Actuel / Le chef de l’armée suisse patauge
© Hp.Baumeler - CC BY-SA 4.0
L’idée de M. Ignazio Cassis, la convocation d’une «conférence de paix» sans la Russie, sur la base des revendications de l’Ukraine, est aux oubliettes. Sous la risée générale. Ses diplomates tentent d’amortir le choc de cette violation de la neutralité, assurent maintenir tous les contacts. Sans espoir de rétablir avant longtemps la réputation de «facilitatrice de paix» qu’eut longtemps la Suisse. Mais les gaffes continuent de s’accumuler.
La cheffe du Département de la Défense ne rate pas une occasion de fraterniser avec les responsables de l’OTAN et autres va-t’en-guerre, telle Ursula van der Leyen. Et voilà que le chef de l’armée, le quasi-général Thomas Süssli, déjà empêtré dans la polémique autour de sa gestion financière, ose se lancer dans des considérations géopolitiques hasardeuses.
Il affirme sur le réseau social LinkedIn: «Depuis deux ans, la guerre la plus sanglante que l'Europe ait connue depuis 1945 fait rage en Ukraine. Vladimir Poutine convertit la Russie à l'économie de guerre et se dote des capacités de production d'armes qui lui permettront non seulement de gagner la campagne contre l'Ukraine, mais aussi d'attaquer d'autres pays européens. Tels sont les faits.»
Les faits? La guerre contre l’Ukraine, l’économie de guerre en Russie, sans doute. Mais rien ne permet d’affirmer que celle-ci a l’intention et les moyens de s’en prendre militairement à d’autres pays européens. C’est même une hypothèse invraisemblable, ne serait-ce qu’au vu de la disproportion des forces qui se trouveraient en présence. Il est vrai qu’une foule d’experts de plateaux télévisés, de généraux à la retraite, surtout français, brandit cette menace. Comme si cette perspective les émoustillait. Il est bien connu que toute escalade belliqueuse procure un certain plaisir aux plus acharnés. Surtout qu’ils ne risquent pas eux-mêmes leur peau.
Un responsable suisse de haut niveau n’a pas à rejoindre cette cohorte. Mais qui est-il? Ce Zurichois de 58 ans a fait des études économiques et informatiques, puis une carrière civile avec de hautes fonctions chez UBS, Crédit Suisse et Vontobel, de pair avec sa carrière militaire. Puis entré pleinement dans la structure de commandement dès 2015. Promu chef de l’armée en 2020 par Mme Viola Amherd. Brillant parcours, à une nuance près qui a son importance dans sa fonction actuelle: il ne parle ni ne comprend le français et l’italien. En revanche il maîtrise bien l’anglais évidemment. Si utile quand on se laisse embarquer à fond dans la mouvance atlantiste qui donne le ton chez les gradés suisses. Mais mesure-t-il le poids des mots dans sa propre langue?
En France, on a longtemps parlé de l’armée comme «la grande muette». Car en 1848, lorsque le suffrage universel fut rétabli, comme le clergé les militaires furent privés du droit de vote! Et cela jusqu’en 1945. Depuis, perdure le devoir «de réserve, de neutralité et de discrétion». Personne ne réclame cela mais nos officiers supérieurs feraient bien d’apprendre à la boucler parfois. Surtout en matière de diplomatie.
La Suisse a besoin d’un discours clair et cohérent sur sa position dans le monde. Son gouvernement, divisé et dépassé, ne l’apporte pas. Comme le dit si bien notre confrère Pascal Décaillet dans GHI à propos de Ignazio Cassis: «Notre vaillant conseiller fédéral nous a mis à dos la Russie, puissance majeure, et qui le restera à travers les siècles. Il a ruiné les espoirs suisses de devenir les hôtes d’une paix en préparation. Il a voulu faire de la morale, là où il fallait être politique. La Suisse mérite mieux. Elle doit allumer les lumières de la paix. Et non jeter de l’huile sur le feu.»
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Il va jusqu’à promettre une ambassade à Jérusalem… où l’on n’est guère convaincu par ce nouvel allié proclamé. Ses seuls ennemis, dit-il, ce sont l’Iran et le Hezbollah. Et n’a pas un mot quant aux bombes israéliennes qui pleuvent sur son territoire ni sur la présence de Tsahal aux portes de Damas. Silence aussi devant les exactions et les assassinats commis par ses partisans, rapportés sur le net, image à l’appui. En outre, il est prévu de mijoter une nouvelle constitution. La «République arabe syrienne» devrait s’appeler «Etat islamique de Syrie».</p> <p>On peut comprendre la satisfaction des Américains et des Européens voyant que la Russie et l’Iran sont bannis des lieux. Mais comment peuvent-ils peindre ainsi en rose la nouvelle situation? Sans penser aux désastreux précédents de l’Irak, de la Libye?</p> <p>En fait, ce n’est pas totalement surprenant. 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Il vient pourtant de se produire un évènement majeur près de nous, dans un pays membre de l’UE, la Roumanie. Les élections présidentielles y ont été annulées. Car le vainqueur de premier tour, Călin Georgescu, candidat indépendant, est vivement attaqué par les deux grands partis qui se partagent le pouvoir depuis des décennies. L’affrontement ne cesse de s’échauffer entre ses partisans et ses adversaires, dans les médias, sur internet et parfois dans la rue. Aucune nouvelle date n’a encore été fixée pour de nouvelles élections.</p> <p>Or la Commission européenne ne bronche pas. Elle a su tancer, à raison, les pressions du gouvernement sur la justice en Pologne et en Hongrie. Mais là, l’annulation d’une élection incontestée – les bulletins ont été recomptés – n’appelle aucune critique. Donald Trump a d’ailleurs condamné cette décision anti-démocratique. Tout comme la rivale du vainqueur, arrivée en deuxième position, Elena Lasconi, qui voit là «un retour des jours sombres du communisme». Mme von der Leyen croit bon au contraire d’appuyer le président roumain sortant qui réclame une enquête sur les ingérences hypothétiques de la Russie lors de la campagne, largement menée sur les réseaux sociaux.</p> <h3><strong>Qui veut la peau de Călin Georgescu ?</strong></h3> <p>C’est piquant si l’on songe que sur l’autre bord, l’influence américaine pèse lourd sur ce pays. Son commandant en chef, le général Vlad, a été formé dans la plus haute école militaire aux USA et a même participé à l’opération menée contre l’Irak en 2003. Depuis la guerre en Ukraine, la pression de l’OTAN et des lobbies de l’armement est énorme. Le budget de la défense roumaine a augmenté de 53 %, il représente 3 % du PIB. Une grande base est en construction à la frontière avec la Russie. 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Et aussi des manies, il est vrai, une fixation sur l’affreux Davos, le redoutable Soros. Un penchant religieux aussi et même mystique. Grand défenseur de la famille traditionnelle, mais pas opposé à l’avortement et aux couples homosexuels. Attentif, et c’est rare, aux minorités, tels les Hongrois sur sol roumain ou les Roms. Ses refrains préférés tournent autour de la défense du peuple roumain, du rassemblement de tous, du redressement d’un pays resté pauvre malgré de réels progrès économiques aux bénéfices trop inégalement répartis. On apprécie ou pas le bonhomme, mais pas de quoi le maudire… ou l’enfermer, ou l’exiler comme en rêvent les plus exaltés de ses adversaires. Certains sont allés jusqu’à couper l’eau et l’électricité de son domicile. A quoi Georgescu réagit avec le sourire et rassure, il restera sur internet et le débat, le combat continueront. Plus inquiétant pour lui: divers services s’activent pour trouver quelques charges à son encontre qui permettraient d’écarter une nouvelle candidature. «Comme il n’y a rien à me reprocher, il leur faut du temps pour fabriquer des preuves…», commente l’intéressé. Il appelle de ses vœux des enquêteurs internationaux, européens, américains. Ajoutant: «Nous respectons nos partenaires démocratiques, mais j’ai le sentiment qu’ils nous lâchent, j’espère me tromper.»</p> <h3><strong>L’Union européenne discréditée </strong></h3> <p>Il y a bien lâchage du côté de Mme von der Leyen et ses gens. Soucieux d’abord de s’aligner sur la ligne de l’OTAN et de l’administration Biden, entraînant tant de médias dans ce sillage. Il s’agit là d’une dérive de l’UE et de ses principes. Une fois de plus, la tactique du «deux poids deux mesures». On tance un Erdogan, un Fico (le président slovaque), mais pas un mot sur le président roumain Iohannis qui prolonge son mandat en cassant une élection. 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Elle a su tancer, à raison, les pressions du gouvernement sur la justice en Pologne et en Hongrie. Mais là, l’annulation d’une élection incontestée – les bulletins ont été recomptés – n’appelle aucune critique. Donald Trump a d’ailleurs condamné cette décision anti-démocratique. Tout comme la rivale du vainqueur, arrivée en deuxième position, Elena Lasconi, qui voit là «un retour des jours sombres du communisme». 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
4 Commentaires
@Latombe 29.03.2024 | 10h04
«Rien à contester dans cet article, juste un petit complément.
Pour moi un militaire n'a pas à parler de politique, il n'a qu'à s'engager à accomplir au mieux la mission que les politiques lui confient.
C'est bien là que ça coince car nous sommes dirigés par les deux conseillers fédéraux les moins crédibles dans leur domaine: Viola et Ignacio.
La première sans expérience militaire à un quelconque niveau ne peut que s'appuyer sur un chef des armées résolument pro anglo-saxon et sans considération pour l'Europe d'où le rejet d'un avion européen et le rapprochement marqué avec l'OTAN sans le soumettre à l'Assemblée fédérale.
Le second montrant constamment un visage de chien battu est incapable de mener un diplomatie à vision à long terme. J'en veux pour preuve ses valses-hésitations avec les ONG palestiniennes et sa volonté chimérique de gérer la paix en Ukraine sans tenir compte des réalités géopolitiques, en affirmant la neutralité tout en serrant dans ses bras le président Zelensky..
Bref quel amateurisme!»
@RAS 29.03.2024 | 12h46
«Il est grand temps de faire les nettoyages au niveau du CF ainsi que des élus aux chambres. Il semble que toutes les bases même de notre démocratie et neutralité sont totalement inconnues de la majorité des élus. Tout fonctionne par copinage et sponsoring par les lobbys.
Dès qu'une question dérangeante arrive, circulez il n'y a rien à voir. Une des solutions est la démission de l'ensemble du CF et fixer pour la nouvelle équipe une durée maximale de mandat, ainsi que pour les élus aux chambres fédérales.
L'interdiction de privatiser les entreprises de la confédération, l'exemple de la LPP est flagrant. En 2000, lors de la découverte du détournement par des normes comptables de près de 20 milliards de francs par les assureurs. Malgré les réactions de Otto Piller de l'OFAS et de Mme Dreifuss, l'escroquerie de la LPP continue avec de nouvelles normes comptables tout cela au détriment de la population. Et cerise sur le gâteau, après cela, des tristes personnes entretenues par les lobbys et leurs rentes à vie se permettent de faire des remarques concernant les fonds AVS pour la treizième rente. Il est grand temps de mettre de l'ordre dans les écuries d'Augias.
Créer une enquête citoyenne pour remettre à jour toutes les escroqueries oubliées.»
@Baïka 29.03.2024 | 17h59
«Bravo M. Pilet. Quel plaisir de vous lire. Comme le dit @RAS ci-dessous, "Il est grand temps de mettre de l'ordre dans les écuries d'Augias."»
@simone 30.03.2024 | 17h38
«Merci d'avoir notamment relevé l'inadmissible confusion que le chef de l'armée opère entre les faits et une hypothèse. C'est effrayant de nullité de sa part! A moins que ce ne soit de la mauvais foi. Mais c'est un mal si répandu actuellement que j'opte pour la nullité qui évite la présomption de mauvais foi.»