Culture / L’ultra-endurance transposée à l’écriture
Lors du marathon du Mont Blanc 2018. © Chamonix Club - CC BY-SA 4.0
Avec son premier roman paru en octobre 2021 aux éditions Slatkine sous le titre «Malatraix», Emmanuelle Robert décroche une mention spéciale du jury du Prix du livre de montagne au Festival international du film alpin des Diablerets. Et nous emmène dans une intrigue rythmée, aux scènes courtes, avec ce qu’il faut de morts suspectes, de relations sexuelles et/ou amoureuses et de personnages contrastés représentatifs des différents courants de notre époque. Entretien.
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Il m’est finalement apparu que les autres personnages étaient plus intéressants en creux. Parce que c’est clairement autour d’un personnage que je construis ma narration pour un roman: en l’occurrence autour de Noah, dit le puceron, avec la problématique du mensonge et de la prison. La nouvelle en revanche s’articule plutôt autour d’une thématique, parce qu’on a moins de temps pour développer les personnages. Il faut les rendre très clairs en peu de lignes.</p> <p><strong>Qu’est-ce qui vous a inspiré l’envie de parler de la situation des proches de délinquants?</strong></p> <p>Une émission à la radio où Viviane Schekter de la fondation REPR (Relai Enfant Parents Romands) parlait des familles de détenus. La prison m’intéresse depuis longtemps, mais je n’avais jamais pensé à ce que la détention pouvait impliquer pour les familles. J’ai ensuite été bénévole pour Repère pendant des années au Bois-Mermet. 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Les proches sont au premier front pour encaisser les jugements. Mais à la fondation Repère, j’ai aussi rencontré des gens très à l’aise avec l’idée d’avoir un proche derrière les barreaux, et très décomplexés.</p> <p><strong>Votre narratrice a parfois l’air plus adulte que ses parents. Est-elle parentalisée ou est-ce juste une impression due au fait que le lecteur n’a que son point de vue?</strong></p> <p>Un peu des deux. Quand j’avais encore trois points de vue, j’essayais de montrer comment chacun pense avoir raison. C’est intéressant de chercher l’angle d’interprétation à partir duquel les gens estiment faire ce qu’il faut. Oriane a ce rôle de grande sœur réconfortante.</p> <p><strong>Vous décrivez un lien très fort et très touchant entre la grande sœur et son petit frère. Est-ce que les circonstances les amènent à mettre de côté les disputes habituelles au sein d’une fratrie?</strong></p> <p>Non, je pense que leur relation serait la même en d’autres circonstances. Cet amour très fort et cet agacement ultime existent avant l’incarcération du père. S’y ajoutent ensuite l’inquiétude et le besoin de protéger le petit frère. Oriane en veut à ses parents de devoir porter leur mensonge.</p> <p><strong>Votre narratrice est gardienne de foot dans une équipe mixte: le prétexte pour ajouter une petite touche féministe à votre livre?</strong></p> <p>Oui clairement. Je me suis demandée ce qu’on faisait à cet âge comme activité extrascolaire. J’ai voulu choisir quelque chose d’éloigné de mes propres activités pour éviter qu’Oriane ne devienne une sorte d’alter ego. C’était un bon moyen de prendre de la distance.</p> <p><strong>Comment avez-vous réussi à restituer de façon aussi convaincante les tics de langage, l’attitude très entière propre à l’adolescence, mais aussi une forme de mal-être, de crainte du jugement sans doute exacerbée par ce qu’elle vit?</strong></p> <p>C’est venu très naturellement. J’avais beaucoup travaillé la voix de Noah: dans tous les ateliers d’écriture, j’essayais de faire parler un enfant. J’ai construit Oriane par antithèse en m’inspirant de la façon de parler des gens qui m’entourent. J’avais vingt-et-un ans à l’époque, j’étais encore assez proche de l’adolescence. J’ai aussi pris soin d’éviter un vocabulaire trop précisément daté. J’y ai plus réfléchi comme un souffle que comme une langue.</p> <p><strong>Et la logorrhée de l’enfant?</strong></p> <p>C’est comme une pelote qu’on déroule et qui part dans tous les sens sans jamais se censurer.</p> <p><strong>Pourquoi avoir choisi de fondre les dialogues dans la narration?</strong></p> <p>Les dialogues ont eu beaucoup de formes différentes. Dans les premières versions, j’étais dans cette idée de flux de pensée rendue sous forme de monoblocs avec des dialogues juste marqués par des tirets. Ensuite j’ai quand même ajouté des retours à la ligne, mais comme Oriane a de la peine à dire tout ce qu’elle pense, je trouvais intéressant de maintenant le flou entre dialogue et pensée, pour que le lecteur puisse se demander si elle l’a réellement dit ou juste pensé et si elle a été entendue. Ce qu’elle dit s’inscrit dans une continuité par rapport à son flux de pensée.</p> <p><strong>L’histoire se déroule dans un milieu social très modeste: est-ce que la précarité économique excuse en partie le dérapage du père?</strong></p> <p>Je ne pense pas qu’elle l’excuse, mais elle l’explique. J’avais quand même envie qu’il y ait d’autres solutions, par exemple solliciter l’aide de la grand-mère. Mais les alternatives sont maigres. Maintenant que j’ai travaillé comme assistance sociale, je développerais ces problématiques autrement. 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BPLT: Vous avez écrit un roman extrêmement touffu qui foisonne de personnages. Est-ce qu’ils contribuent tous à faire avancer l’enquête? Ou sinon, quelle est leur utilité romanesque? Servent-ils à brouiller les pistes?
Emmanuelle Robert: Oui, ils sont tous au service de l’intrigue. Dans les livres, ce sont les personnages qui m’intéressent. J’ai été élevée au roman foisonnant, notamment les romans espagnols qui comportent beaucoup de mini-histoires à l’intérieur de la trame principale. C’est comme dans la vie, on a toujours plein d’histoires en parallèle.
Le milieu LGBTQ+ y est très présent. Est-ce un souci d’inclusivité qui vous pousse à vouloir représenter toutes les tendances de notre société?
En fait, je ne le trouve pas si présent que ça. Un roman est une vision du monde et j’ai voulu que mes personnages correspondent aux gens que je rencontre et que je fréquente, qu’il reflète en partie mon regard sur la société. Je suis toujours surprise de l’absence de certains milieux que je fréquente. Pour moi, c’était normal de leur faire une place. Des lecteurs m’ont dit qu’ils avaient eu l’impression de lire un roman qui intégrait leur propre histoire. Ayant commencé ma carrière en défendant les droits humains chez Amnesty international, je suis très imprégnée de cette notion d’égalité des droits et des chances.
En quoi l’intrigue parallèle nourrit-elle l’intrigue principale?
C’est lié à la fois aux personnages qui la portent et à la période dans laquelle elle s’inscrit, à savoir la pandémie, avec toutes ses implications financières.
Votre histoire se situe en effet pendant la pandémie et dans la région de Montreux. Cet ancrage historico-géographique est-il important pour vous?
Oui, très, j’ai imaginé Malatraix à Malatraix et à Montreux. Pour entrer dans l’émotionnel, j’avais besoin de relier mon récit à des lieux que je connais et qui m’inspirent. La pandémie résulte d’un concours de circonstances, puisque j’avais demandé un congé sabbatique pour écrire et que c’est tombé pendant cette période si particulière. Je n’ai pas eu d’autre choix que d’inscrire mon histoire dans ce contexte.
Où se trouve le lieu-dit Malatraix et pourquoi a-t-il donné le titre de votre roman? Y a-t-il un jeu de mots?
Oui, il y a clairement une assonance. Ce nom me faisait rêver sur les panneaux de signalisation quand j’étais enfant. C’est un endroit difficile d’accès, ce qui rehausse la magie du lieu, situé au-dessus de Villeneuve en direction des Rochers-de-Naye.
Par cet ancrage local et par le thème du sport , avez-vous visé un public habituellement moins porté sur le livre?
Je ne visais pas de public en particulier. Vu que c’était mon premier roman, mon but était simplement d’arriver au bout en conjuguant les deux passions qui m’animent, à savoir la montagne et la course à pied.
Vous pratiquez les courses d’ultra-endurance. De manière compulsive?
Comme le sport est un concentré de vie et d’émotion, c’est un thème tout trouvé pour l’art en général. Mais je ne suis pas accro, parce que ces temps, je me suis contentée de distribuer des dossards. Je suis multisports en fonction de mes possibilités du moment. Et s’il doit y avoir une addiction, ce n’est pas à la notion de souffrance, mais plutôt au plein air, à la jubilation du mouvement.
Et vous transposez aussi l’ultra-endurance à l’écriture puisque votre roman fait près de 500 pages?
Probablement oui, je pense que la discipline et le mental qu’on développe dans des sports d’endurance, ainsi que la capacité de solitude, peuvent se reporter sur l’écriture.
Quel est l’impact environnemental de ces courses et plus généralement du sport de haut niveau?
Il y a forcément un impact dès lors qu’on déplace des gens. Le thème est au cœur d’une grande réflexion, des athlètes refusent maintenant de prendre l’avion et de participer à des courses qui impliquent de grands déplacements. Je participe rarement à des courses à l’étranger. Beaucoup d’organisateurs sont sensibles à la question: pour le trail du Barlatay, ils limitent le nombre de participants, en collaboration avec Pro Natura, car le parcours passe par des marais protégés.
Les nuisances causées par les coureurs alpins ne sont-elles pas anecdotiques à côté des autres déprédations propres à notre époque?
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Peut-on rester dans la légalité quand on lutte pour la préservation de l’environnement?
Oui, bien sûr, mais c’est une vaste question que de savoir jusqu’où va la légalité. Il y a aussi la question de la légitimité: dans la désobéissance civile, on n’est pas forcément hors-la-loi.
L’écolo type est habituellement citadin. Le vôtre est plutôt un ours de la montagne. Ce personnage est-il inspiré de quelqu’un de réel?
Pas lui directement, le cliché de l’écolo citadin est une caricature, mais je connais aussi des paysans et des montagnards très préoccupés de l’environnement. La plupart des gens qui vivent proches de la nature et du cycle des saisons sont porteurs d’un message écolo.
Vous parlez de tordre le cou aux préjugés contre les trailers. Quels sont ces préjugés?
Des préjugés comme celui des citadins en tenue fluo qui courent les yeux rivés à leur montre sans regarder le paysage. Je m’amuse à les exacerber pour leur tordre le cou.
Quels sont vos prochains projets littéraires et votre actualité?
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«Malatraix», Emmanuelle Robert, Editions Slatkine, 496 pages.
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Je m’amuse à les exacerber pour leur tordre le cou.</p> <p><strong>Quels sont vos prochains projets littéraires et votre actualité?</strong></p> <p>Je vais publier un deuxième polar le 25 août avec autant de personnages. Je serai en dédicace à la librairie Landru de Chamonix le 24 juin pendant le marathon du Mont-Blanc. Ça me fait plaisir de voir qu’un livre sorti en octobre 2021 continue sa vie.</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1686815187_book07211083.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="295" /></p> <h4>«Malatraix», Emmanuelle Robert, Editions Slatkine, 496 pages.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'l-ultra-endurance-transposee-a-l-ecriture', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 319, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 2859, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Edition) {} ], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5129, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Et si tout n’était qu’apparence?', 'subtitle' => '«Nos plus beaux jours sont des mensonges», Francisco Arenas Farauste, Editions 5 sens, 116 pages.', 'subtitle_edition' => '«Nos plus beaux jours sont des mensonges», Francisco Arenas Farauste, Editions 5 sens, 116 pages.', 'content' => '<p>Avec<i> Nos plus beaux jours sont des mensonges</i> paru aux éditions 5 sens en août 2023, le romancier Francisco Arenas Farauste, actuel président de l’Association vaudoise des écrivains, revient sur le thème de l’illusion. 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Il m’est finalement apparu que les autres personnages étaient plus intéressants en creux. Parce que c’est clairement autour d’un personnage que je construis ma narration pour un roman: en l’occurrence autour de Noah, dit le puceron, avec la problématique du mensonge et de la prison. La nouvelle en revanche s’articule plutôt autour d’une thématique, parce qu’on a moins de temps pour développer les personnages. Il faut les rendre très clairs en peu de lignes.</p> <p><strong>Qu’est-ce qui vous a inspiré l’envie de parler de la situation des proches de délinquants?</strong></p> <p>Une émission à la radio où Viviane Schekter de la fondation REPR (Relai Enfant Parents Romands) parlait des familles de détenus. La prison m’intéresse depuis longtemps, mais je n’avais jamais pensé à ce que la détention pouvait impliquer pour les familles. J’ai ensuite été bénévole pour Repère pendant des années au Bois-Mermet. 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J’avais beaucoup travaillé la voix de Noah: dans tous les ateliers d’écriture, j’essayais de faire parler un enfant. J’ai construit Oriane par antithèse en m’inspirant de la façon de parler des gens qui m’entourent. J’avais vingt-et-un ans à l’époque, j’étais encore assez proche de l’adolescence. J’ai aussi pris soin d’éviter un vocabulaire trop précisément daté. J’y ai plus réfléchi comme un souffle que comme une langue.</p> <p><strong>Et la logorrhée de l’enfant?</strong></p> <p>C’est comme une pelote qu’on déroule et qui part dans tous les sens sans jamais se censurer.</p> <p><strong>Pourquoi avoir choisi de fondre les dialogues dans la narration?</strong></p> <p>Les dialogues ont eu beaucoup de formes différentes. Dans les premières versions, j’étais dans cette idée de flux de pensée rendue sous forme de monoblocs avec des dialogues juste marqués par des tirets. 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