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Analyse

Analyse / Vers un réenchantement du système de santé grâce à la crise écologique?


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Pollution des sols, de l’eau, de l’air, effondrement de la biodiversité, raréfaction des ressources fossiles, émissions de CO2: la crise environnementale a un impact négatif sur le vivant, sur la santé des populations d’ici et d’ailleurs. Notamment à cause de notre surconsommation de produits pharmaceutiques, notre système de santé contribue aux pollutions environnementales.



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Ce système est en crise depuis longtemps et ses coûts ne cessent d’augmenter. L’écosystème foisonnant du «Forum suisse pour la durabilité du système de santé: comment réussir la transformation?» pose sur la table ces constats alarmants et invite les professionnels à questionner leurs valeurs et réinventer leurs pratiques: entre économie, technologie et réenchantement.

Les médicaments? Un éléphant dans la pièce

Issus des industries pharmaceutiques, les médicaments sont comme «An Elephant in the Room» de Banksy, comme le déplore René Jaccard. Ce dont personne ne parle. Ce qui prend pourtant presque toute la place. En effet, certaines molécules chimiques ont un éco-bilan toxique catastrophique, si l’on prend en compte tous les éléments de leur cycle de vie: extraction, production, transport, conservation, emballage, distribution, destruction.

Les entreprises pharmaceutiques, plus polluantes que l’industrie automobile, seraient responsables de près du tiers de l’empreinte carbone des systèmes de santé, sans compter les pollutions chimiques sur leurs sites de production. Prescrits aux humains et administrés au bétail, les médicaments ingérés, une fois excrétés, finissent dans l’environnement impactant négativement la flore et la faune terrestre et aquatique. Les chercheurs observent une absence problématique de transparence de la part des industriels de la chimie. Ce ne sont pas les procès perdus par les industriels de la pharma, représentant pourtant des milliards, qui ont le moindre impact sur leurs méthodes, tant ces amendes sont ridicules au regard des profits engrangés. Cette opacité, associée à une carence de surveillance et de réglementation étatique, contribue à une baisse de confiance de la population face aux produits pharmaceutiques et leurs pourvoyeurs.

L’impact de nos médicaments sur le vivant est étudié par Unisanté. Contrairement aux pesticides, les micropolluants pharmacologiques ne sont pas limités quantitativement et ne sont ni filtrés, ni traités par les stations d’épuration en Suisse. Tifaine Charmillot et ses collègues observent des conséquences sanitaires, telles que la résistance aux antibiotiques ou les troubles de la fertilité dûs aux perturbateurs endocriniens, sans compter les effets plus dramatiques encore pour les pays producteurs des matières premières comme l’Inde ou la Chine. Selon Valérie D’Acremont, la source du problème provient bien moins des exigences des patients que des médecins prescripteurs de produits pharmaceutiques. Nos médecins pourraient pourtant supprimer, substituer, proposer des alternatives non pharmacologiques ou diminuer les doses médicamenteuses. Le réflexe de l’ordonnance en fin de consultation est ancré dans les pratiques. Au détriment du vivant.

Leur but n’étant pas que philanthropique, nous sommes pourtant devenus dépendants des industriels. Dans le documentaire 36.9° Médicaments: autopsie d’une pénurie, ces derniers admettent ouvertement être tournés vers un profit pour eux-mêmes et leurs actionnaires, les attirant vers des produits novateurs et onéreux, au détriment d’un service sociétal de maintien d’une offre d’anciens médicaments génériques accessibles, bon marché et produits localement. Les populations se trouvent désarmées face aux pénuries et dépossédées de leur souveraineté sanitaire quand bien même elles sont contraintes de les financer largement à travers leurs cotisations à l’assurance maladie obligatoire. Les géants de la pharma mondialisée, couplés au pouvoir technocratique médical et au pouvoir politique: voici le nouveau trio.

La «santé» au défi des «solutions»

Tout en étant à la source du problème, vu le modèle productiviste dans lequel nos sociétés sont empêtrées, le solutionnisme techno-scientifique nous promet de résoudre le «nouveau» défi environnemental. En 1974 déjà, le philosophe André Gorz, dans un article intitulé «Leur écologie et la nôtre» prévoyait «la récupération de l’écologie par l’industrie et les groupes financiers»: c’est-à-dire par le capitalisme, actuellement, le néolibéralisme mondialisé. L’innovation technologique nous sauverait, du changement climatique comme de la maladie. Certes, comme l’affirme un médecin institutionnel, dans le cadre de la biomédecine: «La technologie peut amener sa contribution. On n’a pas envie de revenir à l’âge de pierre». Mais la tentation de maintenir l’expert techno-médical au centre, au détriment du patient, reste présente chez certains professionnels. Ce réflexe pourrait s’expliquer par le souhait de préserver une vision prestigieuse de la médecine avec ses privilèges symboliques et économiques.

Nous relevons un impensé au cœur de certaines propositions: croire que l’intelligence artificielle ou le développement de nouvelles app pour évaluer nos émissions de CO2 vont nous aider à solutionner les problèmes… écologiques! Ces idées paradoxales omettent non seulement l’impact de notre cyberdépendance, les risques relatifs à l’exploitation de nos données personnelles, mais aussi les répercussions de la digitalisation de nos vies sur l’environnement: comme l’extraction de terres rares pour la fabrication des outils numériques ou la consommation gourmande en électricité et en eau pour refroidir les installations des centres de données. A l’ère du capitalisme de surveillance décrit par Shoshana Zuboff, il ne s’agit pas d’être technophobes, mais de réfléchir à «(…) la possibilité même d’un épanouissement démocratique et humain». Solange Ghernaouti préconise même une retenue numérique, car «La numérisation de toutes nos activités engendre toujours plus de destruction, d’exploitation et de consommation de ressources naturelles.»

Comme s’interrogent Barbara Stiegler ou Roland Gori, faut-il s’adapter constamment, se réformer, faire des efforts, réduire, se restreindre, faire des économies? Faut-il imposer de nouvelles normes, de nouvelles obligations, de nouvelles restrictions? Faut-il faire moins? Cette ritournelle des nouvelles politiques publiques: «la fin de l’abondance!», est un vœu pieux, triste et désespérant. L’enjeu est bien, non pas de surveiller, punir, contraindre et compresser des soignants déjà sous pression, mais se demander comment faire autrement et faire envie aux personnels de santé, à ceux qui risquent d’être désignés comme réfractaires au changement et qui, à raison, verront d’un mauvais œil toute nouvelle bureaucratie au nom du climat. Comment donc, non pas seulement faire moins, mais faire mieux avec créativité et joyeusement?

Vers un nouveau paradigme réenchanté?

La tâche est grande, afin de dépasser le cercle des convaincus au sein d’un système de santé largement conservateur et rigide. Il est urgent de sensibiliser les jeunes médecins en formation: repenser les définitions de la santé, de la maladie, du soin, débiomédicaliser, développer une vision holiste, inter ou transdisciplinaire, développer un nouveau paradigme pour une médecine et des soins durables low tech, ainsi que des approches alternatives de soins et de promotion de la santé. Pour Stéfanie Monod, il est temps de remplacer «notre vieux système de soins hospitalo-centrés», par un nouveau modèle qui réponde mieux aux besoins de notre société et fasse une large place à la promotion de la santé.

Il s’agit aussi de simplifier le système de santé, afin d’améliorer la qualité des soins tout en diminuant les coûts. Comme le rappelle Sophie Ley, il serait temps de prendre soin de la durabilité des soignantes et soignants – ne trouvant plus le sens de leur engagement dans un contexte désenchanté – en leur offrant l’occasion de survivre plus que deux ans dans leur métier. La discrépance entre leur excellente formation professionnelle humaniste et la réalité triviale trop souvent déshumanisée du terrain est un élément largement sous-estimé par les politiques qui se contentent, en réponse à la pénurie, de préconiser l’augmentation du nombre de professionnels formés. Une hémorragie ne se traite pas uniquement en administrant du sang neuf.

La question fondamentale reste bien celle que formulait Gorz: «Que voulons-nous? (…) Réforme ou révolution?» Dans cette filiation, Pierre-Yves Maillard accuse avec énergie le système structurel absurde de payement à l’acte. Inhérent à cette idéologie capitaliste de la croissance financière, ce système incitatif à produire des consommables techniques et quantitatifs, conduit à l’augmentation continuelle des primes d’assurance maladie. Etant pourtant la source du problème, il dénonce le fait que personne ne souhaite changer cette donnée de base, surtout pas la FMH! Il propose de repenser la mission des hôpitaux avec une logique de service public: notamment grâce à un renforcement des soins de prévention et des soins palliatifs dignes de ce nom.

Ces enjeux seront exercés au sein d’une assemblée citoyenne académique, avant d’être traités en partenariat avec l’ensemble de la société, dans une démarche de participation citoyenne éco-créative. Jurgen Habermas, cité par Nicolas Senn, nous rappelle que le nombre de votes ne suffit pas à donner de la légitimité mais nécessite une bonne délibération, contrairement à ce qui est avancé dans cet éditorial sur la Démocratie sanitaire en Suisse. Une véritable démocratie sanitaire, outre un débat ouvert aux alternatives, nécessite également une information transparente, afin de proposer un choix pouvant conduire à un consentement totalement libre et éclairé. Il serait ainsi bon de développer des assemblées citoyennes, avec une gouvernance partagée, afin de réfléchir ensemble à quelles valeurs cultiver. Comment valoriser et réenchanter nos existences de patients, de soignants? Quelle place pour la Beauté, la Nature, l’Amour, l’Art, l’Ethique?

Ces réflexions socio anthropologiques et philosophiques sont en effet vouées à se déplacer du cercle de la santé publique vers la société civile, afin de créer le monde que l’on souhaite voir advenir. Au nom du bien commun, au sein de ce qu’Ivan Illich nomme Némesis médicale, souhaitons-nous toujours des médicaments issus de la dernière technologie, mais générant souvent des effets secondaires, tout en étant très coûteux pour la société et très polluants pour notre environnement? Avons-nous encore confiance dans une recherche médicale désinvestie par le financement public au profit d’un «partenariat» avec le privé et engendrant des conflits d’intérêts? Croyons-nous encore à l’idéologie du progrès, sachant qu’il contribue parallèlement à la destruction du vivant? Rêvons-nous de télémédecine? Avons-nous envie de finir nos jours dans un EMS en relation avec des robots de compagnie? Désirons-nous vivre le plus longtemps possible même en mauvaise santé? In fine, croyons-nous, grâce à un acharnement thérapeutique, accéder à la vie éternelle et ainsi être sauvés de notre propre mort?

Comment réenchanter le système de santé? Même si c’est insuffisant et peu désirable, dans un premier temps, analyser chaque acte, tout en gardant l’approche biomédicale classique, car chaque geste individuel et collectif compte. Sans doute aussi, faire de la place au sein de la recherche et des pratiques cliniques à ces médecines alternatives complémentaires, «douces», parallèles, naturelles, intégratives, holistes, ancestrales, retrouvées dans la bibliothèque d’UNIGE, inscrites dans notre Constitution et auxquelles la population suisse est très attachée. Nous entendrons parler de ces autres médecines qui pourraient accompagner la débiomédicalisation subie (à cause des futures possibles restrictions ou coupures énergétiques) ou souhaitée pour leurs qualités intrinsèques. Nous pouvons faire de ces crises multiples, une chance, afin de réenchanter le monde, littéralement, re-magifier la vie.

Les savoirs médicaux ancestraux, empiriquement efficaces, peu onéreux et non polluants, sont souvent non prouvés scientifiquement. Prises dans un cercle vicieux, les médecines naturelles sont une potentielle menace pour l’industrie du médicament. Elles se trouvent ainsi discréditées par des lobbys pharmaceutiques qui ne vont pas leur offrir de financement pour leurs éventuelles recherches scientifiques. Par ailleurs, le modèle économique néolibéral est souvent le même et l'impact environnemental rarement abordé. Comment s’y retrouver? Comment trouver ce juste milieu pour une personne atteinte dans sa santé, ou simplement désireuse de la conserver, entre des réponses qui semblent si opposées et en l’absence d’information transparente et loyale? Il s’agirait sans doute d’éviter de confronter médecine allopathique et médecine naturelle qui ont tout intérêt à se compléter. C'est le modèle global de l’industrie de la maladie qui doit être revu, afin d'envisager au mieux la santé, notamment en termes d’équité, ici comme ailleurs. Au sein d’un nouveau paradigme en santé qui existe déjà à l’état embryonnaire, voici quelques exemples d’initiatives biologiques, locales, scientifiques, opulentes et sources de joie.

Relevant le défi de valider des traitements non brevetables par la recherche scientifique et grâce au soutien financier de la fondation Antenna, Bertrand Graz a développé une pharmacie verte – plantes médicinales économiques, locales et naturelles – facile à utiliser en soin de premier recours par tout le monde même les plus démunis. Cet outil se trouve être, en outre, très utile en cas de rupture d’approvisionnement de médicaments allopathiques. De son côté, Rola Darwiche a développé un «jardin de santé», puis un parc permaculturel composé de plantes comestibles et médicinales, autour de son cabinet médical en campagne genevoise. Elle invite à la réflexion autour des «prescriptions vertes» en partenariat et en cocréation fertile avec ses patients-experts. Cette démarche lui a permis la création de l’observatoire citoyen de la santé One Health Permaculture. L’étude validée avec la médecine basée sur les preuves d’Anne Laure Cavin teste quant à elle l’efficacité de produits naturels hypoglycémiants pour patients diabétiques. Les premiers résultats sont positifs. Les patients sont enthousiastes, ont moins d’effets secondaires, développent une meilleure souveraineté en santé et prennent mieux soin d’eux. Enfin, deux initiatives inspirantes du point de vue de leur démarche communautaire et participative sont citées en exemple par Nicolas Senn: le Village 2 Santé en France et la Maison médicale antenne Tournesol en Belgique.

Funambulisme réenchanteur

De l’ego (médecine) à l’éco (médecine), que nous soyons soignants ou patients, nous voici sur le fil du funambule citoyen. Comme l’écrivait le philosophe Antonio Gramsci: «Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître dans ce clair-obscur surgissent les monstres». En vue de ce nouveau paradigme, nous observons une confrontation de visions du monde qu’il s’agira de mener sur le terrain démocratique et avec transparence. Quelles articulations entre les initiatives venant d’en haut, potentiellement autoritaires et désincarnées, et celles venant d’en bas, plurielles, locales et fertiles?

A la grâce des différentes crises, les participants à ce colloque s’accordent à souhaiter privilégier la salutogenèse de leurs patients, les ressources naturelles régionales et la souveraineté pharmaceutique, tout en limitant les gaspillages et pollutions induites par leurs pratiques. Nous avons tenté de dessiner non seulement ce à quoi il s’agirait de renoncer, mais surtout esquisser quelques voies alternatives vers un autre projet de société. Ce que Gorz, Illich et de nombreux citoyens appellent de leurs vœux depuis longtemps. Une réunion de tant de bonnes volontés à ce forum nous redonne espoir en la possibilité de re-magifier la médecine, tout en protégeant l’eau, les sols, l’air, privilégiant ainsi la santé et la survie de l’ensemble du vivant.

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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

3 Commentaires

@Gamuret 08.07.2023 | 22h10

«Bonjour !
Mme Voeffray,
Merci pour ce magnifique article !
Gamuret »


@MaryElle 09.07.2023 | 08h16

«Le triste épisode covidien a sans doute permis à certain.e.s de comprendre en mode accéléré le message de cet excellent article. Puissions-nous tout aussi rapidement changer de paradigme »


@Chan clear 12.07.2023 | 09h48

«Super votre article, merci
Il laisse tellement de questions ouvertes….et heureusement que nous sommes encore plus ou moins libre de gérer notre santé individuelle selon nos convictions.
Je reste toujours dubitative devant les milliards que la recherche obtient alors que très rarement la cause des maladies est montrée d’un doigts, si nous inversions ces montants, des milliards pour nous maintenir en bonne santé , ce serait bien vu !»