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Actuel / Mohamed Merah, mars 2012: le procès d’un long silence

Antoine Menusier

2 octobre 2017

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Mohamed Merah n’est plus là pour répondre de ses actes. Le procès qui s’ouvre pour un mois ce lundi à Paris devant la cour d’assises spéciale pour les crimes de terrorisme juge Abdelkader Merah, 35 ans, l’un de ses frères. Il est accusé de complicité d’assassinats et de tentative d’assassinat sur un quatrième soldat blessé par son cadet et depuis tétraplégique. Il encourt la perpétuité.



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Du 11 au 19 mars 2012, à Toulouse et Montauban, dans le Sud-Ouest de la France, celui que les médias vont d’abord appeler le «tueur au scooter», sans connaître encore son identité, tue froidement, par balles, trois militaires et quatre juifs – un adulte et trois enfants. Le 22, après plus de trente heures de siège, les policiers du Raid l’abattent lors de l’assaut donné à son appartement toulousain où il s’est retranché. Le procès qui s’ouvre pour un mois ce lundi à Paris devant la cour d’assises spéciale pour les crimes de terrorisme (lire encadré) juge Abdelkader Merah, 35 ans, l’un de ses frères. Il est accusé de complicité d’assassinats et de tentative d’assassinat sur un quatrième soldat blessé par son cadet et depuis tétraplégique. Il encourt la perpétuité. Me Eric Dupond-Moretti, la star des avocats pénalistes, le défend. Comparaît un deuxième homme, Fettah M., 34 ans, notamment pour fourniture d’armes. Il risque 20 ans de prison.

Jusqu’à l’identification du meurtrier, tardive, après ses derniers forfaits – il porte un casque lorsqu’il tue –, trois pistes sont envisagées: celle du règlement de compte, celle de l’extrême droite, celle de l’islamisme armé. C’est la dernière qui s’impose, comme on s’en doute après l’ultime attaque, perpétrée le 19 mars 2012 aux abords et à l’intérieur d’une école juive.

Abdelkader Merah cherchera certainement à minimiser autant que possible ses liens avec son frère. Des faits établis sont toutefois de nature à l’accabler. Durant les jours de tuerie, et alors qu’une chasse à l’homme est déclenchée, Mohamed et Abdelkader Merah se voient à au moins trois reprises, indique Le Monde dans son édition de dimanche-lundi. Autre chose: Abdelkader, lors de sa première comparution devant un juge, semble approuver les assassinats de son cadet: «Je suis fier de la façon dont il est mort, il est mort en combattant, c’est ce que nous dit le Coran.»

L'énorme malaise

Le procès qui commence et durera cinq semaines est bien sûr celui de deux hommes, surtout l’un, Abdelkader Merah, qui représente en quelque sorte son frère. Mais il est aussi celui d’un certain déni. Longtemps, on n’a pas vu ou pas voulu voir qu’une rancœur fortement teintée d’antisémitisme et de rejet de la France couvait chez une partie des musulmans, principalement chez des jeunes. Sur les réseaux sociaux, le tueur qui a grandi aux Izards, une cité de Toulouse, devenu un ghetto comme beaucoup d’autres endroits en France, reçoit des acclamations. Inquiétant, et révélateur d’un énorme malaise. Inquiétante, aussi, et révélatrice d’un malaise également, la réaction de médias communautaires.

«L’avocate de Merah aurait des preuves de son innocence», «Le mystérieux déplacement de Mohamed Merah en Israël», «L’affaire Merah ouvre les vannes de la stigmatisation», «Mohamed Merah n’était pas du tout religieux selon son avocat». Ce sont là quelques-uns des titres d’articles parus sur des sites musulmans français dans les jours qui ont suivi la mort de Mohamed Merah.

Incrédulité, soupçon de manipulation sioniste, crainte du discrédit, déploiement d’un cordon sanitaire pour protéger l’islam: les assassinats perpétrés par Mohamed Merah touchent à ce point à des tabous et dénis chez une partie des musulmans que la diversion médiatique, alors, s’organise. Le procès devrait permettre de les lever un peu plus. En effet, entre-temps, une prise de conscience a eu lieu, certes pas partout, sur les causes idéologiques de ces forfaits.

«Les Gaulois, les fromages, sont devenus aujourd'hui des mécréants»

«Des salafistes diffusaient ouvertement leur message de haine, j’en ai été témoin, la France selon eux deviendrait musulmane. Mes frères Mohamed et Kader (Abdelkader) ont baigné là-dedans, ils y croyaient. Mohamed n’en avait rien à faire de la politique, de la loi française, seule la loi de Dieu lui importait. Les salafistes qui retournaient la tête des jeunes avaient la partie relativement facile. Ils leur disaient: en Algérie, on vous considère comme des Français, en France comme des Arabes, venez chez nous! A l’époque, on appelait les Français les Gaulois ou les fromages, rapport au fait qu’ils nous appelaient les beurs. Aujourd’hui, ce n’est plus ni Gaulois, ni fromages, mais mécréants. Il était clair que les mécréants n’iraient pas au paradis, mais moi je pensais que les non-musulmans aussi pourraient aller au paradis.»

Ces mots sont ceux d’Abdelghani Merah, l’aîné des frères, 40 ans, l’un des rares membres de la fratrie à avoir rompu avec ce milieu familial délétère, dès avant mars 2012. Nous l’avions rencontré à Nice. C’était à l’occasion d’un reportage pour «L’Hebdo», quelques jours après l’attentat djihadiste qui avait tué 86 personnes sur la promenade des Anglais. Il sera appelé à témoigner au procès.

Un ressentiment anti-français, une hostilité aux «mécréants», une haine des juifs: Abdelghani Merah affirme avoir baigné dans ce liquide idéologique. Plus jeune, il avait épousé une femme ayant des origines juives. Un sacrilège aux yeux des siens, explique-t-il. «J’espère qu’Abdelkader Merah reconnaîtra la description que je vous fais là», dit-il à propos de ce frère qui le maltraitait et dont le procès établira peut-être s’il a fait plus que contribuer aux attentats du cadet Mohamed, s’il les a pensés ou poussé son auteur à les commettre. Il était semble-t-il l’idéologue de la famille. L’une des sœurs, Souad, serait partie rejoindre l’Etat islamique avant d’en revenir, non pas pour la France, mais, selon Abdelghani, pour l’Algérie, où vit désormais le père.

Abdelkader l’accusé et Mohamed auraient appartenu à la «communauté d’Artigat», dans l’Ariège, dirigée par l’«émir blanc» Olivier Corel, de son vrai nom Abdel Ilat al-Dandachi, né en 1946 à Homs, en Syrie, qu’il fuira pour échapper aux persécutions d’Assad frappant les Frères musulmans. Cet islamiste d’obédience salafiste est soupçonné d’avoir radicalisé de futurs djihadistes, mais il n’a jamais été condamné pour avoir participé à l’envoi de jeunes en Syrie, indiquait en décembre 2015 le site de la radio France Inter. Rappelons qu’on distingue deux formes de salafisme: l’un dit quiétiste, non violent, l’autre, djihadiste, appelant au combat.

Pas un «loup solitaire»

Si Mohamed Merah est à l’évidence un cas particulier parmi d’autres cas particuliers, il n’est pas le «loup solitaire» qu’une France inquiète s’est d’abord figuré. Les musulmans – si l’on peut parler en termes de catégorie – sont comme rentrés dans leur coquille à la suite de ces assassinats. Bien peu se sont interrogés publiquement – il était risqué de le faire – sur ce que cela disait d’un certain état de l’islam entre des mains malintentionnées et d’un antisémitisme parfois virulent au sein de la jeunesse propalestinienne. Il a fallu attendre les attentats anti-«Charlie» et anti-juifs de janvier 2015 à Paris pour que ces sujets soient évoqués à plus large échelle et fassent l’objet d’un travail d’information et de prévention, notamment dans les écoles. Auparavant, c’est une musulmane, Latifa Ibn Ziaten, mère du premier soldat tué par Mohamed Merah, qui avait pris son bâton de pèlerin pour prôner la paix et le dialogue interreligieux. Toute la difficulté de l’entreprise – et le procès d’Abdelkader Merah n’y échappera sûrement pas – consiste à identifier les causes sans que cela culpabilise les musulmans.


Qu'est-ce qu'une cour d'assises «spéciale»?

Exception du droit français, la cour d’assises spéciale (parce que spécialement composée) est compétente pour statuer sur les crimes commis en matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants en bande organisée. Explications d'Ulrika Weiss, substitut général auprès de la cour d’appel de Paris.

La cour d'assise de Paris. © DR

Crée en 1982, en remplacement de la Cour de sûreté de l’Etat, pourquoi et comment cette juridiction s’est imposée au système judiciaire?
La compétence de la cour d’assises spécialement composée a été étendue par une loi du 9 septembre 1986, au jugement des crimes et délits connexes commis en matière de terrorisme. Avant cette loi du 9 septembre 1986, les crimes de terrorisme étaient jugés par une cour d’assises « normale » composée de magistrats professionnels et d’un jury, tiré au sort.
Au cours de l’année 1986, la cour d’assises de Paris siégeait pour juger des faits de terrorisme et au cours de cette audience, des jurés ont été menacés par les accusés. Le lendemain de ces menaces, certains jurés ont refusé de siéger et le procès a du être renvoyé. C’est la raison qui a conduit le législateur à faire juger les crimes de terrorisme par des magistrats professionnels. 

Quelles sont les principaux éléments qui la singularisent d’une cour d’assises de droit commun?
Cette cour d’assises spécialement composée, ne réunit que des magistrats professionnels: 7 en première instance, et 9 en appel.
C’est une cour d’assises spécialement composée, qui siège à Paris, qui juge l’ensemble des crimes terroristes commis sur le territoire national.
Combien de jugements a-t-elle prononcés?
La cour d’assises spéciale juge un peu moins d’une dizaine d’affaires par an. Chaque audience dure au moins 5 jours et peut se prolonger jusqu’à six semaines en fonction de la complexité de l’affaire et du nombre d’accusés jugés.
Peut-on faire appel de ses jugements et auquel cas quelle juridiction est compétente?
L’appel existe également contre un arrêt rendu en première instance par une cour d’appel spécialement composée. C’est une cour d’assises composée de neuf magistrats, différents de ceux qui ont siégé en première instance, qui jugera cette affaire en appel. Le ministère public, c'est-à-dire l’Avocat Général qui requiert, peut être le même qu’en première instance: c’est le principe de l’unité et de l’indivisibilité du ministère public.

Source: Ministère de la Justice                                                                        


Précédemment dans Bon pour la tête

Avignon fait ressurgir deux Merah: Abdelghani le bon et Mohamed le méchant, par Antoine Menusier


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