Média indocile – nouvelle formule
Antoine Menusier
Antoine Menusier
Auteur de l'essai «Le livre des indésirés: une histoire des Arabes en France» (Le Cerf, 2019)
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A vif / En finir avec Hanouna, mais après?
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Né en 1950 à Constantine, issu de la communauté juive algérienne, partie avec les pieds-noirs à l’indépendance en 1962, Stora était investi d’une mission réconciliatrice par le président de la République. A la fin de son travail, l’historien émet une série de préconisations. Et l’on entre alors dans le vif du sujet: l’action.</p> <p>La première de ces préconisations, qui rappelle la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud, l’Instance Vérité et Dignité en Tunisie, est la constitution d’une «Commission "Mémoires et vérité" chargée d’impulser des initiatives communes entre la France et l’Algérie sur les questions de mémoires». La <em>vérité</em>. Pas de réconciliation sans vérité sur les exactions passées, croit-on.</p> <p>Mais la vérité n’est pas seulement question de faits, elle intéresse aussi le sens. Or deux sens ne peuvent cohabiter. Pas d’en-même-temps possible: la douleur d’un camp ne peut valoir celle de l’autre. 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Le cas franco-algérien renvoie à la spécificité de la guerre d’Algérie, plus sensible sur un plan mémoriel que les guerres franco-allemandes.</p> <p>La guerre d’Algérie, combat décolonial, lutte pour la libération, fut probablement moins une guerre classique entre deux nations qu’une guerre civile à l’intérieur d’un même territoire. Opposant deux populations d’inégal statut, certes, et ce n’est pas rien, mais ayant toute deux un caractère civil. De là, sans doute, le refus, longtemps, de nommer par le terme de guerre ce qui était appelé sous le nom d’événements.</p> <p>C’est pourquoi la vérité (qui la dit? selon quels critères?) peut être, aussi, parfois, l’ennemi de la réconciliation, celle-ci étant par nature toujours un peu artificielle. 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Analyse / L’islamisme n’existe pas, il n’y a pas eu d’attentats
Loi confortant les principes républicains, actuellement débattue en France; rapport Stora sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie: quand la qualification des actes est enjeu de pouvoir, accessoirement de paix.
Antoine Menusier
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Un <i>mansplaining</i> en mode solidaire, bien sûr. Je serais même tenté d’y voir un peu plus que cela: un <i>manembracing</i> virant au <i>manembarrassing</i>. Autrement dit: une défense à ce point appuyée qu’elle en devient gênante.</p> <p>Gabriel Bender a le zèle du converti. Du converti au féminisme. C’est l’impression qu’il donne. Comme s’il devait montrer, à lui-même et au monde, qu’il est du bon côté. Celui des dominés, en l’occurrence des dominées. Militantisme et sociologie – sa discipline – ne font plus qu’un dans un certain nombre de domaines de recherche. En première année de «socio», on apprenait pourtant à distinguer le discours de l’acteur de celui de l’observateur.</p> <p>Ce précieux conseil, qui permet d’entretenir la veille démocratique, ne semble plus partagé par tous les observateurs des phénomènes de société. La prose «féministe» de Gabriel Bender rend compte d’une confusion des statuts certainement volontaire. Chez lui, les termes du combat paraissent ne pas devoir être discutés, celui de patriarcat, par exemple. Or ce n’est pas parce que le patriarcat existe en tant que phénomène historique que le mot n’est pas utilisé dans la période actuelle comme une ressource discursive mise au service d’un intérêt.</p> <p>Contrairement à quelques-uns éprouvant le besoin d’exposer leur vertu, je n’ai pas pour habitude de dire dans un texte ce que je pense profondément. Parce que je me dis qu’un individu, au hasard, un lecteur, une lectrice, peut parfaitement faire crédit à un autre individu de son appartenance à la bonne part de l’humanité même si ce dernier dévie, autrement dit s’accorde le droit de questionner des tendances. Le fait de dévier, de pouvoir le faire, est gage de bonne santé démocratique. Cela ne veut pas dire qu’on est en droit d’imposer son point de vue aux autres. Bref, le débat est un acquis précieux, et cette réponse à Gabriel Bender y participe.</p> <hr /> <p style="text-align: center;"><strong>Lire aussi</strong>: <em><a href="https://bonpourlatete.com/analyses/mise-au-pas-du-patriarcat-a-la-rts" target="_blank" rel="noopener">Mise au pas du patriarcat à la RTS</a></em></p> <hr /> <p>Alors, qu’est-ce que je pense du harcèlement? Comme la plupart des gens, je pense que c’est intolérable. Je pense aussi que la «drague» en entreprise, lourde ou légère, est une mauvaise chose. Je dénonce le machisme et la beauferie. Je me souviens, mais là on part sur #metoogay, de trois journalistes causant politique avant une échéance électorale: l’un d’eux avait usé du mot «pédoque» pour évoquer un élu romand. C’était moche, j’avais envie de l’insulter. Tout ça pour dire que je suis heureux qu’une certaine tenue comportementale et verbale – «un homme ça s’empêche», merci Albert Camus – devienne la règle. Ce changement, on le doit aux féministes. 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Un <i>mansplaining</i> en mode solidaire, bien sûr. Je serais même tenté d’y voir un peu plus que cela: un <i>manembracing</i> virant au <i>manembarrassing</i>. Autrement dit: une défense à ce point appuyée qu’elle en devient gênante.</p> <p>Gabriel Bender a le zèle du converti. Du converti au féminisme. C’est l’impression qu’il donne. Comme s’il devait montrer, à lui-même et au monde, qu’il est du bon côté. Celui des dominés, en l’occurrence des dominées. Militantisme et sociologie – sa discipline – ne font plus qu’un dans un certain nombre de domaines de recherche. En première année de «socio», on apprenait pourtant à distinguer le discours de l’acteur de celui de l’observateur.</p> <p>Ce précieux conseil, qui permet d’entretenir la veille démocratique, ne semble plus partagé par tous les observateurs des phénomènes de société. La prose «féministe» de Gabriel Bender rend compte d’une confusion des statuts certainement volontaire. Chez lui, les termes du combat paraissent ne pas devoir être discutés, celui de patriarcat, par exemple. Or ce n’est pas parce que le patriarcat existe en tant que phénomène historique que le mot n’est pas utilisé dans la période actuelle comme une ressource discursive mise au service d’un intérêt.</p> <p>Contrairement à quelques-uns éprouvant le besoin d’exposer leur vertu, je n’ai pas pour habitude de dire dans un texte ce que je pense profondément. Parce que je me dis qu’un individu, au hasard, un lecteur, une lectrice, peut parfaitement faire crédit à un autre individu de son appartenance à la bonne part de l’humanité même si ce dernier dévie, autrement dit s’accorde le droit de questionner des tendances. Le fait de dévier, de pouvoir le faire, est gage de bonne santé démocratique. Cela ne veut pas dire qu’on est en droit d’imposer son point de vue aux autres. 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Actuel / Les femmes aussi font de la politique, vous savez…
Réponse à Gabriel Bender, sociologue et écrivain.
Antoine Menusier
B Article réservé aux abonnés
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Qu’est-ce que cela révèle de ce vote, à cet endroit bien précis, celui des limites géographiques et politiques d’un pays, en sa partie francophone?</p> <p>A Courgenay, dans cette Ajoie s’enfonçant tel un saillant dans les départements français du Doubs et du Territoire de Belfort, 65,4% des habitants ont voté en faveur de l’initiative soutenue par l’UDC et une partie de la gauche (<a href="https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/votations/20210307/initiative-populaire-oui-a-l-interdiction-de-se-dissimuler-le-visage.html" target="_blank" rel="noopener">cliquez ici</a> pour avoir accès à la carte interactive). Un score de cinq points supérieur à la moyenne cantonale jurassienne, 60,7% de oui, la plus élevée des dix-neuf cantons qui ont approuvé le texte.</p> <p>Des trois districts du canton du Jura, celui de Porrentruy, qui épouse la carte de l’Ajoie, dont la particularité est d’avoir avec la France le double de frontière qu’il n’en a avec la Suisse, affiche le plus haut taux d’acceptation, 64,7%. A la pointe du saillant, Bure, la commune qui héberge la place d’armes du même nom, se hisse à la première place du district avec 76% de oui. Mais c’est dans le district de Delémont que le record est atteint: la petite localité d’Ederswiler, frontalière avec le Haut-Rhin, a accordé 82,93% de ses votes au oui à l’initiative.</p> <p>Que comprendre de ce «vote des frontières», massif dans le canton du Jura, massif encore dans les cantons de Neuchâtel et de Vaud, marqué également dans le canton de Genève, pour un texte combattant un phénomène, le voile intégral, sans doute inexistant dans ces contrées et rarissime à l’échelle de la Suisse?</p> <p>Avant d’en venir aux hypothèses, continuons sur notre sentier des douaniers. Dans le canton de Neuchâtel, le district du Val-de-Travers produit les plus hauts scores. La «palme» revient à La Côte-aux-Fées avec 74,5% de oui. Aux Verrières, commune limitrophe de Pontarlier, sous-préfecture du Doubs, le taux d’acceptation est de 67,6%.</p> <p>Dans le canton de Vaud, la Vallée-de-Joux, comme le district de Porrentruy dans le canton du Jura, plébiscite le oui: 64,2% au Chenit, 68,5% à L’Abbaye, moins au Lieu, 55,7% quand même. Dans le district de Nyon, moins reculé, les moyennes des communes frontalières sont plus basses d’environ 10 points, s’établissant autour de 54%. La Rippe, qui rejette l’initiative avec 52% des voix, fait une notable exception dans cette partie vaudoise unanimement contre le voile intégral.</p> <p>Le canton de Genève, maintenant. Canton-ville avec arrière-pays campagnard. La plupart des communes frontalières approuvent le texte. Spécialement celles de l’extrême sud-ouest, qui, comme l’Ajoie dans le canton du Jura, forment un saillant dans les départements français de l’Ain et de la Haute-Savoie. 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Mais parfois une votation – ou une pandémie – suffit à les rétablir. C’est ce qui s’est passé dimanche avec la «burqa», l’initiative interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, acceptée à 51,2% par le peuple. Un score relativement modeste qui cache de fortes disparités. Sans le vote des métropoles, favorables au non, le texte aurait été approuvé bien plus largement. En Suisse romande, les communes frontalières de la France ont plébiscité le oui. Qu’est-ce que cela révèle de ce vote, à cet endroit bien précis, celui des limites géographiques et politiques d’un pays, en sa partie francophone?</p> <p>A Courgenay, dans cette Ajoie s’enfonçant tel un saillant dans les départements français du Doubs et du Territoire de Belfort, 65,4% des habitants ont voté en faveur de l’initiative soutenue par l’UDC et une partie de la gauche (<a href="https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/votations/20210307/initiative-populaire-oui-a-l-interdiction-de-se-dissimuler-le-visage.html" target="_blank" rel="noopener">cliquez ici</a> pour avoir accès à la carte interactive). Un score de cinq points supérieur à la moyenne cantonale jurassienne, 60,7% de oui, la plus élevée des dix-neuf cantons qui ont approuvé le texte.</p> <p>Des trois districts du canton du Jura, celui de Porrentruy, qui épouse la carte de l’Ajoie, dont la particularité est d’avoir avec la France le double de frontière qu’il n’en a avec la Suisse, affiche le plus haut taux d’acceptation, 64,7%. A la pointe du saillant, Bure, la commune qui héberge la place d’armes du même nom, se hisse à la première place du district avec 76% de oui. Mais c’est dans le district de Delémont que le record est atteint: la petite localité d’Ederswiler, frontalière avec le Haut-Rhin, a accordé 82,93% de ses votes au oui à l’initiative.</p> <p>Que comprendre de ce «vote des frontières», massif dans le canton du Jura, massif encore dans les cantons de Neuchâtel et de Vaud, marqué également dans le canton de Genève, pour un texte combattant un phénomène, le voile intégral, sans doute inexistant dans ces contrées et rarissime à l’échelle de la Suisse?</p> <p>Avant d’en venir aux hypothèses, continuons sur notre sentier des douaniers. Dans le canton de Neuchâtel, le district du Val-de-Travers produit les plus hauts scores. La «palme» revient à La Côte-aux-Fées avec 74,5% de oui. Aux Verrières, commune limitrophe de Pontarlier, sous-préfecture du Doubs, le taux d’acceptation est de 67,6%.</p> <p>Dans le canton de Vaud, la Vallée-de-Joux, comme le district de Porrentruy dans le canton du Jura, plébiscite le oui: 64,2% au Chenit, 68,5% à L’Abbaye, moins au Lieu, 55,7% quand même. Dans le district de Nyon, moins reculé, les moyennes des communes frontalières sont plus basses d’environ 10 points, s’établissant autour de 54%. La Rippe, qui rejette l’initiative avec 52% des voix, fait une notable exception dans cette partie vaudoise unanimement contre le voile intégral.</p> <p>Le canton de Genève, maintenant. Canton-ville avec arrière-pays campagnard. La plupart des communes frontalières approuvent le texte. Spécialement celles de l’extrême sud-ouest, qui, comme l’Ajoie dans le canton du Jura, forment un saillant dans les départements français de l’Ain et de la Haute-Savoie. Bardonnex, localité munie d’un important poste-frontière, détient semble-t-il le record cantonal avec 57% de oui. A part la commune de Genève proprement dite (44,8% de oui) et de certaines localités en direction du canton de Vaud, peut-être un peu plus bourgeoises que le reste du canton de Genève, toutes les autres ou presque acceptent l’initiative.</p> <p>Le Valais, en partie frontalier avec la France, a voté oui à 58,3%, deuxième taux le plus élevé en Suisse romande derrière le Jura. La commune limitrophe de Saint-Gingolph, à la pointe sud-est du lac Léman, détient avec 70,5% des voix l’un des plus hauts scores du canton.</p> <p>Alors, pourquoi ce oui franc et souvent massif des communes frontalières à l’initiative dite anti-«burqa»? Notons au passage que de nombreuses localités de l’«intérieur» de la Suisse romande, spécialement dans la Broye, l’ont également fortement approuvée.</p> <p>Alors, est-ce par «islamophobie»? Ce terme, dont l’islam politique est féru, a plusieurs acceptions. C’est son problème comme sa force. Il englobe et confond la critique, la crainte et le rejet de l’islam. Mais on peut penser que le «vote des frontières» à l’initiative qui nous occupe renferme une part de crainte, voire de rejet de la religion musulmane, en tous les cas de ses formes apparaissant comme radicales ou intolérantes.</p> <p>Notre hypothèse, elle, est qu’il faut envisager ce vote frontalier romand comme le résultat d’une association d’idées: niqab=islam, islam=danger, danger=France. Cet enchaînement peut certainement valoir aussi, selon des modalités propres, avec d’autres pays limitrophes de la Suisse – la chose est frappante dans le canton de Saint-Gall, qui fait face à l’Autriche, visée le 12 novembre par un attentat djihadiste à Vienne.</p> <p>Ne nous cachons pas la réalité: nombreux sont les Suisses à avoir de la France une image cauchemardesque, ou du moins dégradée. Pour rien au monde, ils ne voudraient être français, ni connaître ce que la France, singulièrement cette «France voisine» – proche mais tenue à distance comme tout voisin – connaît: le chômage, la délinquance, un rapport exacerbé à l’islam, globalement, des problèmes paraissant insolubles.</p> <hr /> <p style="text-align: center;"><strong>Lire aussi</strong>: <em><a href="https://bonpourlatete.com/analyses/islamisme-france-suisse-le-vrai-sujet-qui-fache" target="_blank" rel="noopener">Islamisme France-Suisse: le vrai sujet qui fâche</a></em></p> <hr /> <p>Les communes romandes frontalières, spécialement celles de fort passage, spécialement celles situées en zones rurales, spécialement enfin celles qui n’ont pas avec la France de «barrière naturelle» – une rivière, un fort dénivelé forestier ou montagneux –, s’estiment aux premières loges d’un danger réel, exagéré ou fantasmé dont elles entendent se prémunir. Les habitants de ces localités se considèrent vulnérables, ils voient dans la frontière une protection contre des périls, le rôle même d’une frontière.</p> <p>Deux épisodes de délinquance remontant à l’été dernier renforcent cette hypothèse: l’un a touché la «<a href="https://bonpourlatete.com/actuel/la-suisse-c-est-un-autre-monde-faut-dire-la-verite" target="_blank" rel="noopener">piscine de Porrentruy</a>», en Ajoie, lorsque des «racailles» (terme chargé de sous-entendus) venues de quartiers sensibles de France voisine ont commis des incivilités dans l’enceinte du bassin bruntrutain; <a href="https://bonpourlatete.com/actuel/neuchatel-veut-que-l-algerie-reprenne-ses-delinquants-sans-papiers" target="_blank" rel="noopener">un autre</a> a fait grimper les chiffres de la délinquance semble-t-il comme rarement sur le littoral neuchâtelois, lorsque des mineurs ou jeunes majeurs isolés essentiellement originaires du Maghreb, certains d’entre eux étant en réalité originaires de France, ont commis des rapines.</p> <p>Les urnes électorales sont en quelque sorte nos lieux d’aisance démocratiques. S’y déversent nos peurs, nos inquiétudes, qui peuvent être fondées, tout ce «ça» refoulé en temps normal et qui trouve là, dans l’intimité de l’isoloir, une occasion de s’exprimer. 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Actuel / Vote massif aux frontières contre le voile intégral
Dimanche dernier, les communes romandes limitrophes de la France ont dans leur grande majorité fortement accepté l’initiative interdisant la
Antoine Menusier
B Article réservé aux abonnés
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Mise en ligne mercredi dernier par la RTS, elle a fait parler jusque sur le plateau de Pascal Praud, l’animateur polémiste de la chaîne française CNews. Le mot de féminisme n’y figure pas, mais son propos s’inscrit à n’en pas douter dans ce combat. Prenant à témoin le public, elle met le personnel devant le fait accompli. Soit l’adoption progressive à l’antenne du langage épicène, non genré, dit aussi inclusif. Des formations à cet effet seront dispensées au personnel de la RTS. Décision de la direction.</p> <h3>Les mauvaises façons de parler</h3> <p>La forme de cette vidéo aussi brève que parlante ne manque pas de punch. Elle aurait même un petit côté intimidant, à moins qu’il ne s’agisse de vertueuse contrition, en affichant, exemples «maison» à l’appui, les mauvaises façons de parler au regard des bonnes. Ces manières directes n’ont pas plu au producteur et présentateur de l’émission <em>Infrarouge</em>, Alexis Favre. Un «scandale», a-t-il twitté, avant de se mettre d’accord sur le terme «maladroit» avec le rédacteur en chef des rédactions sport de la RTS, Massimo Lorenzi. Mais eux et les autres sont prévenus. A l’avenir, ils comme elles ne diront plus «Bonjour à tous», mais «Bonjour à toutes et à tous». Mieux: «Bonjour et bienvenue».</p> <p>Comme l’explique à <em>Bon pour la tête</em> Valérie Vuille, directrice de l’agence DécadréE, qui intervient dans la vidéo, «l’expression "Bonjour et bienvenue" ouvre à la non-binarité, elle est en ce sens plus incluante que "Bonjour à toutes et à tous".» Ce qui doit disparaître, c’est donc le «Bonjour à tous», mais aussi le «Mademoiselle» ou le trop entendu «médecins et infirmières», qui peut être avantageusement remplacé par «personnel soignant». De même bannira-t-on «les Genevois ont voté» au profit du non genré «Genève a voté». Sexisme, domination masculine, patriarcat, quel que soit le nom qu’on lui donne, l’actuel cadre de reproduction sociale, jugé inégalitaire, «andro-centré», autrement dit pas assez «neutre», doit changer et ce changement passe par le langage, dont dépendent grandement les représentations du monde.</p> <p>La question, sous ses aspects progressistes, se voulant de la sorte inattaquable, est politique et donc soumise au débat légitime. Elle a le visage d’une révolution sinon culturelle, du moins anthropologique. Elle divise dans les médias libéraux ou de centre gauche, du <em>Monde</em> à <em>Libération</em> en passant par <em>Le Temps</em>, et certainement au sein de la «Tour» à Genève.</p> <h3>Charte de bonne conduite</h3> <p>Cette évolution souhaitée par la direction de la RTS s’accompagne non seulement d’un guide langagier mais aussi d’une charte de bonne conduite. Si le guide, qui se rapporte à la façon de parler, était plus ou moins attendu par le personnel depuis la naissance d’un «collectif» issu de la grève des femmes de 2019, la charte, elle, date du 10 décembre dernier, soit après la parution de l’enquête du <em>Temps</em> du 31 octobre faisant état de cas de mobbing et de harcèlement sexuel à la RTS.</p> <p>Si cette charte appelle à lutter contre de tels comportements, qui tombent sous le coup de la loi, elle contient aussi des dispositions de nature culturelle, qui pourraient, selon les cas, être jugées comme attentatoires au libre exercice de la profession de journaliste, de réalisateur et réalisatrice. Comment comprendre cette invitation à «limiter et questionner les stéréotypes dans les fictions produites ou co-produites, tout en respectant la liberté d’autrices et d’auteurs»? 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Jointe par téléphone, la porte-parole de la RTS Emmanuelle Jaquet dément ces sous-entendus, tout en précisant que «les premières communications au sujet de cette enquête auront lieu par l’entremise de la SSR à compter de mi avril.»</p> <p>Un professeur de sciences-politiques à l’Université de Lausanne, François Masnata, un intellectuel de gauche attachant tout autant qu’énervant, aujourd’hui disparu, enseignait deux notions présentées comme cardinales à ses étudiants: tout était selon lui rapports de force et intérêts. 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Analyse / Mise au pas du patriarcat à la RTS
Vidéo promouvant le langage inclusif, charte de bonne conduite et de bonne pensée: la direction de la chaîne romande agit de façon pratique et
Antoine Menusier
B Article réservé aux abonnés
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Certes, le chef d’abus de position d’autorité (comme dans le cas d’un professeur vis-à-vis de son élève sexuellement majeur mais civilement mineur) pourrait être théoriquement envisagé au vu de ses contacts, principalement virtuels, sans que cela débouche sur une relation à proprement parler, avec un adolescent de 16 ans. Mais s’agit-il là d’un rapport d’autorité, si oui, ancré dans un cadre professionnel? Notons qu’aucune plainte n’a jusqu’ici été déposée, ou alors elle est inconnue du public. L’absence de plainte n’est pas un critère en soi suffisant pour refuser de s’interroger sur la nature de la conduite du journaliste avec de jeunes gens. Mais cette interrogation doit-elle être traduite publiquement? Dans l’affirmative, avec cette profusion de détails? Notons encore que le ministère public genevois, autant que nous le sachions, n’a pour l’heure pas poursuivi.</p> <hr /> <p style="text-align: center;"><strong>Lire aussi</strong>: <a href="https://bonpourlatete.com/analyses/les-dessous-peu-reluisants-de-la-rts-ssr" target="_blank" rel="noopener"><em>Les dessous peu reluisants de la RTS/SSR</em></a></p> <hr /> <p>Le paradoxe, dans l’ensemble des affaires rassemblées dans l’enquête du <i>Temps</i>, tient à ce que la personne ayant le plus à perdre en terme de réputation est Darius Rochebin. Celle dont le comportement général, au vu des faits relatés, se rapporte pourtant le moins à l’entreprise de mobbing et de harcèlement sexuel telle que décrite au sein de la RTS. Il se pourrait donc que le journaliste, du fait même de son statut médiatique, de l’«amour» que des téléspectateurs lui portaient, ait à payer plus lourdement que d’anciens collègues de travail harceleurs et mobbeurs présumés. 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C’est sa prétendue «déviance» qu’il paie aujourd’hui d’une disgrâce. </p> <h3>«Outé» malgré lui</h3> <p>Un bon pédé est un pédé rangé, et surtout assumé, aurait-on tendance à comprendre entre les lignes. A notre connaissance, les associations LGBT n’ont pas volé au secours de Darius Rochebin. Cet hétéro «à la ville» est pourtant «outé» dans l’enquête, même si tout le monde paraît-il dans le landerneau savait, «pour Darius». Mais l’époque, côté LGBT, est en quête d’égalité des droits, partant, de respectabilité. En soi une bonne chose. Sauf que pour beaucoup encore, et les LGBT le savent au premier chef, cela reste difficile d’être gay ou lesbienne, même entouré de l’affection de ses proches. La «fierté» est aussi, parfois, ce surjeu masquant une identité qui ne va pas de soi.</p> <p>Il ne faudrait pas, parce que le cas «Darius» entrerait dans cette soi-disant «zone grise», celle des rapports entre individus séparés par une grande différence d’âge, qu’il ne bénéficie pas de l’attention bienveillante – et pour peu qu’on demeure dans le cadre de la loi – d’associations dont la mission est de soutenir les gays, lesbiennes et transgenres face à la mauvaise humeur publique. Les «histoires» d’adultes avec de jeunes gens sexuellement majeurs ne peuvent pas toujours être aussi géniales que dans le film <em>Call Me By Your Name</em>.</p> <p>Retournons la perspective: et si c’était précisément en raison du caractère «glauque» de la «story Rochebin», glauque mais dans les limites de la loi jusqu’à preuve du contraire, qu’il aurait fallu taire le nom du journaliste, chercher à le protéger, lui, quoiqu’on pense de son «commerce amoureux» dont il n’apparaît pas qu’il fut très heureux? 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Bref, et toujours en se fondant sur l’enquête du <i>Temps</i>, le lecteur se dit: voilà un notable médiatique qui essaie de se faire des petits jeunes. C’est possible, mais ces jeunes gens sont majeurs civilement ou sexuellement aux yeux de la loi.</p> <p>Le cadre étant posé, sommes-nous sûrs que cette part de la vie d’un homme, que cette part nous regarde, nous, lecteurs et citoyens?</p> <p>Il n’est nullement question de minimiser le malaise, voire le traumatisme qu’ont pu ressentir et que ressentent peut-être encore tout ou partie des jeunes hommes approchés par l’ex-présentateur de la RTS, et dans un scénario «à l’ancienne», le père de l’un d’eux aurait pu rendre une visite se voulant dissuasive à la star.</p> <p>Ces agissements (drague, faux comptes Facebook, rencontres ambiguës au café ou sur le lieu de travail), légaux mais qui paraîtront immoraux à certains, justifient-ils que le nom de leur auteur soit dévoilé dans la presse? La proportionnalité est-elle atteinte? Il nous semble que non.</p> <p>Pourquoi? Parce qu’il faut mettre ces «révélations» en balance avec les conséquences encourues, qui ne peuvent être que gravement préjudiciables pour le mis en cause. A fortiori dans le contexte post-#Metoo, celui de la libération de la parole, souvent synonyme de déchéance sociale, celle-ci devant compenser dans de nombreux cas un jugement pénal impossible à rendre en raison de la prescription de faits imputés, généralement graves.</p> <h3>L'intérêt public</h3> <p>Dans le cas de Darius Rochebin, la proportionnalité constituant l’intérêt public est d’autant moins patente, que ses agissements présumés, dans leur ensemble, ne tombent <i>a priori</i> pas – en l’état des informations connues – sous le coup de la loi, à l’exception des «gestes déplacés» définis en droit comme des agression sexuelles, gestes qui toutefois ne semblent pas avoir eu pour moteur et finalité un système de pouvoir harceleur par ailleurs dénoncé.</p> <p>Chez Darius Rochebin, il n’est question ni d’inceste, ni de pédophilie, ni de viol. Certes, le chef d’abus de position d’autorité (comme dans le cas d’un professeur vis-à-vis de son élève sexuellement majeur mais civilement mineur) pourrait être théoriquement envisagé au vu de ses contacts, principalement virtuels, sans que cela débouche sur une relation à proprement parler, avec un adolescent de 16 ans. Mais s’agit-il là d’un rapport d’autorité, si oui, ancré dans un cadre professionnel? Notons qu’aucune plainte n’a jusqu’ici été déposée, ou alors elle est inconnue du public. L’absence de plainte n’est pas un critère en soi suffisant pour refuser de s’interroger sur la nature de la conduite du journaliste avec de jeunes gens. Mais cette interrogation doit-elle être traduite publiquement? Dans l’affirmative, avec cette profusion de détails? Notons encore que le ministère public genevois, autant que nous le sachions, n’a pour l’heure pas poursuivi.</p> <hr /> <p style="text-align: center;"><strong>Lire aussi</strong>: <a href="https://bonpourlatete.com/analyses/les-dessous-peu-reluisants-de-la-rts-ssr" target="_blank" rel="noopener"><em>Les dessous peu reluisants de la RTS/SSR</em></a></p> <hr /> <p>Le paradoxe, dans l’ensemble des affaires rassemblées dans l’enquête du <i>Temps</i>, tient à ce que la personne ayant le plus à perdre en terme de réputation est Darius Rochebin. Celle dont le comportement général, au vu des faits relatés, se rapporte pourtant le moins à l’entreprise de mobbing et de harcèlement sexuel telle que décrite au sein de la RTS. Il se pourrait donc que le journaliste, du fait même de son statut médiatique, de l’«amour» que des téléspectateurs lui portaient, ait à payer plus lourdement que d’anciens collègues de travail harceleurs et mobbeurs présumés. Pour la raison que sa vie sexuelle a été exposée comme dans ses moindres recoins.</p> <p>Nous sommes au cœur du sujet «Rochebin». Le luxe de détails fournis sur ses goûts sexuels, ses travaux d’approche, ses fantasmes présumés, ce qui relève en principe de la plus haute intimité en régime démocratique et aussi longtemps que la loi n’est pas enfreinte, pèsent pour beaucoup dans la réprobation tacite pesant sur un homme, évincé pour l’heure temporairement de l’antenne de LCI, qui s’accorde le temps de voir la suite… Sous quel jour apparaît désormais Darius Rochebin aux yeux des plus prompts à juger? Sous celui d’un «pervers», d’un «gros dégueulasse», d’un «homo refoulé»… D’un «pédo» pour les plus expéditifs, parce qu’il serait trop vieux pour coucher avec des petits jeunes, même majeurs. C’est sa prétendue «déviance» qu’il paie aujourd’hui d’une disgrâce. </p> <h3>«Outé» malgré lui</h3> <p>Un bon pédé est un pédé rangé, et surtout assumé, aurait-on tendance à comprendre entre les lignes. A notre connaissance, les associations LGBT n’ont pas volé au secours de Darius Rochebin. Cet hétéro «à la ville» est pourtant «outé» dans l’enquête, même si tout le monde paraît-il dans le landerneau savait, «pour Darius». Mais l’époque, côté LGBT, est en quête d’égalité des droits, partant, de respectabilité. En soi une bonne chose. Sauf que pour beaucoup encore, et les LGBT le savent au premier chef, cela reste difficile d’être gay ou lesbienne, même entouré de l’affection de ses proches. La «fierté» est aussi, parfois, ce surjeu masquant une identité qui ne va pas de soi.</p> <p>Il ne faudrait pas, parce que le cas «Darius» entrerait dans cette soi-disant «zone grise», celle des rapports entre individus séparés par une grande différence d’âge, qu’il ne bénéficie pas de l’attention bienveillante – et pour peu qu’on demeure dans le cadre de la loi – d’associations dont la mission est de soutenir les gays, lesbiennes et transgenres face à la mauvaise humeur publique. Les «histoires» d’adultes avec de jeunes gens sexuellement majeurs ne peuvent pas toujours être aussi géniales que dans le film <em>Call Me By Your Name</em>.</p> <p>Retournons la perspective: et si c’était précisément en raison du caractère «glauque» de la «story Rochebin», glauque mais dans les limites de la loi jusqu’à preuve du contraire, qu’il aurait fallu taire le nom du journaliste, chercher à le protéger, lui, quoiqu’on pense de son «commerce amoureux» dont il n’apparaît pas qu’il fut très heureux? Bien sûr, on se dit que cela n’était pas durable, qu’il en allait de la réputation de la chaîne, de celle de Darius Rochebin lui-même et du bien-être de jeunes hommes pouvant mal vivre des rapports de ce type. La RTS aurait peut-être dû mettre son collaborateur en demeure de cesser des relations impliquant peu ou prou la chaîne.</p> <h3>«Il n’a pas été à la hauteur.»</h3> <p>Dans l’enquête du <i>Temps</i>, un seul jugement de valeur. On le trouve dans l’éditorial du 31 octobre. «Le Romand, est-il écrit à propos de Darius Rochebin, est connu loin à la ronde pour sa réussite professionnelle et incarne encore aujourd’hui, dans l’esprit de certains téléspectateurs, la RTS en Suisse et à l’étranger. Ce statut lui donne de grandes responsabilités: il fait figure de modèle pour la profession et le grand public. Il n’a pas été à la hauteur.»</p> <p>C’est donc et uniquement parce qu’il n’aurait pas été<em> à la hauteur</em> d’un devoir corrélé à son statut de star modèle que son nom devait être cité. Cette phrase sonne étrangement. Depuis quand une vedette du petit écran ou une personne en vue se doit d’avoir une sexualité irréprochable? A partir de quelle position sociale et de quel comportement sexuel demeurant légal encourt-on des reproches pouvant faire l’objet de révélations publiques?</p> <p>Le 3 janvier, jour marquant son entrée en fonction, Madeleine von Holzen, la nouvelle rédactrice en chef du <i>Temps</i>, semblait prendre la mesure du danger de l’époque, où coupables confirmés et présumés innocents passent sans distinction à la trappe. Elle écrivait: «A l’heure de la "culture de l’annulation", conduisant certaines personnes à s’effacer sous l’effet de meute sur les réseaux sociaux, le débat est devenu difficile. A-t-on le droit de ne pas être d’accord? Quelles sont les limites de la prise de parole à contre-courant?»</p> <p>Beaucoup demandent des têtes. Beaucoup en veulent à l’élite. Une élite en crise, où les places sont devenues chères faute de croissance, une élite qui passe pour un repère de pédocriminels aux yeux des plus remontés. Alors l’«élite», qu’elle soit de gauche ou de droite, autrement dit et en principe la garante de nos libertés fondamentales, se résout de temps à autre à sacrifier l’un des siens pour calmer le «peuple». Quand les faits incriminés tombent sous le coup de la loi, la chose ne se discute pas. 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Analyse / Darius Rochebin, l’homme qui n’avait pas une sexualité «irréprochable»
Le présent article se base sur les faits rapportés par l’enquête du Temps du 31 octobre révélant des situations de mobbing et de harcèlement sexuel à
Antoine Menusier
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Son frère se trouvait à l’école juive Ozar Hatorah de Toulouse lorsque Mohamed Merah y a abattu quatre personnes en mars 2012. Sa mère, cachée chez des bonnes sœurs pendant la guerre, est une fidèle cliente de l’épicerie parisienne Hyper Cacher, théâtre, le 7 janvier 2015, deux jours après la tuerie à <em>Charlie Hebdo</em>, d’une attaque antisémite qui a fait, là aussi, quatre morts. Dessinateur au journal <em>Le Parisien</em>, né en 1959 à Calais, Olivier Ranson, juif par sa mère et par choix, se confie sur sa relation au judaïsme, dit son opposition aux religions, revendique son sionisme en «solidarité» avec Israël. Cet homme n’a pas peur. Est-ce bien raisonnable?</p> <p><strong>Le 9 août 1982, le groupe Abou Nidal, une dissidence de l’OLP, commet un attentat rue des Rosiers, dans le Marais, à Paris. Le restaurant juif Goldenberg est visé. Il y a six morts. Parmi eux, ton oncle. Comment apprends-tu la nouvelle?</strong></p> <p>A l’époque, j’habite Strasbourg. Je reçois un coup de téléphone de ma mère. «Il y a eu un attentat, ton oncle André est mort.» J’ai pris le train du soir pour Paris. Le frère de ma mère travaillait dans le restaurant Jo Goldenberg, une institution dans le Marais, le lieu comme le bonhomme. Mon oncle était lui-même lié par une aïeule aux Rosenberg.</p> <p><strong>Tu as donc des origines ashkénazes?</strong></p> <p>Ne crois pas tout ce que je dis sur Facebook. Je ne suis pas, par ma mère, que ladino, autrement dit un judéo-espagnol. Le père de Jo Goldenberg était le frère de mon arrière-grand-mère. Les Goldenberg sont originaires d’Ukraine, du côté d’Odessa. A la fin du XIXe siècle, cette arrière-grand-mère est partie, passant par la Turquie, pour les Etats-Unis. Elle s’y est mariée, son mari est mort, elle est revenue en Turquie, à Istanbul, qu’on appelait encore Constantinople dans certains cercles. Elle s’y est remariée avec celui qui était mon arrière-grand-père, un juif ladino du nom de Rozanes. Elle et lui sont venus en France peu avant la fin de l’empire ottoman. Une autre souche de mon ascendance juive porte le nom de Niego, des ladinos originaires de Turquie également.</p> <p><strong>Tu as 23 ans en 1982. Es-tu sensible alors à la question antisémite?</strong></p> <p>Oui. A l’époque, j’étais dans le milieu juif religieux. On subissait de temps en temps de l’antisémitisme. De toute façon, dans ma famille, on a toujours connu l’antisémitisme. Ma grand-mère, qui avait fait la guerre, avait été arrêtée et avait failli être déportée, ne voulait pas trop qu’on parle de ça. Nous étions des juifs très assimilés qui se sont tournés vers la religion, à mon grand regret, je le reconnais, c’est une faute.</p> <h3><strong>«Je conçois que lorsque tu es musulman en France, confronté à la suspicion ou au mépris, tu aies envie d’être fier de tes origines»</strong></h3> <p><strong>Le fait de t’être toi-même investi dans la religion peut t’amener à comprendre que d’autres, côté musulman, dans la deuxième génération de l’immigration maghrébine, l’équivalent, si l’on veut bien, des fils et filles de juifs de l’après-guerre, aient fait de même.</strong></p> <p>Oui, je peux comprendre. A un moment donné, on a besoin de se chercher une identité à travers ce qu’on a et que, pour faire sartrien, on nous impose aussi. Avant-guerre – j’exprime là une opinion personnelle – être juif était une sorte de fatalité. Tu avais le choix entre le rester ou rompre avec ce legs. Après-guerre, je pense que tu es marqué, que tu es l’héritier d’une histoire, à laquelle il est plus difficile d’échapper. Je conçois que lorsque tu es musulman en France, dès lors qu’on te regarde avec suspicion ou mépris, tu aies envie d’être fier de tes origines. Je me souviens qu’un livreur de Darty (<em>enseigne d’électro-ménager, ndlr.</em>), qui venait d’installer chez nous une machine à laver et à qui nous proposions un café ou un jus d’orange, avait répondu: «Non, je ne peux pas, c’est ramadan.» Je me suis dit qu’il s’était imposé des règles pour montrer qu’il avait une personne et qu’il n’était pas qu’un simple employé ou un quidam anonyme.</p> <p><strong>Cela ne te rend pas plus indulgent pour la religion.</strong></p> <p>Je pense que la religion est un abus en toutes circonstances. Ceux qui disent: «C’est comme cela et pas autrement qu’il faut être juif» sont des ignorants et des escrocs, comme le sont les imams qui imposent à leurs ouailles une manière d’être musulman.</p> <p><strong>Comment as-tu réagi à l’annonce, début décembre, de l’extradition de la Norvège vers la France de Walid Abdulrahman Abou Zayed, 61 ans, d’origine palestinienne, l’un des auteurs présumés de l’attentat de la rue des Rosiers?</strong></p> <p>Je peux te dire que ça remue beaucoup mon cousin, le fils de l’oncle décédé dans l’attaque, dont je suis très proche. La différence entre lui et moi, c’est que lui n’est pas juif – sa mère ne l’est pas, contrairement à la mienne. «Je vais mal dormir», m’a-t-il dit, sachant le suspect enfin extradé. J’ai répliqué: «Si ça peut te consoler, pense à lui qui va dormir en prison avec une couverture qui gratte.»</p> <p><strong>Peu après l’attentat de 1982, le renseignement français avait conclu un accord avec le groupe Abou Nidal, de façon à épargner à l’avenir la France d’actions terroristes, a-t-on appris en 2019.</strong></p> <p>Oui, il y avait un <em>deal</em>. Il y a toujours eu de la part de la France une volonté de compromission pour la raison que le Quai d’Orsay, le ministère des affaires étrangères, est une boîte à vérole.</p> <p><strong>En gros, tu reproches au Quai d’Orsay sa «politique arabe» dans laquelle Israël serait un gêneur.</strong></p> <p>Je me souviens d’un ambassadeur de France qui avait dit en 2001, parlant d’Israël: «Ce petit pays de merde». La France ne s’est jamais guérie de ses grandes ambitions sur le Proche-Orient. Or elle a profondément tout raté de ce côté-ci. Elle avait obtenu la Syrie et le Liban dans les accords Sykes-Picot de 1916. On peut considérer que pour elle et pour ces pays, ce fut des expériences catastrophiques. Les relations entretenues par la France avec beaucoup d’Etats arabes sont basées sur de l’indulgence pour les crimes. Chaque fois qu’on reproche à Israël une bavure ou une politique violente avec les Palestiniens, on oublie de parler de ce qui s’est passé ailleurs, que ce soit Septembre noir ou de massacres en Syrie. Les paravents humanistes de la France dans la région sont de la foutaise.</p> <h3><strong>«Se dire antisioniste, ça signifie vouloir déplacer 7 millions de juifs d’Israël»</strong></h3> <p><strong>Tu dois être satisfait de la politique de Trump au Proche-Orient: le transfert de l’ambassade des Etats-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem, la normalisation des relations entre Israël et des émirats arabes, dernièrement le royaume marocain.</strong></p> <p>Si j’avais été américain, autrement dit, si mon arrière-grand-mère était restée aux Etats-Unis, Trump n’aurait vraisemblablement pas été mon candidat. On a fait de lui en France un monstre. Trump y est certes allé un peu fort, mais il a obtenu des résultats. A la prochaine présidentielle en France, je voterai pour le candidat qui déplacera l’ambassade de France à Jérusalem.</p> <p><strong>Tu es un sioniste assumé. Pour l’existence d’un Etat juif. </strong></p> <p>Je pense que tout le monde devrait l’être. Parce que se dire antisioniste, ça signifie vouloir déplacer 7 millions de juifs d’Israël en leur disant qu’ils n’ont même pas le droit à un pays. Si les Palestiniens n’ont pas d’Etat, c’est parce que les Arabes ont refusé l’accord en 1947.</p> <p><strong>Tu ne peux pas faire l’impasse sur la Naqba, soit, de fait, la déportation en 1948 de centaines de milliers de Palestiniens de leurs terres, non pas vers la mort, mais vers des territoires d’exil. D’où le «droit au retour».</strong></p> <p>A cet argument, que je peux entendre, je rappelle qu’il y a aujourd’hui 20% d’Arabes en Israël. On n’a pas cette proportion en France. Donc la France est mal placée pour donner des leçons. Quant aux Palestiniens disposant du statut de réfugiés, reconductible de génération en génération, je constate que ceux qui sont restés dans les pays arabes ont été transformés en armes diplomatiques. On mettra aussi le droit au retour des Palestiniens dans la balance avec le million et demi de juifs chassés des pays arabes. Ces juifs se sont intégrés ailleurs. Pourquoi les Palestiniens ne l’ont pas fait?</p> <h3><strong>«Je ne vais pas commettre un attentat contre des Suisses parce que le compte numéroté de mes grands-parents a disparu»</strong></h3> <p><strong>Juifs chassés en réaction à la création de l’Etat d’Israël…</strong></p> <p>Je ne dis pas le contraire. Mais la réaction nationaliste de ces pays qui consiste à chasser des juifs de chez eux, parce qu’ils ne peuvent pas atteindre ceux déjà en Israël, c’est la même chose que la réaction terroriste qui consiste à attaquer des civils dans un endroit parce que le gouvernement de cet endroit a fait quelque chose qui a déplu. Ce genre de représailles, on le tolère, mais c’est aberrant. Mon oncle a été tué par le commando Abou Nidal parce que la Syrie n’était pas contente que la France ait sauvé Arafat en l’extrayant du Liban. Je rappelle que Mohamed Merah a tué des enfants juifs à l’école Ozar Hatorah de Toulouse pour venger des enfants palestiniens. Je ne vais pas commettre un attentat contre des Suisses parce que le compte numéroté de mes grands-parents a disparu.</p> <p><strong>Les bombardements israéliens en juillet 2014 ont tué beaucoup d’enfants palestiniens à Gaza. On se souvient en particulier d’une école où seize enfants avaient trouvé la mort dans l’un d’eux.</strong></p> <p>Enfants que le Hamas utilisait comme boucliers humains, alors qu’Israël avertissait des cibles qu’il allait viser pour en évacuer les civils à temps. On n’entend pas grand-monde lorsque le Hamas balance des rockets en Israël, cherchant à tuer au hasard. On ne va quand même pas, nous juifs, reprocher aux Palestiniens de ne pas réussir à tuer des juifs.</p> <p><strong>Ton frère est présent dans l’école juive Ozar Hatorah lorsque Mohamed Merah y tue quatre personnes, dont trois enfants. </strong></p> <p>Mon frère Nicolas y scolarisait ses enfants, qu’il venait de déposer ce matin-là. Il a essayé de ranimer la petite Myriam Monsonégo. J’ai croisé le père de cette petite au mariage de mon neveu en Israël en 2017. Après l’attentat, mon frère est parti vivre à Jérusalem.</p> <h3><strong>«J’ai pensé recourir aux services d’un marabout pour me désenvoûter»</strong></h3> <p><strong>Quand cet attentat a eu lieu, as-t-u repensé à celui de la rue des Rosiers, perpétré trente ans plus tôt?</strong></p> <p>Oui. C’est une sorte de continuum. Il y aussi <em>Charlie Hebdo</em> et deux jours plus tard l’Hyper Cacher en janvier 2015. Tous les attentats islamistes en Europe me ramènent d’une certaine manière à celui de 1982. Le 17 août 2017, je séjourne en touriste avec des amis à Barcelone. Nous venons de quitter les Ramblas quand un attentat meurtrier y est commis. Ce jour-là, nous avons croisé des gens qui allaient vers leur mort. Une fille m’a demandé si j’avais besoin d’une aide psychologique. Mais compte tenu du nombre d’attentats qui ont touché mon entourage, j’ai plutôt pensé recourir aux services d’un marabout pour me désenvoûter.</p> <p><strong>Le 7 janvier 2015, tu t’es inquiété pour ta mère, fidèle cliente de l’Hyper Cacher cible ce jour-là d’un attentat qui fait quatre morts.</strong></p> <p>Oui, ma mère, qui à mon grand regret mange casher, n’était heureusement pas présente dans ce magasin à l’heure de l’attentat. Ma mère est religieuse, elle l’est restée. Moi pas. A Kippour, et ce n’est pas une blague, je vais toujours manger au Pied de cochon, une célèbre brasserie du quartier des Halles à Paris. Je prône une identité juive, qui n’est pas celle de la religion juive. Ma mère mange donc casher. Et pour tout te dire en matière d’humour, ma mère, qui est de 1936, a été baptisée pendant la guerre. Elle vivait cachée dans une école de bonnes sœurs en Normandie. Cette école n’a pas eu la médaille des Justes parce qu’elle baptisait les enfants juifs. Plus tard, pour embêter ma mère, je lui ai dit: «Tu as été baptisée, c’est un sacrement inaliénable, je te ferai enterrer en terre chrétienne et un samedi pour que tu roules en corbillard le jour du shabbat.»</p> <h3><strong>«Ma mère, après la guerre, comme beaucoup de sa génération, ne savait pas ce qu’être juif voulait dire»</strong></h3> <p><strong>Ta mère épouse après la guerre un non-juif. Car ton père et ton nom, eux, ne sont pas juifs.</strong></p> <p>Effectivement, Ranson, ce n’est pas juif, c’est ch’ti, du Nord de la France. Ma mère, après la guerre, comme beaucoup de sa génération, ne savait pas ce qu’être juif voulait dire. C’est seulement après avoir divorcé de mon père qu’elle s’est tournée vers le judaïsme religieux. Elle nous a entraînés, moi et mon frère cadet, dans ce monde-là. Elle y a trouvé une sécurité et un réconfort que moi je dénonce, personnellement. Je n’aime pas ce milieu.</p> <p><strong>Que faisait M. Ranson?</strong></p> <p>Il est aujourd’hui retraité. Il louait des voitures avec chauffeur.</p> <p><strong>A 18-20 ans, étais-tu bagarreur? </strong></p> <p>Non, je n’étais pas une racaille feuj, si c’est ta question. Moi, je voulais faire du dessin. Mais j’ai fait de la boxe et j’ai toujours tenu à en imposer pour ne pas avoir à me servir de mes poings. Je me souviens avoir eu des altercations antisémites lorsque j’étais élève à la yeshiva d’Aix-les-Bains, avec des jeunes gars du coin, des petites racailles blanches, des ploucs. A l’école juive, on nous disait de ne surtout pas répondre aux provocations. J’avais pour eux une sorte de mépris. Je pense qu’ils ne savaient pas vraiment le sens du mot «juif». Ça rassurait ces pauvres cons de croire qu’ils pouvaient emmerder les juifs comme on emmerdait à l’époque et après les homos. Pour eux, on était une minorité, une cible, un bouc-émissaire. Autre anecdote: un jour, lorsque je travaillais pour <em>Le Matin de Paris</em>, un journal de gauche rempli de gauchistes, l’un de ses journalistes m’a dit: «Tsahal (l’armée israélienne), c’est comme la Wehrmacht.» Ça m’a énervé. Je lui ai proposé d’aller en discuter en bas de l’immeuble. Il m’a répondu: «Je suis contre toute forme de violence. » Jeune, je n’étais pas ce qu’on peut appeler un militant sioniste. Je suis devenu un sioniste solidaire depuis que l’antisionisme, cette escroquerie, a tout envahi.</p> <h3><strong>«Mon identité juive répond à mes angoisses»</strong></h3> <p><strong>Ne penses-tu pas que la manifestation d’un antisémitisme décomplexé, parfois violent et même mortel, côté arabe ou musulman, a été une divine surprise pour les antisémites, si l’on peut dire habituels, côté européen, qui ont pu trouver là un paravent à leur propre penchant?</strong></p> <p>Bien sûr, et puis l’antisionisme a permis en quelque sorte de démocratiser l’antisémitisme, comme l’avait remarqué le philosophe Vladimir Jankélévitch. Je vais te raconter quelque chose: un jour, un cousin du côté de ma belle-famille, qui n’est pas juive, m’a demandé pourquoi je m’affichais comme juif en société, en recourant notamment à tout un arsenal de blagues juives. 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Nous étions des juifs très assimilés qui se sont tournés vers la religion, à mon grand regret, je le reconnais, c’est une faute.</p> <h3><strong>«Je conçois que lorsque tu es musulman en France, confronté à la suspicion ou au mépris, tu aies envie d’être fier de tes origines»</strong></h3> <p><strong>Le fait de t’être toi-même investi dans la religion peut t’amener à comprendre que d’autres, côté musulman, dans la deuxième génération de l’immigration maghrébine, l’équivalent, si l’on veut bien, des fils et filles de juifs de l’après-guerre, aient fait de même.</strong></p> <p>Oui, je peux comprendre. A un moment donné, on a besoin de se chercher une identité à travers ce qu’on a et que, pour faire sartrien, on nous impose aussi. Avant-guerre – j’exprime là une opinion personnelle – être juif était une sorte de fatalité. Tu avais le choix entre le rester ou rompre avec ce legs. Après-guerre, je pense que tu es marqué, que tu es l’héritier d’une histoire, à laquelle il est plus difficile d’échapper. Je conçois que lorsque tu es musulman en France, dès lors qu’on te regarde avec suspicion ou mépris, tu aies envie d’être fier de tes origines. Je me souviens qu’un livreur de Darty (<em>enseigne d’électro-ménager, ndlr.</em>), qui venait d’installer chez nous une machine à laver et à qui nous proposions un café ou un jus d’orange, avait répondu: «Non, je ne peux pas, c’est ramadan.» Je me suis dit qu’il s’était imposé des règles pour montrer qu’il avait une personne et qu’il n’était pas qu’un simple employé ou un quidam anonyme.</p> <p><strong>Cela ne te rend pas plus indulgent pour la religion.</strong></p> <p>Je pense que la religion est un abus en toutes circonstances. Ceux qui disent: «C’est comme cela et pas autrement qu’il faut être juif» sont des ignorants et des escrocs, comme le sont les imams qui imposent à leurs ouailles une manière d’être musulman.</p> <p><strong>Comment as-tu réagi à l’annonce, début décembre, de l’extradition de la Norvège vers la France de Walid Abdulrahman Abou Zayed, 61 ans, d’origine palestinienne, l’un des auteurs présumés de l’attentat de la rue des Rosiers?</strong></p> <p>Je peux te dire que ça remue beaucoup mon cousin, le fils de l’oncle décédé dans l’attaque, dont je suis très proche. La différence entre lui et moi, c’est que lui n’est pas juif – sa mère ne l’est pas, contrairement à la mienne. «Je vais mal dormir», m’a-t-il dit, sachant le suspect enfin extradé. J’ai répliqué: «Si ça peut te consoler, pense à lui qui va dormir en prison avec une couverture qui gratte.»</p> <p><strong>Peu après l’attentat de 1982, le renseignement français avait conclu un accord avec le groupe Abou Nidal, de façon à épargner à l’avenir la France d’actions terroristes, a-t-on appris en 2019.</strong></p> <p>Oui, il y avait un <em>deal</em>. Il y a toujours eu de la part de la France une volonté de compromission pour la raison que le Quai d’Orsay, le ministère des affaires étrangères, est une boîte à vérole.</p> <p><strong>En gros, tu reproches au Quai d’Orsay sa «politique arabe» dans laquelle Israël serait un gêneur.</strong></p> <p>Je me souviens d’un ambassadeur de France qui avait dit en 2001, parlant d’Israël: «Ce petit pays de merde». La France ne s’est jamais guérie de ses grandes ambitions sur le Proche-Orient. Or elle a profondément tout raté de ce côté-ci. Elle avait obtenu la Syrie et le Liban dans les accords Sykes-Picot de 1916. On peut considérer que pour elle et pour ces pays, ce fut des expériences catastrophiques. Les relations entretenues par la France avec beaucoup d’Etats arabes sont basées sur de l’indulgence pour les crimes. Chaque fois qu’on reproche à Israël une bavure ou une politique violente avec les Palestiniens, on oublie de parler de ce qui s’est passé ailleurs, que ce soit Septembre noir ou de massacres en Syrie. Les paravents humanistes de la France dans la région sont de la foutaise.</p> <h3><strong>«Se dire antisioniste, ça signifie vouloir déplacer 7 millions de juifs d’Israël»</strong></h3> <p><strong>Tu dois être satisfait de la politique de Trump au Proche-Orient: le transfert de l’ambassade des Etats-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem, la normalisation des relations entre Israël et des émirats arabes, dernièrement le royaume marocain.</strong></p> <p>Si j’avais été américain, autrement dit, si mon arrière-grand-mère était restée aux Etats-Unis, Trump n’aurait vraisemblablement pas été mon candidat. On a fait de lui en France un monstre. Trump y est certes allé un peu fort, mais il a obtenu des résultats. A la prochaine présidentielle en France, je voterai pour le candidat qui déplacera l’ambassade de France à Jérusalem.</p> <p><strong>Tu es un sioniste assumé. Pour l’existence d’un Etat juif. </strong></p> <p>Je pense que tout le monde devrait l’être. Parce que se dire antisioniste, ça signifie vouloir déplacer 7 millions de juifs d’Israël en leur disant qu’ils n’ont même pas le droit à un pays. Si les Palestiniens n’ont pas d’Etat, c’est parce que les Arabes ont refusé l’accord en 1947.</p> <p><strong>Tu ne peux pas faire l’impasse sur la Naqba, soit, de fait, la déportation en 1948 de centaines de milliers de Palestiniens de leurs terres, non pas vers la mort, mais vers des territoires d’exil. D’où le «droit au retour».</strong></p> <p>A cet argument, que je peux entendre, je rappelle qu’il y a aujourd’hui 20% d’Arabes en Israël. On n’a pas cette proportion en France. Donc la France est mal placée pour donner des leçons. Quant aux Palestiniens disposant du statut de réfugiés, reconductible de génération en génération, je constate que ceux qui sont restés dans les pays arabes ont été transformés en armes diplomatiques. On mettra aussi le droit au retour des Palestiniens dans la balance avec le million et demi de juifs chassés des pays arabes. Ces juifs se sont intégrés ailleurs. Pourquoi les Palestiniens ne l’ont pas fait?</p> <h3><strong>«Je ne vais pas commettre un attentat contre des Suisses parce que le compte numéroté de mes grands-parents a disparu»</strong></h3> <p><strong>Juifs chassés en réaction à la création de l’Etat d’Israël…</strong></p> <p>Je ne dis pas le contraire. Mais la réaction nationaliste de ces pays qui consiste à chasser des juifs de chez eux, parce qu’ils ne peuvent pas atteindre ceux déjà en Israël, c’est la même chose que la réaction terroriste qui consiste à attaquer des civils dans un endroit parce que le gouvernement de cet endroit a fait quelque chose qui a déplu. Ce genre de représailles, on le tolère, mais c’est aberrant. Mon oncle a été tué par le commando Abou Nidal parce que la Syrie n’était pas contente que la France ait sauvé Arafat en l’extrayant du Liban. Je rappelle que Mohamed Merah a tué des enfants juifs à l’école Ozar Hatorah de Toulouse pour venger des enfants palestiniens. Je ne vais pas commettre un attentat contre des Suisses parce que le compte numéroté de mes grands-parents a disparu.</p> <p><strong>Les bombardements israéliens en juillet 2014 ont tué beaucoup d’enfants palestiniens à Gaza. On se souvient en particulier d’une école où seize enfants avaient trouvé la mort dans l’un d’eux.</strong></p> <p>Enfants que le Hamas utilisait comme boucliers humains, alors qu’Israël avertissait des cibles qu’il allait viser pour en évacuer les civils à temps. On n’entend pas grand-monde lorsque le Hamas balance des rockets en Israël, cherchant à tuer au hasard. On ne va quand même pas, nous juifs, reprocher aux Palestiniens de ne pas réussir à tuer des juifs.</p> <p><strong>Ton frère est présent dans l’école juive Ozar Hatorah lorsque Mohamed Merah y tue quatre personnes, dont trois enfants. </strong></p> <p>Mon frère Nicolas y scolarisait ses enfants, qu’il venait de déposer ce matin-là. Il a essayé de ranimer la petite Myriam Monsonégo. J’ai croisé le père de cette petite au mariage de mon neveu en Israël en 2017. Après l’attentat, mon frère est parti vivre à Jérusalem.</p> <h3><strong>«J’ai pensé recourir aux services d’un marabout pour me désenvoûter»</strong></h3> <p><strong>Quand cet attentat a eu lieu, as-t-u repensé à celui de la rue des Rosiers, perpétré trente ans plus tôt?</strong></p> <p>Oui. C’est une sorte de continuum. Il y aussi <em>Charlie Hebdo</em> et deux jours plus tard l’Hyper Cacher en janvier 2015. Tous les attentats islamistes en Europe me ramènent d’une certaine manière à celui de 1982. Le 17 août 2017, je séjourne en touriste avec des amis à Barcelone. Nous venons de quitter les Ramblas quand un attentat meurtrier y est commis. Ce jour-là, nous avons croisé des gens qui allaient vers leur mort. Une fille m’a demandé si j’avais besoin d’une aide psychologique. Mais compte tenu du nombre d’attentats qui ont touché mon entourage, j’ai plutôt pensé recourir aux services d’un marabout pour me désenvoûter.</p> <p><strong>Le 7 janvier 2015, tu t’es inquiété pour ta mère, fidèle cliente de l’Hyper Cacher cible ce jour-là d’un attentat qui fait quatre morts.</strong></p> <p>Oui, ma mère, qui à mon grand regret mange casher, n’était heureusement pas présente dans ce magasin à l’heure de l’attentat. Ma mère est religieuse, elle l’est restée. Moi pas. A Kippour, et ce n’est pas une blague, je vais toujours manger au Pied de cochon, une célèbre brasserie du quartier des Halles à Paris. Je prône une identité juive, qui n’est pas celle de la religion juive. Ma mère mange donc casher. Et pour tout te dire en matière d’humour, ma mère, qui est de 1936, a été baptisée pendant la guerre. Elle vivait cachée dans une école de bonnes sœurs en Normandie. Cette école n’a pas eu la médaille des Justes parce qu’elle baptisait les enfants juifs. Plus tard, pour embêter ma mère, je lui ai dit: «Tu as été baptisée, c’est un sacrement inaliénable, je te ferai enterrer en terre chrétienne et un samedi pour que tu roules en corbillard le jour du shabbat.»</p> <h3><strong>«Ma mère, après la guerre, comme beaucoup de sa génération, ne savait pas ce qu’être juif voulait dire»</strong></h3> <p><strong>Ta mère épouse après la guerre un non-juif. Car ton père et ton nom, eux, ne sont pas juifs.</strong></p> <p>Effectivement, Ranson, ce n’est pas juif, c’est ch’ti, du Nord de la France. Ma mère, après la guerre, comme beaucoup de sa génération, ne savait pas ce qu’être juif voulait dire. C’est seulement après avoir divorcé de mon père qu’elle s’est tournée vers le judaïsme religieux. Elle nous a entraînés, moi et mon frère cadet, dans ce monde-là. Elle y a trouvé une sécurité et un réconfort que moi je dénonce, personnellement. Je n’aime pas ce milieu.</p> <p><strong>Que faisait M. Ranson?</strong></p> <p>Il est aujourd’hui retraité. Il louait des voitures avec chauffeur.</p> <p><strong>A 18-20 ans, étais-tu bagarreur? </strong></p> <p>Non, je n’étais pas une racaille feuj, si c’est ta question. Moi, je voulais faire du dessin. Mais j’ai fait de la boxe et j’ai toujours tenu à en imposer pour ne pas avoir à me servir de mes poings. Je me souviens avoir eu des altercations antisémites lorsque j’étais élève à la yeshiva d’Aix-les-Bains, avec des jeunes gars du coin, des petites racailles blanches, des ploucs. A l’école juive, on nous disait de ne surtout pas répondre aux provocations. J’avais pour eux une sorte de mépris. Je pense qu’ils ne savaient pas vraiment le sens du mot «juif». Ça rassurait ces pauvres cons de croire qu’ils pouvaient emmerder les juifs comme on emmerdait à l’époque et après les homos. Pour eux, on était une minorité, une cible, un bouc-émissaire. Autre anecdote: un jour, lorsque je travaillais pour <em>Le Matin de Paris</em>, un journal de gauche rempli de gauchistes, l’un de ses journalistes m’a dit: «Tsahal (l’armée israélienne), c’est comme la Wehrmacht.» Ça m’a énervé. Je lui ai proposé d’aller en discuter en bas de l’immeuble. Il m’a répondu: «Je suis contre toute forme de violence. » Jeune, je n’étais pas ce qu’on peut appeler un militant sioniste. Je suis devenu un sioniste solidaire depuis que l’antisionisme, cette escroquerie, a tout envahi.</p> <h3><strong>«Mon identité juive répond à mes angoisses»</strong></h3> <p><strong>Ne penses-tu pas que la manifestation d’un antisémitisme décomplexé, parfois violent et même mortel, côté arabe ou musulman, a été une divine surprise pour les antisémites, si l’on peut dire habituels, côté européen, qui ont pu trouver là un paravent à leur propre penchant?</strong></p> <p>Bien sûr, et puis l’antisionisme a permis en quelque sorte de démocratiser l’antisémitisme, comme l’avait remarqué le philosophe Vladimir Jankélévitch. Je vais te raconter quelque chose: un jour, un cousin du côté de ma belle-famille, qui n’est pas juive, m’a demandé pourquoi je m’affichais comme juif en société, en recourant notamment à tout un arsenal de blagues juives. Je lui ai répondu que c’était pour prévenir les remarques ou commentaires antisémites pouvant surgir à tout moment et pouvant gêner l’une et l’autre partie.</p> <p><strong>Est-ce que ton lien fort à Israël, le fait de te sentir et de te dire juif ne traduisent pas chez toi une culpabilité proche de celle du survivant?</strong></p> <p>Je me suis posé la question. Pour moi, être juif, quand j’étais petit, avant l’attentat de la rue des Rosiers, c’était un secret. Les histoires de la Shoah, comme elles étaient racontées de façon pleurnicharde, ça m’angoissait, ça m’oppressait. Après la rue des Rosiers, alors que je cherchais mon identité juive dans le milieu religieux, je me suis dit que je n’avais absolument pas besoin de la religion pour être juif. Il faut savoir qu’à la maison, étant marié à une non-juive, je suis la question juive un peu en solitaire. Plutôt qu’une culpabilité du survivant, mon identité juive répond à mes angoisses.</p> <p><strong>«Mais qu’est-ce que c’est que ces juifs non-religieux qui se disent juifs», entend-on parfois, avec ou sans intonation antisémite dans la voix. Est-ce du nationalisme de leur part?</strong></p> <p>Non, c’est de l’identité. De la même façon, mais je l’espère en mieux, que tous ces petits beurs qui croient que leur seule identité c’est d’être antisionistes. Ils ont besoin de ça parce qu’ils sont en déficit identitaire. S’ils apprenaient eux-mêmes leur culture, leurs racines en les abordant de façon critique, ils n’emmerderaient pas les juifs. C’est leur médiocrité, leur vacuité qui font que ces gens – je parle d’une partie, non d’un tout bien sûr – ne peuvent exister qu’en se définissant contre Miss Provence, par exemple, la dauphine du dernier concours Miss France, dont le père a entre autres des origines israéliennes. Dans la démarche, c’est tellement plouc. Ça montre que l’école n’a pas fait son boulot et que l’intégration est en partie ratée.</p> <h3><strong>«Tous ces petits merdeux qui insultent Miss Provence finiront bien par se rendre compte que c’est un cul-de-sac que d’être antisémites et antisionistes»</strong></h3> <p><strong>Sur les réseaux sociaux, tu publies, encore, des dessins représentant le «prophète». Un prophète en l’occurrence plutôt naïf, inoffensif.</strong></p> <p>Mon prophète n’est pas méchant, il n’appelle jamais au meurtre. Dans la forme, je l’ai emprunté au prophète de Luz, l’ex-dessinateur de <em>Charlie Hebdo</em>, qui, une semaine après l’attentat, avait dessiné un Mahomet disant que tout était pardonné. Le dernier dessin que j’ai fait avec cette représentation, c’est Mahomet qui dit: «L’islamophobie c’est du racisme. Regardez, on me dessine avec un nez de juif.» De la même manière qu’on entretient la flamme du soldat inconnu, on a une obligation par rapport aux dessinateurs de qui sont tombés dans l’attentat. 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Dans cette France où les juifs, en l’occurrence les séfarades, avaient entre-temps perdu leur statut de dhimmis, de soumis à l’islam, pour une vie française avec en eux le moins de complexes possibles. Les petits intolérants dont je parle ont la même réaction vis-à-vis de Miss Provence que celle des petits-blancs qui saccagent la voiture d’un Noir dans le film «Ragtime» de Milos Forman, parce qu’ils ne supportent pas qu’un Noir ait une voiture. Eux ne supportent pas que des juifs connaissent la réussite sociale alors que de leur côté, ils en chient. Cet antisémitisme-là, c’est l’expression d’une médiocrité. 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Actuel / «Je dis que je suis juif pour prévenir les remarques antisémites»
Issu d’une famille marquée par la guerre, endeuillée par le terrorisme ou l’ayant frôlé de près, le Français Olivier Ranson, dessinateur humoristique
Antoine Menusier
B Article réservé aux abonnés
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Le Jurassien Antonio Rodriguez, né en 1966 à Delémont de parents venus de Galice en Espagne, a une pensée pour eux en découvrant, du «Figaro» à «Paris Match», le bon accueil réservé aux «Larmes de ma vigne», témoignage à vif d’un vigneron chablisien adepte de la production biologique, auquel il prête une plume toute ramuzienne.', 'subtitle_edition' => null, 'content' => '<p>Avant de plonger dans les heurs et malheurs de la viticulture bio, Antonio Rodriguez a écrit deux précédents ouvrages: l’un sur l’ancien ministre Arnaud Montebourg, «L’alternative Montebourg», l’autre sur un chef pompier de Saône-et-Loire, Romain Comte, «L’appel des sirènes». Marié, père de deux filles, celui qui d’habitude se retranche dans l’anonymat du journaliste agencier, raconte ici son beau parcours, de son enfance delémontaine au temps des initiatives Schwarzenbach et du combat jurassien, à sa vie d’adulte, livrant des souvenirs émus ou drôles, donnant sa vision, «à titre personnel», de la politique et de l’économie. Interview d’un ami d’école. </p> <p><strong>Tes trois livres nous parlent d’une France de l’intérieur, travailleuse, volontaire, modeste. Pourquoi t’es-tu intéressé à cette France-là?</strong></p> <p>Les notions de travail, de courage et d’engagement sont importantes à mes yeux. Dans la chronologie de ces trois livres, il y a une évolution et un changement de perspective entre le premier d’entre eux, «L’alternative Montebourg», paru en 2016, et les deux suivants, dédiés à des individus placés à l’écart des projecteurs, le chef pompier Romain Comte et le viticulteur Denis Pommier, auquel il faut associer sa femme Isabelle. Le livre sur Montebourg, avec les cas épineux des hauts-fourneaux en Moselle et du groupe Alstom à Belfort, a été pour moi une façon de me jeter à l’eau comme journaliste. Une fois terminé, je me suis rendu compte que j’avais écrit un livre épousant un schéma classique en France, quelque chose partant de Paris pour aller en province. Une façon de parler des gens de haut en bas.</p> <p><strong>Tu as tenu à rompre avec ce schéma.</strong></p> <p>Oui. Mon intention, après Montebourg, était de faire l’inverse: aller trouver des gens, pas forcément connus, mais qui avaient une fonction, un rôle. Ce faisant, de restituer leur quotidien, de faire remonter les enjeux. En côtoyant le chef pompier Romain Comte, j’ai découvert, je le dis ici avec une certaine naïveté, que partout en France, des individus équipés d’un bip sont prêts à venir vous secourir à tout moment du jour et de la nuit. Avec Denis Pommier le vigneron, mon propos était le même : sa bouteille de vin bio, on s’en régale dans les milieux urbains, à Paris, Delémont ou Neuchâtel, mais on est loin de se rendre compte de la somme de tracas, de doutes, de nuits d’angoisse qu’elle contient. Je me suis attelé à décrire cette nature que l’on vénère, mais qui peut être tellement ingrate avec ceux qui la respectent le plus.</p> <h3><strong>«La route de la mort»</strong></h3> <p><strong>Dans «L’appel des sirènes», tu évoques cette route de sinistre réputation passant par la Saône-et-Loire du chef pompier Romain Comte, la RCEA, la route Centre-Europe-Atlantique.</strong></p> <p>La route de la mort, c’est ainsi qu’on l’appelle. En 2017, l’accident d’un car transportant des Portugais qui rentraient en Suisse avait fait quatre morts. Romain Comte avait été l’un des premiers sur les lieux du drame. Ce tragique fait divers m’a replongé dans mon enfance. La RCEA était la route que je prenais avec mes parents pour aller en vacances en Galice. Un an plus tôt, sur le même axe, un précédent accident avait fait seize morts. C’étaient aussi des Portugais, partis de Suisse pour passer le week-end de Pâques au Portugal. Ils étaient entassés dans une camionnette sans vitres, comme des migrants voyageant clandestinement au sein de l’Union européenne. Eh bien là, ces conditions de transport inhumaines étaient le lot de ressortissants européens.</p> <p><strong>Qu’est-ce que tu trouves de remarquable ou de touchant chez les personnes dont tu dresses les portraits?</strong></p> <p>Elles m’intéressent parce qu’elles sont proches du terrain. Parce qu’elles produisent. Soit des services de première nécessité, comme Romain Comte, soit de la marchandise, comme Denis Pommier. Pas comme les intermédiaires qui eux ne produisent rien mais touchent parfois beaucoup d’argent. Quand le laboratoire américain Pfizer annonce l’arrivée sur le marché d’un vaccin contre la Covid, moi, ce qui m’intéresse, c’est l’histoire du couple turco-allemand qui a découvert ce vaccin et non pas les cinq millions de stock-options que va empocher le PDG de Pfizer.</p> <p><strong>Les deux Allemands d’origine turque, un homme et une femme, sont eux-mêmes aujourd’hui milliardaires…</strong></p> <p>Ils sont peut-être devenus milliardaires avec leur PME, mais c’est leur parcours que j’ai envie de raconter et qui échappe jusqu’à un certain point au monde de la finance.</p> <h3><strong>«C’était la France qui fait rêver»</strong></h3> <p><strong>Il y a une dizaine d’années est apparue une lecture différente de la crise française avec la notion de «France périphérique» qu’on doit au géographe Christophe Guilluy et qui désigne un ensemble de territoires comme exclus des bénéfices de la mondialisation. Est-ce que tu es sensible à cette perception?</strong></p> <p>Oui, complètement. Je reprends l’exemple de la route de la mort, la RCEA. C’était celle des terroirs. Je me rappelle, enfant, de ces panneaux indiquant les grands vins de bourgogne et de bordeaux, les fromages, les églises romanes. C’était la France qui fait rêver. Quand j’ai repris cette route pour « L’appel des sirènes », d’autres panneaux avaient fait leur apparition : non à la fermeture de telle usine, non à la fermeture de telle maternité, non à la fermeture de telle gare, etc. En trente ans, cette France périphérique a changé, elle s’est abîmée. Ce récit d’une dégradation est plus présent dans les livres sur Montebourg et le chef pompier Romain Comte que dans celui consacré au viticulteur Denis Pommier.</p> <p><strong>On sent chez toi une part de nostalgie.</strong></p> <p>Oui, sans doute. Avec ma famille j’ai acheté une maison non loin de Chablis où je me suis lié d’amitié avec Denis Pommier. Cette partie de la Bourgogne me va bien parce qu’elle est située entre mon Jura natal et Paris où je travaille. Elle me va bien aussi parce qu’elle me rappelle l’époque où, venant de Suisse, je trouvais en France, sitôt la frontière franchie, cette atmosphère d’un terroir que je me remémore heureux dans mes souvenirs. Et puis, cette France des vignerons, ce que je vais dire va sembler affreusement réac, c’est une France qui travaille. On a en Suisse l’image d’une France rétive au travail, celle des 35 heures. Or, cela ne correspond pas à celle des vignerons que je côtoie.</p> <p><strong>En tant que journaliste à l’AFP, tu es tenu à une forme de devoir de réserve, mais on devine chez toi des valeurs plutôt de gauche, une gauche à la fois du salariat et de l’entrepreneuriat. Est-ce le cas ?</strong></p> <p>Permets-moi d’esquiver ta question. Je n’ai jamais demandé leurs couleurs politiques à Denis Pommier et Romain Comte. Montebourg, avec sa fibre protectionniste, a des idées qui peuvent être tout à fait acceptées par une partie de la droite. En ce sens, Macron a raison de dire qu’il n’y a plus ni de gauche ni de droite solidement ancrées et distinguables l’une de l’autre. L’opposition que je vois aujourd’hui est plus une opposition entre l’humain et ce qui l’est moins. Je reprends l’exemple des stock-options de Pfizer : apparemment c’est un algorithme qui devait les vendre à partir du moment où l’action montait énormément. Il y a un côté inhumain dans cette opération. L’autre opposition qui m’apparaît est celle entre ville et campagne, entre idéalisme ou utopisme d’une part, et une réalité parfois ingrate de l’autre. Le pompier de Saône-et-Loire, il n’intervient pas sur l’incendie de Notre-Dame mais sur des accidents de la route ou des voitures qui brûlent dans des quartiers difficiles. Paray-le-Monial, la ville de Romain Comte, c’est une petite ville de 12 000 habitants comme Delémont.</p> <h3><strong>«Mon père travaillait chez un caviste et ma mère travaillait comme couturière»</strong></h3> <p><strong>Est-ce que les personnages que tu décris sont représentatifs du mouvement des gilets jaunes?</strong></p> <p>Les ouvriers d’Alstom et de Florange, oui. Le chef pompier Romain Comte et le vigneron Denis Pommier, non. Romain Comte, en tant que pompier, est de plus en plus appelé au secours dans des zones rurales où l’Etat a disparu, mais son cas personnel, pas plus que celui de Denis Pommier ne témoignent d’une situation ou d’un sentiment de déclassement tel qu’observé chez les gilets jaunes rassemblés chaque samedi aux ronds-points de cette France périphérique.</p> <p><strong>Venons-en à ton histoire. Tu es né à Delémont en 1966, quand le Jura faisait encore partie du canton du Berne. D’où venaient tes parents?</strong></p> <p>Ils venaient tous les deux de Galice en Espagne mais ils se sont rencontrés à Delémont. Mon père travaillait chez un caviste et ma mère travaillait comme couturière. Elle a terminé sa vie professionnelle, et c’était pour elle une forme de consécration, concierge à Morépont, là où se réunissait le gouvernement jurassien, à Delémont. J’étais enfant unique.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1607871375_antonio.pre.higinio.mre.maria.delmont.1970.jpeg" class="img-responsive img-fluid normal " width="382" height="381" /></p> <h4>Antonio Rodriguez et ses parents, Higinio et Maria, à Delémont en 1970. © Privé </h4> <p><strong>Dans les années 70 et 80, je n’ai pas souvenir de racisme en paroles ou en actes visant dans le Jura les Italiens, les Portugais et les Espagnols. Est-ce que toi, à l’enfance ou à l’adolescent, tu as été témoin de racisme?</strong></p> <p>Non, pas vraiment. Au contraire, même. Maintenant que je peux comparer les situations des deux côtés de la frontière franco-suisse, je dirais que j’ai plutôt eu la chance de grandir en vieille ville de Delémont dans un premier temps, pas très loin par la suite, et non pas dans un HLM construit en zone inondable. De la même façon, j’ai eu la chance d’être scolarisé dans une classe où nous étions peu de fils et filles d’étrangers, mélangés aux enfants de la bourgeoisie delémontaine. Il n’y avait pas de séparation de classe sociale.</p> <h3><strong>«Mon éditrice m’a dit: "Pense à la relation de l’homme avec la nature, relis Ramuz"»</strong></h3> <p><strong>Parlais-tu français tout petit?</strong></p> <p>Non. Je me souviens à ce propos que ma mère me rappelait, une fois devenu grand, que je ne parlais pas français quand elle m’emmena la première fois à l’école enfantine. J’avais 5 ans et j’avais grandi dans un cocon galicien. Tout le monde parlait galicien à la maison, y compris bien sûr mon grand-père, qui était là. C’est pour cette raison que je suis particulièrement sensible aux critiques qui relèvent la qualité du style de mon livre sur Denis Pommier – mon éditrice m’a dit: «Pense à la relation de l’homme avec la nature, relis Ramuz», ce que j’ai fait, notamment «La guerre dans le Haut-Pays» et «Jean-Luc persécuté». Parce que tout cela, à l’origine, ce n’était pas gagné. Il s’agissait pour moi de ne pas être tenté par le décrochage scolaire ou autre chose.</p> <p><strong>Il y a quand même eu des périodes pénibles au moment des initiatives xénophobes Schwarzenbach qui entendaient réduire le nombre d’étrangers présents en Suisse.</strong></p> <p>Oui, là, en effet, pour ma famille, ce fut l’inquiétude et l’angoisse. On avait suivi à la télévision, un poste noir et blanc, les résultats de l’initiative de 1974. C’était un contexte de récession économique, marqué par le premier choc pétrolier et le début de la crise dans la branche horlogère. Cette initiative, comme toutes les autres, avait été rejetée. J’ai eu, ado, un entraîneur de foot devenu membre de l’UDC par la suite, mais je n’ai jamais entendu de propos racistes dans sa bouche, mais d’autres, plutôt drôles avec le recul, du genre: «Antonio, si tu ne veux pas courir, fais de la marche!»</p> <h3><strong>«Je me suis dit alors que j’étais un gros con»</strong></h3> <p><strong>As-tu ressenti chez tes parents ou en toi une pression te poussant à réussir ta scolarité et tes études?</strong></p> <p>Oui, d’ailleurs je pense à mes parents ces jours-ci. Quand je lis une bonne critique des «Larmes de ma vigne», je pense à eux. Mon père est décédé en 1993, ma mère, il y a sept ans. On n’est pas toujours conscient des attentes des parents. J’en ai pris conscience lorsque je leur ai annoncé que je redoublais ma deuxième année de lycée. Je pensais pourtant les avoir préparés à cette mauvaise nouvelle. Eh bien non. J’ai vu mon père pleurer. Je me suis dit alors que j’étais un gros con. Si bien que me suis ressaisi. J’étais dans cette période insouciante de l’adolescence où j’aimais sortir, aller en boîte au 138*. Je me suis rendu compte qu’il ne fallait pas penser qu’à moi.</p> <p><strong><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1607871477_antonio.platini.interview.court.1990.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="545" height="354" /></strong></p> <h4><strong>En 1990, Antonio Rodriguez interviewant le footballeur français Michel Platini. © Privé</strong></h4> <p><strong>Tu avais deux passions qui te prenaient du temps. Le foot et le rock.</strong></p> <p>J’ai même interviewé Michel Platini, ton idole, pour <em>Le Démocrate</em>, devenu <em>Le Quotidien Jurassien</em>. Au foot, j’ai joué en Inter A avec les SRD, le club delémontain. Comme ailier droit ou latéral droit. Ma meilleure saison (<em>rires</em>), c’était au poste d’avant-centre avec les Espagnols de Delémont. Je devais avoir 18 ou 19 ans, je marquais plein de buts. On s’était sauvé de la relégation dans un match de barrage contre Sonvilier, à côté de Saint-Imier. J’avais marqué le but vainqueur. Quant au rock, plutôt la pop anglaise en ce qui me concerne, j’appartenais à une équipe de passionnés qui faisait venir des groupes au Caveau, une salle de Delémont. Des formations qui étaient en tournée en France voisine, à Besançon ou en Alsace. On s’était mis dans la boucle. On faisait des échanges avec les Eurockéennes de Belfort.</p> <h3><strong>«Quand il y a une frontière, j’aime bien la traverser»</strong></h3> <p><strong>Qu’as-tu fait comme études? Comment t-es-tu retrouvé correspondant de l’AFP à Montevideo en Uruguay? </strong></p> <p>J’ai fait études de lettres à l’Université de Neuchâtel, avec espagnol, histoire et journalisme. En même temps, j’écrivais des articles pour la rubrique «sports» du<em> Démocrate</em>. En 1993, je suis entré à l’ATS, l’Agence télégraphique suisse, avant même d’avoir terminé mes études. En 1997, j’ai rejoint l’AFP, l’Agence France Presse et je suis effectivement parti comme correspondant à Montevideo, en Uruguay. J’avais noué auparavant des contacts avec le correspondant de l’AFP à Besançon. C’est un peu dans mon tempérament: quand il y a une frontière, j’aime bien la traverser. Partir en Uruguay, à 12 000 km, avec un salaire plus bas qu’en Suisse, laisser ma mère à Delémont – elle viendra me voir plusieurs fois à Montevideo… Tout cela n’était pas facile. J’ai tenté le coup. L’idée n’était pas nécessairement de faire carrière à l’AFP, d’y travailler maintenant depuis plus de 20 ans, mais les choses se sont faites comme ça.</p> <p><strong>Quels faits marquants gardes-tu de ton séjour en Amérique du Sud?</strong></p> <p>Il y a l’arrestation de Pinochet à Londres en octobre 1998. Je me suis rendu plusieurs fois à Santiago dans le cadre de cette affaire judiciaire. Et là je suis tombé sur des gens qui n’étaient pas contents que Pinochet ait été arrêté. J’ai découvert à cette occasion un Chili qui ne correspondait pas à l’image que j’en avais. A l’inverse, il y a eu une grande émotion à Santiago lorsqu’à Londres la Chambre des lords a estimé que l’action contre Pinochet était légale. Ça s’est joué à trois voix contre deux, un peu comme sur des tirs au but. Je me trouvais au siège de l’association des victimes de la dictature. Je ne parvenais à interviewer personne, tout le monde me sautait dans les bras.</p> <h3><strong>«Ne te mêle pas de ça, c’est des histoires de Suisses!»</strong></h3> <p><strong>Cela ressemble, dans un autre registre, à l’intense émotion du 23 juin 1974 à Delémont, quand une majorité des sept districts jurassiens a approuvé la création d’un canton du Jura. Tu avais 8 ans.</strong></p> <p>Oui, je m’en souviens. Je me souviens surtout de mes parents qui me disaient: «Ne te mêle pas de ça, c’est des histoires de Suisses!» Pour en revenir à l’Amérique du Sud, avec ma mère nous avons retrouvé des cousins galiciens qui avaient émigré en Argentine et en Uruguay dans les années 50 et que ma mère n’avait pas revus depuis.</p> <p><strong>Après l’Uruguay, te voilà correspondant de l’AFP à Washington.</strong></p> <p>J’y suis resté de 2004 à fin 2008 et la réélection d’Obama. Ce qui était intéressant, c’était de sortir de Washington, une ville qui vote démocrate à 90% et ne représente donc pas les Etats-Unis. C’était l’époque où l’Amérique profonde avait une dent contre la France parce que celle-ci n’avait pas rejoint la coalition armée contre l’Irak en 2003. En Caroline du Nord, il ne fallait pas commander des «French fries» mais des «freedom fries», les frites de la liberté, ainsi qu’elles avaient été renommées. Je me suis intéressé aux latinos, aussi parce que je m’identifiais à eux. Je voulais voir comment ils vivaient dans cette Amérique qui les faisait rêver. Je me souviens d’un reportage sur la Nouvelle-Orléans reconstruite après l’Ouragan Katrina de 2005. J’étais allé à la rencontre de ces latinos qui avaient pris part à l’ouvrage et qui après cela s’étaient retrouvés sans emploi. J’avais titré mon papier: «Les oubliés de Katrina». En 2009, j’ai été nommé au siège à Paris. J’étais affecté à l’économie. J’y ai suivi notamment les ministres Montebourg, Macron et Le Maire.</p> <p><strong>Beau parcours. A propos de ton livre «Les larmes de ma vigne», tu me disais dans une précédente conversation que l’essentiel des critiques, toutes bonnes, était le fait de la presse de droite. Comment l’expliques-tu?</strong></p> <p>Ça m’amuse un peu, parce que la presse qui fait le plus la promotion de l’écologie et du bio, c’est la presse de gauche, or c’est elle qui parle le moins de ce livre. Je ne sais pas vraiment à quoi c’est dû. Mais ce que je constate… Je ne sais pas comment te dire ça de manière journalistiquement neutre… Pour faire simple, le 10 mai 1981 quand François Mitterrand a été élu président de la République en France, j’ai été content. Dans l’immeuble où j’habitais avec mes parents logeait aussi Jean-Luc Vautravers, le rédacteur en chef du <em>Démocrate</em>, un quotidien de sensibilité libérale-radicale pour qui je pigerais par la suite. Jean-Luc Vautravers ne devait pas être content de l’élection de Mitterrand, lui (rires). Dans un autre contexte, il avait été la cible d’un barbouillage des séparatistes du groupe Bélier, au sol devant l’immeuble. Quelle époque!</p> <p><strong>Quel immeuble!</strong></p> <p>Il n’était de loin pas habité que par des étrangers. Outre le rédacteur en chef du <em>Démocrate</em>, on y trouvait le délégué épiscopal, ainsi que le directeur de l’usine de vélos Condor. Il y avait de la mixité sociale.</p> <p><strong>Tes sentiments d’ado en faveur de Mitterrand seront-ils par la suite un peu plus mélangés?</strong></p> <p>Oui, en quelque sorte. Je repense au parcours de ma mère, aux échelons qu’elle a gravis à Delémont pour terminer fonctionnaire. Les gens qui lui ont permis de les gravir sont des gens de droite. C’est bête pour la gauche, ce que je vais dire, mais les ministres (<em>les conseillers d’Etat jurassiens, ndlr.</em>) dont elle me disait du bien parce qu’ils avaient eu une attention pour elle, étaient des ministres de droite, alors que les socialistes étaient plutôt froids et distants. Maintenant, avec les échos favorables que rencontre mon livre dans les journaux de droite, je me dis que c’est peut-être une réalité qu’il faut accepter.</p> <h3><strong>«Je suis pour un protectionnisme environnemental»</strong></h3> <p><strong>Sur la question d’un certain protectionnisme économique, soutenu par des personnalités de gauche, posant des limites au libre-échange, comment te situes-tu?</strong></p> <p>C’est une conviction tout à fait personnelle: on ne peut pas fermer les usines en Europe pour aller polluer ailleurs, ce n’est plus possible. Si on veut améliorer notre environnement, il faut taxer de manière dissuasive les produits importés de pays ne répondant pas aux normes de l’Union européenne. A ce titre, une taxe carbone sur ces produits s’impose, comme le prévoit le «Pacte vert» au sein de l’UE. Je suis pour un protectionnisme de type environnemental.</p> <p><strong>Comment te positionnes-tu dans le débat sur l’immigration extra-européenne?</strong></p> <p>Il faut arrêter d’être hypocrite. Si des gens viennent en Europe, c’est parce qu’ils pensent qu’ils y vivront mieux que dans leur pays d’origine, mais c’est aussi parce qu’on a besoin d’eux. L’idéal serait que tout cela se fasse de manière ordonnée et légale. Quand, après la chute du mur la mondialisation a pris son essor, l’idée était d’aller produire dans d’autres pays, que cela contribuerait à l’élévation globale du niveau de vie partout sur la planète. Or trente ans plus tard, on s’aperçoit qu’on est allé produire ailleurs mais avec l’impératif de produire toujours moins cher. Je ne crois pas au crédo néolibéral de la stabilisation des populations dans leur pays par la création de classes moyennes. Pour moi, c’est un utopisme. C’est comme le ruissellement, ça n’existe pas. On pensait freiner l’immigration, elle s’est accélérée. Avec les conflits provoqués par les crises environnementales (sècheresse, montée des eaux), le nombre de réfugiés climatiques augmentera. Il y’a pas beaucoup de raisons d’être optimistes.</p> <p><strong>Te reconnais-tu plutôt dans un modèle universaliste à la française ou dans une organisation multiculturaliste à l’anglo-saxonne?</strong></p> <p>Disons que la laïcité française me va très bien. Ma femme est musulmane, je suis catholique. On vit sans problème dans un pays qui accepte et permet ce type d’union. 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Marié, père de deux filles, celui qui d’habitude se retranche dans l’anonymat du journaliste agencier, raconte ici son beau parcours, de son enfance delémontaine au temps des initiatives Schwarzenbach et du combat jurassien, à sa vie d’adulte, livrant des souvenirs émus ou drôles, donnant sa vision, «à titre personnel», de la politique et de l’économie. Interview d’un ami d’école. </p> <p><strong>Tes trois livres nous parlent d’une France de l’intérieur, travailleuse, volontaire, modeste. Pourquoi t’es-tu intéressé à cette France-là?</strong></p> <p>Les notions de travail, de courage et d’engagement sont importantes à mes yeux. Dans la chronologie de ces trois livres, il y a une évolution et un changement de perspective entre le premier d’entre eux, «L’alternative Montebourg», paru en 2016, et les deux suivants, dédiés à des individus placés à l’écart des projecteurs, le chef pompier Romain Comte et le viticulteur Denis Pommier, auquel il faut associer sa femme Isabelle. Le livre sur Montebourg, avec les cas épineux des hauts-fourneaux en Moselle et du groupe Alstom à Belfort, a été pour moi une façon de me jeter à l’eau comme journaliste. Une fois terminé, je me suis rendu compte que j’avais écrit un livre épousant un schéma classique en France, quelque chose partant de Paris pour aller en province. Une façon de parler des gens de haut en bas.</p> <p><strong>Tu as tenu à rompre avec ce schéma.</strong></p> <p>Oui. Mon intention, après Montebourg, était de faire l’inverse: aller trouver des gens, pas forcément connus, mais qui avaient une fonction, un rôle. Ce faisant, de restituer leur quotidien, de faire remonter les enjeux. En côtoyant le chef pompier Romain Comte, j’ai découvert, je le dis ici avec une certaine naïveté, que partout en France, des individus équipés d’un bip sont prêts à venir vous secourir à tout moment du jour et de la nuit. Avec Denis Pommier le vigneron, mon propos était le même : sa bouteille de vin bio, on s’en régale dans les milieux urbains, à Paris, Delémont ou Neuchâtel, mais on est loin de se rendre compte de la somme de tracas, de doutes, de nuits d’angoisse qu’elle contient. Je me suis attelé à décrire cette nature que l’on vénère, mais qui peut être tellement ingrate avec ceux qui la respectent le plus.</p> <h3><strong>«La route de la mort»</strong></h3> <p><strong>Dans «L’appel des sirènes», tu évoques cette route de sinistre réputation passant par la Saône-et-Loire du chef pompier Romain Comte, la RCEA, la route Centre-Europe-Atlantique.</strong></p> <p>La route de la mort, c’est ainsi qu’on l’appelle. En 2017, l’accident d’un car transportant des Portugais qui rentraient en Suisse avait fait quatre morts. Romain Comte avait été l’un des premiers sur les lieux du drame. Ce tragique fait divers m’a replongé dans mon enfance. La RCEA était la route que je prenais avec mes parents pour aller en vacances en Galice. Un an plus tôt, sur le même axe, un précédent accident avait fait seize morts. C’étaient aussi des Portugais, partis de Suisse pour passer le week-end de Pâques au Portugal. Ils étaient entassés dans une camionnette sans vitres, comme des migrants voyageant clandestinement au sein de l’Union européenne. Eh bien là, ces conditions de transport inhumaines étaient le lot de ressortissants européens.</p> <p><strong>Qu’est-ce que tu trouves de remarquable ou de touchant chez les personnes dont tu dresses les portraits?</strong></p> <p>Elles m’intéressent parce qu’elles sont proches du terrain. Parce qu’elles produisent. Soit des services de première nécessité, comme Romain Comte, soit de la marchandise, comme Denis Pommier. Pas comme les intermédiaires qui eux ne produisent rien mais touchent parfois beaucoup d’argent. Quand le laboratoire américain Pfizer annonce l’arrivée sur le marché d’un vaccin contre la Covid, moi, ce qui m’intéresse, c’est l’histoire du couple turco-allemand qui a découvert ce vaccin et non pas les cinq millions de stock-options que va empocher le PDG de Pfizer.</p> <p><strong>Les deux Allemands d’origine turque, un homme et une femme, sont eux-mêmes aujourd’hui milliardaires…</strong></p> <p>Ils sont peut-être devenus milliardaires avec leur PME, mais c’est leur parcours que j’ai envie de raconter et qui échappe jusqu’à un certain point au monde de la finance.</p> <h3><strong>«C’était la France qui fait rêver»</strong></h3> <p><strong>Il y a une dizaine d’années est apparue une lecture différente de la crise française avec la notion de «France périphérique» qu’on doit au géographe Christophe Guilluy et qui désigne un ensemble de territoires comme exclus des bénéfices de la mondialisation. Est-ce que tu es sensible à cette perception?</strong></p> <p>Oui, complètement. Je reprends l’exemple de la route de la mort, la RCEA. C’était celle des terroirs. Je me rappelle, enfant, de ces panneaux indiquant les grands vins de bourgogne et de bordeaux, les fromages, les églises romanes. C’était la France qui fait rêver. Quand j’ai repris cette route pour « L’appel des sirènes », d’autres panneaux avaient fait leur apparition : non à la fermeture de telle usine, non à la fermeture de telle maternité, non à la fermeture de telle gare, etc. En trente ans, cette France périphérique a changé, elle s’est abîmée. Ce récit d’une dégradation est plus présent dans les livres sur Montebourg et le chef pompier Romain Comte que dans celui consacré au viticulteur Denis Pommier.</p> <p><strong>On sent chez toi une part de nostalgie.</strong></p> <p>Oui, sans doute. Avec ma famille j’ai acheté une maison non loin de Chablis où je me suis lié d’amitié avec Denis Pommier. Cette partie de la Bourgogne me va bien parce qu’elle est située entre mon Jura natal et Paris où je travaille. Elle me va bien aussi parce qu’elle me rappelle l’époque où, venant de Suisse, je trouvais en France, sitôt la frontière franchie, cette atmosphère d’un terroir que je me remémore heureux dans mes souvenirs. Et puis, cette France des vignerons, ce que je vais dire va sembler affreusement réac, c’est une France qui travaille. On a en Suisse l’image d’une France rétive au travail, celle des 35 heures. Or, cela ne correspond pas à celle des vignerons que je côtoie.</p> <p><strong>En tant que journaliste à l’AFP, tu es tenu à une forme de devoir de réserve, mais on devine chez toi des valeurs plutôt de gauche, une gauche à la fois du salariat et de l’entrepreneuriat. Est-ce le cas ?</strong></p> <p>Permets-moi d’esquiver ta question. Je n’ai jamais demandé leurs couleurs politiques à Denis Pommier et Romain Comte. Montebourg, avec sa fibre protectionniste, a des idées qui peuvent être tout à fait acceptées par une partie de la droite. En ce sens, Macron a raison de dire qu’il n’y a plus ni de gauche ni de droite solidement ancrées et distinguables l’une de l’autre. L’opposition que je vois aujourd’hui est plus une opposition entre l’humain et ce qui l’est moins. Je reprends l’exemple des stock-options de Pfizer : apparemment c’est un algorithme qui devait les vendre à partir du moment où l’action montait énormément. Il y a un côté inhumain dans cette opération. L’autre opposition qui m’apparaît est celle entre ville et campagne, entre idéalisme ou utopisme d’une part, et une réalité parfois ingrate de l’autre. Le pompier de Saône-et-Loire, il n’intervient pas sur l’incendie de Notre-Dame mais sur des accidents de la route ou des voitures qui brûlent dans des quartiers difficiles. Paray-le-Monial, la ville de Romain Comte, c’est une petite ville de 12 000 habitants comme Delémont.</p> <h3><strong>«Mon père travaillait chez un caviste et ma mère travaillait comme couturière»</strong></h3> <p><strong>Est-ce que les personnages que tu décris sont représentatifs du mouvement des gilets jaunes?</strong></p> <p>Les ouvriers d’Alstom et de Florange, oui. Le chef pompier Romain Comte et le vigneron Denis Pommier, non. Romain Comte, en tant que pompier, est de plus en plus appelé au secours dans des zones rurales où l’Etat a disparu, mais son cas personnel, pas plus que celui de Denis Pommier ne témoignent d’une situation ou d’un sentiment de déclassement tel qu’observé chez les gilets jaunes rassemblés chaque samedi aux ronds-points de cette France périphérique.</p> <p><strong>Venons-en à ton histoire. Tu es né à Delémont en 1966, quand le Jura faisait encore partie du canton du Berne. 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Maintenant que je peux comparer les situations des deux côtés de la frontière franco-suisse, je dirais que j’ai plutôt eu la chance de grandir en vieille ville de Delémont dans un premier temps, pas très loin par la suite, et non pas dans un HLM construit en zone inondable. De la même façon, j’ai eu la chance d’être scolarisé dans une classe où nous étions peu de fils et filles d’étrangers, mélangés aux enfants de la bourgeoisie delémontaine. Il n’y avait pas de séparation de classe sociale.</p> <h3><strong>«Mon éditrice m’a dit: "Pense à la relation de l’homme avec la nature, relis Ramuz"»</strong></h3> <p><strong>Parlais-tu français tout petit?</strong></p> <p>Non. Je me souviens à ce propos que ma mère me rappelait, une fois devenu grand, que je ne parlais pas français quand elle m’emmena la première fois à l’école enfantine. J’avais 5 ans et j’avais grandi dans un cocon galicien. Tout le monde parlait galicien à la maison, y compris bien sûr mon grand-père, qui était là. C’est pour cette raison que je suis particulièrement sensible aux critiques qui relèvent la qualité du style de mon livre sur Denis Pommier – mon éditrice m’a dit: «Pense à la relation de l’homme avec la nature, relis Ramuz», ce que j’ai fait, notamment «La guerre dans le Haut-Pays» et «Jean-Luc persécuté». Parce que tout cela, à l’origine, ce n’était pas gagné. Il s’agissait pour moi de ne pas être tenté par le décrochage scolaire ou autre chose.</p> <p><strong>Il y a quand même eu des périodes pénibles au moment des initiatives xénophobes Schwarzenbach qui entendaient réduire le nombre d’étrangers présents en Suisse.</strong></p> <p>Oui, là, en effet, pour ma famille, ce fut l’inquiétude et l’angoisse. On avait suivi à la télévision, un poste noir et blanc, les résultats de l’initiative de 1974. C’était un contexte de récession économique, marqué par le premier choc pétrolier et le début de la crise dans la branche horlogère. Cette initiative, comme toutes les autres, avait été rejetée. J’ai eu, ado, un entraîneur de foot devenu membre de l’UDC par la suite, mais je n’ai jamais entendu de propos racistes dans sa bouche, mais d’autres, plutôt drôles avec le recul, du genre: «Antonio, si tu ne veux pas courir, fais de la marche!»</p> <h3><strong>«Je me suis dit alors que j’étais un gros con»</strong></h3> <p><strong>As-tu ressenti chez tes parents ou en toi une pression te poussant à réussir ta scolarité et tes études?</strong></p> <p>Oui, d’ailleurs je pense à mes parents ces jours-ci. Quand je lis une bonne critique des «Larmes de ma vigne», je pense à eux. Mon père est décédé en 1993, ma mère, il y a sept ans. On n’est pas toujours conscient des attentes des parents. J’en ai pris conscience lorsque je leur ai annoncé que je redoublais ma deuxième année de lycée. Je pensais pourtant les avoir préparés à cette mauvaise nouvelle. Eh bien non. J’ai vu mon père pleurer. Je me suis dit alors que j’étais un gros con. Si bien que me suis ressaisi. J’étais dans cette période insouciante de l’adolescence où j’aimais sortir, aller en boîte au 138*. Je me suis rendu compte qu’il ne fallait pas penser qu’à moi.</p> <p><strong><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1607871477_antonio.platini.interview.court.1990.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="545" height="354" /></strong></p> <h4><strong>En 1990, Antonio Rodriguez interviewant le footballeur français Michel Platini. © Privé</strong></h4> <p><strong>Tu avais deux passions qui te prenaient du temps. Le foot et le rock.</strong></p> <p>J’ai même interviewé Michel Platini, ton idole, pour <em>Le Démocrate</em>, devenu <em>Le Quotidien Jurassien</em>. Au foot, j’ai joué en Inter A avec les SRD, le club delémontain. Comme ailier droit ou latéral droit. Ma meilleure saison (<em>rires</em>), c’était au poste d’avant-centre avec les Espagnols de Delémont. Je devais avoir 18 ou 19 ans, je marquais plein de buts. On s’était sauvé de la relégation dans un match de barrage contre Sonvilier, à côté de Saint-Imier. J’avais marqué le but vainqueur. Quant au rock, plutôt la pop anglaise en ce qui me concerne, j’appartenais à une équipe de passionnés qui faisait venir des groupes au Caveau, une salle de Delémont. Des formations qui étaient en tournée en France voisine, à Besançon ou en Alsace. On s’était mis dans la boucle. On faisait des échanges avec les Eurockéennes de Belfort.</p> <h3><strong>«Quand il y a une frontière, j’aime bien la traverser»</strong></h3> <p><strong>Qu’as-tu fait comme études? Comment t-es-tu retrouvé correspondant de l’AFP à Montevideo en Uruguay? </strong></p> <p>J’ai fait études de lettres à l’Université de Neuchâtel, avec espagnol, histoire et journalisme. En même temps, j’écrivais des articles pour la rubrique «sports» du<em> Démocrate</em>. En 1993, je suis entré à l’ATS, l’Agence télégraphique suisse, avant même d’avoir terminé mes études. En 1997, j’ai rejoint l’AFP, l’Agence France Presse et je suis effectivement parti comme correspondant à Montevideo, en Uruguay. J’avais noué auparavant des contacts avec le correspondant de l’AFP à Besançon. C’est un peu dans mon tempérament: quand il y a une frontière, j’aime bien la traverser. Partir en Uruguay, à 12 000 km, avec un salaire plus bas qu’en Suisse, laisser ma mère à Delémont – elle viendra me voir plusieurs fois à Montevideo… Tout cela n’était pas facile. J’ai tenté le coup. L’idée n’était pas nécessairement de faire carrière à l’AFP, d’y travailler maintenant depuis plus de 20 ans, mais les choses se sont faites comme ça.</p> <p><strong>Quels faits marquants gardes-tu de ton séjour en Amérique du Sud?</strong></p> <p>Il y a l’arrestation de Pinochet à Londres en octobre 1998. Je me suis rendu plusieurs fois à Santiago dans le cadre de cette affaire judiciaire. Et là je suis tombé sur des gens qui n’étaient pas contents que Pinochet ait été arrêté. J’ai découvert à cette occasion un Chili qui ne correspondait pas à l’image que j’en avais. A l’inverse, il y a eu une grande émotion à Santiago lorsqu’à Londres la Chambre des lords a estimé que l’action contre Pinochet était légale. Ça s’est joué à trois voix contre deux, un peu comme sur des tirs au but. Je me trouvais au siège de l’association des victimes de la dictature. Je ne parvenais à interviewer personne, tout le monde me sautait dans les bras.</p> <h3><strong>«Ne te mêle pas de ça, c’est des histoires de Suisses!»</strong></h3> <p><strong>Cela ressemble, dans un autre registre, à l’intense émotion du 23 juin 1974 à Delémont, quand une majorité des sept districts jurassiens a approuvé la création d’un canton du Jura. Tu avais 8 ans.</strong></p> <p>Oui, je m’en souviens. Je me souviens surtout de mes parents qui me disaient: «Ne te mêle pas de ça, c’est des histoires de Suisses!» Pour en revenir à l’Amérique du Sud, avec ma mère nous avons retrouvé des cousins galiciens qui avaient émigré en Argentine et en Uruguay dans les années 50 et que ma mère n’avait pas revus depuis.</p> <p><strong>Après l’Uruguay, te voilà correspondant de l’AFP à Washington.</strong></p> <p>J’y suis resté de 2004 à fin 2008 et la réélection d’Obama. Ce qui était intéressant, c’était de sortir de Washington, une ville qui vote démocrate à 90% et ne représente donc pas les Etats-Unis. C’était l’époque où l’Amérique profonde avait une dent contre la France parce que celle-ci n’avait pas rejoint la coalition armée contre l’Irak en 2003. En Caroline du Nord, il ne fallait pas commander des «French fries» mais des «freedom fries», les frites de la liberté, ainsi qu’elles avaient été renommées. Je me suis intéressé aux latinos, aussi parce que je m’identifiais à eux. Je voulais voir comment ils vivaient dans cette Amérique qui les faisait rêver. Je me souviens d’un reportage sur la Nouvelle-Orléans reconstruite après l’Ouragan Katrina de 2005. J’étais allé à la rencontre de ces latinos qui avaient pris part à l’ouvrage et qui après cela s’étaient retrouvés sans emploi. J’avais titré mon papier: «Les oubliés de Katrina». En 2009, j’ai été nommé au siège à Paris. J’étais affecté à l’économie. J’y ai suivi notamment les ministres Montebourg, Macron et Le Maire.</p> <p><strong>Beau parcours. A propos de ton livre «Les larmes de ma vigne», tu me disais dans une précédente conversation que l’essentiel des critiques, toutes bonnes, était le fait de la presse de droite. Comment l’expliques-tu?</strong></p> <p>Ça m’amuse un peu, parce que la presse qui fait le plus la promotion de l’écologie et du bio, c’est la presse de gauche, or c’est elle qui parle le moins de ce livre. Je ne sais pas vraiment à quoi c’est dû. Mais ce que je constate… Je ne sais pas comment te dire ça de manière journalistiquement neutre… Pour faire simple, le 10 mai 1981 quand François Mitterrand a été élu président de la République en France, j’ai été content. Dans l’immeuble où j’habitais avec mes parents logeait aussi Jean-Luc Vautravers, le rédacteur en chef du <em>Démocrate</em>, un quotidien de sensibilité libérale-radicale pour qui je pigerais par la suite. Jean-Luc Vautravers ne devait pas être content de l’élection de Mitterrand, lui (rires). Dans un autre contexte, il avait été la cible d’un barbouillage des séparatistes du groupe Bélier, au sol devant l’immeuble. Quelle époque!</p> <p><strong>Quel immeuble!</strong></p> <p>Il n’était de loin pas habité que par des étrangers. Outre le rédacteur en chef du <em>Démocrate</em>, on y trouvait le délégué épiscopal, ainsi que le directeur de l’usine de vélos Condor. Il y avait de la mixité sociale.</p> <p><strong>Tes sentiments d’ado en faveur de Mitterrand seront-ils par la suite un peu plus mélangés?</strong></p> <p>Oui, en quelque sorte. Je repense au parcours de ma mère, aux échelons qu’elle a gravis à Delémont pour terminer fonctionnaire. Les gens qui lui ont permis de les gravir sont des gens de droite. C’est bête pour la gauche, ce que je vais dire, mais les ministres (<em>les conseillers d’Etat jurassiens, ndlr.</em>) dont elle me disait du bien parce qu’ils avaient eu une attention pour elle, étaient des ministres de droite, alors que les socialistes étaient plutôt froids et distants. Maintenant, avec les échos favorables que rencontre mon livre dans les journaux de droite, je me dis que c’est peut-être une réalité qu’il faut accepter.</p> <h3><strong>«Je suis pour un protectionnisme environnemental»</strong></h3> <p><strong>Sur la question d’un certain protectionnisme économique, soutenu par des personnalités de gauche, posant des limites au libre-échange, comment te situes-tu?</strong></p> <p>C’est une conviction tout à fait personnelle: on ne peut pas fermer les usines en Europe pour aller polluer ailleurs, ce n’est plus possible. Si on veut améliorer notre environnement, il faut taxer de manière dissuasive les produits importés de pays ne répondant pas aux normes de l’Union européenne. A ce titre, une taxe carbone sur ces produits s’impose, comme le prévoit le «Pacte vert» au sein de l’UE. Je suis pour un protectionnisme de type environnemental.</p> <p><strong>Comment te positionnes-tu dans le débat sur l’immigration extra-européenne?</strong></p> <p>Il faut arrêter d’être hypocrite. Si des gens viennent en Europe, c’est parce qu’ils pensent qu’ils y vivront mieux que dans leur pays d’origine, mais c’est aussi parce qu’on a besoin d’eux. L’idéal serait que tout cela se fasse de manière ordonnée et légale. Quand, après la chute du mur la mondialisation a pris son essor, l’idée était d’aller produire dans d’autres pays, que cela contribuerait à l’élévation globale du niveau de vie partout sur la planète. Or trente ans plus tard, on s’aperçoit qu’on est allé produire ailleurs mais avec l’impératif de produire toujours moins cher. Je ne crois pas au crédo néolibéral de la stabilisation des populations dans leur pays par la création de classes moyennes. Pour moi, c’est un utopisme. C’est comme le ruissellement, ça n’existe pas. On pensait freiner l’immigration, elle s’est accélérée. Avec les conflits provoqués par les crises environnementales (sècheresse, montée des eaux), le nombre de réfugiés climatiques augmentera. Il y’a pas beaucoup de raisons d’être optimistes.</p> <p><strong>Te reconnais-tu plutôt dans un modèle universaliste à la française ou dans une organisation multiculturaliste à l’anglo-saxonne?</strong></p> <p>Disons que la laïcité française me va très bien. Ma femme est musulmane, je suis catholique. On vit sans problème dans un pays qui accepte et permet ce type d’union. Pour en revenir à mon histoire, je n’ai pas grandi dans un ghetto et j’en suis reconnaissant au Jura et à la Suisse.</p> <hr /> <h4>*La discothèque Le Club 138, ouverte en 1979 à Courrendlin, portait ce nom en référence à l’article 138 de la Constitution jurassienne prévoyant la réunification du Jura et du Jura bernois.</h4> <h4>Denis Pommier, Antonio Rodriguez, «Les larmes de ma vignes», Le Cherche Midi, 2020, 240 p.</h4> <h4>Romain Compte, avec Antonio Rodriguez, «L’appel des sirènes», Le Cherche Midi, 2019, 208 p.</h4> <h4>Antonio Rodriguez, «L’alternative Montebourg», Le Cherche Midi, 2016, 352 p.</h4>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'je-n-ai-pas-grandi-dans-un-ghetto-j-en-suis-reconnaissant-au-jura-et-a-la-suisse', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-12', 'like' => (int) 592, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 2717, 'homepage_order' => (int) 2957, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => 'Interview', 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 830, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' }count - [internal], line ?? 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Actuel / «Je n’ai pas grandi dans un ghetto, j’en suis reconnaissant au Jura et à la Suisse»
Il a d’abord été correspondant de l’Agence télégraphique suisse à Neuchâtel. Puis de l’Agence France Presse à Montevideo, en Uruguay, suivi d’un poste
Antoine Menusier
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