Actuel / Plaidoyer pour un renouveau européen
Représentation allégorique de l'Europe sur l'Albert Memorial à Londres. CC BY 4.0
Tel est le titre du livre, modestement désigné comme un essai, signé par notre ami, collaborateur de BPLT, Martin Bernard. Que ceux que les aléas de l’Union européenne lassent, irritent ou indiffèrent, se rassurent. On n’y parle pas de Bruxelles. Le regard va plus loin, dans l’histoire et vers l’avenir. Les philosophes s’y expriment, pas les technocrates.
La civilisation européenne… Quelle incroyable trajectoire si l’on y songe. A partir de Christophe Colomb, elle a dominé de vastes pans du monde. Dès le XVIIème siècle, elle a développé les sciences, les techniques, les dominations économiques. Comme le prônait le Britannique Francis Bacon (1561-1625), penseur et homme d’action puissant. Dont les vues ont été mises en œuvre au-delà de ce qu’il put espérer dans le modèle productiviste et consumériste en Occident. Et pas là seulement. A leur manière, l’URSS, puis la Russie, la Chine, l’Inde et tant de pays développés, entrent en fait dans les mêmes schémas industriels et commerciaux. Sans parler des Etats-Unis qui étendent le modèle sous de nouvelles formes, jusqu’à l’implanter dans le monde entier, sans grande opposition, à travers le numérique qui fait de nous de nouveaux consommateurs.
L’Europe a apporté autre chose au monde. Dès le XVIIIème siècle. Les Lumières, de Spinoza à Newton, de Descartes à Bayle. Avec l’apologie de la science contre l’obscurantisme. De l’émancipation opposée à la soumission. Avec cette notion unique jusqu’alors dans l’humanité: la liberté individuelle. Ce grand courant, prolongé plus tard par la «Naturphilosophie» allemande et surtout le géant Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832) auquel Martin Bernard consacre d’admirables pages. Allant au-delà des œuvres les plus connues, explorant sa philosophie, sa façon de «pénétrer au cœur des grandes énigmes de la vie et de l’univers».
Tout cela est bien beau, direz-vous, mais aujourd’hui, comme 61% des personnes interrogées par l’Office of Science and Technology britannique, vous pensez peut-être que «la science est dirigée par le monde des affaires, au bout du compte, c’est une histoire d’argent». Là Martin Bernard va jusqu’à proposer que soient créés de nouveaux instituts de recherche, plus attentifs aux besoins et souhaits de la population… financés par une taxe sur les transactions financière spéculatives.
Mais alors pourquoi diable en appeler à un renouveau? Pas besoin de faire un dessin. L’Europe est en déclin. Le best-seller de Emmanuel Todd (La défaite de l’Occident, éd. Gallimard) en fait brillamment le tour, y compris pour la Grande-Bretagne si chère à son cœur. Un peu simpliste parfois, lorsqu’il insiste lourdement sur l’abandon de la pratique religieuse, surtout celle des protestants qu’il a en si haute estime. Mais il a raison de parler de la montée du nihilisme. En Amérique étendu à l'Europe. Le consumérisme finit par consumer la petite flamme qui fait le propre de l’humanité. Selon le philosophe français Abdennour Bidar «l’humanisme est le fil directeur ou l’inspiration profonde de l’histoire culturelle de l’Occident». Mais où le renouer, ce fil? Par l’école, bien sûr, et pas celle des programmes mijotés de Microsoft, par la méditation, par un dialogue respectueux et curieux avec d’autres civilisations. Un petit tour en Asie, en Afrique, en Amérique latine, ça aide à comprendre le monde et à se connaître soi-même. Et surtout, c’est plus abordable, la lecture! Celle du livre Martin Bernard ouvre tant de perspectives stimulantes... Il foisonne de citations-clés. Au moins lire le dos de la couverture: «S’interroger sur l’avenir du continent européen n’a pas pour ambition de créer un nouvel impérialisme rivalisant avec ceux des autres grandes puissances, mais de susciter un nouvel espoir civilisationnel centré sur le respect et l’intégrité de la personne humaine et de la nature, ainsi que sur de nouvelles formes d’entraide et de spiritualité. Cela ne signifie pas l’entretien d’une nostalgie envers la grandeur passée de l’Europe, comme le font trop de "conservateurs", mais la redécouverte de ce que signifie vraiment être européen.»
Ambitieux programme à l’heure où les Européens se trouvent embarqués dans une frénésie guerrière, se tournent plus vers les armes d’acier que vers celles de l’intelligence, se détournent de la quête des chemins compliqués de la paix, alors qu’ils surent admirablement le faire après les boucheries du XXème siècle. A l’heure où les Européens se complaisent dans le suivisme des Etats-Unis qui en tirent bénéfices, ou alors dans l’exaltation qui, c’est bien connu, résout tous les problèmes. Sourds en fait aux souffrances d’un pays martyrisé que les uns et les autres caricaturent. Le vacarme des propagandes nous assourdit, nous abêtit. Alors vite, plongeons dans les livres. Cet essai a peu de pages mais il nourrit longuement le meilleur de nous-mêmes. Voilà un humanisme aux meilleures couleurs que celles du pessimisme complaisant d’un Emmanuel Todd qui envoie un peu vite l’Occident aux poubelles de l’histoire.
«Plaidoyer pour un renouveau européen», Martin Bernard, Editions BSN Press, 162 pages.
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Peu audible d’ailleurs chez lui et chez ses partenaires, guère enthousiastes de cette prétention au leadership. En termes exaltés et alarmistes, le président français en appelle au renforcement massif de la défense européenne. Non sans raisons. Mais pour quoi faire? Affronter la menace de la Russie? Voyons son armée. Elle s’escrime autour de quelques villages dans l’est de l’Ukraine, à quelques kilomètres de chez elle, elle peine à prendre la ville voisine de Karkhiv malgré d’horribles destructions. Elle n’est manifestement pas de taille à s’en prendre aux pays de l’OTAN, ni matériellement ni humainement. Les divers pays européens sont loin d’être démunis de moyens militaires. Même si leur base industrielle a des lacunes. On le sait aussi au Kremlin, où, quoi qu’on en dise, on est réaliste, on n’a pas la folie des grandeurs. Point effectivement à soulever: il est vrai que les Européens feraient bien de se préoccuper davantage de la défense anti-drones et anti-missiles. Ces engins, peu coûteux à produire mais ruineux pour s’en défendre, jouent un rôle-clé dans les conflits d’aujourd’hui. Et les Russes ne sont pas seuls à en disposer. Dans la cybersécurité aussi, il y a aussi de sérieux efforts à faire. Comme en Suisse, où le Département de la Défense confie cette tâche à son entreprise boiteuse Ruag qui s’appuie elle-même sur l’entité issue de Crypto AG, célèbre pour le scandale de ses tricheries. La Confédération a misé en plus sur une société bernois brinquebalante, Xplain, et admet aujourd’hui le désastre. Même des informations confidentielles sur les Conseillers fédéraux ont été balancés dans le «darknet». </span></p> <p><span>Mais nos militaires et leur cheffe ne rêvent que d’acquérir toujours plus d’avions, de blindés et de canons… à acheter aux Etats-Unis bien sûr. Viola Amherd se frotte les mains: une curieuse proposition agite le Parlement. Il s’agit de faire sauter la limite aux dépenses fédérales et de consacrer dix milliards supplémentaire pour l’armée et cinq pour l’Ukraine d’ici à 2030. C’est un groupe inhabituel de femmes parlementaires alémaniques qui est à la besogne. Dont une centriste, Marianne Tinder («Je suis en mesure d'évaluer la gravité de la menace même sans jours de service militaire»), sa collègue de parti entrée au Parlement en décembre dernier («Quand j'entends que l'armée n'a même pas assez de gilets de protection, cela me fait réfléchir»), la socialiste Franziska Roth («Nous ne pouvons pas nous cacher constamment derrière des lignes rouges»). A compter aussi dans ce que le <em>Tagesanzeiger</em> appelle les «dealmakers»: une autre centriste, Andrea Gmür, la socialiste Sarah Wyss, la verte libérale Corina Gredig. Etonnant, ce quarteron féminin, inter-partis, prônant l’urgence des armes.</span></p> <p><span>Bien que le président du PS Cedric Wermuth et la Fédération des sociétés militaires – curieux attelage! – applaudissent l’idée, celle-ci passe mal. Le patron du Centre Gerhard Pfister tousse, les radicaux, derrière Karin Keller-Suter, préoccupés par l’endettement, s’y opposent. Et il se trouvera sans doute des socialistes pour refuser cet emballement. Quant au petit peuple à qui on ne demandera pas son avis, il sait que de telles dépenses supplémentaires entraîneront inévitablement des coupes là où cela lui fait mal. </span></p> <p><span>Il vaut la peine de s’interroger sur les ressorts de cette outrance militariste. Que ce soit dans le mode déclamatoire d’un Macron ou dans les chuchotements du Palais fédéral. La politique sort alors du champ rationnel, de l’analyse froide des réalités, elle entre dans l’escalade des émotions morales, détermine dans le mode binaire, gagner ou perdre la guerre. Or l’histoire récente donne tant d’exemples où les conflits ont fini par des pourparlers. Plus ceux-ci ont tardé, plus se sont inutilement prolongées les souffrances.</span></p> <p><span>Rester fidèles à nos principes? Bien sûr. Mais alors pourquoi ne pas s’activer plutôt au chapitre de la paix? Pourquoi ne pas tirer toutes les ficelles en vue de véritables négociations dans le conflit Ukraine-Russie? Dans son emportement Emmanuel Macron n’a même pas prononcé ces mots. Et en l’occurence helvétique, les chantres féminins du pactole aux armes n’en ont eu aucun dans ce sens. Et le grand raout prévu au Bürgenstock, direz-vous? L’intention est certes louable mais le cadrage est défini par un seul des camps en présence et par les Etats-Unis. Cela en fait un simulacre de négociations. Qui pourrait bien en rajouter une couche à la frénésie belliqueuse. Alors même que le moment approche où les belligérants, plus ou moins épuisés, devront bien se résoudre à cesser le feu et à engager des pourparlers. Plus ils attendront, plus la malheureuse Ukraine sera mal prise. Regrettant que l’accord à bout touchant du tout début de la guerre ait été sabordé.</span></p> <p><span>Quant à l’autre guerre qui nous bouleverse, au Moyen Orient, elle est promise à durer longtemps, très longtemps, sous une forme ou une autre. Totalement dépassée et discréditée, la Suisse ne songe même pas à proposer une négociation, ni sur l’immédiat, ni sur le fond. Peu dit: un autre pays tente discrètement cet effort, non sans expérience. La Norvège.</span></p> <p><span>Mais le Conseil fédéral paraît tenir à réaffirmer son alignement sur la ligne d’Israël. Après avoir concédé une aide réduite, la commission parlementaire des Affaires étrangères propose de supprimer à terme tout soutien à l’UNRWA. 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Quel parcours pour cet autodidacte fou de cinéma, travailleur acharné, si bellement doté d’empathie créatrice! ', 'content' => '<p><span>Quel parcours pour cet autodidacte fou de cinéma, travailleur acharné, si bellement doté d’empathie créatrice! Ces trente dernières années, son entreprise, sise à Lausanne, CAB-Productions, a permis à de nombreux cinéastes, locaux et internationaux, de s’exprimer librement. Tournant en Suisse, avec des comédiens, des techniciens d’ici et d’ailleurs. De Francis Reusser à Dominique de Rivaz, d’Alain Tanner à Jean-François Amiguet, de Marcel Schüpbach à Pierre-Yves Borgeaud, de Greg Zlingski à Olivier Assayas, de Benoît Mariage à Claude Chabrol, et tant d’autres. Dernier en date, Roman Polanski. Avec le tournage à Gstaad de <em>The Palace</em>, en coproduction avec l’Italie et la Pologne. </span></p> <p><span>Lié d’amitié avec cette grande figure du cinéma européen, Porchet a tout fait, trois ans durant, pour que ce film se fasse. Contre vents et tempêtes. Face aux campagnes des ultra-féministes qui rabâchent et déforment une histoire vieille de quarante ans, aux Etats-Unis, impliquant une jeune fille qui aujourd’hui est dans les meilleurs termes avec le prétendu coupable. L’offensive «wokiste» a mis Polanski au ban. En Suisse comme en France, aucun soutien public n’a été apporté au film. Une fois terminé, au début de cette année, il a pu être présenté à Venise mais n’a été diffusé que dans quelques rares salles, les distributeurs et les exploitants craignant des manifestations féministes. Il est même totalement proscrit en France. </span></p> <p><span>Pour Jean-Louis Porchet les difficultés du début ont tourné à la descente aux enfers. Faute de rentabiliser les droits d’exploitation, sous le poids des dettes contractées pour boucler le financement du tournage, son entreprise est menacée de faillite. L’accumulation des tracas finit par accabler le solide cueilleur de champignons. </span></p> <p><span>Le dimanche 24 mars, en route vers un ami à Rennaz, il s’arrête près de Cully, fume un cigare, son péché parcimonieux, et laisse flotter ses pensées sur le lac. Il repart et là, sans pouvoir l’expliquer encore, dans un blanc soudain, traverse la chaussée et écrase sa voiture du haut mur de Lavaux. Fracassé, il la voit prendre feu, reste prisonnier. Et attend les secours dans d’horribles douleurs. Les deux jambes et des côtes cassées, de graves brûlures.</span></p> <p><span>Le voilà, cinq semaines plus tard, dans une chambre du CHUV. Avec le sens de l’humour. «Les jours d’avant, je me disais sans cesse que j’allais dans le mur. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
3 Commentaires
@Eggi 22.03.2024 | 17h39
«Le problème, après les grandes envolées philosophiques, est celui de la nature humaine: égoïste, cupide, stupide souvent, agressive aussi. L'Europe, avec d'autres, a cru à une paix universelle, après la deuxième guerre mondiale; une organisation internationale a même été créée pour cela. Et on s'est réveillé, il y a un peu plus de deux ans, avec une agression militaire à laquelle on ne croyait plus... Parce que, à la tête d'une grande puissance, se trouve un être humain agressif, égocentrique et cupide. Quel philosophe donnera la recette pour donner à la nature humaine une dimension propre à faire de notre monde un havre de paix? Et un entendement incitant une large majorité des êtres de notre planète à éviter de la piller dans le seul but de la surconsommation béate et inutile...»
@willoft 24.03.2024 | 01h23
«Regardez BHL sur
Quelle Époque
Sidérant...!»
@Pipo 29.03.2024 | 10h40
«En Réponse à Eggi:
Un peu simpliste de ramener le conflit ukrainien à un dirigeant agressif, égocentrique et cupide!
On retombe dans la simplification binaire du bien et du mal ; dans ce drame ces qualificatifs peuvent s’appliquer également, et surtout, aux dirigeants occidentaux qui n’ont fait que préparer le terrain à cette guerre de puis 25 ans ( cf analyses de geopolitologues n’apparaissant pas dans les médias principaux.
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