Actuel / Récit d'une migration clandestine
Des migrants à la frontière entre la Serbie et la Hongrie, en août 2015. © Gémes Sándor/SzomSzed - CC BY-SA 3.0
En 2015, quand s'est abattue sur l'Europe la gigantesque vague des migrations venues d'Afrique et du Moyen-Orient, une grande partie des migrants s'est retrouvée bloquée en Serbie, à la porte sud de l'Union européenne. Depuis huit ans maintenant, la Serbie est ainsi devenue, à son corps défendant, une plaque tournante où des réseaux de passeurs s'enrichissent pour permettre à des Syriens, des Afghans ou des Africains de rejoindre l'UE.
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Voici son histoire en quelques mots.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1715863573_mimara.jpg" class="img-responsive img-fluid center " width="568" height="422" /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Ante Topić Mimara. © Mimara.hr</em></h4> <p>On sait très peu de choses sur ses débuts, sa date et son lieu de naissance, voire sa véritable identité. Il est probablement né en Dalmatie au tournant du siècle, et a reçu une éducation artistique, tant en tant que copiste qu'en tant qu'historien de l'art, à Rome, après la Première Guerre mondiale. Il a commencé sa brillante carrière criminelle en volant le trésor le plus précieux de la cathédrale de Zagreb, un diptyque du XIème siècle. Il l'a vendu en 1927 au Cleveland Museum aux Etats-Unis, qui l'a restitué à la Yougoslavie en 1936. Cela n'avait d'abord pas été remarqué car le voleur avait habilement remplacé l'original par une copie, un commerce sur lequel il baserait finalement toute sa fortune. Pour entrer dans le trésor de la cathédrale, un homme l'a aidé à forcer la serrure, un jeune serrurier communiste connu sous le nom de Josip Broz Tito. Ce serait le début d'une longue association criminelle.</p> <p>Pendant la Seconde Guerre mondiale, il vivait dans une luxueuse villa dans la banlieue de Berlin, à Schlachtensee. Il se vantait souvent d'avoir fréquenté Hitler et Göring depuis 1927, servant de conseiller artistique à ces derniers et allant même jusqu'à proposer de peindre le portrait d'Hitler. Cette douteuse vantardise n'est confirmée par aucun document d'archives. Il est cependant très probable qu'il se soit livré au pillage pendant cette période en contraignant des collectionneurs juifs à lui vendre des œuvres à bas prix, à l'origine de sa vaste collection. Il le faisait avec la protection de son copain Göring, pour qui il trafiquait également des œuvres pillées. Mimara se vantait en effet d'avoir été très proche du Reichsmarschall, même à la télévision vers la fin de sa vie.</p> <p>Après la guerre, il a fui l'Allemagne et – bien sûr – a prétendu avoir été un combattant de la résistance et même emprisonné dans un camp de concentration depuis 1942. Il s'est ensuite présenté en 1946 au Point de collecte central de Munich. C'est là que les Américains collectaient et cataloguaient toutes les œuvres d'art pillées par le régime nazi. Il s'est présenté comme le représentant officiel de la Yougoslavie – ce qu'aucun registre ne peut confirmer –, portant l'uniforme de colonel, bien qu'il n'ait aucun grade dans l'armée.</p> <p>Alors qu'il était au Point de collecte, il a rencontré une certaine Wiltrud Mersmann, une jeune conservatrice allemande employée par les Américains. Il l'a séduite et l'a épousée en 1957. Ensemble, ils ont systématiquement pillé autant d'œuvres d'art qu'ils le pouvaient, Wiltrud étant capable de produire de faux certificats pour des œuvres qu'ils savaient tous deux ne pas figurer sur la liste des biens pillés en Yougoslavie. Le chiffre de 166 œuvres volées est souvent mentionné, les Américains comprenant la supercherie beaucoup trop tard. En 1963, Mimara a réussi, pour des raisons entièrement inconnues, à vendre pour 600'000 dollars la célèbre «Cloisters Cross» (la Croix des Cloîtres), un chef-d'œuvre en ivoire de morse roman anglais du XIIème siècle, désormais exposée au Metropolitan Museum de New York. Le Metropolitan, représenté par Thomas Hoving, futur directeur, effectue cet achat malgré les avertissements de la police suisse sur la nature suspecte des transactions de Mimara, et l'absence flagrante d'une provenance régulière. Evoquant cet achat hautement irrégulier et le passage du crucifix en contrebande de l'Italie vers New York en passant par la Suisse, Hoving parle dans ses mémoires avec candeur de cet achat «illicite et clandestin»: «C'était la grande époque de la piraterie dans le business des musées. Ce n'est plus cas, mais c'était comme ça. Cela a pris fin au début des années 70 avec le traité de l'UNESCO». Et même cela n'est pas vrai, puisque l'on sait que des tableaux et des objets d'art sont encore aujourd'hui acquis par des musées sans vérification, et parfois même en ignorant sciemment la provenance douteuse de l'objet. Qu'importe, cette vente permet à Mimara d'acquérir le château de Neuhaus près de Salzbourg, où il s'installe avec sa femme et son fils. 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Et enfin, qu'il recevrait une pension viagère, initialement de 100'000 dollars par an, puis de 50'000 dollars pour sa veuve Wiltrud après sa mort. Il semble que cette promesse ait été tenue par la République de Croatie jusqu'en 2022, année du décès, à l'âge de 104 ans, de la veuve de ce formidable escroc. Les ministres de la Culture croates successifs et tous les responsables artistiques de Zagreb sont toujours unis sur cette question aujourd'hui. Malgré de nombreux articles dans la presse professionnelle internationale et des opinions désastreuses d'experts, le musée a célébré son 30ème anniversaire en 2017 avec beaucoup de faste, comme si personne ne pouvait douter de l'excellente réputation du «Louvre de Zagreb». Face à une tempête juridique et politique internationale et risquant le ridicule, la Croatie préfère ne rien dire, ne rien entendre et ne rien voir. En 2019, un tremblement de terre a frappé la région de Zagreb. Le musée Mimara a été touché et sa fermeture temporaire a été décidée. Cinq ans plus tard, le devenir de cet héritage embarrassant reste inconnu.</p> <p>Mais Mimara n'a pas seulement accordé des faveurs artistiques à sa Croatie natale. Il s'est également assuré de récompenser les musées de Belgrade et de Ljubljana, ainsi que les fonctionnaires du Parti ou les dignitaires étrangers utiles au régime de Tito. C'est ainsi que certains tableaux particulièrement remarquables ont atterri au Musée national de Belgrade. Trois d'entre eux, attribués à Titien, Tintoretto et Carpaccio, appartenaient à Göring qui les avait achetés au comte Contini Bonacossi, un suflureux marchand de Florence connu pour vendre des faux. Un Canaletto et un Guardi ont ainsi appartenu à Martin Bormann, secrétaire particulier d'Hitler. Un tableau attribué à Hubert Robert et un autre à Albert Cuyp avaient appartenu au baron de Rothschild à Paris. Avant que Mimara ne les prenne, les deux avaient été pillés par les Allemands, encore une fois pour Göring. D'autres tableaux à Belgrade pillés par Mimara incluent des œuvres attribuées à Rubens, à l'Ecole de Poussin, un grand paysage de Corot et un autre attribué au Caravage, qui avait été volé par les Allemands en Tchécoslovaquie.</p> <p style="text-align: center;"><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1715864657_portrait_of_catherine_of_austria_with_a_globe_and_a_compass.jpeg" class="img-responsive img-fluid center " width="565" height="745" /></p> <h4>Portrait de Christine du Danemark<em>, attribué au Titien, 1548, au Musée national de Serbie, Belgrade.</em></h4> <p>Pendant des décennies après la guerre, les œuvres apportées par Mimara n'ont pas été incluses dans l'inventaire du Musée national et n'ont jamais été exposées. Les responsables du musée étaient parfaitement conscients de leur passé sombre. Lorsque je travaillais au Musée national, il y a une vingtaine d'années, les conservateurs me disaient que ces œuvres avaient été acquises de manière plus que douteuse, que leur provenance posait problème et que le secret restait le <em>modus operandi</em> imposé. Rien n'a été fait depuis, le silence et le déni restent la politique préférée. Cela n'a pas empêché le système judiciaire italien de montrer un intérêt marqué pour les peintures italiennes, affirmant qu'elles n'appartiennent pas à Belgrade. Et fidèle à son habitude, la direction du Musée national insiste sur le fait qu'il n'y a absolument aucun problème avec leur provenance. Combien de temps encore durera cette obstination à ne pas affronter des vérités évidentes, on l'ignore. 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Comme si l'optimisme était considéré comme un péché mortel, la totalité de ces auteurs, dont certains sont des géants de la littérature mondiale, ont en commun de nous imaginer un avenir épouvantable, où l'univers concentrationnaire allemand est utilisé comme mètre-étalon de ce que le cerveau humain peut engendrer à son nadir. Le <em>Problème à trois corps</em> n'échappe pas à cette règle.</p> <p>On pourrait s'arrêter sur trois éléments centraux du <em>Problème à trois corps</em>, réunis sous un dénominateur commun. Le premier élément, c'est la nature même de l'ennemi. Le second élément, ce sont ceux parmi les êtres humains dont on attend la solution. Et le troisième élément, c'est le genre de monde dans lequel on nous promet la victoire sur l'Ennemi. 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Ce ne sont plus de nos jours les papes, les princes et les généraux dont on doit attendre la parole et l'ordre, mais les scientifiques. « <em>Il faut croire les docteurs !</em> » s'époumonait une cliente âgée d'un restaurant lémanique la semaine dernière. Durant toute la pandémie de COVID, cette antienne nous a été répétée sur tous les plateaux de télévision et dans tous les journaux : il faut croire en la science. Sans jamais relever que cette injonction est en soi contradictoire, puisque la science n'est pas affaire de foi. 2 + 2 font 4, qu'on y croie ou non.</p> <p>Le troisième élément, déjà visible dans le second, c'est le monde dans lequel on nous annonce que se trouve la victoire contre l'Ennemi. Il serait facile de pointer le fait que l'auteur du livre est chinois, que cela explique pourquoi le problème à trois corps est traversé par un tel dédain de la démocratie. Mais il est également probable que ce mépris pour l'organisation politique traditionnelle soit le fruit même des craintes qui nous hantent. Que ce soit le démiurge aux poches sans fond qui finance les jeunes scientifiques, ou la décision des Nations Unies de confier le sort de l'humanité à trois personnes, sans aucun droit de regard, tout cela illustre notre désarroi face à des instances politiques qui se perdent en des débats interminables qui accouchent de souris.</p> <p>La guerre qui oppose l'Occident à la Russie en Ukraine fait apparaître que le pouvoir direct d'un seul, même plus faible et plus petit, offre des avantages considérables lorsque l'on est soi-même soumis à des contrôles et des élections interminables. « <em>Je veux que vous paniquiez</em> », criait d'une voix étouffée Greta Thunberg. La panique est incompatible avec la démocratie, avec la discussion et le consensus. Elle exige une action immédiate et irréfléchie. 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Elles sont les seules à être officiellement post-quelque chose, mais elles trahissent la réalité économique et sociale de toute une ville, ou peut-être même, de notre continent, tout entier post-productif.</p> <p>Mais pourquoi regretter le temps où des hommes presque illettrés travaillaient 80 heures par semaine à se rompre les os, laissant derrière eux des épouses débordées de tâches éreintantes, les deux mourant à moins de 60 ans. Plutôt que de croupir dans les cachots de la Conciergerie, ou du Château de Chillon, ou Palais ducal de Mantoue, il est plus agréable de les visiter avant de déguster le plat du jour dans une jolie brasserie de la place. Les tourments et les souffrances de nos lointains devanciers ne feront qu'augmenter notre satisfaction de pouvoir apprécier un si bon déjeuner sans contrainte ni douleur. Et c'est tout, absolument tout, ce que nous en retirerons: une <em>expérience</em>, comme on dit désormais. Ces décors du passé n'existent plus que pour notre plaisir, presque pour nous désennuyer. Qui s'inquiète vraiment de savoir ce qui se passait dans le château de Rosenborg de Copenhague, dans les Invalides ou dans la Ca' d'Oro de Venise. On passe devant, on s'extasie, on prend une ou deux photos et on continue.</p> <p>Ces lieux ne sont plus productifs. Tout au moins ne remplissent-ils plus leurs fonctions premières. Le tourisme est pourtant une industrie. Celle-ci compte pour presque 10% du PIB de l'UE. Cela va de la Croatie, qui doit un quart de son économie (en réalité pas loin de la moitié si l'on prend en compte les acteurs indirects) au tourisme, tandis que l'Irlande ne lui doit que 3%. On estime qu'un emploi sur onze dans le monde est aujourd'hui lié au tourisme. Et l'Europe, avec son histoire, sa géographie et son infinie richesse architecturale et artistique, peut se réjouir d'un avenir brillant de ce point de vue. Les projections sont d'ailleurs exponentielles. En 2010, 500 millions de personnes étaient venues admirer notre continent. On compte que l'an prochain, leur nombre sera de 750 millions. L'Europe, qui a inventé les musées, est en train d'appliquer le concept à sa totalité. Petit à petit, elle devient le parc à thème et le restaurant du reste du monde, qui vient y admirer la maison-mère de la modernité et de la mondialisation. On peut le regretter ou s'en réjouir, aujourd'hui. L'avenir seul nous dira si cette transition, qui semble inéluctable et ne l'est pourtant pas, était heureuse ou malheureuse.</p> <p>Ainsi l'Europe se repose désormais, et se fait admirer derrière une paroi de verre. Elle a sué sang et eau, porté le fer aux quatre coins du globe pour les raisons les plus fantaisistes. Elle a cru à sa propre universalité et inventé l'alphabétisation et le moteur à explosion. Puis elle s'est consciencieusement suicidée dans un déluge d'acier et de feu de 1914 à 1945. Ce qui ne signifie pas qu'elle est devenue improductive. 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C'est une histoire dont je tairai le nom des protagonistes pour des raisons qui vous seront vite évidentes. Ce jeune ami belgradois devait se rendre en Autriche pour ses études. Comme il le fait souvent, il fait appel à une plateforme de covoiturage, populaire à travers toute l'Europe. Le matin du transport, le chauffeur le contacte pour lui dire qu'il doit annuler son voyage. Dépité, mon ami trouve malgré tout sur la plateforme une alternative. Un jeune chauffeur lui propose la même course, le même jour et pour le même prix, dans une camionnette. Mon ami, accompagné de deux camarades d'études, accepte l'offre et retrouve le chauffeur et sa camionnette dans Belgrade. Tous les quatre font alors route vers l'ouest. Le trajet se passe sans problème. A la frontière croate, les douaniers interrogent le chauffeur et inspectent le véhicule et ses occupants, comme il se doit. C'est en arrivant près de Zagreb que mon ami dresse l'oreille, alarmé. Il a entendu une voix.
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La première tentative du chauffeur consiste à implorer la pitié. Il explique que ces deux gaillards ont fui la guerre et n'ont d'autre espoir que lui pour les transporter en Europe. Il se présente comme une forme d'organisation humanitaire officieuse, mû par le désir d'aider. Mais cette explication ne peut tenir étant donné que les deux clandestins parlent turc et ne peuvent par conséquent fuir aucune guerre.
Enfin le chauffeur admet qu'il ne sait pas très bien d'où ils viennent et qu'il ne fait qu'exécuter une mission sur commande. C'est manifestement un plan bien rôdé qu'il exécute plusieurs fois par mois. Il a créé un espace sous les bagages où deux hommes peuvent se tenir couchés côte à côte, à condition de ne rien dire et de ne pas bouger pendant 10 heures. En se souvenant du passage à la douane, mon ami comprend que le contrôle n'a pas été trop zélé. Il ne peut s'empêcher de soupçonner une collaboration secrète. Le chauffeur explique qu'il doit livrer son précieux cargo en Allemagne, et qu'il touchera 2'700 euros par personne. Mais il insiste pour conduire les trois passagers en Autriche, gratuitement, par reconnaissance de leur discrétion.
Mon ami ne sait pas du tout comment réagir et ses deux camarades non plus. Il y a d'un côté le crime évident qui est en train d'être commis sous leurs yeux, et dont une police européenne pourrait les tenir complices. Mais il y a d'un autre côté deux jeunes hommes qui ont absolument tout risqué pour se retrouver dans cette camionnette et fuir leur pays pour rejoindre l'Union européenne. Les trois voyageurs exigent alors du chauffeur un moment de réflexion. Et ils décident enfin de continuer leur route comme prévu et de ne pas avertir la police.
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Un autre ami, attablé avec nous, raconte alors sa propre histoire. Il vient d'un petit village du sud de la Serbie. Et il se souvient qu'en 2015 et 2016, lors de la première vague massive de migrants venus de Syrie, il était devenu tout à fait courant pour les villageois de prendre une voiture, de la remplir de migrants, de jeter sur eux une maigre couverture et de les emmener en Hongrie, en graissant au passage les douaniers pour ne pas se faire embêter. Ce petit marché a duré plusieurs mois avant que l'Europe y mette fin, contraignant la Hongrie à construire d'immenses barrières à sa frontière sud. C'est ainsi qu'est né ce nouveau marché des camionnettes à double fond, encore plus rentable mais bien plus risqué, et dont l'ampleur est impossible à calculer avec précision.
Ces petits trafics sordides ressortent de l'éternel ordinaire. Ils sont aussi vieux que les migrations, qui sont aussi vieilles que l'humanité. Ayant toujours échoué à s'exprimer d'une seule voix sur ces questions centrales, Bruxelles continue de laisser les pays qui sont en première ligne élaborer leur petite cuisine sur le sujet. C'est ainsi que l'Italie, la Grèce, la Hongrie et la Croatie ont toutes des règlements différents et traitent les migrants d'une façon distincte, alors même qu'elles font toutes partie de l'Union. Cette politique, ou cette absence de politique, ne diminue nullement le flux migratoire, mais permet la diffusion de la responsabilité de cet échec sur une grande quantité de pays et d'acteurs institutionnels. Cette pusillanimité permet alors à des pays comme la Serbie de profiter cyniquement de ces innombrables tragédies humaines, au vu et au su de Bruxelles qui s'en lave les mains.
Mais ces traffics sont également rendus possibles par la situation économique et sociale de la Serbie. Dans ce pays où la corruption détruit de l'intérieur l'ascenseur social, où les salaires, surtout en dehors des villes, sont ridicules et l'inflation galopante, les perspectives d'avenir sont lugubres pour les jeunes. C'est ainsi que depuis dix ans la Serbie perd plus de 50'000 habitants par année – presque 1% de sa population – évidemment jeunes et éduqués pour la plupart. Le chauffeur de cette camionnette fait lui-même partie de cette population qui n'a qu'un seul rêve, que partagent ses deux passagers clandestins: aller vivre et travailler dans l'Union européenne. Et comme il n'a probablement ni les contacts, ni les diplômes nécessaires à son départ, il se rabat sur toutes sortes de trafics et d'expédients pour s'offrir une vie à peu près normale.
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Et enfin, qu'il recevrait une pension viagère, initialement de 100'000 dollars par an, puis de 50'000 dollars pour sa veuve Wiltrud après sa mort. Il semble que cette promesse ait été tenue par la République de Croatie jusqu'en 2022, année du décès, à l'âge de 104 ans, de la veuve de ce formidable escroc. Les ministres de la Culture croates successifs et tous les responsables artistiques de Zagreb sont toujours unis sur cette question aujourd'hui. Malgré de nombreux articles dans la presse professionnelle internationale et des opinions désastreuses d'experts, le musée a célébré son 30ème anniversaire en 2017 avec beaucoup de faste, comme si personne ne pouvait douter de l'excellente réputation du «Louvre de Zagreb». Face à une tempête juridique et politique internationale et risquant le ridicule, la Croatie préfère ne rien dire, ne rien entendre et ne rien voir. En 2019, un tremblement de terre a frappé la région de Zagreb. Le musée Mimara a été touché et sa fermeture temporaire a été décidée. Cinq ans plus tard, le devenir de cet héritage embarrassant reste inconnu.</p> <p>Mais Mimara n'a pas seulement accordé des faveurs artistiques à sa Croatie natale. Il s'est également assuré de récompenser les musées de Belgrade et de Ljubljana, ainsi que les fonctionnaires du Parti ou les dignitaires étrangers utiles au régime de Tito. C'est ainsi que certains tableaux particulièrement remarquables ont atterri au Musée national de Belgrade. Trois d'entre eux, attribués à Titien, Tintoretto et Carpaccio, appartenaient à Göring qui les avait achetés au comte Contini Bonacossi, un suflureux marchand de Florence connu pour vendre des faux. Un Canaletto et un Guardi ont ainsi appartenu à Martin Bormann, secrétaire particulier d'Hitler. Un tableau attribué à Hubert Robert et un autre à Albert Cuyp avaient appartenu au baron de Rothschild à Paris. Avant que Mimara ne les prenne, les deux avaient été pillés par les Allemands, encore une fois pour Göring. D'autres tableaux à Belgrade pillés par Mimara incluent des œuvres attribuées à Rubens, à l'Ecole de Poussin, un grand paysage de Corot et un autre attribué au Caravage, qui avait été volé par les Allemands en Tchécoslovaquie.</p> <p style="text-align: center;"><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1715864657_portrait_of_catherine_of_austria_with_a_globe_and_a_compass.jpeg" class="img-responsive img-fluid center " width="565" height="745" /></p> <h4>Portrait de Christine du Danemark<em>, attribué au Titien, 1548, au Musée national de Serbie, Belgrade.</em></h4> <p>Pendant des décennies après la guerre, les œuvres apportées par Mimara n'ont pas été incluses dans l'inventaire du Musée national et n'ont jamais été exposées. Les responsables du musée étaient parfaitement conscients de leur passé sombre. Lorsque je travaillais au Musée national, il y a une vingtaine d'années, les conservateurs me disaient que ces œuvres avaient été acquises de manière plus que douteuse, que leur provenance posait problème et que le secret restait le <em>modus operandi</em> imposé. Rien n'a été fait depuis, le silence et le déni restent la politique préférée. Cela n'a pas empêché le système judiciaire italien de montrer un intérêt marqué pour les peintures italiennes, affirmant qu'elles n'appartiennent pas à Belgrade. Et fidèle à son habitude, la direction du Musée national insiste sur le fait qu'il n'y a absolument aucun problème avec leur provenance. Combien de temps encore durera cette obstination à ne pas affronter des vérités évidentes, on l'ignore. 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Comme si l'optimisme était considéré comme un péché mortel, la totalité de ces auteurs, dont certains sont des géants de la littérature mondiale, ont en commun de nous imaginer un avenir épouvantable, où l'univers concentrationnaire allemand est utilisé comme mètre-étalon de ce que le cerveau humain peut engendrer à son nadir. Le <em>Problème à trois corps</em> n'échappe pas à cette règle.</p> <p>On pourrait s'arrêter sur trois éléments centraux du <em>Problème à trois corps</em>, réunis sous un dénominateur commun. Le premier élément, c'est la nature même de l'ennemi. Le second élément, ce sont ceux parmi les êtres humains dont on attend la solution. Et le troisième élément, c'est le genre de monde dans lequel on nous promet la victoire sur l'Ennemi. 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Ce ne sont plus de nos jours les papes, les princes et les généraux dont on doit attendre la parole et l'ordre, mais les scientifiques. « <em>Il faut croire les docteurs !</em> » s'époumonait une cliente âgée d'un restaurant lémanique la semaine dernière. Durant toute la pandémie de COVID, cette antienne nous a été répétée sur tous les plateaux de télévision et dans tous les journaux : il faut croire en la science. Sans jamais relever que cette injonction est en soi contradictoire, puisque la science n'est pas affaire de foi. 2 + 2 font 4, qu'on y croie ou non.</p> <p>Le troisième élément, déjà visible dans le second, c'est le monde dans lequel on nous annonce que se trouve la victoire contre l'Ennemi. Il serait facile de pointer le fait que l'auteur du livre est chinois, que cela explique pourquoi le problème à trois corps est traversé par un tel dédain de la démocratie. Mais il est également probable que ce mépris pour l'organisation politique traditionnelle soit le fruit même des craintes qui nous hantent. Que ce soit le démiurge aux poches sans fond qui finance les jeunes scientifiques, ou la décision des Nations Unies de confier le sort de l'humanité à trois personnes, sans aucun droit de regard, tout cela illustre notre désarroi face à des instances politiques qui se perdent en des débats interminables qui accouchent de souris.</p> <p>La guerre qui oppose l'Occident à la Russie en Ukraine fait apparaître que le pouvoir direct d'un seul, même plus faible et plus petit, offre des avantages considérables lorsque l'on est soi-même soumis à des contrôles et des élections interminables. « <em>Je veux que vous paniquiez</em> », criait d'une voix étouffée Greta Thunberg. La panique est incompatible avec la démocratie, avec la discussion et le consensus. Elle exige une action immédiate et irréfléchie. 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Elles sont les seules à être officiellement post-quelque chose, mais elles trahissent la réalité économique et sociale de toute une ville, ou peut-être même, de notre continent, tout entier post-productif.</p> <p>Mais pourquoi regretter le temps où des hommes presque illettrés travaillaient 80 heures par semaine à se rompre les os, laissant derrière eux des épouses débordées de tâches éreintantes, les deux mourant à moins de 60 ans. Plutôt que de croupir dans les cachots de la Conciergerie, ou du Château de Chillon, ou Palais ducal de Mantoue, il est plus agréable de les visiter avant de déguster le plat du jour dans une jolie brasserie de la place. Les tourments et les souffrances de nos lointains devanciers ne feront qu'augmenter notre satisfaction de pouvoir apprécier un si bon déjeuner sans contrainte ni douleur. Et c'est tout, absolument tout, ce que nous en retirerons: une <em>expérience</em>, comme on dit désormais. Ces décors du passé n'existent plus que pour notre plaisir, presque pour nous désennuyer. Qui s'inquiète vraiment de savoir ce qui se passait dans le château de Rosenborg de Copenhague, dans les Invalides ou dans la Ca' d'Oro de Venise. On passe devant, on s'extasie, on prend une ou deux photos et on continue.</p> <p>Ces lieux ne sont plus productifs. Tout au moins ne remplissent-ils plus leurs fonctions premières. Le tourisme est pourtant une industrie. Celle-ci compte pour presque 10% du PIB de l'UE. Cela va de la Croatie, qui doit un quart de son économie (en réalité pas loin de la moitié si l'on prend en compte les acteurs indirects) au tourisme, tandis que l'Irlande ne lui doit que 3%. On estime qu'un emploi sur onze dans le monde est aujourd'hui lié au tourisme. Et l'Europe, avec son histoire, sa géographie et son infinie richesse architecturale et artistique, peut se réjouir d'un avenir brillant de ce point de vue. Les projections sont d'ailleurs exponentielles. En 2010, 500 millions de personnes étaient venues admirer notre continent. On compte que l'an prochain, leur nombre sera de 750 millions. L'Europe, qui a inventé les musées, est en train d'appliquer le concept à sa totalité. Petit à petit, elle devient le parc à thème et le restaurant du reste du monde, qui vient y admirer la maison-mère de la modernité et de la mondialisation. On peut le regretter ou s'en réjouir, aujourd'hui. L'avenir seul nous dira si cette transition, qui semble inéluctable et ne l'est pourtant pas, était heureuse ou malheureuse.</p> <p>Ainsi l'Europe se repose désormais, et se fait admirer derrière une paroi de verre. Elle a sué sang et eau, porté le fer aux quatre coins du globe pour les raisons les plus fantaisistes. Elle a cru à sa propre universalité et inventé l'alphabétisation et le moteur à explosion. Puis elle s'est consciencieusement suicidée dans un déluge d'acier et de feu de 1914 à 1945. Ce qui ne signifie pas qu'elle est devenue improductive. Aujourd'hui elle produit majoritairement des <em>services aux individus</em>: comptables, avocats, banquiers, tatoueurs, psychologues et coachs, coiffeurs, gestionnaires et médiateurs. Ce n'est pas sans intérêt ni noblesse. Après des siècles de guerres en continu, on devrait presque parler de soins post-traumatiques collectifs. Mais elle doit compter sur les autres pour les voitures, les bateaux, les téléphones et les cardigans 50% cachemire. Là où tous ces biens sont produits, avec des Codes du travail élastiques et des taux de pollution robustes, on ne s'embarrasse pas vraiment de ces questions. On s'intéresse à l'avenir. Les Européens, eux, s'occupent du passé. 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