Culture / Le «Sursis» de Pierre De Grandi est aussi celui de nous tous
© Marcelo Leal via Unsplash
Récit clinique et poétique à la fois, mêlant témoignage au jour le jour et réflexions de haute volée, inquiétude et colère, reconnaissance déclarée à la vie et questions éternelles de l’humain confronté à ses fins, le livre du médecin octogénaire rattrapé par le cancer est d’un humaniste éclairé dont la lucidité stoïque, frottée d’humour et de tendresse, devrait parler à tout un chacun.
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Ces médecins-là brûlent d’amour pour le vivant, deviennent fous d’amour pour l’humanité. Mais l’amour trop grand est exigeant, et comment! Plus l’amour est grand, plus la déception est immense…»</p> <p>Et Bortnikov, écrivain largement reconnu et préfacier de ces <em>Notes d’un médecin</em>, de se rappeler qu’il a toujours voulu être médecin comme sa mère et son grand-père maternel et qu’il a travaillé en ses jeunes années dans une maternité où la première chose qu’on lui a dite se réduisait à cet ordre: «D’abord, tu laveras le sol». Comme Thérèse d’Avila aux novices de son couvent impatientes de flirter avec le Seigneur: «D’abord, vous laverez le sol»… </p> <h3><strong>«Soigner la nuit jusqu’à l’aube»</strong></h3> <p>C’est aussi la première expérience pratique de la médecine vécue par Vikenti Veressaïev, après la théorie ressassée pendant des années d’études: assister à un premier accouchement sans y toucher , assister à sa première dissection sans y toucher, et ensuite mettre la main à la pâte vivante et vivre la mort de son premier patient après une première erreur de diagnostic, vivre cette horreur de prendre une vie qu’on était supposé sauver, douter absolument de soi, et douter bientôt de la médecine même, avant de découvrir, par la grâce d’un aîné, que l’expérience et la compétence sont aussi de ce monde et que c’est à travailler, travailler et travailler à cette acquisition qu’il faut se consacrer – «soigner la nuit jusqu’à l’aube», dit encore Dimitri Bortnikov, qui rappelle dans la foulée les noms de ces médecins-écrivains amoureux de l’humanité qu’ont été Anton Tchékhov – lequel admirait Veressaïev «pour le courage de son écriture», mais aussi Mikhail Boulgakov, génial auteur du <em>Maître et Marguerite</em> à qui l’on doit également de fameux <em>Carnets d’un jeune médecin,</em> d’André Breton et de Louis Aragon et jusqu’à Rabelais… </p> <h3><strong>Un livre brûlant, et surtout éclairant…</strong></h3> <p>«Lecteur, tu tiens dans les mains un livre brûlant», écrit encore Dimitri Bortnikov, qui souligne que «son auteur n’a jamais perdu confiance en l’homme ni son amour pour lui en dépit de ce qu’il ressentait: «Parfois, je voyais le monde comme un immense hôpital»…</p> <p>Mais quoi de commun, objectera-t-on, entre l’«hôpital» des dernières années du XIXe siècle – les notes de Veressaïev courent entre 1895 et 1900 – et la médecine actuelle aux transformations vertigineuses, quoi de commun au temps où l’on inoculait la syphilis à des patients-victimes en bonne santé pour en observer «scientifiquement» les effets, et celui des protocoles sophistiqués de l’éthique médicale, en attendant les dernières avancées de l’intelligence artificielle!</p> <p>Eh bien justement, à propos de l’IA: les débats actuels sur la nécessité de préserver le facteur humain et la relation personnelle du médecin et du patient sont au cœur, déjà, des observations et des mises en garde de Veressaïev, immédiatement en rupture d’omertà. Ah bon, le milieu médical de l’époque pratiquait déjà l’omertà? Pas que!</p> <p>Plus on avance dans la lecture de ces <em>Notes d’un médecin,</em> plus on constate en effet l’actualité «brûlante» de ses observations, où il s’implique souvent lui-même. Cela commence par deux diagnostics erronés qu’il formule, étudiant en troisième année, en se croyant atteint d’un sarcome (un grain de beauté irrité par sa chemise), puis en croyant identifier les symptômes d’une «diabète insipide» en interprétant (mal) un ouvrage de référence du célèbre Adolf von Strümpeli – à relever alors au passage que Veressaïev ne cesse de citer la pléthorique littérature médicale de l’époque dont il se gave comme un fou pour compléter son savoir.</p> <h3><strong>Un ouvrage au caractère éminemment actuel</strong></h3> <p>Or dès ses débuts de médecin «sur le terrain», le jeune diplômé constate le malentendu: qu’il est censé désormais faire partie des «augures», alors qu’il ne sait rien. Qu’il ne pourra progresser sans expérience, laquelle le confronte à des pratiques qui le choquent comme les autopsies automatiques, sans consentement des familles, ou l’inoculation de maladies vénériennes aux fins d’observation, et de constater que les femmes subissent un traitement particulièrement humiliant, autant que les patients démunis; après quoi le thème de la médecine «à deux vitesses» ressurgit – tout cela qui devrait rester «entre nous», relève un éminent patron, lequel aura de quoi fulminer contre ce fâcheux cassant «le morceau».</p> <p>Là-dessus, pas besoin d’insister sur le caractère éminemment actuel de ce qui sépare la médecine «de parade», la «médecine-business», et celle qui vise essentiellement à soulager et guérir le patient. Plusieurs séries «médicales» sud-coréennes en donnent aujourd’hui une illustration critique éloquente, où des «hommes de l’art», qui sont souvent des femmes, résistent à la tentation du gain et de la rentabilité au profit de soins égaux pour tous. </p> <p>Au demeurant, s’il lui arrive de désigner explicitement des «bourreaux», Veressaïev n’en rend pas moins hommage aux vrais «héros» travaillant honnêtement, comme il s’y est lui-même employé.</p> <p>Riche de nombreux épisodes émouvants, voire parfois déchirants, <em>Notes d’un médecin</em> aborde aussi la question de la vivisection animale, où l’auteur, après avoir «sacrifié» un adorable macaque sur l’autel de ses recherches, s’interroge sur la légitimité de cette pratique «au nom de quel droit»…</p> <h3><strong>«L’hôpital» du début de XXe siècle</strong></h3> <p>L’on a appris récemment que le sinistre Bachar al-Assad se réjouissait de bénéficier, à Moscou, des meilleurs soins, à l’enseigne d’une médecine de haute qualité, sans comparaisons avec celle des provinces russes.</p> <p>Or la troisième partie du livre de Vikenti Veressaïev , où il parle de la survie difficile de beaucoup de ses confrères honnêtes pratiquant ce qu’on peut dire la «médecine des gens», à l’opposé des profiteurs, est un véritable tableau chiffré des conditions matérielles de la profession en Russie du début du XXe siècle, avec de forts contrastes entre capitales et campagnes – comme l’illustrent de leur côté tant de récits de Tchékhov – avec des aperçus latéraux sur la situation en Europe, nous renvoyant finalement à la situation de nos jours.</p> <p>Pour conclure cependant, le bilan plutôt sombre qu’il tire des conditions de travail de ses confrères lui semble moins alarmant que l’état général de l’«hôpital» de l’époque: «Les honoraires des médecins sont minimes, et cependant ils restent trop élevés pour beaucoup trop de leurs patients», écrit-il en 1900, un lustre après avoir fait ce constat de jeune carabin déjà lucide: «Non aucun doute n’était permis. Un être humain normal, c’est un être humain malade! L’être humain en bonne santé n’est qu’une heureuse anomalie».</p> <p>Alors santé, frères humains, un coup de vodka et prenez soin de vous…</p> <hr /> <p><strong><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1734619570_unknown15.jpeg" class="img-responsive img-fluid normal " width="135" height="207" /><br />«Notes d’un médecin», Vikenti Veressaïev, traduit du russe par Julie Bouvard, préface de Dimitri Bortnikov, Editions Noir sur Blanc, <em>La Bibliothèque de Dimitri</em>, 261 pages.</strong></p> <p> </p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'le-monde-est-un-grand-hopital-ou-l-on-soigne-toujours-a-tatons', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 28, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 675, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5282, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Lire «Vivre», de Boualem Sansal, participe de sa libération', 'subtitle' => 'L’arrestation du grand écrivain algérien, le 16 novembre dernier à Alger, relève à la fois de l’infamie et de la logique d’Etat, s’agissant d’un opposant déclaré plus virulent même qu’un Salman Rushdie. 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Est-il vrai qu’il aurait apprécié le fait de ne pas être maltraité? Est-il vrai qu’il aurait affirmé ces derniers temps qu’il en avait assez de vivre? Et que voit-il par la fenêtre, si tant est que les murs qui l'enferment soient pourvus de la moindre ouverture? 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Mais pas du tout : maintes fois, en effet, l’auteur du redoutable 2084 l’a répété: ce n’est pas à l’islam qu’il en veut, mais à l’islamisme et à l’instrumentalisation sociale et politique du «message» musulman, comparable à l’instrumentalisation faite par tous les fanatiques césaro-papistes des confessions diverses, etc.</p> <p>Freeman Dyson rend hommage à l’auteure de science-fiction Madeleine L'Engle, très prisée des enfants et des ados anglo-saxons (elle a écrit une trentaine de romans les visant en priorité) et qui accorde, en chrétienne atypique, plus d’importance aux scientifiques qu’aux théologiens, coupables, selon elle, de limiter la notion de Dieu alors que «les scientifiques, avec leurs questions, avec leur émerveillement face à la gloire de l’Univers», l’ont aidée dans sa quête de méditation et de contemplation, tant il est vrai que les spécialistes de biologie cellulaire ou d'astrophysique traitent de la nature de l'existence même au fil de questions d’ordre théologique: «quelle est la nature du temps? 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Vous allez vous retrouver en vos jeunes années, quand vous vous interrogiez, graves filles et garçons, sur la place de l’homme dans l’Univers, le mystère de son origine et de ses fins dernières, l’éventualité de présences cousines dans les galaxies poches ou lointaines, enfin tout le branlebas de questions relevant de la religion, de la philosophie, de la métaphysique ou de la science-fiction.</p> <p>Si celle-ci a été «votre truc» entre 13 et 33 ans, soit par les livres de Bradbury et d’Asimov, soit par le cinéma avec Spielberg et autres odyssées de l’espace, vous vous retrouverez en pays de connaissance avec la partie explicitement conjecturale et truffée de trouvailles épatantes de <em>Vivre</em>, schématique à souhait et «limite» naïve quoique frisant le comique burlesque à la Monty Python dans son arborescence «scientifique», avant que le roman, apparemment tout différent des autres ouvrages de Boualem Sansal, ne vous ramène au cœur des préoccupations actuelles de l’écrivain: inquiétudes sociétales (fanatisme religieux et wokisme au menu) et chocs entre cultures et continents, monde en pleine bascule géopolitique et troisième guerre mondiale redoutée, fin des haricots et fuite sur Mars dans la fusée des Musk Brothers & Co, etc.</p> <p>Or je lis plus précisément, dans <em>Vivre</em>, que «les gouvernements n’ont jamais d’autre but que de satisfaire l’appétit insatiable des oligarchies et des camarillas qui les constituent»; et tout à l’heure je lisais ces lignes qui sont comme le «pitch» de ce formidable récit se jouant des codes «populaires» de la SF pour développer une réflexion voltairienne sur l’état actuel de nos sociétés et les hantises et autres fantasmes de survie de nos semblables divers: «Une entité de l’espace vous contacte télépathiquement pour vous annoncer que la Terre va disparaître, frappée par un phénomène naturel, est-il précisé, et qu’il vous incombe personnellement de désigner ceux qui seront sauvés. 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Boualem Sansal sera-t-il libre à Noël? C’est évidemment à espérer, même si cette fête d’«infidèles» tourne au marché de pacotille. Et les Terriens méritent-ils d’ailleurs d’être sauvés! Salut le mystère!</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1733404354_g08284.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="161" height="235" /></p> <p><strong>Boualem Sansal. <em>Vivre. Le compte à rebours</em>. </strong><strong>Gallimard, 2024, 233p. </strong></p> <p><strong><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1733404445_laviedanslunivers.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="156" height="248" /></strong></p> <p><strong>Freeman J. Dyson. </strong><strong><em>La vie dans l’univers. Réflexions d’un physicien. </em></strong><strong>Gallimard, Bibliothèques des sciences humaines, 2009. 255p.</strong></p> <hr /> <h2><strong>Entretien avec Boualem Sansal, en 2006 </strong></h2> <p><strong> </strong><strong>(paru dans le quotidien <em>24 heures </em>le 9 mai 2006)</strong></p> <p>Boualem Sansal est l’une des grandes voix de la littérature algérienne francophone, dont les romans ressaisissent la tragique et complexe réalité contemporaine avec une porosité et une faconde sans pareilles. Après <em>Le serment des barbares</em> (1999), <em>L’enfant fou de l’arbre creux</em> (2000) et <em>Dis-moi le paradis</em> (2003), son quatrième roman, Harraga, s’attache à deux destinées de femmes avec autant d’empathie que de lucidité révoltée. Au printemps 2006, cet auteur qui a «mal à l’Algérie» adressait une lettre ouverte à ses compatriotes intitulée <em>Poste restante: Alger,</em> d’un courage civique impressionnant. Nous avions rencontré l’auteur après cette parution...</p> <p><strong>Comment, Boualem Sansal, vivez-vous aujourd’hui en Algérie?</strong></p> <p>Plutôt mal, après une amnistie marquant la réhabilitation des criminels d’hier, qui se retrouvent à plastronner en ville avec une arrogance extraordinaire. La chape d’un ordre moral intolérant se fait de nouveau ressentir, parallèlement à la réintroduction de l’enseignement religieux et à l’occupation des mosquées. Or la population semble l’accepter, tant elle est respectueuse de l’islam.</p> <p><strong>Quelle a été votre éducation personnelle?</strong></p> <p>Je suis né dans une famille où l’on pensait que l’instruction était essentielle. Ayant perdu mon père très tôt, j’ai été soumis, avec mes trois frères, à la discipline rigoureuse d’un grand-père chef de gare qui avait fait la guerre de 14-18, laïc et profondément attaché à la France et à sa culture. Après un début d’études classiques en latin-grec, j’ai cependant bifurqué sur une formation d’ingénieur, l’Algérie de l’indépendance ayant besoin de bâtisseurs et de techniciens plus que de «beaux parleurs», comme on disait alors. C’est pourquoi je me suis retrouvé, en 1992, au poste de Directeur de l’industrie, où m’avait appelé un condisciple devenu ministre.</p> <p><strong>Qu’avez-vous appris dans les allées du pouvoir?</strong></p> <p>Ce qui m’a le plus frappé, c’est la morgue, la corruption, les luttes entre clans et, d’une manière générale, le mépris de la population, ainsi qu’une formidable incompétence des apparatchiks du parti unique.</p> <p><strong>En avez-vous un exemple?</strong></p> <p>Le plus éloquent est ce rapport qu’un ministre m’a chargé d’établir, sur les relations entre l’endettement des pays du Sud méditerranéen et leur niveau de développement. Me fiant aux chiffres de la Banque mondiale et du FMI, j’ai constaté que les pays les plus endettés à régimes autoritaires, à commencer par l’Égypte, étaient aussi les plus déficients en matière de développement, alors qu’Israël, super-endetté, affichait un développement constant. Ce constat a mis le ministre en fureur, qui m’a prié de supprimer la mention d’Israël, ce que l’honnêteté m’interdisait. Je lui ai donc proposé ma démission immédiate, qui a été refusée en même temps qu’on enterrait le rapport. Par la suite, mes positions et mes livres m’ont valu d’être limogé.</p> <p><strong>Comment en êtes-vous venu au roman?</strong></p> <p>Cela s’est fait comme ça, pendant la terreur islamiste qui nous cloîtrait. Or que fait-on dans ces conditions ? On tourne en rond, on remâche les dernières horreurs du jour, on prend des notes sur ce qu’on observe, et tout à coup le « roman » est là, dicté par la vie. C’est ainsi qu’est né Le serment des barbares.</p> <p><strong>Décrire la réalité si fidèlement, comme l’a fait aussi votre ami Rachid Mimouni, ne représentait-il pas un risque?</strong></p> <p>Bien entendu, mais sortir dans la rue était déjà risqué. A propos de mon ami Rachid, la nuit suivant son enterrement en Algérie, des fanatiques ont exhumé son cadavre pour le livrer aux chiens. Ce n’est pas du roman : c’est la réalité, comme <em>Harraga </em>relève d’une réalité vécue.</p> <p><strong>Dans votre lettre ouverte aux Algériens, vous vous en prenez violemment à l’amnistie…</strong></p> <p>Pour aboutir à une vraie réconciliation, il fallait enquêter et rendre la justice. Je ne suis pas contre le pardon, au contraire, mais cette amnistie était une insulte aux victimes et un déni de justice.</p> <p><strong>Pensez-vous être entendu? 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Celle-ci l’éloigne-t-elle du réel, ou lui permet-elle au contraire de se libérer du «nombrilisme» et de mieux accéder à l’«universel»?</p> <p>De telles questions auront peut-être «fait débat», cet hiver-là, tandis qu’il neigeait sur Vilnius, à tel festival de littérature auquel venait de participer Sarah Popp (quel nom, n’est-ce pas? pour une auteure, autrice, auteuse ou autorelle en langage d’inclusion), qui se réjouissait de revenir en Suisse pour y retrouver, à la veille de son cinquante-neuvième anniversaire, son compagnon Tobie, aussi à l’aise à son piano que devant les fourneaux, et leur fille Matild associée à une mini-troupe d’animateurs de robots-marionnettes au goût dernier cri de la nouvelle génération théâtrale.</p> <p>Alors quoi, un roman de plus sur les «problèmes du roman»? Mais quelle barbe! Et pourtant non: grâce à la neige et au gel, aux avions cloués au sol et donc à l’imprévu illico salué par Tobie («accepte ce qui arrivera» lui chante-t-il au téléphone quand elle lui expose son retard de deux ou trois jours), et Sarah de se réjouir de l’imprévisible occasion de vivre elle ne sait encore quoi alors que, de la fenêtre du bus qui la ramène de l’aéroport en ville, elle voit sans le voir un grand camion blanc dont la cabine figure une petite maisonnette, prélude à un conte à dormir debout. 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Il faudrait alors, par manière de réponse, détailler le roman et ses rebondissements, les multiples facettes de ses personnages, «raconter» le vieil Anders et le pourquoi de sa révolte remontant au calvaire social de sa mère, raconter celle-ci et sa propre façon de se libérer voire de se fiche de son passé, raconter l’amour fou de Sarah et de Tobie en butte au qu’en dira-t-on, raconter la sensualité persistante de Sarah la quasi sexa, raconter Sarah et sa fille, Sarah et l’angoisse, Sarah et les maux - Sarah et les mots, Sarah et la magie des objets, Sarah et la fantaisie de la fée-sorcière Rose-Marie.</p> <p>Rose-Marie Pagnard est poète autant sinon plus qu’elle est romancière, à savoir que chez elle les mots et les images passent avant les «scènes à faire», qui tissent une sorte de tapisserie «musicale» aux détails reproduisant à foison la joyeuse profusion de la réalité.</p> <h3>Féerie kaléidoscopique</h3> <p>Et c’est alors qu’il faudrait citer à qui mieux mieux, quitte à tirer «la ficelle folie». Citer le «sac de tristesse» de l’ancien voisin bûcheron, «vieux mais propre» et fleurant le savon, le bois et le citron. Citer le syndrome des jambes de Sarah dont les cauchemars l’empêchent de dormir car «chaque nuit est un piège», telle étant la part d’ombre de ce tourbillon lumineux de neige comme produite par une usine à farine. Citer les vitrines, les concerts, les biscuits de Noël qui peut être «poussent les pensées vers la mélancolie». Citer la «tête osseuse» à «noblesse de cheval» du faux ogre estimant qu’on est tous des «maltraités de la vie». Citer le «cœur explosif» du passé de Sarah entrevu par Tobie, lequel inspire celle-ci quand il rage. Citer le souvenir pénible du «poulailler paroissial» de la mesquine petite ville. Citer les deux enfants morts emportés par le père dans un carton à chaussures – «il faut beaucoup de calme et de propreté pour que ces faits révèlent leur beauté». 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Le cancer, rien que le mot, puis la chose…
Pierre De Grandi raconte qu’il a eu un cancer une première fois, traité et en rémission depuis des années. Ce qui tombe bien, parce que vous aussi: nous sommes des tas, comme ça, avoir passé par là – moi c’est la radiothérapie à l’accélérateur linéaire qui m’a tiré d’affaire, toi ce sera par le scalpel ou la chimio, en tout cas il y a désormais une vie avec le cancer, même si le mot terrifie – et la chose est toujours «plus compliquée», comme on dit aujourd’hui, vu que la Bête a parfois des élans de retour, comme il en va pour l’auteur de Sursis.
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Reste alors à prendre connaissance, dans le temps ressaisi par Pierre De Grandi, des inappréciables «détails de la vie» modulés en deux temps selon les chapitres pairs (le présent de ce qui est vécu) et impairs (les projections imaginaires de la réflexion) de son récit mimant les mouvements d’inspiration et d’expiration du souffle vital.
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L’esprit d’Animus et le cœur d’Anima
L’ancien «patron», qui fut notamment directeur médical de notre CHUV cantonal, sait à peu près ce qui lui arrive quand une première biopsie lui apprend le retour d’un sournois «sarcome histiocytaire», dix-huit ans après un premier lymphome dûment traité et sous contrôle de «Sainte Rémission», et c’est en connaissance de cause qu’il va suivre, au fil des mois et d’un scanner à l’autre, l’évolution de la maladie; mais savoir une chose et la vivre n’est pas du pareil au même, et cela va se lire dans le transit de l’écriture elle-même, tantôt factuelle à vocabulaire scientifique et tantôt beaucoup plus sensible, poreuse, humorale ou lyrique.
«J’ai souvent eu la suspicion que la vie n’avait ni queue ni tête», écrit Pierre De Grandi au début de son récit, alors qu’il s’imagine déjà de l’autre côté du miroir: «Quand mon sarcome m’en a finalement donné la certitude, j’ai à mon tour rendu mon dernier souffle en me demandant si la mort, elle, aurait un sens».
Le hic, c’est que la vie continue bel et bien et qu’un livre ne sera pas de trop pour s’interroger sur son sens, le sens de notre présence sur terre (et c’est parti pour un chapitre sur l’évolution du vivant dès l’avènement de l’hémoglobine…) et l’inquiétant devenir de notre espèce à la fois géniale et vouée à l’autodestruction, la merveille inappréciable que constitue la mémoire humaine et notre capacité imaginative sans bornes, inspirant alors au praticien pragmatique des envolées poétiques de tous côtés – au jeu des réincarnations ils se verrait ainsi oiseau migrateur de préférence…
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Ne vous rendez-vous pas compte qu’en m’attaquant vous signez votre propre arrêt de mort? </p> <p>On se rappelle le lieu commun redécouvert au temps parano de la pandémie marquée Covid-19: que la vie même contient la mort, que nous mourons tous les jours un peu plus et que, deuxième paradoxe, ça nous angoisse même en pleine santé et que, sans voix, cela nous fait parler «à mort» avec la certitude, note Pierre de Grandi en grain de sel, que «tout finira bien»… Et cette «pointe», autre paradoxe en apparence, mérite réflexion en cela qu’elle désigne un parcours intérieur bel et bien vécu par l’auteur de <i>Sursis</i>, qui conclut, plus qu’à la résignation impuissante: à l’intuition d’un possible dernier accord joyeux.</p> <p>Reste alors à prendre connaissance, dans le temps ressaisi par Pierre De Grandi, des inappréciables «détails de la vie» modulés en deux temps selon les chapitres pairs (le présent de ce qui est vécu) et impairs (les projections imaginaires de la réflexion) de son récit mimant les mouvements d’inspiration et d’expiration du souffle vital.</p> <p>Après <i>Mars </i>de Fritz Zorn, qui a pour ainsi dire inauguré le genre du «récit de cancer» enrichi par maints autres témoignages plus ou moins bouleversants et autres essais, dont je ne citerai qu<i>’Une cuillerée de bleu</i> d’Anne Cuneo et <i>La maladie comme métaphore </i>de Susan Sontag – trois ouvrages impliquant les connotations sociales et même politiques de la maladie –, l’originalité de ce livre me semble tenir en cela que s’y exprime un grand spécialiste de la chose médicale qui connaît donc la musique (même si l’un des regrets de sa vie est de n’avoir pas pu développer la pratique d’un instrument…) et une personne en désarroi comme nous tous, devant la maladie, dont le «regard» m’a rappelé, personnellement, celui qu’on remarque aux patients des services d’oncologie dans leurs salles d’attente – regard à vrai dire incomparable, inoubliable…</p> <h3>L’esprit d’Animus et le cœur d’Anima<b></b></h3> <p>L’ancien «patron», qui fut notamment directeur médical de notre CHUV cantonal, sait à peu près ce qui lui arrive quand une première biopsie lui apprend le retour d’un sournois «sarcome histiocytaire», dix-huit ans après un premier lymphome dûment traité et sous contrôle de «Sainte Rémission», et c’est en connaissance de cause qu’il va suivre, au fil des mois et d’un scanner à l’autre, l’évolution de la maladie; mais savoir une chose et la vivre n’est pas du pareil au même, et cela va se lire dans le transit de l’écriture elle-même, tantôt factuelle à vocabulaire scientifique et tantôt beaucoup plus sensible, poreuse, humorale ou lyrique.</p> <p> «<em>J’ai souvent eu la suspicion que la vie n’avait ni queue ni tête</em>», écrit Pierre De Grandi au début de son récit, alors qu’il s’imagine déjà de l’autre côté du miroir: «<em>Quand mon sarcome m’en a finalement donné la certitude, j’ai à mon tour rendu mon dernier souffle en me demandant si la mort, elle, aurait un sens</em>». </p> <p>Le hic, c’est que la vie continue bel et bien et qu’un livre ne sera pas de trop pour s’interroger sur son sens, le sens de notre présence sur terre (et c’est parti pour un chapitre sur l’évolution du vivant dès l’avènement de l’hémoglobine…) et l’inquiétant devenir de notre espèce à la fois géniale et vouée à l’autodestruction, la merveille inappréciable que constitue la mémoire humaine et notre capacité imaginative sans bornes, inspirant alors au praticien pragmatique des envolées poétiques de tous côtés – au jeu des réincarnations ils se verrait ainsi oiseau migrateur de préférence…</p> <p>Fils du merveilleux artiste que fut Italo de Grandi, l’auteur de <i>Sursis </i>évoque le souvenir de celui-ci avec la même tendresse qui imprègne ses allusions, discrètes, à son épouse et à ses enfants ou à ses amis – comme à tout ce qui le rattache à la bonne vie, au dam de toute croyance en un ailleurs fantasmé ou «dogmatisé» par les théologies diverses. Agnostique déclaré, il y a chez lui du philosophe dansant à la Sénèque ou du roseau pensant à la Pascal ou à la Spinoza, mais Animus reste très libre dans le jardin d’Anima, et le psychanalyste François Ansermet a raison de voir en son récit une «prescription de liberté»…</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1688642356_356654691_10231988518482655_5635214219008332705_n.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="267" /></p> <h4>«Sursis», Pierre De Grandi, préface de François Ansermet, postface de Jacques Poget, Editions Slatkine, 220 pages.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'le-sursis-de-pierre-de-grandi-est-aussi-celui-de-nous-tous', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 374, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 675, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Edition) {} ], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5307, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Le monde est un grand hôpital où l’on soigne toujours à tâtons', 'subtitle' => '«Tout dire sur la médecine vécue au quotidien, où cauchemar est plus fréquent que victoire, il y a un siècle comme ce matin»: c’est le propos de Vikenti Veressaïev dans ses Notes d’un médecin, prisées par le public russe (et Tolstoï et Tchékhov à l’unisson) mais suscitant la fureur de certains de ses confrères. 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Ah bon, le milieu médical de l’époque pratiquait déjà l’omertà? Pas que!</p> <p>Plus on avance dans la lecture de ces <em>Notes d’un médecin,</em> plus on constate en effet l’actualité «brûlante» de ses observations, où il s’implique souvent lui-même. Cela commence par deux diagnostics erronés qu’il formule, étudiant en troisième année, en se croyant atteint d’un sarcome (un grain de beauté irrité par sa chemise), puis en croyant identifier les symptômes d’une «diabète insipide» en interprétant (mal) un ouvrage de référence du célèbre Adolf von Strümpeli – à relever alors au passage que Veressaïev ne cesse de citer la pléthorique littérature médicale de l’époque dont il se gave comme un fou pour compléter son savoir.</p> <h3><strong>Un ouvrage au caractère éminemment actuel</strong></h3> <p>Or dès ses débuts de médecin «sur le terrain», le jeune diplômé constate le malentendu: qu’il est censé désormais faire partie des «augures», alors qu’il ne sait rien. Qu’il ne pourra progresser sans expérience, laquelle le confronte à des pratiques qui le choquent comme les autopsies automatiques, sans consentement des familles, ou l’inoculation de maladies vénériennes aux fins d’observation, et de constater que les femmes subissent un traitement particulièrement humiliant, autant que les patients démunis; après quoi le thème de la médecine «à deux vitesses» ressurgit – tout cela qui devrait rester «entre nous», relève un éminent patron, lequel aura de quoi fulminer contre ce fâcheux cassant «le morceau».</p> <p>Là-dessus, pas besoin d’insister sur le caractère éminemment actuel de ce qui sépare la médecine «de parade», la «médecine-business», et celle qui vise essentiellement à soulager et guérir le patient. Plusieurs séries «médicales» sud-coréennes en donnent aujourd’hui une illustration critique éloquente, où des «hommes de l’art», qui sont souvent des femmes, résistent à la tentation du gain et de la rentabilité au profit de soins égaux pour tous. </p> <p>Au demeurant, s’il lui arrive de désigner explicitement des «bourreaux», Veressaïev n’en rend pas moins hommage aux vrais «héros» travaillant honnêtement, comme il s’y est lui-même employé.</p> <p>Riche de nombreux épisodes émouvants, voire parfois déchirants, <em>Notes d’un médecin</em> aborde aussi la question de la vivisection animale, où l’auteur, après avoir «sacrifié» un adorable macaque sur l’autel de ses recherches, s’interroge sur la légitimité de cette pratique «au nom de quel droit»…</p> <h3><strong>«L’hôpital» du début de XXe siècle</strong></h3> <p>L’on a appris récemment que le sinistre Bachar al-Assad se réjouissait de bénéficier, à Moscou, des meilleurs soins, à l’enseigne d’une médecine de haute qualité, sans comparaisons avec celle des provinces russes.</p> <p>Or la troisième partie du livre de Vikenti Veressaïev , où il parle de la survie difficile de beaucoup de ses confrères honnêtes pratiquant ce qu’on peut dire la «médecine des gens», à l’opposé des profiteurs, est un véritable tableau chiffré des conditions matérielles de la profession en Russie du début du XXe siècle, avec de forts contrastes entre capitales et campagnes – comme l’illustrent de leur côté tant de récits de Tchékhov – avec des aperçus latéraux sur la situation en Europe, nous renvoyant finalement à la situation de nos jours.</p> <p>Pour conclure cependant, le bilan plutôt sombre qu’il tire des conditions de travail de ses confrères lui semble moins alarmant que l’état général de l’«hôpital» de l’époque: «Les honoraires des médecins sont minimes, et cependant ils restent trop élevés pour beaucoup trop de leurs patients», écrit-il en 1900, un lustre après avoir fait ce constat de jeune carabin déjà lucide: «Non aucun doute n’était permis. 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Est-il vrai qu’il aurait apprécié le fait de ne pas être maltraité? Est-il vrai qu’il aurait affirmé ces derniers temps qu’il en avait assez de vivre? Et que voit-il par la fenêtre, si tant est que les murs qui l'enferment soient pourvus de la moindre ouverture? 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Mais pas du tout : maintes fois, en effet, l’auteur du redoutable 2084 l’a répété: ce n’est pas à l’islam qu’il en veut, mais à l’islamisme et à l’instrumentalisation sociale et politique du «message» musulman, comparable à l’instrumentalisation faite par tous les fanatiques césaro-papistes des confessions diverses, etc.</p> <p>Freeman Dyson rend hommage à l’auteure de science-fiction Madeleine L'Engle, très prisée des enfants et des ados anglo-saxons (elle a écrit une trentaine de romans les visant en priorité) et qui accorde, en chrétienne atypique, plus d’importance aux scientifiques qu’aux théologiens, coupables, selon elle, de limiter la notion de Dieu alors que «les scientifiques, avec leurs questions, avec leur émerveillement face à la gloire de l’Univers», l’ont aidée dans sa quête de méditation et de contemplation, tant il est vrai que les spécialistes de biologie cellulaire ou d'astrophysique traitent de la nature de l'existence même au fil de questions d’ordre théologique: «quelle est la nature du temps? 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Elle met à votre disposition un vaisseau qui peut emporter trois milliards de passagers, sur les huit que compte la planète. En les tassant, en les affamant un peu, vous prendrez peut-être un milliard de plus. Messieurs les religieux, nous voulons apprendre de vous. La question est celle-ci: que ferez-vous?» Quelqu’un devait commencer par lancer la discussion, ce fut l’imam. 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Boualem Sansal sera-t-il libre à Noël? C’est évidemment à espérer, même si cette fête d’«infidèles» tourne au marché de pacotille. Et les Terriens méritent-ils d’ailleurs d’être sauvés! Salut le mystère!</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1733404354_g08284.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="161" height="235" /></p> <p><strong>Boualem Sansal. <em>Vivre. Le compte à rebours</em>. </strong><strong>Gallimard, 2024, 233p. </strong></p> <p><strong><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1733404445_laviedanslunivers.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="156" height="248" /></strong></p> <p><strong>Freeman J. Dyson. </strong><strong><em>La vie dans l’univers. Réflexions d’un physicien. </em></strong><strong>Gallimard, Bibliothèques des sciences humaines, 2009. 255p.</strong></p> <hr /> <h2><strong>Entretien avec Boualem Sansal, en 2006 </strong></h2> <p><strong> </strong><strong>(paru dans le quotidien <em>24 heures </em>le 9 mai 2006)</strong></p> <p>Boualem Sansal est l’une des grandes voix de la littérature algérienne francophone, dont les romans ressaisissent la tragique et complexe réalité contemporaine avec une porosité et une faconde sans pareilles. Après <em>Le serment des barbares</em> (1999), <em>L’enfant fou de l’arbre creux</em> (2000) et <em>Dis-moi le paradis</em> (2003), son quatrième roman, Harraga, s’attache à deux destinées de femmes avec autant d’empathie que de lucidité révoltée. Au printemps 2006, cet auteur qui a «mal à l’Algérie» adressait une lettre ouverte à ses compatriotes intitulée <em>Poste restante: Alger,</em> d’un courage civique impressionnant. Nous avions rencontré l’auteur après cette parution...</p> <p><strong>Comment, Boualem Sansal, vivez-vous aujourd’hui en Algérie?</strong></p> <p>Plutôt mal, après une amnistie marquant la réhabilitation des criminels d’hier, qui se retrouvent à plastronner en ville avec une arrogance extraordinaire. La chape d’un ordre moral intolérant se fait de nouveau ressentir, parallèlement à la réintroduction de l’enseignement religieux et à l’occupation des mosquées. Or la population semble l’accepter, tant elle est respectueuse de l’islam.</p> <p><strong>Quelle a été votre éducation personnelle?</strong></p> <p>Je suis né dans une famille où l’on pensait que l’instruction était essentielle. Ayant perdu mon père très tôt, j’ai été soumis, avec mes trois frères, à la discipline rigoureuse d’un grand-père chef de gare qui avait fait la guerre de 14-18, laïc et profondément attaché à la France et à sa culture. Après un début d’études classiques en latin-grec, j’ai cependant bifurqué sur une formation d’ingénieur, l’Algérie de l’indépendance ayant besoin de bâtisseurs et de techniciens plus que de «beaux parleurs», comme on disait alors. C’est pourquoi je me suis retrouvé, en 1992, au poste de Directeur de l’industrie, où m’avait appelé un condisciple devenu ministre.</p> <p><strong>Qu’avez-vous appris dans les allées du pouvoir?</strong></p> <p>Ce qui m’a le plus frappé, c’est la morgue, la corruption, les luttes entre clans et, d’une manière générale, le mépris de la population, ainsi qu’une formidable incompétence des apparatchiks du parti unique.</p> <p><strong>En avez-vous un exemple?</strong></p> <p>Le plus éloquent est ce rapport qu’un ministre m’a chargé d’établir, sur les relations entre l’endettement des pays du Sud méditerranéen et leur niveau de développement. Me fiant aux chiffres de la Banque mondiale et du FMI, j’ai constaté que les pays les plus endettés à régimes autoritaires, à commencer par l’Égypte, étaient aussi les plus déficients en matière de développement, alors qu’Israël, super-endetté, affichait un développement constant. Ce constat a mis le ministre en fureur, qui m’a prié de supprimer la mention d’Israël, ce que l’honnêteté m’interdisait. Je lui ai donc proposé ma démission immédiate, qui a été refusée en même temps qu’on enterrait le rapport. Par la suite, mes positions et mes livres m’ont valu d’être limogé.</p> <p><strong>Comment en êtes-vous venu au roman?</strong></p> <p>Cela s’est fait comme ça, pendant la terreur islamiste qui nous cloîtrait. Or que fait-on dans ces conditions ? On tourne en rond, on remâche les dernières horreurs du jour, on prend des notes sur ce qu’on observe, et tout à coup le « roman » est là, dicté par la vie. C’est ainsi qu’est né Le serment des barbares.</p> <p><strong>Décrire la réalité si fidèlement, comme l’a fait aussi votre ami Rachid Mimouni, ne représentait-il pas un risque?</strong></p> <p>Bien entendu, mais sortir dans la rue était déjà risqué. A propos de mon ami Rachid, la nuit suivant son enterrement en Algérie, des fanatiques ont exhumé son cadavre pour le livrer aux chiens. Ce n’est pas du roman : c’est la réalité, comme <em>Harraga </em>relève d’une réalité vécue.</p> <p><strong>Dans votre lettre ouverte aux Algériens, vous vous en prenez violemment à l’amnistie…</strong></p> <p>Pour aboutir à une vraie réconciliation, il fallait enquêter et rendre la justice. Je ne suis pas contre le pardon, au contraire, mais cette amnistie était une insulte aux victimes et un déni de justice.</p> <p><strong>Pensez-vous être entendu? Et menacé?</strong></p> <p>On m’a appris récemment que le livre faisait l’objet d’une mesure de censure, mais de nombreux compatriotes partagent mon point de vue, même si mes adversaires me font passer pour un « agent de la France » Menacé ? L’Algérie est un grand pays, dans lequel je reste à peu près invisible. Par ailleurs, comme Mimouni, je suis protégé par ma notoriété. 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Celle-ci l’éloigne-t-elle du réel, ou lui permet-elle au contraire de se libérer du «nombrilisme» et de mieux accéder à l’«universel»?</p> <p>De telles questions auront peut-être «fait débat», cet hiver-là, tandis qu’il neigeait sur Vilnius, à tel festival de littérature auquel venait de participer Sarah Popp (quel nom, n’est-ce pas? pour une auteure, autrice, auteuse ou autorelle en langage d’inclusion), qui se réjouissait de revenir en Suisse pour y retrouver, à la veille de son cinquante-neuvième anniversaire, son compagnon Tobie, aussi à l’aise à son piano que devant les fourneaux, et leur fille Matild associée à une mini-troupe d’animateurs de robots-marionnettes au goût dernier cri de la nouvelle génération théâtrale.</p> <p>Alors quoi, un roman de plus sur les «problèmes du roman»? Mais quelle barbe! Et pourtant non: grâce à la neige et au gel, aux avions cloués au sol et donc à l’imprévu illico salué par Tobie («accepte ce qui arrivera» lui chante-t-il au téléphone quand elle lui expose son retard de deux ou trois jours), et Sarah de se réjouir de l’imprévisible occasion de vivre elle ne sait encore quoi alors que, de la fenêtre du bus qui la ramène de l’aéroport en ville, elle voit sans le voir un grand camion blanc dont la cabine figure une petite maisonnette, prélude à un conte à dormir debout. De fait, c’est de ce même camion que, quelques pages plus loin, va surgir le personnage le plus imprévu qui soit, au prénom d’Aimé et au nom d’Anders, messager comme tombé du ciel et kidnappant pour ainsi dire la romancière (qu’il connaît et suit depuis longtemps) pour l’enjoindre d’écrire enfin LA vérité, disons plus précisément ce qu’il voudrait lire sous sa plume de «témoin», d’écrivaine «engagée», question de rétablir la justice comme s’y employa longtemps sa maman juriste désormais plus que nonagénaire, rangée des prétoires et veuve d’un marchand de cornichons, qui a passé par la prison (crime d’avoir porté à l’époque un «enfant du péché») sans en être à vrai dire traumatisée (ah le «trauma» dont les médias actuels raffolent) au motif qu’elle y a découvert de l’imprévu, elle aussi…</p> <p>Des débats publics entre auteurs et autrices, peut-être assommants (comme souvent) ou au contraire passionnants (comme parfois), l’on passe alors, via la fiction, à une discussion incarnée, ancrée dans la réalité par mille détails concrets et savoureux, avec une Sarah jouant et déjouant à la fois le jeu de son kidnappeur. Ainsi se met-elle bel et bien à écrire des fragments de sa «vraie vie» sur la table de la maisonnette roulante, tandis que la romancière module sa propre vision des choses, où la poésie se joue allègrement des règles de la théorie, autant que des conventions morales.</p> <h3>Au dam du «poulailler paroissial»</h3> <p>Comment une romancière d’aujourd’hui doit-elle parler de la violence faite aux femmes, ou des humiliations subies au nom de la morale courante? Le kidnappeur de Sarah Popp, comme les gens «adultes et responsables», croit avoir la réponse, enjoignant la romancière de témoigner comme au commissariat ou au tribunal – aujourd’hui aux assises des médias friands d’accusations – «on veut des noms!» </p> <p>Or ce n’est pas minimiser les souffrances que de les confronter à la complexité de la vie, jamais réductibles aux seules sentences morales. Dans le roman de Rose-Marie Pagnard, en tout cas, la morale des bien-pensants, de telle tante bigote ou de tels voisins malveillants dans un village «gonflé de méchanceté», pèse lourdement sur les jugements portés sur telle jeune fille libre ou, d’une génération antérieure, sur telle «fille-mère» passible de la prison. Mais Sarah Popp n’est pas du genre, en tant que romancière, à se contenter d’une «dénonciation» univoque. Est-ce dire qu’elle fuit dans l’équivoque? Pas non plus. Il faudrait alors, par manière de réponse, détailler le roman et ses rebondissements, les multiples facettes de ses personnages, «raconter» le vieil Anders et le pourquoi de sa révolte remontant au calvaire social de sa mère, raconter celle-ci et sa propre façon de se libérer voire de se fiche de son passé, raconter l’amour fou de Sarah et de Tobie en butte au qu’en dira-t-on, raconter la sensualité persistante de Sarah la quasi sexa, raconter Sarah et sa fille, Sarah et l’angoisse, Sarah et les maux - Sarah et les mots, Sarah et la magie des objets, Sarah et la fantaisie de la fée-sorcière Rose-Marie.</p> <p>Rose-Marie Pagnard est poète autant sinon plus qu’elle est romancière, à savoir que chez elle les mots et les images passent avant les «scènes à faire», qui tissent une sorte de tapisserie «musicale» aux détails reproduisant à foison la joyeuse profusion de la réalité.</p> <h3>Féerie kaléidoscopique</h3> <p>Et c’est alors qu’il faudrait citer à qui mieux mieux, quitte à tirer «la ficelle folie». Citer le «sac de tristesse» de l’ancien voisin bûcheron, «vieux mais propre» et fleurant le savon, le bois et le citron. Citer le syndrome des jambes de Sarah dont les cauchemars l’empêchent de dormir car «chaque nuit est un piège», telle étant la part d’ombre de ce tourbillon lumineux de neige comme produite par une usine à farine. Citer les vitrines, les concerts, les biscuits de Noël qui peut être «poussent les pensées vers la mélancolie». Citer la «tête osseuse» à «noblesse de cheval» du faux ogre estimant qu’on est tous des «maltraités de la vie». Citer le «cœur explosif» du passé de Sarah entrevu par Tobie, lequel inspire celle-ci quand il rage. Citer le souvenir pénible du «poulailler paroissial» de la mesquine petite ville. Citer les deux enfants morts emportés par le père dans un carton à chaussures – «il faut beaucoup de calme et de propreté pour que ces faits révèlent leur beauté». Citer la beauté partout quand on a l’âme clame et propre à l’écart des «bandits en soutanes», ou citer par la fenêtre du bus les bonds de dauphins que suggèrent les ondulations d’un pipeline russe violet sur fond de neige, citer la forêt qui «se serre autour de l’histoire» avec «cette petite histoire humaine à l’intérieur», etc.</p> <p>Rose-Marie Pagnard a l’âge des seniors et la grâce des enfants, ou plutôt de l’enfance en tant qu’instance de l’imagination sans âge, et c’est à l’enfance grave des contes que la fugue dans la neige lituanienne de <i>L’enlèvement de Sarah Popp</i> fait penser, à l’enfance tissée d’émerveillements primesautiers et d’effrois secrets, à ce qui nous reste de bonne rage vivace après les déceptions et les larmes, à ce qui relance notre joie. </p> <p>Dans ce conte foisonnant qui ressemble si fort à la vie, peut-être même plus réel qu’elle, il y aurait, au conditionnel de l’enfance, un poney cinquantenaire aux yeux bleus, un drôle de type nommé Robert Louis Stevenson comme le conteur fameux mort aux îles Samoa d’un AVC après avoir fait rêver les jeunesses du monde à son île au trésor, un beau garçon surnommé Chasseur qui se fait draguer «grave» par Sarah, laquelle n’est plus à la fin qu’une poussière géante ou qu’une araignée en chocolat sous le balai de la mémoire passée et future, avec les mots de Rose-Marie Pagnard, fée et sorcière-sourcière emmêlée dans ses pinceaux et autres stylos dans sa féerie évoquant «une danse de Lapons endormis», lapins d’Alice et compagnie, sous les étoiles dont les noms (Chevelure de Bérénice ou Petit Lion) «valent le coup de vivre cent ans», enfin Sarah, agitant son kaléidoscope, se dit comme ça, «qu’il ne lui est pas nécessaire de tout comprendre, seulement de vivre et d’être amie de l’imagination».</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1732184054_zoelenlevementdesarahpoppcopie.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="298" /></p> <h4>«L’enlèvement de 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<p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1730994068_9782266341042ori.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="328" /></p> <h4>«Et c'est ainsi que nous vivrons», Douglas Kennedy, traduit de l'anglais (USA) par Chloé Royer, Editions Belfond/Pocket, 451 pages.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'douglas-kennedy-interroge-l-amerique-qui-le-divise', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 65, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 675, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => 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