Emmanuel Macron et Volodymyr Zelensky à Kyiv le 16 juin 2022. © President.gov.ua - source officielle
Jusqu’où peut-on mener une guerre par procuration? Par l’envoi de fonds, d’armes, de munitions, de spécialistes et de mercenaires, alors que les troupes s’épuisent. Interrogation jusque-là escamotée. Une autre s’impose: à quel moment vaut-il mieux stopper l’escalade et enfin envisager quelque forme de paix?
La réunion de l’Elysée du 26 février n’était pas banale. Dix-huit représentants européens de haut niveau autour de la table. Hors du cadre de l’OTAN et de l’Union européenne. Sans même Ursula van der Leyen d’ordinaire omniprésente. Et voilà que le président français affirme que l’envoi de troupes en Ukraine n'est «pas exclu». Dès le lendemain tous les hôtes, que l’on imagine assez fâchés, s’inscrivent en faux contre cette audacieuse hypothèse. Passons sur cette bisbille de plus qui entame la crédibilité déjà piteuse de l’Europe. Songeons plutôt aux tenants et aboutissants de la sortie d'Emmanuel Macron. On put la croire lancée à la légère. Mais le lendemain le Premier ministre confirmait le propos devant l’Assemblée nationale. C’était du sérieux.
L’histoire le dit assez. On sait quand commence une guerre, on ne sait pas comment elle va évoluer ni quand et comment elle finira. On peut chauffer et surchauffer la marmite belliqueuse mais quand elle déborde on ignore jusqu’à quel point elle nous brûlera.
Dans l’ignorance de cette réalité aucun dignitaire ne s’est levé, lors de ce curieux raout, pour tenir un tout autre discours: «Il est temps d’arrêter ce bain de sang. Exigeons un cessez-le-feu. Mettons toute la pression pour que les belligérants envisagent la paix.»
La paix, mot devenu tabou. Que les belligérants en pleine action ne veuillent pas l’entendre, cela se comprend. Mais que les Européens, engagés eux aussi dans le conflit, n’osent plus le prononcer révèle un aveuglement désastreux pour eux. Cela au moment même où les Américains, derrière les déclarations de façade, commencent à s’interroger sur les impasses prévisibles du conflit.
Il s’agit, selon le président français et les autres, d’accord avec lui sur ce point, de tout faire pour que l’Ukraine gagne la guerre. Pour quelle victoire? Récupérer le Donbass et la Crimée? Aucun stratège ne pense cela possible dans la donne actuelle au vu des rapports de forces. Même avec un soutien accru. Les Russes aussi souhaitent «gagner». Quoi au juste? Rester à l’est et au sud du pays conquis sans doute, mais ils ne pourront pas, au cas où ils le souhaiteraient, ce qui n’est pas sûr, mettre les pieds à Kiev et dans l’ouest, fief du nationalisme ukrainien, porteur d’un tout autre héritage historique.
Il y a des guerres qui finissent par la défaite totale d’un camp. Comme celle du Reich en 1945. Or les Occidentaux, s’ils souhaitent affaiblir la Russie, ne rêvent pas de planter leur drapeau sur le Kremlin. Quant à Poutine, plus réaliste que ne le décrivent les diatribes, il n’a nulle intention de s’en prendre aux pays de l’OTAN. Il n’en aurait d’ailleurs pas les moyens. Ni humains ni matériels. Sans parler des risques de déflagrations nucléaires.
Gagner ou perdre, s’enfermer dans cette logique est un piège pour les uns et les autres. On n’est pas dans une compétition sportive. Et même là, on connaît des matchs nuls.
Chacun sait que lorsque l’écrasement total d’un camp n’est pas envisageable, toute guerre finit par un accord. Même boiteux. Ce peut être un simple arrêt des hostilités, une ligne de démarcation sans réel plan de paix, comme entre la Corée du sud et du nord. Ou comme le gel des hostilités, d’ailleurs tout aussi frustrant et aléatoire, dans l’ex-Yougoslavie. Tout est cependant préférable à la poursuite sans fin des combats sur une ligne de front qui bouge à peine.
C’est aux Ukrainiens de décider, entend-on. Oui et non. Car au plan militaire ils dépendent entièrement des soutiens extérieurs. Terriblement coûteux à maints égards pour les Européens. Dont les signes de lassitude se multiplient malgré les grands discours. Les Américains s’en tirant mieux grâce au boom de l’industrie des armements, tirant profit notamment de l’approvisionnement énergétique du Vieux Continent. Et puis ils se trouvent fort loin de cette malheureuse Ukraine, même s’ils y tirent les ficelles depuis 2014. Comme le confirme une retentissante enquête du New York Times qui décrit l’implantation depuis cette date de nombreux centres sophistiqués de la CIA à la frontière de la Russie mise ainsi sous étroit contrôle. Qui peut s’étonner qu’elle se soit vue menacée?
Autre constat étonnant: la discrétion de l’ONU. Elle est certes paralysée au Conseil de sécurité par le droit de veto. Mais ses voix fortes, ses agences humanitaires s’expriment peu, à la différence du conflit au Moyen-Orient. Or la souffrance des Ukrainiens est immense à tant d’égards. Celle des hommes russes envoyés au combat et celle de leurs familles l’est aussi. Les journalistes sur le terrain en parlent. Pas les Onusiens. Ce serait un comble que pour eux aussi le mot paix soit devenu tabou.
Qui prendra le relais et préparera le terrain pour de sérieuses négociations, inévitables tôt ou tard? La Suisse s’y est bien mal prise, alignée les yeux fermés sur l’un des camps. L’Europe? On a vu qu’elle est à côté de la plaque. La Chine, sympathisante de la Russie mais qui ose demander la fin du conflit? Ah non… Elle est le pôle désigné par les Etats-Unis pour l’autre à venir, pour la grande guerre froide. Ou chaude.
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Il va jusqu’à promettre une ambassade à Jérusalem… où l’on n’est guère convaincu par ce nouvel allié proclamé. Ses seuls ennemis, dit-il, ce sont l’Iran et le Hezbollah. Et n’a pas un mot quant aux bombes israéliennes qui pleuvent sur son territoire ni sur la présence de Tsahal aux portes de Damas. Silence aussi devant les exactions et les assassinats commis par ses partisans, rapportés sur le net, image à l’appui. En outre, il est prévu de mijoter une nouvelle constitution. La «République arabe syrienne» devrait s’appeler «Etat islamique de Syrie».</p> <p>On peut comprendre la satisfaction des Américains et des Européens voyant que la Russie et l’Iran sont bannis des lieux. Mais comment peuvent-ils peindre ainsi en rose la nouvelle situation? Sans penser aux désastreux précédents de l’Irak, de la Libye?</p> <p>En fait, ce n’est pas totalement surprenant. Lorsque la guerre civile fut déclenchée en 2011, ce sont les mêmes forces islamistes qui prirent très tôt le relais des manifestants qui réclamaient la démocratie, brutalisés par la police d’Assad. Elles furent soutenues aveuglément, des années durant, par plusieurs pays arabes et européens. Ce fut atroce. Un demi-million de morts, dit-on. Sous le double feu du dictateur criminel, certes, et celui des insurgés barbus. Des dizaines de millions d’exilés fuyant la fureur des uns et des autres.</p> <p>N’entrons pas ici dans les spéculations sur l’avenir, sur les desseins des puissances qui, de fait, s’emparent du pays, qui s’agitent au fil de leurs ambitions géopolitiques et économiques. Sans parler du pétrole, exploité par les Américains sur la partie kurde… Qu’il nous soit permis d’évoquer plutôt un souvenir. Cinq ans avant la guerre, un voyage inoubliable en Syrie. Un prêtre nous faisait visiter Alep, tous les quartiers, animés et relativement prospères. Nous parlions avec tous. Conscients d’être dans une dictature, nous constations que chacun exprimait sans peur sa foi, son appartenance. Nous avions visité l’admirable mosquée des Omeyyades à Damas. Nous nous sommes étonnés auprès de deux jeunes filles de voir tant de monde, des familles en sortie, un dimanche et non un vendredi. Elles éclatèrent de rire: «Mais c’est le jour de Pâques!». Comme Noël, les jours de fêtes chrétiennes sont officiellement fériés en Syrie. Jusqu’à quand?</p> <p>Le prêtre d’Alep, devenu un ami, qui vit aujourd’hui en France, n’a pas le cœur à applaudir le tournant actuel. Il s’est exilé avec les siens après que sa fille de dix-huit ans ait été débarquée d’un bus, violée et assassinée parce qu’elle portait une croix autour du cou. Par des «rebelles modérés» comme on disait à l’époque. 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Des contingents étrangers sont sur place, notamment avec environ 1000 soldats français. </p> <p>Alors évidemment Georgescu est un gêneur. Il ne veut pas quitter l’OTAN, mais considère que l’intérêt de la Roumanie, c’est l’arrêt au plus vite de la guerre. Ce qui lui vaut aussitôt chez nous l’étiquette de pro-russe. Il s’oppose aussi à une dépense prévue de 6,5 milliards de dollars pour l’achat d’une flotte de FA-35 dans un pays où le quart de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. On voit dès lors qui veut sa peau, au-delà des appareils politiques locaux accrochés à leurs pouvoirs et leurs privilèges. </p> <p>L’impertinent aggrave encore son cas avec sa revendication d’un meilleur contrôle et d’une plus forte imposition des sociétés internationales (notamment américaines, françaises, autrichiennes, kazakhs, émiratis... et russes) qui exploitent les considérables ressources minières de la Roumanie, pétrole et gaz en tête. Le discours nationaliste passe bien ailleurs et fort mal là… A noter qu’il ne souhaite nullement la sortie de l’UE mais souhaite y défendre mieux les intérêts de son pays. Comme à peu près tous. </p> <h3><strong>Portrait d’un personnage peu banal</strong></h3> <p>L’image caricaturale qui nous est proposée de ce personnage peu banal est à côté de la plaque. Cet ingénieur agronome écologiste a fait carrière dans les institutions de son pays et aux Nations Unies (avec un passage à Genève). Il maîtrise son propos, plutôt mesuré. Mais avec le sens de la formule. Par exemple, à propos des partis traditionnels qui ont connu bien des cas de magouilles et de corruptions: «ils essuient leurs bottes sales sur le visage de la démocratie!»</p> <p>C’est un conservateur comme on en trouve en France, en Allemagne. Avec en plus des préoccupations sociales, en particulier dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la condition paysanne. Et aussi des manies, il est vrai, une fixation sur l’affreux Davos, le redoutable Soros. Un penchant religieux aussi et même mystique. Grand défenseur de la famille traditionnelle, mais pas opposé à l’avortement et aux couples homosexuels. Attentif, et c’est rare, aux minorités, tels les Hongrois sur sol roumain ou les Roms. Ses refrains préférés tournent autour de la défense du peuple roumain, du rassemblement de tous, du redressement d’un pays resté pauvre malgré de réels progrès économiques aux bénéfices trop inégalement répartis. On apprécie ou pas le bonhomme, mais pas de quoi le maudire… ou l’enfermer, ou l’exiler comme en rêvent les plus exaltés de ses adversaires. Certains sont allés jusqu’à couper l’eau et l’électricité de son domicile. A quoi Georgescu réagit avec le sourire et rassure, il restera sur internet et le débat, le combat continueront. 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Certes, Biden n’est plus en état de lire le livre de Christopher Clark, mais il est douteux que Trump connaisse toutes les dimensions du mot somnambule.</p> <p><strong>En Ukraine</strong>, le président Zelensky, si porteur d’espoir à son élection, devenu un héros à la suite de l’agression russe, titube aujourd’hui. Enfermé dans son discours, il ne sait comment répondre au désir de paix, au ras-le-bol de son peuple devant les souffrances endurées, sous un régime de surcroît corrompu et autoritaire. Aucune guerre ne peut se prolonger lorsque des policiers doivent pourchasser dans les rues les hommes qui se cachent pour ne pas prendre les armes. Certes, Zelensky vient de faire un pas vers l’idée de négociation, mais son obsession du rattachement à l’OTAN la condamne d’avance. </p> <p><strong>Même en Pologne</strong>, le gouvernement de centre-droit de Donald Tusk fait sa petite crise de somnambulisme. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
9 Commentaires
@Maryvon 01.03.2024 | 10h22
«En effet, comme vous le soulignez en conclusion de votre article, il n'y a pas de réelle volonté en Europe et aux Etats-Unis pour ouvrir des perspectives à de sérieuses négociations. Au contraire, certains souhaiteraient une troisième guerre mondiale, peut-être s'ennuient-ils ? Si M. Macron a posé une bonne question, il ne l'a sans doute pas fait exprès. Je m'inquiète du manque de cohésion et de vision dont font preuve les dirigeants de l'UE. Visiblement les "collaborateurs" du Président Macron ne sont même pas consultés avant que ce dernier ne fasse une déclaration fracassante. A l'évidence, il n'y a pas d'autre solution que de trouver très rapidement un accord entre la Russie et l'Ukraine. Malheureusement, nous ne pouvons plus compter sur la diplomatie suisse qui a échoué lamentablement dans ce processus.»
@simone 01.03.2024 | 15h55
«Merci d'avoir écrit ce qu'on n'a ni lu ni entendu dans les médias ordinaires!»
@willoft 01.03.2024 | 16h48
«La France essaie de persuader sa population qu'elle encore leader.
Bon, on les connait les frogs.
Mais plus inquiétant l'Allemagne part en lambeaux.
Il en allait de même après le krach de 1929...»
@markefrem 02.03.2024 | 07h43
«Bien sûr, personne ne souhaite la guerre, tout le monde veut la paix. Négocier est le mot-clé. Mais comment espérer négocier honnêtement avec un fou furieux, sans foi ni loi, qui signera sournoisement en obtenant le maximum, et poursuivra son obsession conquérante quelque temps plus tard, lui ou celui qui lui succédera, encore bien pire que lui !»
@Chan clear 02.03.2024 | 11h09
«Avec recul j’en viens à me demander si les politiques ne sont pas dépassés par les lobbies et trust mondiaux qui veulent investir et attendent que l’Ukraine soit entière rasée pour en faire des cités du futur sans absolument aucun état d’âme pour la souffrance humaine qui ne passe pas au premier plan., honnêtement connait on les accords de ces milliards de francs « prêtés « à l’Ukraine qui, ne seront jamais remboursés d’une manière ou d’une autre….. c’est peut être ça la peur des dirigeants, tout perdre si la Russie met un stop à cette macabre guerre. Parfois on a l’impression qu’on nous prend pour des C…….ns sorry !»
@markefrem 02.03.2024 | 14h51
«PS - Si les Alliés avaient négocié avec Hitler, où en serions-nous ???? Seule une victoire nette et sans appel réglera le problème, rendant impossible toute velléité d'expansion vers l'Ouest sur le temps long !!!»
@willoft 02.03.2024 | 19h42
«La France c'est Judith Godrecht.
Vingt ans à se taire et faire la promotion de son film...
"Je parle, mais personne ne m'écoute"»
@hermes 05.03.2024 | 20h11
«Cher Monsieur Pilet, il y a une chose que vous ne comprenez pas ou ne voulez pas comprendre: Poutine n’a pas seulement déclenché une guerre de territoires, il a déclenché une guerre contre nos démocraties qu’il déteste. Or vous passez votre temps à dire qu’il faut négocier. Ah bien, et avec qui? Avec un fou, une ordure, un mafieux, un cynique et un fourbe? Macron a eu parfaitement raison de mettre tout le monde face aux réalités: à Poutine d’arrêter de nous prendre pour des cons et aux Européens de cesser de jouer aux faux-ciuls.»
@stef 23.03.2024 | 12h14
«Réponse à Hermes:
Fou, ordure, cynique, fourbe, tous ces qualificatifs dont vous affublez Poutine conviennent tout aussi bien à Ursula von der La Hyène ainsi qu'à la plupart des dirigeants occidentaux !
Lors de négociations, on ne parle pas qu'avec les présidents mais aussi et surtout avec des négociateurs, qui ont - comme les diplomates - des manières plus "civilisées" de discuter afin de trouver un accord.
Il est bien clair que l'on ne va pas mettre Zelensky face à Poutine, ces deux-là ne sont pas aptes à discuter ensemble.
Dommage d'ailleurs que la Suisse se soit alignée sur l'UE, car ils auraient pu donner leurs bons offices... NEUTRES... Trop tard...
Un appel général au cessez-le-feu, comme pour la guerre israélo-palestinienne, devrait émaner de l'ONU et de tous pays, pour faire pression, et envoyer des casques bleus sur le front pour surveiller ce cessez-le-feu, comme en Corée ou à Chypre.»