autre banquier de haut vol, Joe Ackermann, ex-PDG de la Deutsche Bank.
Le risque est énorme. Il arrive aux plus gros bateaux de s’échouer sur les rivages insondables de la finance internationale. Notamment aux Etats-Unis où l’UBS entend jouer parmi les grandes. Comme en 2008… Trois d’entre elles y ont fait faillite en mars 2023.
Ermotti est-il de taille? Hyper-compétent sans doute, tenace, ambitieux. Doté de finesse dans l’analyse des mouvements politiques profonds? Pas sûr. Son école, sa passion, son monde, à côté du métier, de sa famille et de l’attachement au Tessin, c’est le foot. Aujourd’hui comme hier, c’est le parfait «tifoso». Lorsque la présidence du Festival du film de Locarno lui fut proposée, il répondit: «non merci, mais la culture, ce n’est pas mon truc». N’allez pas non plus lui demander de s’intéresser à l’histoire. Ou de s’approcher des institutions culturelles. Le mécénat? Ce n’est pas non plus son truc. La politique? Il est «à droite toute» mais hors parti. Et pas trop compliquée, s’il vous plaît.
Il y eut pourtant chez nous, dans la finance, des esprits fins que leur culture a plutôt aidés. Notamment l’ami et mentor d’Ermotti, Tito Tettamanti, un virtuose intellectuel devenu richissime. Ou celui qui le critique aujourd’hui, Joe Ackermann, qui malgré ses convictions libérales, dans l’intérêt du pays, prônait la reprise provisoire du CS par la Confédération. Un esprit assez agile pour assumer une telle contradiction.
L’euphorie du début retombe quelque peu. Les premiers résultats de big UBS ont déçu les actionnaires. Aux Etats-Unis comme en Europe une foule d’experts annoncent des vents méchants sur la branche. Face à la vertigineuse escalade de la dette publique, la Réserve fédérale américaine produit sans répit une masse non moins vertigineuse de dollars, cette monnaie dont certaines puissances mondiales commencent à se détourner. L’effet à court terme? Entretenir l’inflation… et propulser les bourses vers des sommets. La géopolitique, via l’économie aussi, nous ménage encore bien des surprises.
Le président du club de foot Colina d’Oro saura-t-il capter les changement mondiaux avec une longueur d’avance? L’ambition et l’obstination du tireur au but ne suffisent pas toujours. Ermotti saura-t-il par exemple séparer clairement les activités suisses de l’international? Ou carrément se distancer de Wall Street? Rien ne l’indique. Peu importe son sort personnel, c’est celui de la Suisse bancaire qui est en jeu. De toute façon son mandat est limité à trois ans. Il en a 64. Sa retraite de multimillionnaire promet d’être heureuse dans ses belles maisons, sur les hauteurs de ce Tessin qu’il aime tant. Avec sa grosse Ferrari noire au fond du garage. Fidèle à ses copains du foot quelle que soit la ligue où joue son club favori. Et jamais à court de joujoux financiers personnels.
Et puis si le géant bancaire tourne mal, ce sera aux responsables politiques et aux petits épargnants d’affronter le désastre. Entre parenthèses: vous tenez vraiment à garder vos comptes dans cette enseigne mégalomane? On connaît le mot «too big to fail», trop grand pour faire faillite. Il faut en ajouter un autre: «too big to bail». Trop grand pour espérer une caution, un sauvetage. La pauvre Confédération n’a pas les moyens de secourir, une fois encore, un tel bateau.
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Son industrie – étroitement liée à celle de la Suisse –, souffre du coût exorbitant de l’énergie depuis la rupture avec la Russie, de l’attraction des Etats-Unis où émigrent tant de ses entreprises, de la concurrence chinoise qui, avec ses voitures électriques, met à rude épreuve le secteur de l’automobile. La France s’embourbe dans les déficits et les tensions sociales. L’Italie et l’Espagne gardent le moral mais sont aussi surchargées de dettes publiques. Les pays dits de l’Est vont mieux et même bien, leurs économies sont devenues très performantes, dopées depuis leur entrée dans l’Union, très généreuse à leur égard, mais l’élan donne des signes de tassement. Enfin tous sont mis au défit technologique des Etats-Unis et de la Chine. </span></p> <p><span>Question: les Etats réunis à Bruxelles, dans la configuration qui sortira des urnes début juin, donneront-ils la priorité aux savoirs, au soutien des entreprises privées et parallèlement aux améliorations sociales? Ou leur politique dite verte conduira-t-elle à la décroissance? La concentration des efforts sur la course aux armements et l’aide à l’Ukraine, telle qu’elle est brandie aujourd’hui, peut aider certains secteurs industriels mais coûtera extrêmement cher. On articule à Bruxelles le chiffre de 100 milliards à cette fin d’ici 2029. Ce sera forcément au détriment d’autres attentes, dans les infrastructures, l’éducation, la recherche, la cohésion sociale. Sans compter que la transition écologique, nous assure-t-on, nécessitera en plus une pluie de milliards. Quelles priorités fixera le nouveau Parlement? Selon les choix, les retombées sur l’économie suisse seront différentes. Le surarmement de l’Europe ne nous rapporte quasiment rien, sa santé économique et sociale nous est bien plus bien profitable.</span></p> <p><span>Deuxième point. Le fonctionnement même de l’Union. Deux tendances s’affrontent. 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Le succès est promis par les sondages au parti de Marine Le Pen en France, à l’AfD en Allemagne, aux patriotes version Meloni en Italie, et à des formations plus ou moins du même tabac ailleurs. Ces partis n’obtiendront pas la majorité qui permettrait de tout chambouler mais ils pèsent sur les autres familles politiques. Un partenaire comme la Suisse pourrait se réjouir de traiter avec une autorité «bruxelloise» affaiblie plutôt que renforcée. Pas sûr. Les nationalistes qui tous jouent néanmoins le jeu communautaire – ils ne veulent sortir ni de l’Union ni de l’euro – ne seront guère partageux avec les pays-tiers qu’ils désignent parfois comme des profiteurs et des opportunistes. Il s’agira pour tous, passagers ou pas du grand bateau de l’Union, d’analyser en finesse son cap à venir. Pas facile puisqu’il dépendra d’un collectif de 27 capitaines!</span></p> <p><span>Troisième point. Le périmètre de l’Union. Vers quels élargissements va-t-elle? 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Peu audible d’ailleurs chez lui et chez ses partenaires, guère enthousiastes de cette prétention au leadership. En termes exaltés et alarmistes, le président français en appelle au renforcement massif de la défense européenne. Non sans raisons. Mais pour quoi faire? Affronter la menace de la Russie? Voyons son armée. Elle s’escrime autour de quelques villages dans l’est de l’Ukraine, à quelques kilomètres de chez elle, elle peine à prendre la ville voisine de Karkhiv malgré d’horribles destructions. Elle n’est manifestement pas de taille à s’en prendre aux pays de l’OTAN, ni matériellement ni humainement. Les divers pays européens sont loin d’être démunis de moyens militaires. Même si leur base industrielle a des lacunes. On le sait aussi au Kremlin, où, quoi qu’on en dise, on est réaliste, on n’a pas la folie des grandeurs. Point effectivement à soulever: il est vrai que les Européens feraient bien de se préoccuper davantage de la défense anti-drones et anti-missiles. 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Il s’agit de faire sauter la limite aux dépenses fédérales et de consacrer dix milliards supplémentaire pour l’armée et cinq pour l’Ukraine d’ici à 2030. C’est un groupe inhabituel de femmes parlementaires alémaniques qui est à la besogne. Dont une centriste, Marianne Tinder («Je suis en mesure d'évaluer la gravité de la menace même sans jours de service militaire»), sa collègue de parti entrée au Parlement en décembre dernier («Quand j'entends que l'armée n'a même pas assez de gilets de protection, cela me fait réfléchir»), la socialiste Franziska Roth («Nous ne pouvons pas nous cacher constamment derrière des lignes rouges»). A compter aussi dans ce que le <em>Tagesanzeiger</em> appelle les «dealmakers»: une autre centriste, Andrea Gmür, la socialiste Sarah Wyss, la verte libérale Corina Gredig. 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Quel parcours pour cet autodidacte fou de cinéma, travailleur acharné, si bellement doté d’empathie créatrice! ', 'content' => '<p><span>Quel parcours pour cet autodidacte fou de cinéma, travailleur acharné, si bellement doté d’empathie créatrice! Ces trente dernières années, son entreprise, sise à Lausanne, CAB-Productions, a permis à de nombreux cinéastes, locaux et internationaux, de s’exprimer librement. Tournant en Suisse, avec des comédiens, des techniciens d’ici et d’ailleurs. De Francis Reusser à Dominique de Rivaz, d’Alain Tanner à Jean-François Amiguet, de Marcel Schüpbach à Pierre-Yves Borgeaud, de Greg Zlingski à Olivier Assayas, de Benoît Mariage à Claude Chabrol, et tant d’autres. Dernier en date, Roman Polanski. Avec le tournage à Gstaad de <em>The Palace</em>, en coproduction avec l’Italie et la Pologne. </span></p> <p><span>Lié d’amitié avec cette grande figure du cinéma européen, Porchet a tout fait, trois ans durant, pour que ce film se fasse. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
5 Commentaires
@willoft 05.04.2024 | 03h13
«On ne peut pas critiquer ce Monsieur
Il gagne autant d'argent qu'il peut.
Le système est fait ainsi»
@PB41 05.04.2024 | 14h52
«Monsieur Pilet ne peut s’empêcher de critiquer un banquier, c’est l’inévitable réaction d’un homme de gauche, même modérée. C’est facile et populiste de critiquer la rémunération de Monsieur Ermotti. 14,4 millions, quel montant énorme! Oui sans doute, énorme pour le commun des mortels, mais, rapporté au montants épargnés par le sauvetage du CS, peanuts !
On oublie toujours de préciser que la Confédération n’a rien perdu dans cette opération réussie.
La référence à Joe Ackermann est surprenante en considérant son passé à la Deutsche Bank. Quant à ce mépris minable envers les passionnés de foot, c’est vraiment petit. Monsieur Pilet, grand intellectuel devant l’Eternel, a oublié le poète et écrivain Georges Haldas dont sa passion pour le football lui a fait dire : « au fond, parler de football c’est parler de tout un aspect de l’humanité. »
Enfin, l’allusion à la Ferrari noire au fond du garage, c’est vraiment misérable.
Qu’est-il arrivé à Jacques Pilet ? Il nous avait habitué à un meilleur niveau de pensée.»
@Maryvon 07.04.2024 | 09h50
«@PB41
Vous oubliez un tout petit détail. Lorsque Madame Keller-Sutter a décidé de donner le feu vert à la banque UBS de racheter les avoirs de Crédit Suisse, elle n'avait aucune certitude quant à la réussite de cette opération. Cette décision a dû être prise dans une totale précipitation et s'apparentait plutôt à de la roulette russe. Tant mieux, si le résultat est concluant. D'autre part, je constate que chaque fois que nous avons une crise dans ce pays, nous n'avons connaissance que de la première saison de la série. En effet, qu'en est-il des pouvoir de la FINMA ? Ont-ils à disposition plus de personnel pour analyser ce qui se passe au sein de cette banque ? Quelles ont été les responsabilités exactes des dirigeants de cette banque ? Bref, il
nous manque en tous les cas, les saisons 2 et 3 de la série. Les citoyens sont constamment mis à l'écart et c'est scandaleux. Comme vous semblez bien connaître le milieu bancaire, vous avez peut-être des réponses à mes questions.»
@RAS 12.04.2024 | 11h19
«Merci Monsieur Pillet pour cette excellente analyse, qui malheureusement peut créer des frustrations à certains lecteurs passionnés de foot et de voitures. Il faut tout de même constater une incompétence totale au niveau d'un Conseil fédéral qui se moque totalement de la population tout en étant cautionnée dans ses agissements par des élus aux chambres pour la plupart entretenus par les lobbys. Les termes Démocratie et Neutralité n'ayant plus aucune valeur quand il s'agit de l'intérêt de leurs commanditaires.»
@stef 28.04.2024 | 15h22
«Ce Monsieur et ses confrères naviguent sur des eaux qui nous sont inconnues, tellement ils sont en-dehors des réalités du quotidien du 99% de la population.
Ce qui est grave, c'est que ce 99% est tributaire des décisions de ces 1%, qui n'en ont rien à faire des 99% »