Culture / Par nos racines et nos sources, le paysan survit en nous
Kreuzlingen (Thurgovie). CC BY-SA 4.0
Une série alémanique diffusée à l’international, «Neumatt», et deux livres de grande qualité, «Faire paysan» de Blaise Hofmann et «Les Sources» de Marie-Hélène Lafon, constituent trois approches d’une réalité souvent problématique voire douloureuse à de multiples égards, mais qui restera, à l’avenir, notre affaire à tous...
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Et sachons gré, tant que nous sommes, et «glébeux» ou non, à ces fichus écrivains à la langue bien pendue, à ces écrivaines bavardes comme des pies, de savoir dire la merveille que c’est aussi de «sentir le sec après la pluie» ou de voir venir, demain, les grandes journées de printemps…</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1678962053_thumbsmall_zoe_fairepaysan.png" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="297" /></p> <h4>«Faire paysan», Blaise Hofmann, Editions Zoé, 224 pages.</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1678961974_9782283036600.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="292" /></p> <h4>«Les Sources», Marie-Hélène Lafon, Editions Buchet-Chastel, 128 pages.</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1678962190_4314091.jpgr_1920_1080f_jpgq_xxxyxx.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="266" /></p> <h4>«Neumatt», Sabine Boss et Pierre Monnard, sur Netflix, 8 épisodes de 48 minutes.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'par-nos-racines-et-nos-sources-le-paysan-survit-en-nous', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 363, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 675, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Edition) {} ], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5282, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Lire «Vivre», de Boualem Sansal, participe de sa libération', 'subtitle' => 'L’arrestation du grand écrivain algérien, le 16 novembre dernier à Alger, relève à la fois de l’infamie et de la logique d’Etat, s’agissant d’un opposant déclaré plus virulent même qu’un Salman Rushdie. 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Est-il vrai qu’il aurait apprécié le fait de ne pas être maltraité? Est-il vrai qu’il aurait affirmé ces derniers temps qu’il en avait assez de vivre? Et que voit-il par la fenêtre, si tant est que les murs qui l'enferment soient pourvus de la moindre ouverture? 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Mais pas du tout : maintes fois, en effet, l’auteur du redoutable 2084 l’a répété: ce n’est pas à l’islam qu’il en veut, mais à l’islamisme et à l’instrumentalisation sociale et politique du «message» musulman, comparable à l’instrumentalisation faite par tous les fanatiques césaro-papistes des confessions diverses, etc.</p> <p>Freeman Dyson rend hommage à l’auteure de science-fiction Madeleine L'Engle, très prisée des enfants et des ados anglo-saxons (elle a écrit une trentaine de romans les visant en priorité) et qui accorde, en chrétienne atypique, plus d’importance aux scientifiques qu’aux théologiens, coupables, selon elle, de limiter la notion de Dieu alors que «les scientifiques, avec leurs questions, avec leur émerveillement face à la gloire de l’Univers», l’ont aidée dans sa quête de méditation et de contemplation, tant il est vrai que les spécialistes de biologie cellulaire ou d'astrophysique traitent de la nature de l'existence même au fil de questions d’ordre théologique: «quelle est la nature du temps? 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Je m’y attendais, c’est un corps d’élite, les imams, toujours prêts à bondir et à rendre service, comme les scouts »...</p> <h3><strong>Un hymne insolent à la vie libre !</strong></h3> <p>Sacré Boualem, qui fait passer le salut des Terriens par le truchement de la connexion onirique – et quel régal panaché que la suite des réponses de l’imam, du rabbin, du curé et de l’hindouiste vegan, quelle fiesta d’ironie sagace et de lucidité débonnaire quoique sans illusion, aboutissant à une conclusion d’un surprenant optimisme, à savoir que «l’avenir appartient aux gens de bien», ce que Sansal commente tranquillement (je l’imagine plutôt tranquille, ce matin, dans sa réclusion), en ces termes: «Tiens, je crois que c’est ça la bonne définition de cet objet non identifié qu’est l’humanité, que je cherche depuis des années, L’humanité, ce sont ces gens de bien qui, vaille que vaille, assurent le service de la vie»…</p> <p>Aussi bien ne me fais-je pas trop de souci, malgré tout, pour ce cher homme dont la force morale, l’intelligence et l’immense savoir «humain», modulés dans ses livres si variés de forme – jusqu’à ce roman d’anticipation parodiant joyeusement la littérature conjecturale pour ados de tous les âges – me font penser qu’il vit son incarcération actuelle, par les morts-vivants du pouvoir, comme une péripétie parmi d’autres, mais combien révélatrice pour nous qui en découvrons les effets de solidarité massive autant que les retombées de haine et d’abjection.</p> <p>Vivre, oui, et d’abord lire ce livre tonique, hymne insolent et généreux à la vie libre (!) au lieu de radoter dans le vide des idéologies «divinement» meurtrières. Boualem Sansal sera-t-il libre à Noël? C’est évidemment à espérer, même si cette fête d’«infidèles» tourne au marché de pacotille. Et les Terriens méritent-ils d’ailleurs d’être sauvés! Salut le mystère!</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1733404354_g08284.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="161" height="235" /></p> <p><strong>Boualem Sansal. <em>Vivre. Le compte à rebours</em>. </strong><strong>Gallimard, 2024, 233p. </strong></p> <p><strong><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1733404445_laviedanslunivers.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="156" height="248" /></strong></p> <p><strong>Freeman J. Dyson. </strong><strong><em>La vie dans l’univers. Réflexions d’un physicien. </em></strong><strong>Gallimard, Bibliothèques des sciences humaines, 2009. 255p.</strong></p> <hr /> <h2><strong>Entretien avec Boualem Sansal, en 2006 </strong></h2> <p><strong> </strong><strong>(paru dans le quotidien <em>24 heures </em>le 9 mai 2006)</strong></p> <p>Boualem Sansal est l’une des grandes voix de la littérature algérienne francophone, dont les romans ressaisissent la tragique et complexe réalité contemporaine avec une porosité et une faconde sans pareilles. Après <em>Le serment des barbares</em> (1999), <em>L’enfant fou de l’arbre creux</em> (2000) et <em>Dis-moi le paradis</em> (2003), son quatrième roman, Harraga, s’attache à deux destinées de femmes avec autant d’empathie que de lucidité révoltée. Au printemps 2006, cet auteur qui a «mal à l’Algérie» adressait une lettre ouverte à ses compatriotes intitulée <em>Poste restante: Alger,</em> d’un courage civique impressionnant. Nous avions rencontré l’auteur après cette parution...</p> <p><strong>Comment, Boualem Sansal, vivez-vous aujourd’hui en Algérie?</strong></p> <p>Plutôt mal, après une amnistie marquant la réhabilitation des criminels d’hier, qui se retrouvent à plastronner en ville avec une arrogance extraordinaire. La chape d’un ordre moral intolérant se fait de nouveau ressentir, parallèlement à la réintroduction de l’enseignement religieux et à l’occupation des mosquées. Or la population semble l’accepter, tant elle est respectueuse de l’islam.</p> <p><strong>Quelle a été votre éducation personnelle?</strong></p> <p>Je suis né dans une famille où l’on pensait que l’instruction était essentielle. Ayant perdu mon père très tôt, j’ai été soumis, avec mes trois frères, à la discipline rigoureuse d’un grand-père chef de gare qui avait fait la guerre de 14-18, laïc et profondément attaché à la France et à sa culture. Après un début d’études classiques en latin-grec, j’ai cependant bifurqué sur une formation d’ingénieur, l’Algérie de l’indépendance ayant besoin de bâtisseurs et de techniciens plus que de «beaux parleurs», comme on disait alors. C’est pourquoi je me suis retrouvé, en 1992, au poste de Directeur de l’industrie, où m’avait appelé un condisciple devenu ministre.</p> <p><strong>Qu’avez-vous appris dans les allées du pouvoir?</strong></p> <p>Ce qui m’a le plus frappé, c’est la morgue, la corruption, les luttes entre clans et, d’une manière générale, le mépris de la population, ainsi qu’une formidable incompétence des apparatchiks du parti unique.</p> <p><strong>En avez-vous un exemple?</strong></p> <p>Le plus éloquent est ce rapport qu’un ministre m’a chargé d’établir, sur les relations entre l’endettement des pays du Sud méditerranéen et leur niveau de développement. Me fiant aux chiffres de la Banque mondiale et du FMI, j’ai constaté que les pays les plus endettés à régimes autoritaires, à commencer par l’Égypte, étaient aussi les plus déficients en matière de développement, alors qu’Israël, super-endetté, affichait un développement constant. Ce constat a mis le ministre en fureur, qui m’a prié de supprimer la mention d’Israël, ce que l’honnêteté m’interdisait. Je lui ai donc proposé ma démission immédiate, qui a été refusée en même temps qu’on enterrait le rapport. Par la suite, mes positions et mes livres m’ont valu d’être limogé.</p> <p><strong>Comment en êtes-vous venu au roman?</strong></p> <p>Cela s’est fait comme ça, pendant la terreur islamiste qui nous cloîtrait. Or que fait-on dans ces conditions ? On tourne en rond, on remâche les dernières horreurs du jour, on prend des notes sur ce qu’on observe, et tout à coup le « roman » est là, dicté par la vie. C’est ainsi qu’est né Le serment des barbares.</p> <p><strong>Décrire la réalité si fidèlement, comme l’a fait aussi votre ami Rachid Mimouni, ne représentait-il pas un risque?</strong></p> <p>Bien entendu, mais sortir dans la rue était déjà risqué. A propos de mon ami Rachid, la nuit suivant son enterrement en Algérie, des fanatiques ont exhumé son cadavre pour le livrer aux chiens. Ce n’est pas du roman : c’est la réalité, comme <em>Harraga </em>relève d’une réalité vécue.</p> <p><strong>Dans votre lettre ouverte aux Algériens, vous vous en prenez violemment à l’amnistie…</strong></p> <p>Pour aboutir à une vraie réconciliation, il fallait enquêter et rendre la justice. Je ne suis pas contre le pardon, au contraire, mais cette amnistie était une insulte aux victimes et un déni de justice.</p> <p><strong>Pensez-vous être entendu? 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Celle-ci l’éloigne-t-elle du réel, ou lui permet-elle au contraire de se libérer du «nombrilisme» et de mieux accéder à l’«universel»?</p> <p>De telles questions auront peut-être «fait débat», cet hiver-là, tandis qu’il neigeait sur Vilnius, à tel festival de littérature auquel venait de participer Sarah Popp (quel nom, n’est-ce pas? pour une auteure, autrice, auteuse ou autorelle en langage d’inclusion), qui se réjouissait de revenir en Suisse pour y retrouver, à la veille de son cinquante-neuvième anniversaire, son compagnon Tobie, aussi à l’aise à son piano que devant les fourneaux, et leur fille Matild associée à une mini-troupe d’animateurs de robots-marionnettes au goût dernier cri de la nouvelle génération théâtrale.</p> <p>Alors quoi, un roman de plus sur les «problèmes du roman»? Mais quelle barbe! Et pourtant non: grâce à la neige et au gel, aux avions cloués au sol et donc à l’imprévu illico salué par Tobie («accepte ce qui arrivera» lui chante-t-il au téléphone quand elle lui expose son retard de deux ou trois jours), et Sarah de se réjouir de l’imprévisible occasion de vivre elle ne sait encore quoi alors que, de la fenêtre du bus qui la ramène de l’aéroport en ville, elle voit sans le voir un grand camion blanc dont la cabine figure une petite maisonnette, prélude à un conte à dormir debout. 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Dans le roman de Rose-Marie Pagnard, en tout cas, la morale des bien-pensants, de telle tante bigote ou de tels voisins malveillants dans un village «gonflé de méchanceté», pèse lourdement sur les jugements portés sur telle jeune fille libre ou, d’une génération antérieure, sur telle «fille-mère» passible de la prison. Mais Sarah Popp n’est pas du genre, en tant que romancière, à se contenter d’une «dénonciation» univoque. Est-ce dire qu’elle fuit dans l’équivoque? Pas non plus. Il faudrait alors, par manière de réponse, détailler le roman et ses rebondissements, les multiples facettes de ses personnages, «raconter» le vieil Anders et le pourquoi de sa révolte remontant au calvaire social de sa mère, raconter celle-ci et sa propre façon de se libérer voire de se fiche de son passé, raconter l’amour fou de Sarah et de Tobie en butte au qu’en dira-t-on, raconter la sensualité persistante de Sarah la quasi sexa, raconter Sarah et sa fille, Sarah et l’angoisse, Sarah et les maux - Sarah et les mots, Sarah et la magie des objets, Sarah et la fantaisie de la fée-sorcière Rose-Marie.</p> <p>Rose-Marie Pagnard est poète autant sinon plus qu’elle est romancière, à savoir que chez elle les mots et les images passent avant les «scènes à faire», qui tissent une sorte de tapisserie «musicale» aux détails reproduisant à foison la joyeuse profusion de la réalité.</p> <h3>Féerie kaléidoscopique</h3> <p>Et c’est alors qu’il faudrait citer à qui mieux mieux, quitte à tirer «la ficelle folie». Citer le «sac de tristesse» de l’ancien voisin bûcheron, «vieux mais propre» et fleurant le savon, le bois et le citron. Citer le syndrome des jambes de Sarah dont les cauchemars l’empêchent de dormir car «chaque nuit est un piège», telle étant la part d’ombre de ce tourbillon lumineux de neige comme produite par une usine à farine. Citer les vitrines, les concerts, les biscuits de Noël qui peut être «poussent les pensées vers la mélancolie». Citer la «tête osseuse» à «noblesse de cheval» du faux ogre estimant qu’on est tous des «maltraités de la vie». Citer le «cœur explosif» du passé de Sarah entrevu par Tobie, lequel inspire celle-ci quand il rage. Citer le souvenir pénible du «poulailler paroissial» de la mesquine petite ville. Citer les deux enfants morts emportés par le père dans un carton à chaussures – «il faut beaucoup de calme et de propreté pour que ces faits révèlent leur beauté». 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Ca va? Pas trop de bavardages»), du <i>Bel été</i> (prix Strega en juin 1950, consécration à peine relevée par les médias sauf à Turin), <i>Entre femmes seules </i>aux si profondes intuitions psychologiques, <i>Le Métier de vivre</i> à de multiples reprises et la correspondance de l’écrivain d’où l’auteur tire la page saisissante, à valeur d’autoportrait, d’une lettre à Fernanda Pivano, le 25 octobre 1950, où figurent ces mots d’une si terrible lucidité: «Or P. qui sans doute est un solitaire parce qu’en grandissant il a compris qu’on ne peut rien faire qui vaille sinon loin du commerce du monde, est le martyr de ces contradictions. Il veut être seul – et il est seul –, mais il veut l’être au milieu d’un cercle qui le sache (…) P. appelle même tout cela besoin d’expression, de communication, de communion; sa privation, tragédie de la solitude, incommunicabilité des âmes, et ainsi de suite. 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«La Suisse trait sa vache et vit paisiblement», écrivait Victor Hugo dans La légende des siècles, cliché obsolète pour d’aucuns mais qu’on aurait tort de rejeter avec mépris, comme l’a compris Isabelle-Loyse Gremaud qui en a fait le titre (assorti d’un point d’interrogation…) d’un spectacle-témoignage auquel ont participé une trentaine d’agriculteurs de nos régions et qui tourna en Suisse romande il y a deux ou trois ans de ça.
Or cette même citation réapparaît dans le dernier livre de Blaise Hofmann, intitulé Faire paysan et relançant lui aussi le dialogue avec de nombreux paysans aux multiples expériences, et j’y ajouterai ici trois vers en bonus: «La Suisse trait sa vache et vit paisiblement. / Sa blanche liberté s’adosse au firmament», et en début de strophe: «La Suisse dans l’histoire aura le dernier mot. / Puisqu’elle est deux fois grande, étant pauvre, et là-haut; / Puisqu’elle a sa montagne et qu’elle a sa cabane»…
Dans la foulée des anti-clichés farouches, je me rappelle en outre le vif agacement de certaine ministre de la Culture lausannoise à la seule évocation de la formule fameuse de notre cher Gilles pour qui Lausanne était «une belle paysanne qui a fait ses humanités».
Comme s’il y avait honte à cela! Et comme s’il n’y avait pas du vrai dans ce raccourci malicieux de poète: comme si, même citadins de naissance, nous n’avions pas tous des liens filiaux, même lointains, avec des aïeux paysans, comme si Les petites fugues d’Yves Yersin, et Pipe son valet de ferme, ou L’âme sœur, chef-d’œuvre de Fredi M. Murer, ne participaient pas de la même culture de souche terrienne – comme si la énième interprétation du Ranz des vaches, à la Fête des vignerons, ne nous tirait pas, à toutes et tous, des larmes qui n’ont rien pour autant de chauvin. Et pas besoin, au demeurant, de «faire paysan» pour le ressentir. Mais lire Faire paysan de Blaise Hofmann devrait relever du «devoir citoyen», comme on le dit aujourd’hui pompeusement, à programmer dans les écoles et les universités pour sa formidable synthèse, à la fois subjective et très documentée – chiffres éloquents à l’appui –, appelant au débat pacificateur.
Entre la chaise d’écrivain et le botte-cul
«Faire paysan» n’est pas une pose ou une posture: c’est un métier. Blaise Hofmann, fils et petit-fils de paysan, a connu la campagne par le nez avant de la reconnaître par son intelligence sensible et son esprit d’investigation. Comme celle de beaucoup d’entre nous, la mémoire de son enfance est pleine d’odeurs, avec celle, en premier lieu, du fumier-roi.
C’est en évoquant son grand-père le Bernois, débarqué de son Belpberg natal chez les «Welches» et fier de son fumier «à la bernoise», aujourd’hui remplacé par une place de parking, que Blaise Hofmann amorce son travail de mémoire englobant ses souvenirs personnels et l’aperçu détaillé d’une évolution dont quelques chiffres précisent l’accélération: «En 1905, il y avait 243'000 exploitations en Suisse. L’agriculture concernait 30% de la population. En 1950, elle représentait encore 20% de la population. En 1970, plus que 6,7%. En 2003, 3%. En 2021, il subsiste 48'864 exploitations, soit 2% de la population. Depuis dix ans, 1'500 fermes disparaissent chaque année. Quatre par jour».
De quoi désespérer ou se réfugier dans les images d’un passé maquillé en idylle? Telle n’est pas du tout la conclusion de Blaise Hofmann au terme de ses nombreuses et souvent belles et enrichissantes rencontres, témoignages parfois contradictoires voire vifs (les sujets qui fâchent ou divisent les générations), au gré desquels s’incarnent les thèmes relevant de l’économie et de la politique, également éclairés par de nombreuses lectures «techniques» ou littéraires, l’écrivain se faisant tantôt historien et tantôt polémiste (mais toujours nuancé), chroniqueur et poète au verbe limpide.
Une réconciliation difficile
Comme on ne cesse de le constater, et que confirment les votations populaires, le clivage ville-campagne ne cesse de s’accentuer dans notre pays, et les préjugés négatifs réciproques, et autres malentendus ne cessent d’altérer les discussions.
Réaliste de bonne volonté, Hofmann ne dore pas la pilule, ni ne fait dans l’abstrait idéologique, moins encore dogmatique. Non sans obstacles (pudeur, méfiance de celui qui s’est senti trahi par un reportage télévisé auquel il a participé, etc.), il fait parler les gens, les écoute, compare les expériences, en transmet la substance.
«Faire paysan», lui dit un jeune qui débute dans le métier, «c’est travailler plus que tout le monde et gagner moins que tout le monde pour nourrir des gens qui croient qu’on les empoisonne». Mais c’est, aussi, auprès de (plus ou moins) jeunes agriculteurs entreprenants – femmes et hommes cela va sans dire – que notre enquêteur trouve des raisons de ne pas désespérer. Et d’introduire ces braves: «Il existe plusieurs types de paysans. Il y a le "résigné", un besogneux qui s’acharne dans ses choix, dans le déni de la situation actuelle. Il y a le "nostalgique", un désillusionné qui espère en secret la chute du système et le retour de l’ordre ancien lors de la prochaine grande crise mondiale. Enfin il y a "l’entrepreneur", celui qui a compris les règles du système en vigueur et travaille à y trouver sa place, à répondre aux attentes de la population, en inventant une nouvelle manière de faire». Et voici, après d’autres beaux exemples, Nicolas Pavillard et son entreprise collective, ou voilà le trentenaire Alix aux vues largement ouvertes sur le monde en devenir où la qualité primera sur la quantité à tout prix, ou encore c’est Anne Chenevard la courageuse qui envoie promener Migros Suisse et autres distributeurs à marges éhontées; ce sont les animateurs de la Ferme des Savanes, ou c’est Urs Marti l’écolo «dont le lait végétal n’émet aucun méthane et ne fait souffrir aucun animal», etc.
Dans le sillage des figures de haute volée à la Fernand Cuche, également rencontré par Blaise Hofmann, ces divers personnages illustrent la variété des «réponses» à une situation dont l’avenir est aussi «notre affaire», selon l’expression de Denis de Rougemont.
O rage, ô désespoir...
Le chapitre le plus sombre, et le plus émouvant de Faire paysan, est consacré à ceux qui, n’en pouvant plus, ont choisi de se donner la mort, et c’est là qu’en est arrivé, aussi, le paysan Kurt Wyss, très endetté et trompé par sa femme, dont la série alémanique Neumatt (à voir sur Netflix) retrace, en huit épisodes, les tribulations de la famille confrontée à la succession, avec la grand-mère qui s’accroche au domaine et l’épouse prête à céder celui-ci à la commune qui lui en offre plusieurs millions.
Marquant immédiatement le contraste brutal entre l’univers urbain mondialisé et néolibéral, qu’incarne le fils aîné Michi – cadre dans une boîte de gestion d’entreprises, gay et rêvant de se déployer en Asie ou aux Etats-Unis –, et le monde de la ferme où son frère cadet Lorenz vient de voir naître son premier veau sous le regard de son père encore vivant, le premier épisode de cette série, signée Sabine Boss et Pierre Monnard, bénéficiant par ailleurs d’une interprétation de tout premier ordre, constitue un véritable concentré des thèmes abordés par Blaise Hofmann.
De fait, le discours qu’improvise la veuve à l’église, contre toute attente – son fils aîné ayant renoncé à s’exprimer –, dit autant le désespoir impuissant de la femme de paysan que sa rage envers son conjoint et, avec des accents soudain polémiques, sa révoltante condition…
Or celle-ci se trouve précisément documentée dans le chapitre de Faire paysan consacré aux suicides de paysans (un taux de 40% supérieur à la moyenne nationale), où l’aumônier Pierre-André Schütz énonce, comme une litanie déchirante, les raisons qui poussent les agriculteurs même débutants à se donner la mort, tels ces quatre jeunes paysans de la même volée de l’école de Grange Verney, en 2015…
Ce qu’il faut pourtant ajouter, à ce sombre tableau, c’est qu’il a aussi ses échappées lumineuses. Le titre du chapitre en question est d’ailleurs Moins de cordes autour des poutres des granges, correspondant à une diminution des suicides de paysans depuis 2018, et l’on se réjouit aussi de la fin heureuse de Neumatt où le fils aîné choisit, contre la volonté de sa mère et larguant son amant, de reprendre la ferme avec son frère cadet…
La source, les racines et les mots pour le dire…
Douleurs paysannes était le titre du premier livre de Corinna Bille, dont les nouvelles se passent en Valais, alors que le très âpre et poignant récit de Campagnes de Louis Calaferte se déroule dans le Dauphiné de l’auteur et que Marie-Hélène Lafon situe la ferme isolée de son dernier roman, Les Sources, sur les hautes terres du Cantal, pour faire parler un drame taiseux, comme le Polonais Ladislas Reymont fait parler ses bouseux sans langage dans la fresque des Paysans, aussi mémorable que La terre d’Emile Zola ou que le premier roman de Ramuz, l’inoubliable Aline, et maints autres ouvrages qu’on pourrait dire de la mémoire paysanne, conçus par des gratte-papier qui n’ont jamais mis «la main à la pâte», dont une vingtaine, avec ou sans style, sont cités dans la bibliographie de Faire paysan.
«Quand on entre dans une étable bien tenue, l’odeur large des bêtes est bonne à respirer, elle nous remet les idées à l’endroit, on est à sa place», écrivait Marie-Hélène Lafon dans son Joseph (2014), cité par Hofmann, lui-même, qui rend en outre hommage aux mots de Gustave Roud dans Campagne perdue.
Dans Les Sources, l’écriture à la fois elliptique et si prodigieusement suggestive de Marie-Hélène Lafon parvient à exprimer ce que n’ose dire la femme de Pierre, qui l’a engrossée dès leur mariage et a commencé de la cogner en même temps, et ce qu’elle ressent dans le silence et la peur, entre ses trois enfants terrifiés, ses sœurs qui ont «leur vie», la tante instruite de son mari qui comprend et s’éloigne, son père à elle qui voit tout et se tait, et sa mère lui reprochant de se laisser aller, de grossir, de ne pas «tenir son rang», de n’être en somme que «ce tas» sur lequel son infernal époux se déchaîne.
Typique de la vie paysanne que cette violence muette ? Evidemment pas! Et sachons gré, tant que nous sommes, et «glébeux» ou non, à ces fichus écrivains à la langue bien pendue, à ces écrivaines bavardes comme des pies, de savoir dire la merveille que c’est aussi de «sentir le sec après la pluie» ou de voir venir, demain, les grandes journées de printemps…
«Faire paysan», Blaise Hofmann, Editions Zoé, 224 pages.
«Les Sources», Marie-Hélène Lafon, Editions Buchet-Chastel, 128 pages.
«Neumatt», Sabine Boss et Pierre Monnard, sur Netflix, 8 épisodes de 48 minutes.
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Et sachons gré, tant que nous sommes, et «glébeux» ou non, à ces fichus écrivains à la langue bien pendue, à ces écrivaines bavardes comme des pies, de savoir dire la merveille que c’est aussi de «sentir le sec après la pluie» ou de voir venir, demain, les grandes journées de printemps…</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1678962053_thumbsmall_zoe_fairepaysan.png" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="297" /></p> <h4>«Faire paysan», Blaise Hofmann, Editions Zoé, 224 pages.</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1678961974_9782283036600.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="292" /></p> <h4>«Les Sources», Marie-Hélène Lafon, Editions Buchet-Chastel, 128 pages.</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1678962190_4314091.jpgr_1920_1080f_jpgq_xxxyxx.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="266" /></p> <h4>«Neumatt», Sabine Boss et Pierre Monnard, sur Netflix, 8 épisodes de 48 minutes.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'par-nos-racines-et-nos-sources-le-paysan-survit-en-nous', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 363, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 675, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Edition) {} ], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5282, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Lire «Vivre», de Boualem Sansal, participe de sa libération', 'subtitle' => 'L’arrestation du grand écrivain algérien, le 16 novembre dernier à Alger, relève à la fois de l’infamie et de la logique d’Etat, s’agissant d’un opposant déclaré plus virulent même qu’un Salman Rushdie. 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Est-il vrai qu’il aurait apprécié le fait de ne pas être maltraité? Est-il vrai qu’il aurait affirmé ces derniers temps qu’il en avait assez de vivre? Et que voit-il par la fenêtre, si tant est que les murs qui l'enferment soient pourvus de la moindre ouverture? 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Mais pas du tout : maintes fois, en effet, l’auteur du redoutable 2084 l’a répété: ce n’est pas à l’islam qu’il en veut, mais à l’islamisme et à l’instrumentalisation sociale et politique du «message» musulman, comparable à l’instrumentalisation faite par tous les fanatiques césaro-papistes des confessions diverses, etc.</p> <p>Freeman Dyson rend hommage à l’auteure de science-fiction Madeleine L'Engle, très prisée des enfants et des ados anglo-saxons (elle a écrit une trentaine de romans les visant en priorité) et qui accorde, en chrétienne atypique, plus d’importance aux scientifiques qu’aux théologiens, coupables, selon elle, de limiter la notion de Dieu alors que «les scientifiques, avec leurs questions, avec leur émerveillement face à la gloire de l’Univers», l’ont aidée dans sa quête de méditation et de contemplation, tant il est vrai que les spécialistes de biologie cellulaire ou d'astrophysique traitent de la nature de l'existence même au fil de questions d’ordre théologique: «quelle est la nature du temps? 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Je m’y attendais, c’est un corps d’élite, les imams, toujours prêts à bondir et à rendre service, comme les scouts »...</p> <h3><strong>Un hymne insolent à la vie libre !</strong></h3> <p>Sacré Boualem, qui fait passer le salut des Terriens par le truchement de la connexion onirique – et quel régal panaché que la suite des réponses de l’imam, du rabbin, du curé et de l’hindouiste vegan, quelle fiesta d’ironie sagace et de lucidité débonnaire quoique sans illusion, aboutissant à une conclusion d’un surprenant optimisme, à savoir que «l’avenir appartient aux gens de bien», ce que Sansal commente tranquillement (je l’imagine plutôt tranquille, ce matin, dans sa réclusion), en ces termes: «Tiens, je crois que c’est ça la bonne définition de cet objet non identifié qu’est l’humanité, que je cherche depuis des années, L’humanité, ce sont ces gens de bien qui, vaille que vaille, assurent le service de la vie»…</p> <p>Aussi bien ne me fais-je pas trop de souci, malgré tout, pour ce cher homme dont la force morale, l’intelligence et l’immense savoir «humain», modulés dans ses livres si variés de forme – jusqu’à ce roman d’anticipation parodiant joyeusement la littérature conjecturale pour ados de tous les âges – me font penser qu’il vit son incarcération actuelle, par les morts-vivants du pouvoir, comme une péripétie parmi d’autres, mais combien révélatrice pour nous qui en découvrons les effets de solidarité massive autant que les retombées de haine et d’abjection.</p> <p>Vivre, oui, et d’abord lire ce livre tonique, hymne insolent et généreux à la vie libre (!) au lieu de radoter dans le vide des idéologies «divinement» meurtrières. Boualem Sansal sera-t-il libre à Noël? C’est évidemment à espérer, même si cette fête d’«infidèles» tourne au marché de pacotille. Et les Terriens méritent-ils d’ailleurs d’être sauvés! Salut le mystère!</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1733404354_g08284.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="161" height="235" /></p> <p><strong>Boualem Sansal. <em>Vivre. Le compte à rebours</em>. </strong><strong>Gallimard, 2024, 233p. </strong></p> <p><strong><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1733404445_laviedanslunivers.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="156" height="248" /></strong></p> <p><strong>Freeman J. Dyson. </strong><strong><em>La vie dans l’univers. Réflexions d’un physicien. </em></strong><strong>Gallimard, Bibliothèques des sciences humaines, 2009. 255p.</strong></p> <hr /> <h2><strong>Entretien avec Boualem Sansal, en 2006 </strong></h2> <p><strong> </strong><strong>(paru dans le quotidien <em>24 heures </em>le 9 mai 2006)</strong></p> <p>Boualem Sansal est l’une des grandes voix de la littérature algérienne francophone, dont les romans ressaisissent la tragique et complexe réalité contemporaine avec une porosité et une faconde sans pareilles. Après <em>Le serment des barbares</em> (1999), <em>L’enfant fou de l’arbre creux</em> (2000) et <em>Dis-moi le paradis</em> (2003), son quatrième roman, Harraga, s’attache à deux destinées de femmes avec autant d’empathie que de lucidité révoltée. Au printemps 2006, cet auteur qui a «mal à l’Algérie» adressait une lettre ouverte à ses compatriotes intitulée <em>Poste restante: Alger,</em> d’un courage civique impressionnant. Nous avions rencontré l’auteur après cette parution...</p> <p><strong>Comment, Boualem Sansal, vivez-vous aujourd’hui en Algérie?</strong></p> <p>Plutôt mal, après une amnistie marquant la réhabilitation des criminels d’hier, qui se retrouvent à plastronner en ville avec une arrogance extraordinaire. La chape d’un ordre moral intolérant se fait de nouveau ressentir, parallèlement à la réintroduction de l’enseignement religieux et à l’occupation des mosquées. Or la population semble l’accepter, tant elle est respectueuse de l’islam.</p> <p><strong>Quelle a été votre éducation personnelle?</strong></p> <p>Je suis né dans une famille où l’on pensait que l’instruction était essentielle. Ayant perdu mon père très tôt, j’ai été soumis, avec mes trois frères, à la discipline rigoureuse d’un grand-père chef de gare qui avait fait la guerre de 14-18, laïc et profondément attaché à la France et à sa culture. Après un début d’études classiques en latin-grec, j’ai cependant bifurqué sur une formation d’ingénieur, l’Algérie de l’indépendance ayant besoin de bâtisseurs et de techniciens plus que de «beaux parleurs», comme on disait alors. C’est pourquoi je me suis retrouvé, en 1992, au poste de Directeur de l’industrie, où m’avait appelé un condisciple devenu ministre.</p> <p><strong>Qu’avez-vous appris dans les allées du pouvoir?</strong></p> <p>Ce qui m’a le plus frappé, c’est la morgue, la corruption, les luttes entre clans et, d’une manière générale, le mépris de la population, ainsi qu’une formidable incompétence des apparatchiks du parti unique.</p> <p><strong>En avez-vous un exemple?</strong></p> <p>Le plus éloquent est ce rapport qu’un ministre m’a chargé d’établir, sur les relations entre l’endettement des pays du Sud méditerranéen et leur niveau de développement. Me fiant aux chiffres de la Banque mondiale et du FMI, j’ai constaté que les pays les plus endettés à régimes autoritaires, à commencer par l’Égypte, étaient aussi les plus déficients en matière de développement, alors qu’Israël, super-endetté, affichait un développement constant. Ce constat a mis le ministre en fureur, qui m’a prié de supprimer la mention d’Israël, ce que l’honnêteté m’interdisait. Je lui ai donc proposé ma démission immédiate, qui a été refusée en même temps qu’on enterrait le rapport. Par la suite, mes positions et mes livres m’ont valu d’être limogé.</p> <p><strong>Comment en êtes-vous venu au roman?</strong></p> <p>Cela s’est fait comme ça, pendant la terreur islamiste qui nous cloîtrait. Or que fait-on dans ces conditions ? On tourne en rond, on remâche les dernières horreurs du jour, on prend des notes sur ce qu’on observe, et tout à coup le « roman » est là, dicté par la vie. C’est ainsi qu’est né Le serment des barbares.</p> <p><strong>Décrire la réalité si fidèlement, comme l’a fait aussi votre ami Rachid Mimouni, ne représentait-il pas un risque?</strong></p> <p>Bien entendu, mais sortir dans la rue était déjà risqué. A propos de mon ami Rachid, la nuit suivant son enterrement en Algérie, des fanatiques ont exhumé son cadavre pour le livrer aux chiens. Ce n’est pas du roman : c’est la réalité, comme <em>Harraga </em>relève d’une réalité vécue.</p> <p><strong>Dans votre lettre ouverte aux Algériens, vous vous en prenez violemment à l’amnistie…</strong></p> <p>Pour aboutir à une vraie réconciliation, il fallait enquêter et rendre la justice. Je ne suis pas contre le pardon, au contraire, mais cette amnistie était une insulte aux victimes et un déni de justice.</p> <p><strong>Pensez-vous être entendu? 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Celle-ci l’éloigne-t-elle du réel, ou lui permet-elle au contraire de se libérer du «nombrilisme» et de mieux accéder à l’«universel»?</p> <p>De telles questions auront peut-être «fait débat», cet hiver-là, tandis qu’il neigeait sur Vilnius, à tel festival de littérature auquel venait de participer Sarah Popp (quel nom, n’est-ce pas? pour une auteure, autrice, auteuse ou autorelle en langage d’inclusion), qui se réjouissait de revenir en Suisse pour y retrouver, à la veille de son cinquante-neuvième anniversaire, son compagnon Tobie, aussi à l’aise à son piano que devant les fourneaux, et leur fille Matild associée à une mini-troupe d’animateurs de robots-marionnettes au goût dernier cri de la nouvelle génération théâtrale.</p> <p>Alors quoi, un roman de plus sur les «problèmes du roman»? Mais quelle barbe! Et pourtant non: grâce à la neige et au gel, aux avions cloués au sol et donc à l’imprévu illico salué par Tobie («accepte ce qui arrivera» lui chante-t-il au téléphone quand elle lui expose son retard de deux ou trois jours), et Sarah de se réjouir de l’imprévisible occasion de vivre elle ne sait encore quoi alors que, de la fenêtre du bus qui la ramène de l’aéroport en ville, elle voit sans le voir un grand camion blanc dont la cabine figure une petite maisonnette, prélude à un conte à dormir debout. 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Dans le roman de Rose-Marie Pagnard, en tout cas, la morale des bien-pensants, de telle tante bigote ou de tels voisins malveillants dans un village «gonflé de méchanceté», pèse lourdement sur les jugements portés sur telle jeune fille libre ou, d’une génération antérieure, sur telle «fille-mère» passible de la prison. Mais Sarah Popp n’est pas du genre, en tant que romancière, à se contenter d’une «dénonciation» univoque. Est-ce dire qu’elle fuit dans l’équivoque? Pas non plus. Il faudrait alors, par manière de réponse, détailler le roman et ses rebondissements, les multiples facettes de ses personnages, «raconter» le vieil Anders et le pourquoi de sa révolte remontant au calvaire social de sa mère, raconter celle-ci et sa propre façon de se libérer voire de se fiche de son passé, raconter l’amour fou de Sarah et de Tobie en butte au qu’en dira-t-on, raconter la sensualité persistante de Sarah la quasi sexa, raconter Sarah et sa fille, Sarah et l’angoisse, Sarah et les maux - Sarah et les mots, Sarah et la magie des objets, Sarah et la fantaisie de la fée-sorcière Rose-Marie.</p> <p>Rose-Marie Pagnard est poète autant sinon plus qu’elle est romancière, à savoir que chez elle les mots et les images passent avant les «scènes à faire», qui tissent une sorte de tapisserie «musicale» aux détails reproduisant à foison la joyeuse profusion de la réalité.</p> <h3>Féerie kaléidoscopique</h3> <p>Et c’est alors qu’il faudrait citer à qui mieux mieux, quitte à tirer «la ficelle folie». Citer le «sac de tristesse» de l’ancien voisin bûcheron, «vieux mais propre» et fleurant le savon, le bois et le citron. Citer le syndrome des jambes de Sarah dont les cauchemars l’empêchent de dormir car «chaque nuit est un piège», telle étant la part d’ombre de ce tourbillon lumineux de neige comme produite par une usine à farine. Citer les vitrines, les concerts, les biscuits de Noël qui peut être «poussent les pensées vers la mélancolie». Citer la «tête osseuse» à «noblesse de cheval» du faux ogre estimant qu’on est tous des «maltraités de la vie». Citer le «cœur explosif» du passé de Sarah entrevu par Tobie, lequel inspire celle-ci quand il rage. Citer le souvenir pénible du «poulailler paroissial» de la mesquine petite ville. Citer les deux enfants morts emportés par le père dans un carton à chaussures – «il faut beaucoup de calme et de propreté pour que ces faits révèlent leur beauté». 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Ca va? Pas trop de bavardages»), du <i>Bel été</i> (prix Strega en juin 1950, consécration à peine relevée par les médias sauf à Turin), <i>Entre femmes seules </i>aux si profondes intuitions psychologiques, <i>Le Métier de vivre</i> à de multiples reprises et la correspondance de l’écrivain d’où l’auteur tire la page saisissante, à valeur d’autoportrait, d’une lettre à Fernanda Pivano, le 25 octobre 1950, où figurent ces mots d’une si terrible lucidité: «Or P. qui sans doute est un solitaire parce qu’en grandissant il a compris qu’on ne peut rien faire qui vaille sinon loin du commerce du monde, est le martyr de ces contradictions. Il veut être seul – et il est seul –, mais il veut l’être au milieu d’un cercle qui le sache (…) P. appelle même tout cela besoin d’expression, de communication, de communion; sa privation, tragédie de la solitude, incommunicabilité des âmes, et ainsi de suite. 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1 Commentaire
@Clear 17.03.2023 | 20h46
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