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Le nouveau film de l'Italo-Suisse Silvio Soldini, «3/19 – Il giardino del Re», est une vraie réussite dans un genre de plus en plus délaissé, le drame psychologique. En mêlant crise du milieu de vie bien occidentale et crise migratoire à Milan, l'auteur de «Pane e tulipani» rappelle qu'il reste un cinéaste qui compte.
Depuis plus de trente ans qu'on suit le travail de Silvio Soldini, cinéaste milanais à moitié Suisse par son père, une évidence s'impose: avec Gianni Amelio et Nanni Moretti (ses aînés), Mario Martone et Paolo Virzì (ses cadets), l'auteur de La Brûlure du vent et Pane e tulipani peut aujourd'hui faire figure de «conscience» du cinéma italien. Il est en effet l'un des rares à être parvenu à tracer son chemin d'auteur avec une dignité sans faille, sans la moindre concession commerciale. C'est ainsi une admirable imperméabilité aux modes qui frappe dans 3/19, alias Il giardino del Re, onzième long-métrage de fiction (mais il réalise aussi des documentaires) qui nous raconte la crise d'une avocate d'affaires de quarante ans. Avant même que ne s'impose une sacrée maîtrise narrative, on apprécie déjà la modestie du style, dénué de toute esbroufe, et un regard sur Milan qui n'a guère changé depuis son succès inaugural de 1990, L'Air serein de l'Occident.
Tout semble avoir réussi à Camilla Corti, qu'on découvre très occupée à négocier une obscure affaire de participations dans une entreprise et qui entretient une relation facile avec un bel amant. Un prix prestigieux lui semble même promis pour bientôt. Mais d'un autre côté, son immense appartement design paraît bien vide et froid, et sa relation avec sa fille adolescente, Adèle, bien superficielle. Et puis soudain, c'est l'accident. Un soir, un accrochage banal avec un scooter va servir de révélateur. Un accident sans trop de dommages pour elle (un bras immobilisé pour quelques semaines), mais dont elle apprend bientôt qu'il a été fatal au passager du scooter, un immigré clandestin, tandis que le conducteur a disparu. Conviée à la police pour une déposition purement formelle, elle s'en trouve plus perturbée que prévu.
Une culpabilité salutaire
«Laisse tomber. En quoi cela te regarde-t-il?» raisonne l'amant, Maurizio. Sauf que pour quelque obscure raison, elle n'y arrive pas et cherche dès lors inlassablement à en apprendre plus, au risque de négliger son travail. On voit venir le drame de bonne/mauvaise conscience, qui confronte la grande bougeoise à la précarité de «l’autre côté»? Il y a un peu de ça, sauf que Soldini et ses co-scénaristes (Doriana Leondeff, complice de longue date, et Davide Lantieri, une plue jeune recrue) sont bien trop intelligents pour se contenter d'un programme aussi basique.
Rongée par la culpabilité (traversait-elle vraiment à vert? aucun flash-back ne viendra nous l'assurer), Camilla finit par se rendre à la morgue pour voir le cadavre du jeune homme, probablement un Irakien. Son enquête lui fait certes découvrir deux-trois choses sur la vie de clandestin (papiers d'identité détruits, errance de foyers en soupes populaires), mais elle apprend également la procédure suite à une mort d'inconnu. Le sien a ainsi reçu le numéro de «3/19» (le troisième cas de l'année 2019), tandis que le titre alternatif du film, Il giardino del Re (le jardin du roi) fait référence à un vieux poème arabe retrouvé sur lui.
Un film de Soldini ne se concevant pas sans vie affective, Camilla est aussi attirée par la simplicité de Bruno, le directeur de la morgue. Divorcé comme elle, ce dernier a également une fille avec laquelle il semble avoir gardé un rapport enviable. Et c'est parti pour une relation, sauf qu'ils ont des modes de vie bien trop différents. Tandis qu'Adèle abandonne l'université sans en avertir sa mère pour se consacrer à un projet qui lui correspond davantage, Camilla, elle, va aussi être confrontée à des choix décisifs. Après une dernière chance d'aboutir dans sa quête lorsqu'elle retrouve par hasard son scootériste et le séquestre dans sa garçonnnière, mettant dans la balance un important rendez-vous professionnel aussi bien que sa relation avec Maurizio, cela passera par... l'idée d'offrir au moins une sépulture digne à son inconnu.
L'esprit de Milan
Ici, tout est imbriqué, confusément lié. Rien n'est simple, personnne n'est tout blanc, chacun commet ses erreurs et promène ses traumas (liés à la mort de sa sœur pour Camilla). Certains jugeront sans doute coupable le fait d'utiliser ainsi le drame migratoire comme déclencheur d'une affaire de nantis occidentaux. Mais ce serait intenter un mauvais procès à Silvio Soldini, grand cinéaste de Milan dans la lignée d'Alberto Lattuada. Rarement l'esprit de la capitale économique de l'Italie aura été aussi bien saisi qu'ici par un Soldini qui ponctue son film de brèves vues sur les toits de sa ville, comme en rappel au tableau choral de L'Air serein de l'Occident.
En trente ans, le cinéaste n'a pas faibli, rien soldé de son regard à la fois empathique et critique. Et une nouvelle fois, il ne s'est pas trompé en choisissant l'ex-mannequin Kasia Smutniak pour porter ce rôle exigeant. La star polonaise du cinéma italien lui confère toute l'intériorité requise pour nous rendre son personnage accessible, aussi attachant que complexe. A la fin du film, dans un «jardin» sur la belle côte ligure, une Camilla enfin réconciliée a accompli un pas décisif qui nous fait espérer une issue heureuse. Ne serait-ce que provisoirement, car est-il possible d'espérer plus ici-bas?
«3/19 – Il giardio del Re», de Silvio Soldini (Italie - Suisse, 2021), avec Kasia Smutniak, Francesco Colella, Caterina Forza, Paolo Mazzarelli, Antonio Zavatteri, Giuseppe Cederna. 2h00
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Depuis son hameau de Quincy (commune de Mieussy) niché derrière le Môle, une montagne bien connue des habitants du bout du Léman, il mène une carrière unique en son genre, qui prouve qu'on peut traiter du global à partir du local. En témoignent une vingtaine de titres, dont une dizaine de longs-métrages de <i>Ma Mondialisation</i> (2006), sur l'industrie du décolletage dans la vallée de l'Arve toute proche, à deux films récents avec le député Insoumis François Ruffin <i>(J'veux du soleil!</i> et <i>Debout les femmes!).</i></p> <p>Après un premier détour par la fiction tenté avec l'aide de sa compagne Marion Richoux, <i>Reprise en main</i> (ancré dans cette même réalité ouvrière, avec Pierre Deladonchamps et Laetitia Dosch), le voici qui revient au sujet de son premier film, <i>Trois frères pour une vie</i> (1999), portrait de paysans de son village. 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Et pour la Suisse, tout finit par arriver. En fait, même en restant très local, j'aspire toujours à une forme d'universalité. Et les retours dans les débats qu'on a pu faire entre Bulle, La Chaux-de-Fonds ou Morges prouvent que la réalité des paysans d'ici n'est pas si différente.</p> <p><strong>Vous-même n'êtes pas d'une famille paysanne, mais ouvrière. Pourtant, vous revenez ici sur des gens que vous aviez déjà filmés à vos débuts?</strong></p> <p><strong>GP</strong>: A l'époque, c'était juste la réalité que j'avais sous les yeux: j'ai grandi à 80 mètres de cette ferme! Depuis tout petit je suis monté sur le tracteur des frères Bertrand et je dois avoir passé des centaines d'heures avec eux. J'avais donc profité de cette proximité pour essayer de réaliser un film qui leur corresponde vraiment, qui soit attentif à leurs gestes et à leur façon de s'exprimer, en montrant que ce sont des gens qui ont su se projeter dans l'avenir. Pour la nouvelle génération, que j'ai connue comme bébés, le regard s'est un peu inversé, puisque là, c'est moi l'aîné.</p> <p><strong>Marion Richoux</strong>: De mon côté, je suis d'Annecy. J'ai fait des études de cinéma et j'ai travaillé à la Cinémathèque des Pays de Savoie et de l'Ain. Je connaissais ce premier film de Gilles, <i>Trois frères pour une vie,</i> dont la frontalité m'avait frappée mais qui n'avait presque pas eu de visibilité. Je me disais que c'était dommage et quand, après <i>Reprise en main,</i> on a cherché quel serait le projet suivant, j'ai proposé d'y revenir. C'était l'occasion de parler de tout ce qui avait changé depuis.</p> <p><strong>GP</strong>: En fait, tout est parti de Suisse, parce que ce premier film autoproduit a été primé au Festival du film alpin des Diablerets et de ce fait, acheté pour une version raccourcie par la TSR. C'est cet achat qui a lancé la machine... </p> <p><strong>On voit aussi dans le film une achive TV en noir et blanc avec les trois frères, Jean, Joseph et André, en 1972. D'où provient-elle?</strong></p> <p><strong>GP</strong>: Elle figurait déjà dans le film de 1999. Je m'étais souvenu de l'événement qu'avait été la venue de la télé dans notre hameau – je devais avoir 4 ou 5 ans – et j'étais donc parti à sa recherche. Avant l'apparation de reportages télévisés plus formatés, c'était une sorte d'émission de promotion rurale à l'intention des paysans eux-mêmes, diffusée sur un créneau spécifique de FR3. Retrouver ça n'a pas été une mince affaire!</p> <p><strong>MR</strong>: En fait, je pense que ces images ont aussi influencé Gilles dans sa manière de faire. On y sent une approche bienveillante, pas intimidante, qui laisse un vrai temps de parole et permet d'aborder des questions existentielles tout sauf évidentes.</p> <p><strong>GP</strong>: A l'époque, j'avais encore tout à apprendre. Je me suis formé sur le tas, avec une approche très télé-journalistique. C'est intuitivement que j'ai découvert qu'en me plaçant à hauteur d'homme, dans une interaction naturelle et sans pression, cela fonctionnait mieux. Dès qu'il y a trop de gens, ça peut devenir le bazar. Depuis, j'ai continué de tout faire tout seul, l'image et le son – sauf pour des scènes de groupe où il faut forcément une perche. Ce qu'on perd en qualité technique, on le gagne largement en termes de prise de parole et de réactivité.</p> <p><strong>A l'encontre de la crise agricole actuelle, on découvre ici une agriculture de montagne qui s'en sort plutôt bien. D'où peut-être votre film le moins militant à ce jour!</strong></p> <p><strong>GP</strong>: C'est vrai. Contre les discours politiques qui simplifient, cela rappelle qu'il existe en France beaucoup de réalités rurales très différentes. Ici, derrière les trois frères qui ont souffert pour tout mettre en place, on a une génération qui a vraiment choisi ce métier et qui en vit bien, parvenant à réinvestir sans surendettement. A priori, on peut ne pas voir la robotisation de la traite d'un très bon œil, mais de leur point de vue c'est un réel progrès. Leur modèle fonctionne bien, sous la protection de l'AOC Reblochon. Car il faut se rendre compte que c'est grâce à elle que leur lait est payé deux fois plus cher qu'un lait de plaine, qui lui est en concurrence avec d'autres laits européens.... Même si ce n'est pas explicite dans le film, je tiens à ramener cette dimension politique dans les débats. Alors que de nombreux paysans clament qu'ils veulent moins de règles, surtout environnementales, ici, ce sont bien les règles contraignantes édictées par l'AOC qui les protègent!</p> <p><strong>MR</strong>: C'est un film où il y a beaucoup de thèmes sous-jacents, en particulier du fait que tout est appréhendé sur le temps long. Le montage non-chronologique, qui fait des retours dans le passé, permet de se rendre compte de tout ce qui a évolué. Cadré sous le même angle, le paysage n'a peut-être pas changé, mais on voit la ferme se moderniser, le travail se mécaniser, les gens prendre de l'âge et la vie passer...</p> <p><strong>Tout documentaire est forcément sélectif. Ici, on se demande ce que ces paysans font à part travailler du matin au soir. Il n'y a donc pas de place pour d'autres passions?</strong></p> <p><strong>GP</strong>: Les trois frères n'ont pas vraiment connu de loisirs, encore moins pris de vacances. Et l'heure de la retraite arrivée, ils n'en manifestent pas le désir. Mais c'était des gens étonnamment érudits et intéressés, capables de discuter d'autres sujets que juste leur travail! Le grand-père était un grand lecteur et il leur avait transmis ça. André, celui qui est encore en vie et qui tire un bilan plutôt amer de leur existence, sans femmes pour la partager, lit toujours le <i>Courrier International!</i> Ils ont aussi un peu regardé la TV, même si on ne la voit pas: elle était cachée dans un coin sous un tissu, dans cet intérieur d'une totale austérité.</p> <p><strong>MR</strong>: Il a bien fallu se focaliser sur la ferme, la question de sa survie économique et de sa transmission. Si la nouvelle génération est parvenue à prendre sa place dans le film, ce n'était pas du tout évident au début, face à des personnages tels que ces trois oncles! Au bout du compte, malgré les inévitables «oublis», ils se sont tous déclarés satisfaits de l'image qu'on donne du métier. 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Et aussi que la question de son importance littéraire restait suspendue, forcément en retrait des polémiques. Puis le cinéma a commencé à s'intéresser à elle, Laëtitia Masson (non-)adaptant de manière originale <i>Pourquoi (pas) le Brésil</i> bien avant qu'une Claire Denis peu inspirée n'illustre ses scénarios <i>Un Beau soleil intérieur</i> et <i>Avec amour et acharnement.</i> Quant à l'adaptation d'<i>Un amour impossible</i> par Catherine Corsini, elle est hélas restée inédite sous nos cieux.</p> <p>Tout cela pour dire que lorsque dame Angot décide de faire un film, ce n'est pas en oie blanche qu'elle débarque, mais entourée de grands professionnels, de ses producteurs (Alice Girard et Bertrand Faivre) à sa cheffe opératrice (Caroline Champetier). Et qu'il convient donc de prendre le résultat au sérieux, d'autant plus qu'elle est devenue une icône pour toute une nouvelle vague féminine. 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Bref, il y a là une dimension de plaidoyer <em>pro</em> <em>domo</em> sélectif dont il convient de de pas être dupe.</p> <p>La rencontre la plus révélatrice est celle, douce-amère, avec son ex-mari, qui fut lui-même victime d'un viol dans son enfance. Survient alors ce moment où elle lui reproche de ne pas être intervenu alors que, dans leur maison à Nice, elle «rechutait» avec son père à l'étage. Lui se défend en affirmant que c'était par respect pour sa personne, supposant qu'à ce moment de sa vie elle devait savoir ce qu'elle faisait. Ignoble lâcheté ou au contraire retenue admirable? Apparaît alors, aveuglante, l'infinie complexité de ces histoires d'emprise et de consentement, de désir et de honte, de demande d'amour et de responsabilité qui peut fluctuer avec le temps. 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Malgré l'aura du cinéaste palmé et oscarisé de <i>The Pianist</i> et de son co-scénariste Jerzy Skolimowski <i>(EO),</i> le projet était devenu comme pestiféré déjà avant le premier clap. Et à présent que toute chance de succès commercial a disparu, c'est la débandade.</p> <p>Certes, <i>The Palace </i>est encore sorti plus ou moins normalement dans une poignée de pays (Italie, Pologne, Russie, Hongrie, Suède et Allemagne). Mais dans le monde anglo-saxon, personne n'ose s'en approcher, surtout après son assassinat en règle par les donneurs de ton <i>Variety, The Hollywood Reporter</i> et <i>Screen.</i> En France, après six mois de tergiversations, seule une petite compagnie spécialisée dans la réédition de classiques américains, Swashbuckler Films, a fini par assumer le risque d'une distribution, en espérant que suffisamment de salles suivront d'ici la date annoncée du 15 mai. Et en Suisse, autre pays co-producteur derrière l'Italie et la Pologne? Ici aussi, c'est un mini-distributeur occasionnel, Mont-Blanc, qui est venu à la rescousse, sortant d'abord le film en Suisse allemande le 18 janvier (flop à 4'600 d'entrées) tandis que presque tous les exploitants romands se défilaient. Même notre Cinémathèque se cache courageusement. Ne reste pour l'instant plus que le Ciné 17 de Genève, qui sort le film le 10 avril – qu'on se le dise.</p> <h3>C'est quoi, ce <i>Palace?</i></h3> <p>Car enfin, ce n'est «que» d'une œuvre qu'il sagit, pas d'anciennes affaires de mœurs sur lesquelles nous n'avons ni les moyens ni l'autorité pour juger! Et <i>The Palace,</i> malgré tous les bâtons mis dans ses roues, vaut largement le détour. Peut-être que seuls ceux qui se souviennent encore de <i>What? </i>(1972), la dernière franche comédie de Polanski, comprendront vraiment d'où sort ce film absurde et grotesque, cosmopolite en diable et peuplé de monstres tous plus ou moins escrocs. 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Ce règlement de comptes est donc avec l'ancien monde, celui du XXème siècle qu'a traversé Polanski, aujourd'hui âgé de 90 ans. Mais il concerne tout autant une certaine «belle» société huppée qu'il a aussi côtoyée. Et là, il y a peu de chances que quoi que ce soit ait changé depuis, les nouveaux riches valant bien les anciens.</p> <h3>Jeunesse qui s'enfuit, argent aux abris</h3> <p>Tout commence donc avec l'arrivée des convives pour un réveillon du millénaire qui s'annonce festif tandis que le personnel s'active pour leur accueil. Hansueli Kopf, l'impeccable directeur du palace (Oliver Masucci, un des principaux acteurs allemands actuels), sera particulièrement mis à contribution. Il est le clown blanc de l'affaire, qui se plie aux exigences les plus extravagantes de ses hôtes, arrangeant des services discrets par-ci et éteignant des incendies par-là avec l'aide de ses adjoints Tonino (Fortunato Cerlino) et Mrs. Frautschi (Beatrice Frey). Et parmi les habitués déjà installés, qui d'autre pour ouvrir le bal que... Sydne Rome, l'héroïne de <i>What?</i></p> <p>Las! Ex-beauté d'une fraîcheur exquise, cette juive américaine installée en Italie n'est plus que l'ombre d'elle-même après trop de passages sous les bistouris (à sa décharge, dans la vie réelle, c'est suite à un accident de voiture lors duquel un airbag lui explosa au visage). Vitrine de tous les autres «monstres» à venir, elle remercie un certain Dr. Lima (Joaquim de Almeida, star portugaise du cinéma international) pour les années de jeunesse qu'il lui aurait fait gagner. Très demandé, ce prince de la chirurgie esthétique ne se souvient pas des noms de ses innombrables patientes, plus préoccupé qu'il est par une épouse gagnée par Alzheimer. Claquemurée dans sa suite, une autre de ses clientes, une marquise française (Fanny Ardant), voue son affection à son petit chien Mr. Toby. 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A l'autre bout du spectre, voici un groupe de jeunes et bruyants oligarques russes avec leurs blondes escorts venus retrouver un ambassadeur corrompu avec des sacs remplis de billets à «blanchir». Trop volumineux pour être accueillis par le safe de l'hôtel, ils trouveront place dans l'abri anti-atomique...</p> <h3>La vanité des monstres</h3> <p>On peut trouver le trait gros, mais la caricature à la Daumier est précise et cruelle, de même que la mise en scène reste affûtée. Par moments, Polanski manque visiblement de moyens (l'envol depuis un balcon qui révèle enfin l'ensemble du bâtiment, réalisé en effets spéciaux) et ses blagues ne sont pas toujours du meilleur goût, comme celles concernant le signor Minetti, alias Bongo, ancienne star du porno bien membré (Luca Barbareschi, complice de longue date et principal producteur du film). Mais un pansement bien placé en souvenir de <i>Chinatown</i> a tôt fait de nous le rendre plus amusant. En fait, tous se valent dans cette grande course à l'argent, contre le temps qui file et qui finira tout de même par les rattraper.</p> <p>Mr. Crush veut convaincre Tell de parier avec lui sur le «bug» informatique prédit pour l'an 2000. A la télévision, en direct, un Boris Eltsine épuisé passe la main à un jeune successeur prometteur, un certain Vladimir Poutine, lequel assure un peu plus tard à tous la protection d'un Etat de droit. Un pingouin offert par le vieux milliardaire à sa petit-fille – pardon, sa jeune épouse – s'échappe dans les couloirs de l'hôtel, pauvre petit intrus dans ce monde de fous. Pour finir, il y aura des morts, mais on ne dévoilera pas ici lesquelles. Par contre, il n'y pas de mal à révéler que, de manière parfaitement réaliste, les riches resteront riches et la Suisse saura en profiter. Quant à Tell, il sortira de là tout ébaudi, déclarant avoir vécu là «la plus belle soirée de sa vie». Clin d'œil au titre du film qu'Ettore Scola tira en 1972 de <i>La Panne</i> de Friedrich Dürrenmatt?</p> <p>Toujours est-il que c'est bien la satire jusqu'au-boutiste des dernières grandes comédies italiennes qui vient ici à l'esprit (bien plus que les récents <i>Youth</i> de Paolo Sorrentino ou <i>Sans filtre/Triangle of Sadness</i> de Ruben Östlund). C'est comme si Polanski avait choisi de rester un cinéaste du siècle passé, pour le meilleur et pour le pire. Quant à l'humour, il n'y a bien sûr rien de plus personnel. Par le passé, il est arrivé au cinéaste de toucher le grand public <i>(Cul-de-sac, Le Bal des vampires)</i> comme de rater sa cible <i>(What?, Pirates). </i>Pour notre part, nous nous sommes bien amusés. En tous cas, ne croyez pas ceux qui clament que Polanski serait soudain devenu gâteux et aurait perdu tout talent. Secondé par ses fidèles collaborateurs, le monteur Hervé de Luze (12ème film en commun), le chef opérateur Pawel Edelman (8ème) et le compositeur Alexandre Desplat (6ème), réunis depuis <i>The Ghost Writer</i> et ses ennuis helvétiques de 2009, cet éternel fugitif a réalisé le film qu'il voulait. Sans doute le dernier d'un esprit libre, qui aura estimé qu'il n'avait plus rien à perdre.</p> <hr /> <p>(<strong>Rédaction</strong>) <em>Nous apprenons que le producteur-délégué du film de Polanski, Jean-Louis Porchet, a été victime d’un grave accident de circulation le dimanche 24 mars, près de Rivaz. Il se trouve dans un état grave au CHUV, à Lausanne. Sa société, CAB-Productions, établie à Lausanne, connaît de sérieuses difficultés en raison du boycott dans quasiment toutes les salles suisses de cette œuvre tournée à Gstaad, avec un grand nombre de techniciens locaux. Ce qui d’ailleurs, outre la notoriété du réalisateur, n’a pas suffi à convaincre la RTS, Cinéforom et l’Office fédéral de la Culture de soutenir le projet. 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Il y a pourtant de quoi être inquiet devant un générique assez hideux qui se charge de nous rappeler à quel point ce morceau est populaire et a fait le tour du monde, resservi (toutes les 15 minutes, à ce qu'il paraît) à toutes les sauces. Pauvre Ravel, très contrarié que ce qu'il considérait comme un simple exercice de style éclipse toute son œuvre, au point de regretter l'avoir composé! Heureusement qu'une séquence pré-générique située dans une usine, avec Ravel qui tente vainement d'expliquer la musicalité de cet environnement sonore à sa commanditaire, la danseuse Ida Rubinstein, a déjà posé d'autres bases, qui font la part d'une certaine modernité.</p> <p>Evidemment, personne n'attend plus un film novateur de la part d'Anne Fontaine, 64 ans, cinéaste dont le principal mérite est d'avoir su se maintenir à un niveau honorable depuis trois décennies. Mais même si elle ne saurait clamer que son Maurice Ravel, c'est elle, ce 19ème opus a déjà l'immense mérite de résister aussi bien à cet académisme formel qui guette tout «film d'époque» qu'au diktat féministe actuel. Toujours produite par son mari Philippe Carcassonne (ça aide), l'auteure de <i>Coco avant Chanel</i> (2009) y approche son grand homme avec une délicatesse rare, qui respecte autant sa musique que les zones d'ombre du personnage. Au point que son film devrait au minimum intriguer ceux qui n'aurait pas été profondément émus!</p> <h3>Cinq femmes autour de Ravel</h3> <p>Après une scène qui voit le jeune Ravel incapable de remporter un Prix de Rome convoité (il s'y reprit à cinq fois), <i>Bolero</i> débute vraiment une vingtaine d'années plus tard, lorsque, compositeur reconnu, il reçoit la commande d'un ballet de la fantasque Ida (Jeanne Balibar, au sommet de sa préciosité). C'est un bel homme de petite stature, élégant et discret, qui se consacre entièrement à la musique, au point qu'elle seule semble compter dans sa vie. Il a des amitiés féminines mais on ne lui connaît pas d'amours, et la principale à le taquiner à ce sujet n'est autre que Misia (Doria Tillier), la mécène et «reine» du tout-Paris d'alors. Eh oui, la même Misia Godebska (ou Edwards ou Sert, selon ses mariages) que l'on a pu voir tout récemment dans le <i>Bonnard</i> de Martin Provost, sous les traits d'Anouk Grinberg! Toujours est-il que même très disponible, Ravel sèche sérieusement sur cette nouvelle commande.</p> <p>Or, c'est justement de cette non-action que le film tire sa particularité et,<i> in fine,</i> sa réussite. A côté de dialogues toujours bien sentis, les tentatives répétées de se mettre au travail, la procrastination, les distractions et les souvenirs composent l'essentiel du scénario. Et c'est tout à fait prenant, du fait de ce double mystère: d'où vient donc l'inspiration de l'artiste, d'autant plus s'il n'est apparemment pas mû par le désir? Il en résulte un portrait singulièrement complexe, qui suggère plutôt qu'il n'affirme. «Détail» qui compte, on entend aussi d'autres compositions de Ravel avant d'en arriver au <i>Bolero,</i> sans oublier quantité de sons auxquels il semble avoir été particulièrement attentif. Et on voit le compositeur entouré de femmes – et même fréquenter le bordel à sa manière, mais sans rien de conclusif – comme dans le classique <i>Cinq femmes autour d'Utamaro,</i> biopic du fameux peintre japonais par Kenji Mizoguchi (1946).</p> <p>Oh, il y aura bien la suggestion d'une sublimation érotique, voire sentimentale, à travers une histoire de gants oubliés par Misia. Mais aussi d'une musique réputée trop froide, lors de confrontations avec la fidèle interprète-amie Marguerite Long (Emmanuelle Devos) et le critique Pierre Lalo (campé par le pianiste Alexandre Tharaud!). D'une nostalgie d'enfance tenace, via des flash-backs auprès d'une mère aimante (Anne Alvaro). D'une insistante piste espagnole, avec l'idée première d'orchestrer la suite <i>Iberia </i>d'Isaac Albéniz puis une source plus populaire révélée par son aide de maison (Sophie Guillemin). D'une pression économique enfin, qui, alliée au délai qui se rapproche inexorablement, pousse Ravel à une solution «de facilité» qui s'avèrera radicalement moderne (le <i>Bolero</i>, source de la musique répétitive et des boucles électro d'aujourd'hui?). 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Et là encore, Anne Fontaine s'en sort très bien dans l'évocation ramassée (c'est l'un des grands défis de mise en scène du genre) d'une confusion mentale croissante ainsi que de la popularité paradoxale de ce «tube» qui était aussi le comble d'une musique dite savante.</p> <p>Acquise depuis toujours à une forme classiquement commerciale, la cinéaste trahit ses limites dans le manque de regard sur les différents espaces traversés. Egalement par certains mouvements de caméra de pur remplissage, là où un détail-idée ou une attention plus marquée aux personnages (les femmes sont réduites à une seule note) auraient pu encore enrichir son film. Mais sa manière de conclure stylisée ne manque pas de panache, qui prouve la durabilité et la malléabilité du <i>Bolero</i> à travers une nouvelle interprétation dansée par François Alu. Après le déjà remarquable <i>Police</i> (2020, avec Virginie Efira et Omar Sy), Anne Fontaine vient de signer là un film qui comptera assurément parmi ses meilleurs. 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