Affichage à la gloire de Stepan Bandera dans la banlieue populaire de Lviv (ouest). © Jacques Pilet
La guerre finira tôt ou tard. Sur une victoire de l’Ukraine? Elle a des raisons de l’espérer au vu de la situation actuelle. Totale, y compris la récupération de la Crimée? Peu probable. Au prix de quelques renoncements? C’est vraisemblable. A voir. Mais l’Europe doit déjà s’interroger sur ce que sera ce grand pays quand les armes se tairont.
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Il va jusqu’à promettre une ambassade à Jérusalem… où l’on n’est guère convaincu par ce nouvel allié proclamé. Ses seuls ennemis, dit-il, ce sont l’Iran et le Hezbollah. Et n’a pas un mot quant aux bombes israéliennes qui pleuvent sur son territoire ni sur la présence de Tsahal aux portes de Damas. Silence aussi devant les exactions et les assassinats commis par ses partisans, rapportés sur le net, image à l’appui. En outre, il est prévu de mijoter une nouvelle constitution. La «République arabe syrienne» devrait s’appeler «Etat islamique de Syrie».</p> <p>On peut comprendre la satisfaction des Américains et des Européens voyant que la Russie et l’Iran sont bannis des lieux. Mais comment peuvent-ils peindre ainsi en rose la nouvelle situation? Sans penser aux désastreux précédents de l’Irak, de la Libye?</p> <p>En fait, ce n’est pas totalement surprenant. Lorsque la guerre civile fut déclenchée en 2011, ce sont les mêmes forces islamistes qui prirent très tôt le relais des manifestants qui réclamaient la démocratie, brutalisés par la police d’Assad. Elles furent soutenues aveuglément, des années durant, par plusieurs pays arabes et européens. Ce fut atroce. Un demi-million de morts, dit-on. Sous le double feu du dictateur criminel, certes, et celui des insurgés barbus. Des dizaines de millions d’exilés fuyant la fureur des uns et des autres.</p> <p>N’entrons pas ici dans les spéculations sur l’avenir, sur les desseins des puissances qui, de fait, s’emparent du pays, qui s’agitent au fil de leurs ambitions géopolitiques et économiques. Sans parler du pétrole, exploité par les Américains sur la partie kurde… Qu’il nous soit permis d’évoquer plutôt un souvenir. Cinq ans avant la guerre, un voyage inoubliable en Syrie. Un prêtre nous faisait visiter Alep, tous les quartiers, animés et relativement prospères. Nous parlions avec tous. 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Il vient pourtant de se produire un évènement majeur près de nous, dans un pays membre de l’UE, la Roumanie. Les élections présidentielles y ont été annulées. Car le vainqueur de premier tour, Călin Georgescu, candidat indépendant, est vivement attaqué par les deux grands partis qui se partagent le pouvoir depuis des décennies. L’affrontement ne cesse de s’échauffer entre ses partisans et ses adversaires, dans les médias, sur internet et parfois dans la rue. Aucune nouvelle date n’a encore été fixée pour de nouvelles élections.</p> <p>Or la Commission européenne ne bronche pas. Elle a su tancer, à raison, les pressions du gouvernement sur la justice en Pologne et en Hongrie. Mais là, l’annulation d’une élection incontestée – les bulletins ont été recomptés – n’appelle aucune critique. Donald Trump a d’ailleurs condamné cette décision anti-démocratique. Tout comme la rivale du vainqueur, arrivée en deuxième position, Elena Lasconi, qui voit là «un retour des jours sombres du communisme». Mme von der Leyen croit bon au contraire d’appuyer le président roumain sortant qui réclame une enquête sur les ingérences hypothétiques de la Russie lors de la campagne, largement menée sur les réseaux sociaux.</p> <h3><strong>Qui veut la peau de Călin Georgescu ?</strong></h3> <p>C’est piquant si l’on songe que sur l’autre bord, l’influence américaine pèse lourd sur ce pays. Son commandant en chef, le général Vlad, a été formé dans la plus haute école militaire aux USA et a même participé à l’opération menée contre l’Irak en 2003. Depuis la guerre en Ukraine, la pression de l’OTAN et des lobbies de l’armement est énorme. Le budget de la défense roumaine a augmenté de 53 %, il représente 3 % du PIB. Une grande base est en construction à la frontière avec la Russie. 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Et aussi des manies, il est vrai, une fixation sur l’affreux Davos, le redoutable Soros. Un penchant religieux aussi et même mystique. Grand défenseur de la famille traditionnelle, mais pas opposé à l’avortement et aux couples homosexuels. Attentif, et c’est rare, aux minorités, tels les Hongrois sur sol roumain ou les Roms. Ses refrains préférés tournent autour de la défense du peuple roumain, du rassemblement de tous, du redressement d’un pays resté pauvre malgré de réels progrès économiques aux bénéfices trop inégalement répartis. On apprécie ou pas le bonhomme, mais pas de quoi le maudire… ou l’enfermer, ou l’exiler comme en rêvent les plus exaltés de ses adversaires. Certains sont allés jusqu’à couper l’eau et l’électricité de son domicile. A quoi Georgescu réagit avec le sourire et rassure, il restera sur internet et le débat, le combat continueront. 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Les Européens de l’ouest déverseront des centaines de milliards pour la reconstruction. Les Américains aussi, mais probablement moins empressés qu’ils le sont aujourd’hui à financer des armements made in USA. Cependant il ne suffira pas de réparer les maisons et les infrastructures. Il s’agira d’aider l’Etat à assainir une économie encore aux mains des oligarques, discrets pour l’heure mais restés fort puissants. Au Parlement, dans les médias, aux postes clés de l’économie. Ils sont actuellement muselés par la concentration du pouvoir dictée par la guerre mais ils attendent leur heure. Il conviendra aussi d’amener ce pays à combattre enfin les inégalités sociales monstrueuses. Faute de quoi les réfugiés qui ont fui la guerre et aussi parfois la pauvreté ne rentreront pas chez eux, d’autres continueront d’affluer.
Voir la réalité en face, c’est prendre en compte aussi les blessures multiples, anciennes et profondes qui marquent ce peuple. Le rejet de la culture russe par le pouvoir de Kiev, commencé il y a une dizaine d’années, est toujours plus fort. A Odessa, on corrige l’histoire au bulldozer en cassant la statue de l’impératrice Catherine II, fondatrice de la ville. Partout on purge les bibliothèques. Une jeune femme résume ainsi le déchirement: «Je fais des efforts pour mieux parler l’ukrainien et désapprendre le russe.» Il est illusoire de croire qu’une telle politique ne suscitera pas, demain, des tensions extrêmes, des soubresauts inattendus et des drames.
Il est d’autres blessures, historiques, dont les cicatrices pourraient faire mal à nouveau. Même si on préfère les ignorer aujourd’hui. Pendant l’occupation allemande, entre 1941 et 1945, plus d’un million de Juifs ont été massacrés en Ukraine. Par les nazis, avec l’aide et souvent à l’initiative de la mouvance ultra-nationaliste inspirée par le fameux Stepan Bandera, «héros national» honoré aujourd’hui encore. Ce que l’on rappelle moins encore: ces mêmes bandes, farouchement antisémites, puis antisoviétiques, s’en prirent aussi à large échelle aux Polonais, encore nombreux dans l’ouest du pays. Ils furent pourchassés, humiliés et liquidés jusque dans les villages de Volhynie. Ceux-ci avaient aussi, il est vrai, massacré un certain nombre de paysans ukrainiens. Quoi qu’il en soit, ces horreurs récentes restent dans les mémoires. Même si leur évocation est taboue aujourd’hui.
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Dans un récit serein, documenté par la littérature et les rencontres, Sagnol nous emmène vers «un lieu qui n’existe pas», Huta Pienacka, qui ne figure sur aucune carte. Dans une campagne perdue, quasiment sans routes, aux environs de Brody. Ce n’est qu’en 2005 qu’une plaque commémorative y a été déposée, rédigée en polonais et en ukrainien: «A la mémoire des mille Polonais qui reposent ici, habitants du village de Huta Pienacka et des hameaux environnants, assassinés le 24 février 1944. Le village brûlé a cessé d’exister. Qu’ils reposent en paix.» Aucune mention des auteurs de ces crimes. Et pour cause. La division SS de Galicie et les nationalistes de l’UPA des villages environnants. L’écrivain Wlodzimierz Odojewski évoque l’épisode dans son livre Oksana, l’Ukrainienne le forfait des «Banderovsky», des «Bandéristes»: « Ils bouclèrent le village… puis se mirent à tirer avec des mitrailleuses automatiques et un canon de campagne… Ils poussèrent les gens vers les étables, vers l’église. Et ils y mirent le feu.» Le petit monument commémoratif a été vandalisé en 2017. Les graffitis («Mort aux Polaks», «Hors d’Ukraine fils de putes») étaient assortis de croix gammées, de tridents ukrainiens et de la fameuse rune du loup (Wolfsangel), emblème de la division SS Das Reich et aujourd’hui du bataillon nationaliste Azov.
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Il vient pourtant de se produire un évènement majeur près de nous, dans un pays membre de l’UE, la Roumanie. Les élections présidentielles y ont été annulées. Car le vainqueur de premier tour, Călin Georgescu, candidat indépendant, est vivement attaqué par les deux grands partis qui se partagent le pouvoir depuis des décennies. L’affrontement ne cesse de s’échauffer entre ses partisans et ses adversaires, dans les médias, sur internet et parfois dans la rue. Aucune nouvelle date n’a encore été fixée pour de nouvelles élections.</p> <p>Or la Commission européenne ne bronche pas. Elle a su tancer, à raison, les pressions du gouvernement sur la justice en Pologne et en Hongrie. Mais là, l’annulation d’une élection incontestée – les bulletins ont été recomptés – n’appelle aucune critique. Donald Trump a d’ailleurs condamné cette décision anti-démocratique. 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3 Commentaires
@willoft 13.01.2023 | 21h14
«Demain, l'Ukraine ne sera plus, comme l'Occident»
@willoft 13.01.2023 | 21h18
«Cher Monsieur Pilet, vous êtes de la vieille école, comment pensez-vous que l'Europe, qui vous est si chère, va tirer ses marrons du feu, dites-moi?»
@bouc 14.01.2023 | 17h07
«Enfin une analyse qui nous invite à réfléchir à l'après-guerre. On pourrait citer aussi le général suisse Henri Guisan, qui déclarait les 8 et 11 juillet 1945 (respectivement à la Société de Zofingue et aux collégiens lausannois): "L'armistice n'est pas la paix. Et la paix elle-même le sera-t-elle? Elle ne saurait être, en tout cas, l'œuvre des seuls vainqueurs, de ceux qui apposeront leurs signatures au bas d'un traité." (Édouard Chapuisat, "LE GÉNÉRAL GUISAN", Lausanne, Payot, 1949); ce qui valait après la Seconde Guerre mondiale ne vaut pas moins aujourd'hui: on ne doit pas seulement espérer la défaite des ignobles gouvernants russes actuels, mais repenser nos rapports avec les pays issus de l'ex-URSS dans une optique d'évolution, de coopération et d'intégration à une Europe fondée sur le respect mutuel, la culture commune et les droits humains, ce que nos dirigeants ont trop négligé après la chute du Mur de Berlin.
Luc Recordon»