Actuel / Turquie: le suspense est économique
Le président Erdogan en campagne, en mars 2023. © Recep Tayyip Erdogan / FB
A la perspective d’une réélection du président Erdogan, les commentateurs occidentaux ont dit leur surprise et leur déception. Ils avaient confondu leurs souhaits et les réalités complexes du terrain. Ils avaient surestimé les enjeux sociaux, le vote des femmes, le vote des jeunes, pour ou contre le voile. Et beaucoup n’avaient pas perçu l’opinion des minorités kurdes et chrétiennes, mieux considérées par le régime qu’on ne l’a dit. Celles-ci ont soutenu pour une part appréciable le pouvoir actuel. L’erreur fut aussi de croire que les difficultés et les incertitudes mènent forcément au changement. Elles peuvent déboucher au contraire sur le conservatisme, un fort besoin de sécurité, de stabilité, de conduite forte. D’où la résistance du «reis».
Si les sondages se sont trompés, cela est probablement dû au fait qu’ils fonctionnent là où les gens répondent sans frein au téléphone; dans la Turquie campagnarde et profonde, on reste plus réticent et les résultats s’en trouvent faussés. La leçon vaut d’ailleurs pour d’autres pays. Qu’il est difficile d’appréhender la réalité sans se laisser influencer par sa vision personnelle. Ainsi il a beaucoup été dit que les populations frappées par l’effroyable séisme en voudraient au gouvernement d’avoir tardé à les secourir. Or celles-ci ont voté en majorité pour Erdogan. Qui, il est vrai, leur a apporté ensuite un réel soutien. Les reconstructions vont bon train.
Dès lors comment ne pas se tromper sur les perspectives d’avenir? Un point est certain: le cap de la politique internationale ne changera pas. Marqué par une volonté d’indépendance et de coopération face aux Etats-Unis, à l’Europe, à la Russie et à la Chine. Mais la relation avec l’UE pourrait se dégrader si celle-ci applique des sanctions à la Turquie et à d’autres, comme l’Afrique du sud, pour détournement du boycott anti-russe. Il en est question mais ce n’est heureusement pas décidé. L’aventurisme aux frontières? Une diversion par quelque crise autour des îles grecques n’est pas exclue mais paraît peu menaçante. Critiquer l’UE, oui, mais ne pas trop la provoquer. En Syrie, la Turquie maintiendra sa présence dans le territoire d’Idlib, soucieuse de peser sur un éventuel règlement international sous l’égide de la Ligue arabe. Rien ne changera non plus dans le soutien à l’Azerbaïdjan dans le conflit du Haut-Karabagh tant qu’un véritable accord ne sera pas trouvé avec l’Arménie. Depuis quelques mois tout change si vite dans la région. Tout est possible, pour le meilleur ou pour le pire.
Et les réfugiés? Ils sont quatre millions en provenance de Syrie. Erdogan ne les chassera pas. Car c’est peu réaliste, beaucoup s’intègrent et travaillent, avec plus de peine pour les non-turcophones dans les emplois citadins. Surtout il tient aux financements internationaux dus à cet accueil. C’est son «gentil» opposant, si apprécié chez nous, qui tempête contre ces réfugiés et promet de les mettre à la porte! La constance sur ce sujet rassure les Européens, mais ceux-ci sont irrités par l’affirmation d’un pôle géopolitique autonome qui joue un rôle non négligeable (on l’a vu en marge de la guerre en Ukraine). Pôle régional et au-delà si l’on pense à l’Asie centrale et surtout à l’Afrique où sa présence s’est fortement accrue dans les années Erdogan. Au grand déplaisir de la France notamment qui, elle, y perd du terrain. Tensions en vue avec l’UE, sur la question sensible des visas par exemple, et même avec le Conseil de l’Europe dont la Turquie fait partie.
La stabilité du pays? L’élection aurait pu donner lieu à des affrontements violents, cela ne s’est pas produit. La menace terroriste ne semble plus d’actualité. Au plan de la sécurité, tous se rassurent. Quid de l’autoritarisme du pouvoir concentré sur un homme et un parti? Il ne faiblira pas mais ne s’accentuera pas forcément, car dans un large pan de la population, dans les villes, dans les milieux libéraux, l’opposition reste forte et n’est pas près de se taire. La mâter paraît irréaliste. Après tout, malgré les accrocs et les distorsions médiatiques, la légitimité de l’élection n’est contestée par personne. Plutôt un bon signe.
Ce qui préoccupe bien davantage la population, de tous bords, c’est l’état de l’économie, en pleine crise. La plus forte inflation du monde après celle de l’Argentine. Officiellement à 55% sur un an, en fait à 126% selon des observateurs indépendants. Les prix de l’alimentation s’envolent à un rythme fou. Et l’affaiblissement de la livre devrait se poursuivre, avec «une dévaluation brutale» en vue selon Goldman Sachs. Les consommateurs dépensent dès lors au plus vite leurs revenus et ceux qui le peuvent les convertissent dans d’autres monnaies. Selon la Banque nationale 70% des dépôts sont libellés en dollars ou en euros.
Avec une telle inflation, le maintien à 8,5% du taux directeur de la Banque nationale paraît insensé au regard de la doctrine économique classique. Erdogan a limogé tous ceux, dans son équipe, qui préconisaient une autre politique. Pourquoi cette obstination? Dans l’islam la notion-même des intérêts sur prêts est théoriquement frappée d’interdit. Dans les pays du Golfe, en Malaisie, la «finance islamique» gagne du terrain. Basée sur plusieurs modalités sophistiquées, avec l’idée que les dettes doivent aller à un bien réel, à la production, qui rémunère les prêteurs, et non à la spéculation. C’est donc par conviction religieuse que le président tout-puissant veut réduire les taux. Et aussi dans le souci de ménager les petits commerces endettés. Cette façon de faire ne rassure pas les gros investisseurs. Ceux-ci sont nombreux, américains, européens, suisses également, qui attendent, avant de se lancer, un éventuel tournant de la politique monétaire. Car le potentiel de la Turquie, ne l’oublions pas, est considérable. Dans les domaines technologiques les plus avancés, on y trouve de grandes compétences. Encore renforcées récemment par l’arrivée d’une foule de spécialistes russes, exilés volontaires, qui souvent créent leurs propres entreprises. L’industrie traditionnelle reste performante, dans l’automobile, la construction navale, les fabrications mécaniques, la chimie, l’agroalimentaire. Sans parler des ressources minières (charbon, chrome, cuivre, métaux précieux) et du développement touristique, car ses destinations sont plus prisées que jamais. Enfin, quant à la dette publique, longtemps assez basse, elle a certes fortement augmenté ces dernières années mais elle est encore loin d’atteindre le niveau… de celle de la France. Cela au moment où les reconstructions, après le tremblement de terre, nécessitent des dizaines de milliards.
La Turquie reste cependant une puissance économique autant que politique… pour autant que la monnaie soit convenablement gérée. Pour autant que les profondes divisions politiques n’émoussent pas l’énergie de ce peuple courageux et travailleur.
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Si une telle décision est confirmée, on imagine la turbulence chez les sympathisant de Georgescu…</span></p> <p><span>Si au contraire celui-ci est élu, qu’arrivera-t-il? On peut le prédire en regardant ses vidéos (sous-titrées en français). Au sein de l’UE, il se joindra à Orbán (Hongrie) et Fico (Slovaquie) pour contrebalancer l’engagement de Mme von der Leyen et les autres pour l’appui à l’Ukraine. Versant OTAN, il donnera aussi de la voix. Car nombre de Roumains, même à l’opposé de ses opinions politiques, s’inquiètent de voir l’alliance atlantique renforcer sa base de Constanța, sur la mer Noire, plus grande encore que celle de Ramstein en Allemagne. Ils n’apprécient guère non plus la présence de 1'000 soldats français (il en est promis 5'000) sur leur territoire. Ces soutiens militaires sont vus davantage comme un danger qu’une garantie de tranquillité. </span></p> <p><span>Côté budget, ce serait le grand chambardement. Georgescu tempête contre les 6,5 milliards tout récemment votés pour l’achat de 35 avions F-35 alors que la part de l’éducation dans le budget (3,3%) est inférieure à la moyenne européenne et même à certains pays d’Afrique. Il promet de développer enfin la santé publique, très défaillante. Sans argent pour le privé, il est difficile de se soigner, les Roumains le savent trop bien. Il se tournera aussi, vu sa formation, vers la petite paysannerie qui souffre comme ailleurs. Plus que les grandes entreprises agricoles, largement aux mains de sociétés étrangères. </span></p> <p><span>Georgescu, qui a beaucoup fréquenté l’ONU et d’autres institutions internationales, qui connaît les rouages de son Etat, ne cassera pas la baraque. 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1 Commentaire
@stef 02.06.2023 | 14h47
«Analyse intéressante, merci »