"Adieu au langage", JLG, 2014. © Wild Bunch
Quand il disait «adieu au langage», JLG pensait «bonjour» en nouvelles échappées, en nous invitant à nos propres montages. Un œil sur le dernier roman de Virginie Despentes, amorcé le 11 septembre, et l’autre sur une adorable série «philosophique» espagnole: tout nous fait langage, salut j’tai vu et bonjour les hirondelles...
Quand «ils» ont dit adieu à Godard, à savoir les médias quasiment tous aussi unanimes qu’avec la reine Elisabeth, on a pu se dire «sauve qui peut la vie», à croire que la mort était vaincue par un artiste, même si la lucidité portait à penser qu’il y avait comme un malentendu dans cet engouement funéraire – le même qui fit consacrer plus de dix pages au journal Libération, après sa mort, au poète Henri Michaux. Or, que n’a-t-on lu ces derniers jours: Godard a rejoint Johnny et Rimbaud?
Mais que célébrait-on au juste? Un génie ou une marque? Une «icône», selon l’expression que devait vomir l’intéressé, une figure de rebelle cristallisant la révolte de la contre-culture occidentale, ou juste un nom, comme d’un produit de luxe, Cabochard ou Rebelle? Vous aurez apprécié les rubriques: Godard et les femmes, Godard et Mao, Godard et les Palestiniens, Godard et la peinture, Godard et la 3D, mais encore?
Bien entendu, tous nos techniciens de surface médiatique y sont allés de leurs références collationnées, célébrant l’auteur «culte» d’A bout de souffle, présumé chef-d’œuvre (ce qui se discute), le chef de file non aligné de la Nouvelle Vague – formule d’époque aussi sagement homologuée que celle de Nouveau Roman –, signant Pierrot le fou et Le Mépris, puis tant d’autres films-expériences en phase avec leur époque; mais les thuriféraires actuels, dont certains eussent pu être ses petits-fils, avaient-ils vraiment vu les films qu’ils citaient et réellement évalué le rapport de JLG au cinéma «classique» et à sa dilution actuelle dans le feuilleton et dans l’imagerie multitudinaire où chacun, via Instagram, se fabrique un livre d’images?
Bref, cette congratulation générale n’est-elle pas une trahison? Oui et non. Oui, car JLG détestait tout cela. Et non, car Godard en jouait, comme Fellini joue de la féerie foutraque de la télé en la stigmatisant…
Quand il dit «adieu au langage», ainsi qu’il l’explique lui-même assez malicieusement dans un entretien parallèle à son film éponyme de 2014, JLG parle en vaudois, langue pleine d’ambiguïtés et de doubles sens, de litotes et de formules comme celle qui consiste à dire qu’on est «déçu en bien», expressions typiques d’un pays jadis soumis à une occupation et dont les traces de celle-ci (alémanique en l’occurrence) se retrouvent dans le langage comme dans le savoureux «comme que comme», signifiant «de toute façon» et traduite du «so wie so» germanique…
Ce qu’on ne peut dire avec des mots, Rocky l’exprime d’un regard
Dans la foulée, JLG souligne aussi l’importance des façons de parler, autre locution à double sens, qui se corse avec les accents et les intonations – cinq tons nuancés dans la langue coréenne qui font qu’un mot peut signifier une chose et son contraire –, et le Vaudois parisianisé Godard (dont l’accent traînant-chantant est à peine plus marqué que celui de Ramuz) comme celui-ci revenu de Paris, ne sera pas moins attentif à la langue-geste chère au grand écrivain, en véritable philologue à extensions polymorphiques multiples puisque la langage de l’image et des affects sensoriels, par le cinéma, brasseront chez lui bien au-delà du seul domaine des vocables, par les détours de la représentation picturale et des collages musicaux, jusqu’aux silences et aux questions que se pose supposément le chien Rocky Miéville...
Adieu au langage, dont la fusion et l’effusion formelle font un peu penser au dernier Céline de Guignol’s band ou au dernier Joyce de Finnegans’s wake, est en somme le film-expérience «pictural» le plus radical du dernier Godard, après Film socialisme et Notre musique, notamment.
Lorsque nous avons découvert cet OVNI cinématographique en 3D au festival de Locarno, Rocky posant littéralement son museau sur les genoux des spectateurs du premier rang, au cinéma Rialto (souvenir perso), un collaborateur de Godard expliqua aux spectateurs présents, prévenant leur décontenancement probable (!) qu’ils ne devraient pas en chercher la signification en termes logiques ordinaires, mais plutôt en grappiller les éléments pour en faire leur propre film. Or celui-ci changera à chaque fois que nous verrons ou reverrons Adieu au langage, comme je viens de la vérifier après l’avoir revu au lendeman de la mort de JLG, deux jours après le 11 septembre.
Une lecture du monde actuel qui en suscite d’autres…
Si je rappelle la date de la tragédie de nine/eleven, c’est pour souligner le fait que l’Histoire, avec une grande hache, reste probablement le personnage principal du «roman» de JLG, ou tout au moins son obsessionnel bruit de fond, et dans Adieu au langage plus que jamais, dont le scénario est quasi inexistant, la narration déconstruite, les personnages à peine esquissés, le «discours» éclatés en multiples citations plus ou moins inaudibles. Bref: du Godard tout pur en tant que plasticien du cinéma et tout de même frustrant si vous attendez d’un film qu’il vous raconte une histoire, avec des personnages sympas ou pas, des situations significatives et un sens repérable.
Le 11 septembre 2022, date de la mort d’Alain Tanner, cinéaste plus explicitement «narratif» que son compère JLG, j’entamai pour ma part la lecture d’un roman dont le titre lamentablement accrocheur (Cher connard) et la couverture criarde me laissaient à penser que j’allais le détester, avant d’être «déçu en bien» contre toute attente…
Le dernier roman de Virginie Despentes nous ramène, en effet à sa façon, à la question du langage, et c’est intéressant! Evoquant une société dont la langue (verlan à l’appui, avant les fantaisies inclusives) se tribalise ou se fonctionnalise, la romancière réinvestit la tradition française du roman épistolaire avec un échange de messages genre tweets-fleuves parodiant ceux des réseaux sociaux, d’abord sur un ton virulemment agressif (un jeune écrivain qui s’adresse à une célèbre actrice vieillissante en la comparant à un crapaud), puis au fil d’une complicité croissante qui se développe, entre les deux protagonistes, en tableau d’époque et en portraits que nuance la tendresse. Dans la foulée, on aura remarqué que deux personnages assez représentatifs de la société du spectacle, deux «pipoles» comme l’est Virginie Despentes, peuvent receler des trésors de sensibilité, des blessures, des failles, des qualités de cœur comme chacune et chacun, et que ce qui semble banal l’est beaucoup moins sous la «papatte» d’un écrivain. Question de style!
Sacré personnage que Rebecca Latté, la protagoniste de Cher connard, genre Béatrice Dalle en «pire mieux». Godard l’eût-il «kiffée»? Faites-lui un SMS posthume pour le lui demander. Mais ce qui est sûr, c’est que Maria Bolaño, la prof d’éthique de la série «philosopohique» d’Hector Lozano, intitulée Merli, Sapere aude, à voir ces jours sur Netflix, aurait touché Godard par son goût furieusement indépendant de la vérité dégagée de tous les conforts intellectuels. Dans Adieu au langage, c’est du côté des enfants, du côté du chien et du côté de la nature qu’il «retrempe» lui-même sa recherche d’une introuvable vérité.
De Jacques Ellul à la théorie des associations libres…
Assez significative: la référence, au début d’Adieu au langage, au protestant franc-tireur Jacques Ellul, dont un personnage évoque les prédictions prophétiques sur un smartphone et qui, sur le langage, a laissé lui-même une mémorable Exégèse des nouveaux lieux communs relançant celle de Léon Bloy.
Autant dire que le gauchiste de 68, signant une Chinoise qu’on reverra comme un symbole de la jobardise intellectuelle des années 60 en Occident, à l’époque de tous les terrorismes intellectuels, a fait du chemin en persistant «enfant terrible» à dégaine de vieux sage.
Ceci dit, pour en revenir au «dernier Godard», il faut lire les essais de Max Dorra, à commencer par Lutte des rêves et interprétation des classes, où le psychiatre inspiré parle si pertinemment de la démarche du cinéaste, pour apprécier la portée de l’œuvre de celui-ci dans son travail sur les associations libres, au sens où l’entendait Freud, qui interroge les soubassements du langage et ses relations avec le rêve et le réel, les couleurs et les musiques du monde.
Dans Adieu au langage, le rouge d’un pavot – rappelant les rouges de Nicolas de Staël, ou de Matisse – et la foison polychrome d’un parterre de fleurs, ou la beauté de deux enfants au jeu, la grâce d’un chien écoutant bruire la rivière, la splendeur d’un bateau à aubes accostant à un débarcadère, constituent autant de réponses immanentes et muettes, modulées comme les déclinaisons du mot NATURE, aux questions que ni l’idéologie, ni la théologie ou la politique ne résoudront jamais alors même que d’incessants reflets de la violence du monde, cisaillant les belles images du poème visuel, nous rappellent que cela continue à «péter» à Gaza ou en Ukraine…
«Adieu au langage», Jean-Luc Godard, DVD Wild Side. Avec divers compléments dont un entretien de 40 minutes.
«Cher connard», Virginie Despentes, Editions Grasset, 352 pages.
«Merlí, sapere aude», Hector Lozano, sur Netflix.
«Lutte des rêves et interprétation des classes», Max Dorra, Editions de L’Olivier, coll. Penser / rêver, 192 pages.
«Exégèse des nouveaux lieux communs», Jacques Ellul, Editions de La Table ronde, coll. Petite vermillon, 302 pages.
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Oui et non. Oui, car JLG détestait tout cela. Et non, car Godard en jouait, comme Fellini joue de la féerie foutraque de la télé en la stigmatisant…</p> <p>Quand il dit «adieu au langage», ainsi qu’il l’explique lui-même assez malicieusement dans un entretien parallèle à son film éponyme de 2014, JLG parle en vaudois, langue pleine d’ambiguïtés et de doubles sens, de litotes et de formules comme celle qui consiste à dire qu’on est «déçu en bien», expressions typiques d’un pays jadis soumis à une occupation et dont les traces de celle-ci (alémanique en l’occurrence) se retrouvent dans le langage comme dans le savoureux «comme que comme», signifiant «de toute façon» et traduite du «<em>so wie so</em>» germanique… </p> <h3>Ce qu’on ne peut dire avec des mots, Rocky l’exprime d’un regard</h3> <p>Dans la foulée, JLG souligne aussi l’importance des façons de parler, autre locution à double sens, qui se corse avec les accents et les intonations – cinq tons nuancés dans la langue coréenne qui font qu’un mot peut signifier une chose et son contraire –, et le Vaudois parisianisé Godard (dont l’accent traînant-chantant est à peine plus marqué que celui de Ramuz) comme celui-ci revenu de Paris, ne sera pas moins attentif à la langue-geste chère au grand écrivain, en véritable philologue à extensions polymorphiques multiples puisque la langage de l’image et des affects sensoriels, par le cinéma, brasseront chez lui bien au-delà du seul domaine des vocables, par les détours de la représentation picturale et des collages musicaux, jusqu’aux silences et aux questions que se pose supposément le chien Rocky Miéville...</p> <p><i>Adieu au langage</i>, dont la fusion et l’effusion formelle font un peu penser au dernier Céline de <i>Guignol’s band</i> ou au dernier Joyce de <i>Finnegans’s wake,</i> est en somme le film-expérience «pictural» le plus radical du dernier Godard, après <i>Film socialisme</i> et <i>Notre musique</i>, notamment. </p> <p>Lorsque nous avons découvert cet OVNI cinématographique en 3D au festival de Locarno, Rocky posant littéralement son museau sur les genoux des spectateurs du premier rang, au cinéma Rialto (souvenir perso), un collaborateur de Godard expliqua aux spectateurs présents, prévenant leur décontenancement probable (!) qu’ils ne devraient pas en chercher la signification en termes logiques ordinaires, mais plutôt en grappiller les éléments pour en faire leur propre film. Or celui-ci changera à chaque fois que nous verrons ou reverrons <i>Adieu au langage</i>, comme je viens de la vérifier après l’avoir revu au lendeman de la mort de JLG, deux jours après le 11 septembre.</p> <h3>Une lecture du monde actuel qui en suscite d’autres…</h3> <p>Si je rappelle la date de la tragédie de nine/eleven, c’est pour souligner le fait que l’Histoire, avec une grande hache, reste probablement le personnage principal du «roman» de JLG, ou tout au moins son obsessionnel bruit de fond, et dans <i>Adieu au langage</i> plus que jamais, dont le scénario est quasi inexistant, la narration déconstruite, les personnages à peine esquissés, le «discours» éclatés en multiples citations plus ou moins inaudibles. Bref: du Godard tout pur en tant que plasticien du cinéma et tout de même frustrant si vous attendez d’un film qu’il vous raconte une histoire, avec des personnages sympas ou pas, des situations significatives et un sens repérable. </p> <p>Le 11 septembre 2022, date de la mort d’Alain Tanner, cinéaste plus explicitement «narratif» que son compère JLG, j’entamai pour ma part la lecture d’un roman dont le titre lamentablement accrocheur (<i>Cher connard</i>) et la couverture criarde me laissaient à penser que j’allais le détester, avant d’être «déçu en bien» contre toute attente…</p> <p>Le dernier roman de Virginie Despentes nous ramène, en effet à sa façon, à la question du langage, et c’est intéressant! Evoquant une société dont la langue (verlan à l’appui, avant les fantaisies inclusives) se tribalise ou se fonctionnalise, la romancière réinvestit la tradition française du roman épistolaire avec un échange de messages genre tweets-fleuves parodiant ceux des réseaux sociaux, d’abord sur un ton virulemment agressif (un jeune écrivain qui s’adresse à une célèbre actrice vieillissante en la comparant à un crapaud), puis au fil d’une complicité croissante qui se développe, entre les deux protagonistes, en tableau d’époque et en portraits que nuance la tendresse. Dans la foulée, on aura remarqué que deux personnages assez représentatifs de la société du spectacle, deux «pipoles» comme l’est Virginie Despentes, peuvent receler des trésors de sensibilité, des blessures, des failles, des qualités de cœur comme chacune et chacun, et que ce qui semble banal l’est beaucoup moins sous la «papatte» d’un écrivain. Question de style!</p> <p>Sacré personnage que Rebecca Latté, la protagoniste de <i>Cher connard, </i>genre Béatrice Dalle en «pire mieux». Godard l’eût-il «kiffée»? Faites-lui un SMS posthume pour le lui demander. Mais ce qui est sûr, c’est que Maria Bolaño, la prof d’éthique de la série «philosopohique» d’Hector Lozano, intitulée <i>Merli, Sapere aude</i>, à voir ces jours sur Netflix, aurait touché Godard par son goût furieusement indépendant de la vérité dégagée de tous les conforts intellectuels. Dans <i>Adieu au langage</i>, c’est du côté des enfants, du côté du chien et du côté de la nature qu’il «retrempe» lui-même sa recherche d’une introuvable vérité. </p> <h3>De Jacques Ellul à la théorie des associations libres… </h3> <p>Assez significative: la référence, au début d’<i>Adieu au langage</i>, au protestant franc-tireur Jacques Ellul, dont un personnage évoque les prédictions prophétiques sur un smartphone et qui, sur le langage, a laissé lui-même une mémorable <i>Exégèse des nouveaux lieux communs </i>relançant celle de Léon Bloy.</p> <p>Autant dire que le gauchiste de 68, signant une <i>Chinoise</i> qu’on reverra comme un symbole de la jobardise intellectuelle des années 60 en Occident, à l’époque de tous les terrorismes intellectuels, a fait du chemin en persistant «enfant terrible» à dégaine de vieux sage.</p> <p>Ceci dit, pour en revenir au «dernier Godard», il faut lire les essais de Max Dorra, à commencer par <i>Lutte des rêves et interprétation des classes,</i> où le psychiatre inspiré parle si pertinemment de la démarche du cinéaste, pour apprécier la portée de l’œuvre de celui-ci dans son travail sur les associations libres, au sens où l’entendait Freud, qui interroge les soubassements du langage et ses relations avec le rêve et le réel, les couleurs et les musiques du monde.</p> <p>Dans <i>Adieu au langage</i>, le rouge d’un pavot – rappelant les rouges de Nicolas de Staël, ou de Matisse – et la foison polychrome d’un parterre de fleurs, ou la beauté de deux enfants au jeu, la grâce d’un chien écoutant bruire la rivière, la splendeur d’un bateau à aubes accostant à un débarcadère, constituent autant de réponses immanentes et muettes, modulées comme les déclinaisons du mot NATURE, aux questions que ni l’idéologie, ni la théologie ou la politique ne résoudront jamais alors même que d’incessants reflets de la violence du monde, cisaillant les belles images du poème visuel, nous rappellent que cela continue à «péter» à Gaza ou en Ukraine…</p> <hr /> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1663835205_383149.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="247" height="335" /></h4> <h4>«Adieu au langage», Jean-Luc Godard, DVD Wild Side. Avec divers compléments dont un entretien de 40 minutes.</h4> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1663835281_9782246826514001t.jpeg" class="img-responsive img-fluid left " width="251" height="368" /></h4> <h4>«Cher connard», Virginie Despentes, Editions Grasset, 352 pages.</h4> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1663835352_3765976.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="245" height="346" /></h4> <h4> «Merlí, sapere aude», Hector Lozano, sur Netflix.</h4> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1663835424_luttedesrevesetinterpretationdesclaes.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="236" height="336" /></h4> <h4>«Lutte des rêves et interprétation des classes», Max Dorra, Editions de L’Olivier, coll. 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Est-il vrai qu’il aurait apprécié le fait de ne pas être maltraité? Est-il vrai qu’il aurait affirmé ces derniers temps qu’il en avait assez de vivre? Et que voit-il par la fenêtre, si tant est que les murs qui l'enferment soient pourvus de la moindre ouverture? 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Mais pas du tout : maintes fois, en effet, l’auteur du redoutable 2084 l’a répété: ce n’est pas à l’islam qu’il en veut, mais à l’islamisme et à l’instrumentalisation sociale et politique du «message» musulman, comparable à l’instrumentalisation faite par tous les fanatiques césaro-papistes des confessions diverses, etc.</p> <p>Freeman Dyson rend hommage à l’auteure de science-fiction Madeleine L'Engle, très prisée des enfants et des ados anglo-saxons (elle a écrit une trentaine de romans les visant en priorité) et qui accorde, en chrétienne atypique, plus d’importance aux scientifiques qu’aux théologiens, coupables, selon elle, de limiter la notion de Dieu alors que «les scientifiques, avec leurs questions, avec leur émerveillement face à la gloire de l’Univers», l’ont aidée dans sa quête de méditation et de contemplation, tant il est vrai que les spécialistes de biologie cellulaire ou d'astrophysique traitent de la nature de l'existence même au fil de questions d’ordre théologique: «quelle est la nature du temps? 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Je m’y attendais, c’est un corps d’élite, les imams, toujours prêts à bondir et à rendre service, comme les scouts »...</p> <h3><strong>Un hymne insolent à la vie libre !</strong></h3> <p>Sacré Boualem, qui fait passer le salut des Terriens par le truchement de la connexion onirique – et quel régal panaché que la suite des réponses de l’imam, du rabbin, du curé et de l’hindouiste vegan, quelle fiesta d’ironie sagace et de lucidité débonnaire quoique sans illusion, aboutissant à une conclusion d’un surprenant optimisme, à savoir que «l’avenir appartient aux gens de bien», ce que Sansal commente tranquillement (je l’imagine plutôt tranquille, ce matin, dans sa réclusion), en ces termes: «Tiens, je crois que c’est ça la bonne définition de cet objet non identifié qu’est l’humanité, que je cherche depuis des années, L’humanité, ce sont ces gens de bien qui, vaille que vaille, assurent le service de la vie»…</p> <p>Aussi bien ne me fais-je pas trop de souci, malgré tout, pour ce cher homme dont la force morale, l’intelligence et l’immense savoir «humain», modulés dans ses livres si variés de forme – jusqu’à ce roman d’anticipation parodiant joyeusement la littérature conjecturale pour ados de tous les âges – me font penser qu’il vit son incarcération actuelle, par les morts-vivants du pouvoir, comme une péripétie parmi d’autres, mais combien révélatrice pour nous qui en découvrons les effets de solidarité massive autant que les retombées de haine et d’abjection.</p> <p>Vivre, oui, et d’abord lire ce livre tonique, hymne insolent et généreux à la vie libre (!) au lieu de radoter dans le vide des idéologies «divinement» meurtrières. Boualem Sansal sera-t-il libre à Noël? C’est évidemment à espérer, même si cette fête d’«infidèles» tourne au marché de pacotille. Et les Terriens méritent-ils d’ailleurs d’être sauvés! Salut le mystère!</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1733404354_g08284.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="161" height="235" /></p> <p><strong>Boualem Sansal. <em>Vivre. Le compte à rebours</em>. </strong><strong>Gallimard, 2024, 233p. </strong></p> <p><strong><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1733404445_laviedanslunivers.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="156" height="248" /></strong></p> <p><strong>Freeman J. Dyson. </strong><strong><em>La vie dans l’univers. Réflexions d’un physicien. </em></strong><strong>Gallimard, Bibliothèques des sciences humaines, 2009. 255p.</strong></p> <hr /> <h2><strong>Entretien avec Boualem Sansal, en 2006 </strong></h2> <p><strong> </strong><strong>(paru dans le quotidien <em>24 heures </em>le 9 mai 2006)</strong></p> <p>Boualem Sansal est l’une des grandes voix de la littérature algérienne francophone, dont les romans ressaisissent la tragique et complexe réalité contemporaine avec une porosité et une faconde sans pareilles. Après <em>Le serment des barbares</em> (1999), <em>L’enfant fou de l’arbre creux</em> (2000) et <em>Dis-moi le paradis</em> (2003), son quatrième roman, Harraga, s’attache à deux destinées de femmes avec autant d’empathie que de lucidité révoltée. Au printemps 2006, cet auteur qui a «mal à l’Algérie» adressait une lettre ouverte à ses compatriotes intitulée <em>Poste restante: Alger,</em> d’un courage civique impressionnant. Nous avions rencontré l’auteur après cette parution...</p> <p><strong>Comment, Boualem Sansal, vivez-vous aujourd’hui en Algérie?</strong></p> <p>Plutôt mal, après une amnistie marquant la réhabilitation des criminels d’hier, qui se retrouvent à plastronner en ville avec une arrogance extraordinaire. La chape d’un ordre moral intolérant se fait de nouveau ressentir, parallèlement à la réintroduction de l’enseignement religieux et à l’occupation des mosquées. Or la population semble l’accepter, tant elle est respectueuse de l’islam.</p> <p><strong>Quelle a été votre éducation personnelle?</strong></p> <p>Je suis né dans une famille où l’on pensait que l’instruction était essentielle. Ayant perdu mon père très tôt, j’ai été soumis, avec mes trois frères, à la discipline rigoureuse d’un grand-père chef de gare qui avait fait la guerre de 14-18, laïc et profondément attaché à la France et à sa culture. Après un début d’études classiques en latin-grec, j’ai cependant bifurqué sur une formation d’ingénieur, l’Algérie de l’indépendance ayant besoin de bâtisseurs et de techniciens plus que de «beaux parleurs», comme on disait alors. C’est pourquoi je me suis retrouvé, en 1992, au poste de Directeur de l’industrie, où m’avait appelé un condisciple devenu ministre.</p> <p><strong>Qu’avez-vous appris dans les allées du pouvoir?</strong></p> <p>Ce qui m’a le plus frappé, c’est la morgue, la corruption, les luttes entre clans et, d’une manière générale, le mépris de la population, ainsi qu’une formidable incompétence des apparatchiks du parti unique.</p> <p><strong>En avez-vous un exemple?</strong></p> <p>Le plus éloquent est ce rapport qu’un ministre m’a chargé d’établir, sur les relations entre l’endettement des pays du Sud méditerranéen et leur niveau de développement. Me fiant aux chiffres de la Banque mondiale et du FMI, j’ai constaté que les pays les plus endettés à régimes autoritaires, à commencer par l’Égypte, étaient aussi les plus déficients en matière de développement, alors qu’Israël, super-endetté, affichait un développement constant. Ce constat a mis le ministre en fureur, qui m’a prié de supprimer la mention d’Israël, ce que l’honnêteté m’interdisait. Je lui ai donc proposé ma démission immédiate, qui a été refusée en même temps qu’on enterrait le rapport. Par la suite, mes positions et mes livres m’ont valu d’être limogé.</p> <p><strong>Comment en êtes-vous venu au roman?</strong></p> <p>Cela s’est fait comme ça, pendant la terreur islamiste qui nous cloîtrait. Or que fait-on dans ces conditions ? On tourne en rond, on remâche les dernières horreurs du jour, on prend des notes sur ce qu’on observe, et tout à coup le « roman » est là, dicté par la vie. C’est ainsi qu’est né Le serment des barbares.</p> <p><strong>Décrire la réalité si fidèlement, comme l’a fait aussi votre ami Rachid Mimouni, ne représentait-il pas un risque?</strong></p> <p>Bien entendu, mais sortir dans la rue était déjà risqué. A propos de mon ami Rachid, la nuit suivant son enterrement en Algérie, des fanatiques ont exhumé son cadavre pour le livrer aux chiens. Ce n’est pas du roman : c’est la réalité, comme <em>Harraga </em>relève d’une réalité vécue.</p> <p><strong>Dans votre lettre ouverte aux Algériens, vous vous en prenez violemment à l’amnistie…</strong></p> <p>Pour aboutir à une vraie réconciliation, il fallait enquêter et rendre la justice. Je ne suis pas contre le pardon, au contraire, mais cette amnistie était une insulte aux victimes et un déni de justice.</p> <p><strong>Pensez-vous être entendu? 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Au premier rang des romanciers-poètes de la francophonie, la Jurassienne fait irradier «la lumière sous chaque mot».', 'subtitle_edition' => 'L’esprit d’enfance, où la fantaisie transfigure le quotidien, imprègne «L’enlèvement de Sarah Popp», merveille d’imagination poétique et de douce folie humoristique sublimant la platitude et les épreuves de la vie. Au premier rang des romanciers-poètes de la francophonie, la Jurassienne fait irradier «la lumière sous chaque mot».', 'content' => '<p>De quoi l’écrivain contemporain, pour être «crédible», doit-il parler aujourd’hui? Faut-il qu’il s’«engage», comme le recommandait Jean-Paul Sartre crépitant de son aigre voix comme une mitraillette, au mitan du siècle dernier, ou peut-il se contenter de «raconter des histoires» à la Harry Potter ou à la Marc Levy? Doit-il «témoigner», ou «l’art pour l’art» suffit-il à le justifier, ou le «fun» inspiré par la «cool attitude»? Et qu’en est-il de son rapport à la fiction? Celle-ci l’éloigne-t-elle du réel, ou lui permet-elle au contraire de se libérer du «nombrilisme» et de mieux accéder à l’«universel»?</p> <p>De telles questions auront peut-être «fait débat», cet hiver-là, tandis qu’il neigeait sur Vilnius, à tel festival de littérature auquel venait de participer Sarah Popp (quel nom, n’est-ce pas? pour une auteure, autrice, auteuse ou autorelle en langage d’inclusion), qui se réjouissait de revenir en Suisse pour y retrouver, à la veille de son cinquante-neuvième anniversaire, son compagnon Tobie, aussi à l’aise à son piano que devant les fourneaux, et leur fille Matild associée à une mini-troupe d’animateurs de robots-marionnettes au goût dernier cri de la nouvelle génération théâtrale.</p> <p>Alors quoi, un roman de plus sur les «problèmes du roman»? Mais quelle barbe! Et pourtant non: grâce à la neige et au gel, aux avions cloués au sol et donc à l’imprévu illico salué par Tobie («accepte ce qui arrivera» lui chante-t-il au téléphone quand elle lui expose son retard de deux ou trois jours), et Sarah de se réjouir de l’imprévisible occasion de vivre elle ne sait encore quoi alors que, de la fenêtre du bus qui la ramène de l’aéroport en ville, elle voit sans le voir un grand camion blanc dont la cabine figure une petite maisonnette, prélude à un conte à dormir debout. De fait, c’est de ce même camion que, quelques pages plus loin, va surgir le personnage le plus imprévu qui soit, au prénom d’Aimé et au nom d’Anders, messager comme tombé du ciel et kidnappant pour ainsi dire la romancière (qu’il connaît et suit depuis longtemps) pour l’enjoindre d’écrire enfin LA vérité, disons plus précisément ce qu’il voudrait lire sous sa plume de «témoin», d’écrivaine «engagée», question de rétablir la justice comme s’y employa longtemps sa maman juriste désormais plus que nonagénaire, rangée des prétoires et veuve d’un marchand de cornichons, qui a passé par la prison (crime d’avoir porté à l’époque un «enfant du péché») sans en être à vrai dire traumatisée (ah le «trauma» dont les médias actuels raffolent) au motif qu’elle y a découvert de l’imprévu, elle aussi…</p> <p>Des débats publics entre auteurs et autrices, peut-être assommants (comme souvent) ou au contraire passionnants (comme parfois), l’on passe alors, via la fiction, à une discussion incarnée, ancrée dans la réalité par mille détails concrets et savoureux, avec une Sarah jouant et déjouant à la fois le jeu de son kidnappeur. Ainsi se met-elle bel et bien à écrire des fragments de sa «vraie vie» sur la table de la maisonnette roulante, tandis que la romancière module sa propre vision des choses, où la poésie se joue allègrement des règles de la théorie, autant que des conventions morales.</p> <h3>Au dam du «poulailler paroissial»</h3> <p>Comment une romancière d’aujourd’hui doit-elle parler de la violence faite aux femmes, ou des humiliations subies au nom de la morale courante? Le kidnappeur de Sarah Popp, comme les gens «adultes et responsables», croit avoir la réponse, enjoignant la romancière de témoigner comme au commissariat ou au tribunal – aujourd’hui aux assises des médias friands d’accusations – «on veut des noms!» </p> <p>Or ce n’est pas minimiser les souffrances que de les confronter à la complexité de la vie, jamais réductibles aux seules sentences morales. Dans le roman de Rose-Marie Pagnard, en tout cas, la morale des bien-pensants, de telle tante bigote ou de tels voisins malveillants dans un village «gonflé de méchanceté», pèse lourdement sur les jugements portés sur telle jeune fille libre ou, d’une génération antérieure, sur telle «fille-mère» passible de la prison. Mais Sarah Popp n’est pas du genre, en tant que romancière, à se contenter d’une «dénonciation» univoque. Est-ce dire qu’elle fuit dans l’équivoque? Pas non plus. Il faudrait alors, par manière de réponse, détailler le roman et ses rebondissements, les multiples facettes de ses personnages, «raconter» le vieil Anders et le pourquoi de sa révolte remontant au calvaire social de sa mère, raconter celle-ci et sa propre façon de se libérer voire de se fiche de son passé, raconter l’amour fou de Sarah et de Tobie en butte au qu’en dira-t-on, raconter la sensualité persistante de Sarah la quasi sexa, raconter Sarah et sa fille, Sarah et l’angoisse, Sarah et les maux - Sarah et les mots, Sarah et la magie des objets, Sarah et la fantaisie de la fée-sorcière Rose-Marie.</p> <p>Rose-Marie Pagnard est poète autant sinon plus qu’elle est romancière, à savoir que chez elle les mots et les images passent avant les «scènes à faire», qui tissent une sorte de tapisserie «musicale» aux détails reproduisant à foison la joyeuse profusion de la réalité.</p> <h3>Féerie kaléidoscopique</h3> <p>Et c’est alors qu’il faudrait citer à qui mieux mieux, quitte à tirer «la ficelle folie». Citer le «sac de tristesse» de l’ancien voisin bûcheron, «vieux mais propre» et fleurant le savon, le bois et le citron. Citer le syndrome des jambes de Sarah dont les cauchemars l’empêchent de dormir car «chaque nuit est un piège», telle étant la part d’ombre de ce tourbillon lumineux de neige comme produite par une usine à farine. Citer les vitrines, les concerts, les biscuits de Noël qui peut être «poussent les pensées vers la mélancolie». Citer la «tête osseuse» à «noblesse de cheval» du faux ogre estimant qu’on est tous des «maltraités de la vie». Citer le «cœur explosif» du passé de Sarah entrevu par Tobie, lequel inspire celle-ci quand il rage. Citer le souvenir pénible du «poulailler paroissial» de la mesquine petite ville. Citer les deux enfants morts emportés par le père dans un carton à chaussures – «il faut beaucoup de calme et de propreté pour que ces faits révèlent leur beauté». Citer la beauté partout quand on a l’âme clame et propre à l’écart des «bandits en soutanes», ou citer par la fenêtre du bus les bonds de dauphins que suggèrent les ondulations d’un pipeline russe violet sur fond de neige, citer la forêt qui «se serre autour de l’histoire» avec «cette petite histoire humaine à l’intérieur», etc.</p> <p>Rose-Marie Pagnard a l’âge des seniors et la grâce des enfants, ou plutôt de l’enfance en tant qu’instance de l’imagination sans âge, et c’est à l’enfance grave des contes que la fugue dans la neige lituanienne de <i>L’enlèvement de Sarah Popp</i> fait penser, à l’enfance tissée d’émerveillements primesautiers et d’effrois secrets, à ce qui nous reste de bonne rage vivace après les déceptions et les larmes, à ce qui relance notre joie. </p> <p>Dans ce conte foisonnant qui ressemble si fort à la vie, peut-être même plus réel qu’elle, il y aurait, au conditionnel de l’enfance, un poney cinquantenaire aux yeux bleus, un drôle de type nommé Robert Louis Stevenson comme le conteur fameux mort aux îles Samoa d’un AVC après avoir fait rêver les jeunesses du monde à son île au trésor, un beau garçon surnommé Chasseur qui se fait draguer «grave» par Sarah, laquelle n’est plus à la fin qu’une poussière géante ou qu’une araignée en chocolat sous le balai de la mémoire passée et future, avec les mots de Rose-Marie Pagnard, fée et sorcière-sourcière emmêlée dans ses pinceaux et autres stylos dans sa féerie évoquant «une danse de Lapons endormis», lapins d’Alice et compagnie, sous les étoiles dont les noms (Chevelure de Bérénice ou Petit Lion) «valent le coup de vivre cent ans», enfin Sarah, agitant son kaléidoscope, se dit comme ça, «qu’il ne lui est pas nécessaire de tout comprendre, seulement de vivre et d’être amie de l’imagination».</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1732184054_zoelenlevementdesarahpoppcopie.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="298" /></p> <h4>«L’enlèvement de 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tour de verre investie par un congrès universitaire à l’enseigne de la Modern Language Association, l’Amérique que j’aimais pour avoir lu avec passion les romans de Thomas Wolfe et de William Faulkner ou de Philip Roth, les nouvelles fulgurantes de Flannery O’Connor et les poèmes de Walt Whitman, entre tant d’autres, m’avait immédiatement sidéré par la sottise vulgaire de sa télévision et la coupure évidente séparant ses divers milieux sociaux, classes et races.</p> <p>Ensuite, une première escale à La Nouvelle Orleans, où je découvris un haut lieu du jazz dont parle Kennedy, et la remontée de la côte Est jusqu’à Washington et New York, trimballé par les bus de la compagnie Greyhound où Noirs et Blancs se tenaient à méfiante distance, je passai par tous les stades de l’adhésion et de la répulsion que suscitait une évidente société à deux vitesses, illustrée à foison par le livre de Kennedy.</p> <p>En revanche, et je me rappelle alors quelques vives discussions dans l’entourage de Vladmir Volkoff, enseignant alors à Macon (Georgia) après la parution des <i>Humeurs de la mer</i>, peu de trace alors de l’agressivité opposant les tenants de telle ou telle position idéologique ou politique, alors que Kennedy affirme aujourd’hui que, désormais, «les discussions politiques aux Etats-Unis sont trop souvent réduites à deux individus s’affrontant de loin à grands cris haineux»… </p> <h3>Histoire d’une rupture</h3> <p>Le dépouillement des urnes de ces jours révèle, une fois de plus, la fracture profonde affectant les USA en 2024, dont l’histoire est retracée par Douglas Kennedy dès l’évocation de son enfance, marquée par un père violent, anticommuniste furieux, lui-même jamais guéri du traumatisme de la guerre (200'000 morts à Okinawa…) et partageant la frustration domestique de toute une génération, la mère de l’écrivain vivant de son côté l’humiliation des femmes. 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Ainsi Douglas Kennedy, compose-t-il un patchwork où la tendresse généreuse le dispute à la critique du «râleur-né» de l’East Village new yorkais. Deux autres auteurs «expatriés», à savoir Gore Vidal longtemps établi en Italie, et James Baldwin séjournant en France, sont en outre cités par Kennedy comme exemples de virulents critiques restés fondamentalement attachés à leur pays, comme il l’est lui-même, revenu aux States en 2011 après un long séjour en Irlande et de constants déplacements entre Paris et Berlin, notamment.</p> <h3>L’avenir à reculons</h3> <p>Alors que nous nous demandons ces jours où ira demain l’Amérique de Trump, l’on peut rappeler que le même Douglas Kennedy nous a proposé l’an dernier un détour par l’avenir, avec un roman d’anticipation grinçant intitulé <i>Et c’est ainsi que nous vivrons,</i> situé en 2045 où les etats désunis ont fait scission en deux entités, l’une représentant une théocratie où l’on brûle les hérétiques comme au bon vieux temps de l’Inquisition espagnole (ou calviniste), l’autre une République dont le progressisme coercitif passe par la surveillance de tous ses citoyens, comme chez Orwell, par un Big Brother évoquant la Corée du nord ou le paradis selon Elon Musk… </p> <p>Fort heureusement, les prédictions catastrophistes des écrivains sont souvent démenties par la complexe réalité humaine, et Douglas Kennedy, tout réaliste et pessimiste qu’il soit, n’en finit pas pour autant de parier pour les «surprises de l’Histoire». Si persuadé qu’il soit qu’une démocratie sociale et progressiste est le seul moyen pour son pays d’aller de l’avant, il poursuit aussi bien le dialogue avec tel ami voyant en Trump la mort de la démocratie américaine et l’éventualité d’un nouveau totalitarisme ploutocratique, autant qu’avec tel autre qui voit en Trump «un président incompris, critiqué à tort». </p> <p>Sans équivoque pour autant, son livre, comme un roman, est un miroir promené le long de la route américaine (une évocation de la Route 66 rappelle le mythe national, avec un éloge chaleureux quoique nuancé de Jack Kerouac le beatnik virant «réac» sur le tard ), dans un «ailleurs» de citoyen du monde qui pourrait être aussi le nôtre…</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1730993956_ailleurschezmoi.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="322" /></p> <h4>«Ailleurs, chez moi», Douglas Kennedy, traduit de l'anglais (USA) par Chloé Royer, Editions Belfond, 256 pages.</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1730994068_9782266341042ori.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="328" /></p> <h4>«Et c'est ainsi que nous vivrons», Douglas Kennedy, traduit de l'anglais (USA) par Chloé Royer, Editions Belfond/Pocket, 451 pages.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'douglas-kennedy-interroge-l-amerique-qui-le-divise', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 62, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 675, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5214, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Pavese, notre ami fragile, nous attend à l’«Hôtel Roma»', 'subtitle' => 'Merveille de sensibilité mimétique, de substance documentaire et de justesse d’expression dans son approche d’un grand écrivain retrouvé à l’été (1950) de son suicide, l’ouvrage de Pierre Adrian restitue à la fois les aspects contradictoires de la personne, complexe et combien âprement attachante, et le génie du poète, avec ses racines piémontaises et de constantes et pertinentes références à ses œuvres relues.', 'subtitle_edition' => 'Merveille de sensibilité mimétique et de justesse d’expression dans son approche d’un grand écrivain retrouvé à l’été (1950) de son suicide, l’ouvrage de Pierre Adrian restitue à la fois les aspects contradictoires de la personne et le génie du poète, avec ses racines piémontaises et de constantes références à ses œuvres.', 'content' => '<p>Il y a des gens, comme ça, à de certains moments particuliers, que vous éprouvez l’irrépressible besoin de prendre dans vos bras, et cette impulsion soudaine se trouve précisément exprimée par le jeune écrivain français Pierre Adrian, à la fin de son <i>Hôtel Roma,</i> dans ces lignes marquant la fin d’une intense recherche menée par lui sur les traces d’un des plus grands auteurs italiens du XXème siècle, en la personne de Cesare Pavese: «<em>Je m’attachais à l’homme à mesure que je l’accompagnais vers la mort. 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Et si vous pensez que le geste de prendre Pavese dans vos bras va vous en rapprocher en moite tendresse, déchantez car le mec est aussi distant, voire impossible avec ses semblables qu’avec les femmes, comme il le sous-entend dans ce fragment du <i>Métier de vivre</i> daté de ses vingt-sept ans: «Comme les grands amants, les grands poètes sont rares. Les velléités, les fureurs et les rêves ne suffisent pas; il faut ce qu’il y a de mieux: des couilles dures. Ce que l’on appelle également le regard olympien».</p> <p>Hélas le péremptoire jeune homme ne sera jamais un «grand amant», mais il pressent en lui le «grand poète» non sans raison, malgré le «vice absurde» qu’il nourrit déjà, et qu’il maudit en toute lucidité. Ainsi le note-t-il aussi en novembre 1937: «Le plus grand tort de celui qui se suicide est non de se tuer mais d’y penser et de ne pas le faire. Rien n’est plus abject que l’état de désintégration morale auquel amène l’idée – l’habitude de l’idée – du suicide. Responsabilité, conscience, force, tout flotte à la dérive sur cette mer morte, coule et revient futilement à la surface, jouet de n’importe quel courant.» </p> <h3>L'incommunicable en partage</h3> <p>Et d’autres couleurs au cinéma, comme dans les films de Michelangelo Antonioni que Pierre Adrian évoque à propos de la mort de Monica Vitti qui vous a tous fait craquer, jeunes gens, entre seize et vingt ans, quand vous découvriez le mot «incommunicabilité» très prisé des intellos une dizaine d’années après la mort de Pavese… </p> <p>Le terme est au cœur du paradoxe de la relation de Pavese avec les autres, qu’il appelle et rejette en même temps, auxquels il offre sa poésie et qu’il fuit comme malgré lui. </p> <p>Or ce mélange d’attirance et de répulsion, Pierre Adrian l’a éprouvé lui-même après avoir trouvé, en sa vingtaine, l’écrivain selon son cœur en la personne de Pier Paolo Pasolini, l’opposé à maints égards de Pavese, qu’il suivra du Frioul à Rome avant, la trentaine venue, de repérer un autre «compagnon lucide» possible avec Pavese qu’il va «retrouver», de Rome où il vit, à Turin, en compagnie d’une amie-amante qu’il appelle «la fille à la peau mate» à la façon du poète parlant de sa «fille à la voix rauque», passion malheureuse entre tant d’autres… </p> <h3>D'amitié et d'amour</h3> <p>Autre paradoxe alors: que le récit-enquête-pèlerinage consacré à un poète mal barré en amour, entrepris en complicité avec une jeune Parisienne de joyeuse compagnie, transforme ce qui pourrait n’être qu’un fastidieux «docu» littéraire en histoire d’amitié et d’amour, où l’incommunicabilité fameuse – l’un des murs sur lesquels Pavese bute souvent dans <i>Le Métier de vivre</i> – se déploie en vecteur de sympathies multiples, au fil des rencontres parfois très étonnantes qui ponctuent le parcours des deux «petits Français»…</p> <p>Cela commence à <i>La Dernière plage</i>, ce restau à salle de bal et terrasse estivale des hauts de Turin, anciennement <i>Taverna dell’orso,</i> où Pavese accoutumait de se rendre, à deux pas de la maison de sa mère, et dont le nouveau propriétaire farceur a conçu une anti-publicité typique de l’humour grinçant des Piémontais: «<em>Si mangia male, si paga tanto</em>», l’on mange mal et l’on paie cher…</p> <p>Premier lieu «à la Pavese», au seuil des Langhe, restau de province aux airs «défaits», avant une série d’escales significatives dans les collines, en Calabre où le poète a été exilé sept mois par les autorités fascistes, à Rome, ou encore à Bocca di Magra en face des falaises de marbre de Carrare où il foula sa véritable «dernière plage» en compagnie d’un improbable flirt…</p> <h3>Les œuvres, bagages accompagnés</h3> <p>Valeur ajoutée inestimable à ce périple: les constantes références de l’auteur aux livres de Pavese, citations à l’appui tirées de <i>La lune et les feux</i>, son dernier livre apparié à une «divine comédie», des <i>Dialogues avec Leuco</i>, sur l’exemplaire duquel figurent les derniers mots manuscrits du désespéré («Je pardonne à tous et à tous je demande pardon. 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Que pourra faire un tel homme devant l’amour?»</p> <p>Enfin Pierre Adrian a retrouvé à Rome, géant nonagénaire, le dernier compagnon vivant de Pavese au nom de Franco Ferrarotti, qui nous vaut les pages les plus émouvantes <i>d’Hôtel Roma</i>, avec l’évocation des funérailles de Pavese, dont le cercueil fut suivi par des centaines de personnes, le message bouleversant du jeune Italo Calvino, atterré par la mort de son ami, et une conclusion qui oriente l’ensemble de l’ouvrage dans le même sens que les derniers mots de Pavese, le 18 août 1950: «Un clou chasse l’autre. Mais quatre clous font une croix. Mon rôle public, je l’ai accompli – j’ai fait ce que je pouvais. J’ai travaillé, j’ai donné de la poésie aux hommes, j’ai partagé la peine de beaucoup».</p> <p>Et Pierre Adrian de conclure: «Ferrotti m’avait conforté dans la conviction qu’un écrivain peut être l’ami qui vous réconforte et vous aide à tenir. Pavese était devenu un compagnon de route. Je m’étais lié à lui. 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