Actuel / Avec le conflit Russie-Ukraine, le renouveau des non alignés?
Manifestation pro-russe à Bamako, le 13 mai 2022. Ousmane Makaveli/AFP
La guerre que la Russie a déclenchée le 24 février contre l’Ukraine vient de franchir le cap des trois mois et ne semble pas près de finir. Or, malgré l’unanimité des pays du bloc occidental, membres de l’UE ou de l’OTAN, et des alliés traditionnels des Etats-Unis en Asie orientale ou en Océanie pour condamner cette brutale invasion et les crimes de guerre et contre l’humanité auxquels elle a déjà donné lieu, la communauté internationale reste très divisée quant à la position à adopter sur cette affaire.
Jean-Luc Maurer, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)
En effet, de nombreuses nations membres de l’ONU, appartenant en majorité au groupe historique dit des 77 créé en 1964 pour promouvoir le développement des pays dits « du Sud », restent dubitatives, hésitent à condamner la Russie et préfèrent camper sur une neutralité au premier abord troublante et difficile à comprendre.
Un clivage Nord-Sud dans la condamnation de la Russie
Dans un premier temps, la sidération provoquée par cette agression a pourtant suscité une certaine unanimité dans la condamnation. Ainsi, l’AG de l’ONU a voté le 2 mars une première résolution demandant à la Russie de « retirer immédiatement, complètement et sans condition toutes ses forces militaires », à une écrasante majorité de 141 voix favorables, face à seulement 5 oppositions et 35 abstentions.
Les cinq pays ayant voté contre cette résolution sont sans surprise la Russie elle-même, son vassal la Biélorussie, les régimes dictatoriaux pestiférés dépendants d’elle que sont la Syrie et l’Érythrée, ainsi que la sinistre Corée du Nord.
Toutefois, parmi les 35 pays qui se sont abstenus, on comptait déjà plusieurs des acteurs majeurs de la communauté internationale, dont la Chine et l’Inde, mais aussi le Pakistan, l’Iran, l’Afrique du Sud ou l’Algérie.
Le 7 avril, lors du vote d’une seconde résolution de l’AG proposant d’exclure la Russie du Conseil des droits de l’homme, seuls 93 pays se sont prononcés pour, 24 contre et 58 choisissant de s’abstenir.
Parmi les 24 pays qui ont voté contre, on retrouve les quatre qui avaient déjà soutenu la Russie précédemment, mais cette dernière a cette fois rallié à sa cause de nombreux pays d’Asie, à commencer par la Chine, suivie des frères communistes du Vietnam et du Laos, ainsi que de toutes les anciennes républiques soviétiques de l’Asie centrale, les alliés naturels d’Amérique du Sud que sont Cuba et le Nicaragua et des pays africains comme l’Algérie, le Mali, le Congo ou l’Éthiopie.
Cependant, c’est le nombre de pays s’étant abstenus qui est le plus parlant. On y retrouve la plupart des poids lourds démographiques et politiques du monde non occidental : l’Inde, l’Indonésie, le Pakistan, le Bangladesh, la Thaïlande, le Brésil, le Mexique, l’Égypte, l’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Angola, le Mozambique, l’Arabie saoudite, le Qatar et Oman notamment. Six d’entre eux (Inde, Indonésie, Brésil, Mexique, Afrique du Sud et Arabie saoudite) sont même membres du G20, qui est plus divisé que jamais sur cette question puisque la Russie y bénéficie du soutien de la Chine.
Depuis lors, ce nouveau clivage Nord-Sud ne s’est pas démenti : les pays qui refusent de condamner fermement la Russie représentent donc les deux tiers de l’humanité. Plusieurs raisons complémentaires permettent d’expliquer et de comprendre cette situation.
Le souvenir de la guerre froide
Tout d’abord, pour beaucoup de pays du Sud, le conflit entre la Russie et l’Ukraine est confus et relève des séquelles de l’implosion de l’URSS. Ils ne sont pas loin de considérer qu’il s’agit là d’une affaire interne à la « grande Russie » dans laquelle ils ne veulent pas prendre parti au nom d’un principe de non-ingérence, en l’occurrence interprété de manière très discutable.
Ensuite, les objectifs de l’Occident, des États-Unis et de l’OTAN leur semblent à juste titre suspects. Après avoir commencé à tourner le dos à l’Europe depuis la présidence Obama pour se concentrer sur sa rivalité croissante avec la Chine dans la région Indopacifique, les États-Unis semblent en effet avoir redécouvert leur vieil ennemi russe et vouloir mener contre lui, par l’intermédiaire de l’Ukraine, une nouvelle guerre au nom du « combat de la démocratie contre le totalitarisme ».
Or nombreux sont les pays du Sud qui ont fait les frais de la guerre froide et des guerres chaudes qu’ont menées sur leur territoire les deux puissances dominantes de l’époque. Il serait fastidieux d’énumérer ici tous les conflits sanglants de cette nature qui ont émaillé l’histoire de la seconde partie du XXe siècle, de la capitulation de l’Allemagne nazie en mai 1945 jusqu’à la chute du mur de Berlin en novembre 1989. On ne peut toutefois pas passer sous silence la guerre de Corée de 1950 à 1953, les interventions armées des États-Unis dans leur pré carré latino-américain au Guatemala en 1954 et 1960, à Cuba en 1959-1960, au Salvador et au Nicaragua en 1980, en Grenade en 1983 et à Panama en 1989 et surtout la guerre du Vietnam élargie au Cambodge et au Laos de 1961 à 1975.
Et tout cela sans compter les innombrables coups d’État militaires sanglants organisés avec le soutien de la CIA américaine et ses alliés aux quatre coins de la planète, du Brésil et du Congo en 1964 à l’Indonésie en 1965 et au Chili en 1973.
Il est vrai que l’URSS s’est comportée de manière guère moins brutale pour supprimer les velléités démocratiques au sein du bloc socialiste, de Budapest en 1956 à Prague en 1968, sans même parler de la guerre d’Afghanistan (1979-1988).
Quoi qu’il en soit, une chose est certaine : de très nombreux pays du Sud ont payé le prix fort de la guerre froide et ne veulent pas se retrouver une nouvelle fois coincés entre le marteau et l’enclume.
Deux poids, deux mesures ?
En outre, le comportement plus récent de l’Occident sur la scène internationale ne le place pas en bonne position pour condamner les pays qui violent la souveraineté d’autres nations et leur donner des leçons de morale.
En effet, la croisade planétaire visant à imposer la démocratie dans le monde par la force armée, lancée par George W. Bush et son entourage néo-conservateur à la suite des attentats du 11 Septembre, et qui a abouti à l’invasion de l’Irak et de l’Afghanistan, a largement délégitimé, dans de nombreux pays du monde, toute prétention occidentale à l’exemplarité.
L’intervention conduite par les Américains et leurs alliés serviles en Irak, au premier rang desquels le Royaume-Uni, s’est accompagnée de crimes de guerre et contre l’humanité ainsi que de graves atteintes aux droits de l’homme et à la dignité humaine dans les centres de détention d’Abu Ghraib et de Guantanamo, où la torture a été systématique. S’y ajoutent l’action de la France et de l’OTAN en Libye (2011) qui a notamment donné lieu à l’assassinat sordide de Khadafi et, bien entendu, le soutien constant de Washington à Israël dans le conflit israélo-palestinien, matérialisé notamment par les nombreux vétos que les États-Unis ont opposés aux résolution de l’ONU condamnant la partie israélienne.
Les pays du Sud qui, aujourd’hui, s’abstiennent de condamner la Russie pour son invasion de l’Ukraine ont tout cela à l’esprit et l’on peut donc comprendre que bon nombre d’entre eux soient sceptiques devant les appels des États-Unis et de l’Occident à rejoindre leur croisade contre Moscou face à un conflit complexe dont ils ne comprennent pas tous les enjeux et qui ne leur semble pas pire que ceux d’Irak, de Libye ou d’ailleurs. Il faut aussi dire que plusieurs d’entre eux sont des clients fidèles de Moscou qui leur vend des armes et équipe ou forme leurs forces armées à des conditions favorables.
Mais, de fait, ces pays défendent surtout leurs propres intérêts légitimes et sont principalement préoccupés par la crise économique planétaire résultant de ce conflit et le blocage des exportations de céréales et d’engrais chimiques d’Ukraine et de Russie qui les menacent de famine, comme l’a plaidé au nom de l’Afrique auprès de Poutine le président sénégalais Macky Sall lors de sa récente visite à Sotchi. Il a d’ailleurs bien précisé ce point de vue dans un entretien accordé au Monde en disant en substance que l’Afrique devait d’abord veiller à régler ses propres problèmes plutôt que de prendre parti dans ce conflit.
Un modèle occidental discutable hier comme aujourd’hui
Dans une perspective historique plus longue, il ne faut pas sous-estimer non plus le fait que de nombreux pays du Sud, principalement en Afrique, n’ont toujours pas digéré les avanies de l’esclavage, de la colonisation et des politiques néocoloniales qui lui ont emboîté le pas. Ils ont aussi le souvenir qu’à l’époque de la lutte anticoloniale et du début des indépendances, l’URSS a été pratiquement le seul pays à les soutenir.
Les très mauvaises relations actuelles de la France avec les pays du Sahel doivent donc aussi s’analyser en se remémorant « l’amitié entre les peuples » qui a lié à Moscou le Mali de Modibo Keïta ou la Guinée-Conakry de Sékou Touré dans les années 1960. En dépit de tout ce qu’elle peut faire en Ukraine, la Russie d’aujourd’hui tire toujours avantage de cette réputation de solidarité passée avec ce qu’on appelait le Tiers Monde, comme une sorte de rente historique.
Timbre commémoratif guinéen consacré au soixantième anniversaire de la Révolution de 1917.
Enfin, pour en revenir à une dimension éminemment contemporaine, de nombreux États du Sud restent dubitatifs face à la volonté proclamée par Joe Biden d’incarner le camp de la démocratie sur la scène internationale. Outre le fait que la crédibilité de Biden est entachée par le fait qu’il a voté en faveur de l’invasion de l’Irak, la démocratie américaine a régulièrement démontré toutes ses limites et outrances avec Donald Trump, a consterné le monde lors de l’invasion du Congrès le 6 janvier 2021 et suscite l’horreur par les tueries de masse perpétrées par des fous sanguinaires qui ensanglantent ses villes chaque semaine.
Plus divisés que jamais, les États-Unis donnent plutôt l’image d’un pays au bord de la guerre civile et sur le déclin, inefficace, violent, raciste et injuste, notamment vis-à-vis de sa minorité afro-américaine.
À l’inverse, la grande Némésis actuelle de Washington, à savoir la République populaire de Chine de Xi Jinping, représente le contre-modèle d’un pays en plein essor qui a réussi en quelques décennies à sortir des centaines de millions de personnes de la pauvreté et à mettre en œuvre une politique de développement économique et social lui permettant d’espérer redevenir d’ici le centenaire de sa révolution en 2049 la première puissance du monde qu’elle était jusqu’au XIXe siècle.
Il n’est donc pas surprenant qu’une proportion importante de la population de nombreux pays du Sud et même du Nord en soit arrivée à penser qu’un régime autoritaire est plus efficace pour gouverner qu’un système « démocratique » – concept qui a souvent été détourné par les oligarchies locales à leur profit, est souvent synonyme de corruption et n’a pas tenu ses promesses de justice et de liberté. Cela explique en bonne partie que la démocratie soit remise en question un peu partout aux quatre coins de la planète et que l’autoritarisme ait le vent en poupe.
Enfin, il ne faut pas négliger le fait que la majorité des populations de nombreux pays du Sud est rétive au libéralisme sociétal prôné par l’Occident, jugé décadent, a-religieux et trop favorable aux droits des femmes et des minorités LGBT+, alors que la Russie s’est forgé l’image du modèle opposé qui défend les « valeurs traditionnelles ». Or Moscou en joue beaucoup avec habileté et succès dans son discours à leur égard.
Le G20 en danger ?
Pour toutes ces raisons, de nombreux pays du Sud se montrent pour le moins réservés face à l’invasion par la Russie de l’Ukraine pour la défense de laquelle l’Occident s’est mobilisé de manière un peu trop enthousiaste pour ne pas être suspecte à leurs yeux. À l’époque de la guerre froide, une bonne partie de ces pays avaient déjà essayé d’échapper à la nécessité de choisir entre la « peste américaine » et le « choléra soviétique » en créant le Mouvement des non-alignés lors de la conférence de Bandung en 1955 présidée par Sukarno, entouré de Nehru, de Nasser, de Nkrumah, de Norodom Sihanouk et même de Zhou Enlai.
Nasser, Sukarno et Nehru trinquant ensemble au succès de la conférence de Bandung.
Le funeste conflit armé qui ensanglante à nouveau une Europe où l’on pensait « ne jamais plus revoir cela » favorise une certaine résurgence de cet esprit du non-alignement. Ce qui ne va pas rendre plus facile la gestion des affaires d’un monde désormais confronté à une crise économique dévastatrice, qui peut avoir des conséquences catastrophiques pour certains pays très dépendants des importations de gaz ou de blé en provenance de Russie ou d’Ukraine.
Très concrètement, le clivage évoqué plus haut qui s’approfondit au sein du G20 illustre particulièrement bien cette nouvelle division Nord-Sud de la communauté internationale. Le prochain sommet du club des vingt plus grandes économies de la planète doit en effet se tenir à Bali à la mi-novembre puisque c’est l’Indonésie qui assure sa présidence en 2022. Or, une petite majorité de pays membres de l’alliance informelle de ceux qui soutiennent activement l’Ukraine, tous du Nord au sens économique du terme, ne veulent pas s’asseoir à la même table que Poutine et insistent pour que la Russie ne soit pas invitée. Les autres, majoritairement du Sud, la Chine en tête, ne partagent pas entièrement cette position de rupture ou sont même d’un avis résolument contraire.
Face à cela, le président indonésien Jokowi, hôte du sommet et placé dans une situation très inconfortable, a annoncé qu’il n’était pas dans son pouvoir d’exclure la Russie mais qu’il inviterait en revanche volontiers Volodymyr Zelensky à également participer à la réunion, ce que ce dernier a déjà accepté. Il est difficile de dire si sa proposition sera retenue et permettra de surmonter le blocage, mais il se pourrait bien au contraire que la guerre entre la Russie et l’Ukraine fasse exploser le G20. Ce ne serait certes pas là son aspect le plus dramatique ni fondamental, mais cette institution emblématique de la phase de globalisation qui s’achève serait alors l’une des victimes collatérales de l’impasse conflictuelle vers laquelle se dirige le concert plus dissonant que jamais des nations.
Jean-Luc Maurer, Professeur honoraire en études du développement, affilié au Albert Hirschman Center on Democracy, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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On y retrouve la plupart des poids lourds démographiques et politiques du monde non occidental : l’Inde, l’Indonésie, le Pakistan, le Bangladesh, la Thaïlande, le Brésil, le Mexique, l’Égypte, l’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Angola, le Mozambique, l’Arabie saoudite, le Qatar et Oman notamment. Six d’entre eux (Inde, Indonésie, Brésil, Mexique, Afrique du Sud et Arabie saoudite) sont même membres du G20, qui est <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Guerre-Ukraine-difficile-mise-ban-Russie-sommets-economiques-2022-04-20-1201211149">plus divisé que jamais</a> sur cette question puisque la Russie y bénéficie du soutien de la Chine.</p> <p>Depuis lors, ce nouveau clivage Nord-Sud ne s’est pas démenti : les pays qui refusent de condamner fermement la Russie représentent donc les deux tiers de l’humanité. Plusieurs raisons complémentaires permettent d’expliquer et de comprendre cette situation.</p> <h3>Le souvenir de la guerre froide</h3> <p>Tout d’abord, pour beaucoup de pays du Sud, le conflit entre la Russie et l’Ukraine est confus et relève des séquelles de l’implosion de l’URSS. Ils ne sont pas loin de considérer qu’il s’agit là d’une affaire interne à la « grande Russie » dans laquelle ils ne veulent pas prendre parti au nom d’un principe de non-ingérence, en l’occurrence interprété de manière très discutable.</p> <p>Ensuite, les objectifs de l’Occident, des États-Unis et de l’OTAN leur semblent à juste titre suspects. Après avoir commencé à <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2013-2-page-7.htm">tourner le dos à l’Europe</a> depuis la présidence Obama pour se concentrer sur sa rivalité croissante avec la Chine dans la région Indopacifique, les États-Unis semblent en effet avoir redécouvert leur vieil ennemi russe et vouloir mener contre lui, par l’intermédiaire de l’Ukraine, une nouvelle guerre au nom du « combat de la démocratie contre le totalitarisme ».</p> <p>Or nombreux sont les pays du Sud qui ont fait les frais de la guerre froide et des guerres chaudes qu’ont menées sur leur territoire les deux puissances dominantes de l’époque. Il serait fastidieux d’énumérer ici tous les conflits sanglants de cette nature qui ont émaillé l’histoire de la seconde partie du XX<sup>e</sup> siècle, de la capitulation de l’Allemagne nazie en mai 1945 jusqu’à la chute du mur de Berlin en novembre 1989. On ne peut toutefois pas passer sous silence la <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2011-2-page-47.htm">guerre de Corée</a> de 1950 à 1953, les interventions armées des États-Unis dans leur pré carré latino-américain au Guatemala en <a href="https://journals.openedition.org/orda/2667">1954</a> et <a href="https://www.jstor.org/stable/3177112">1960</a>, à <a href="https://www.jstor.org/stable/24487082">Cuba en 1959-1960</a>, au <a href="https://theintercept.com/empire-politician/biden-el-salvador-reagan-military-junta/">Salvador</a> et au <a href="https://www.grin.com/document/105740">Nicaragua</a> en 1980, en <a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1983_num_29_1_2548">Grenade</a> en 1983 et à <a href="https://www.bbc.com/news/world-latin-america-50837024">Panama</a> en 1989 et surtout la <a href="https://www.herodote.net/La_guerre_du_Vietnam-synthese-1750.php">guerre du Vietnam</a> élargie au Cambodge et au Laos de 1961 à 1975.</p> <p>Et tout cela sans compter les innombrables coups d’État militaires sanglants organisés avec le soutien de la CIA américaine et ses alliés aux quatre coins de la planète, du <a href="https://blogs.mediapart.fr/pizzicalaluna/blog/280314/preuves-de-l-implication-des-etats-unis-dans-le-coup-d-etat-au-bresil-le-2-avril-1964">Brésil</a> et du <a href="https://www.jstor.org/stable/44832260">Congo</a> en 1964 à l’<a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2001-1-page-59.htm">Indonésie</a> en 1965 et au <a href="https://maze.fr/2018/09/chili-11-septembre-1973-lingerence-des-etats-unis-ou-la-chute-dun-etat-democratique/">Chili</a> en 1973.</p> <p>Il est vrai que l’URSS s’est comportée de manière guère moins brutale pour supprimer les velléités démocratiques au sein du bloc socialiste, de <a href="https://www.lhistoire.fr/budapest-1956%C2%A0-la-r%C3%A9volution-confisqu%C3%A9e">Budapest en 1956</a> à <a href="https://www.herodote.net/21_ao%C3%BBt_1968-evenement-19680821.php">Prague en 1968</a>, sans même parler de la <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/intervention-sovietique-en-afghanistan/">guerre d’Afghanistan (1979-1988)</a>.</p> <p>Quoi qu’il en soit, une chose est certaine : de très nombreux pays du Sud ont payé le prix fort de la guerre froide et ne veulent pas se retrouver une nouvelle fois coincés entre le marteau et l’enclume.</p> <h3>Deux poids, deux mesures ?</h3> <p>En outre, le comportement plus récent de l’Occident sur la scène internationale ne le place pas en bonne position pour condamner les pays qui violent la souveraineté d’autres nations et leur donner des leçons de morale.</p> <p>En effet, la croisade planétaire visant à imposer la démocratie dans le monde par la force armée, lancée par George W. Bush et son entourage néo-conservateur à la suite des attentats du 11 Septembre, et qui a abouti à l’invasion de l’Irak et de l’Afghanistan, a largement délégitimé, dans de nombreux pays du monde, toute prétention occidentale à l’exemplarité.</p> <p>L’intervention conduite par les Américains et leurs alliés serviles en Irak, au premier rang desquels le Royaume-Uni, s’est accompagnée de <a href="https://www.liberation.fr/planete/2010/10/25/guerre-d-irak-les-etats-unis-face-a-leurs-crimes_688898/">crimes de guerre</a> et <a href="https://www.rtbf.be/article/la-guerre-contre-le-terrorisme-a-produit-un-crime-contre-l-humanite-8948986">contre l’humanité</a> ainsi que de graves atteintes aux droits de l’homme et à la dignité humaine dans les centres de détention d’<a href="https://www.nouvelobs.com/photo/20160825.OBS6879/torture-humiliations-les-photos-qui-ont-revele-l-horreur-d-abou-ghraib.html">Abu Ghraib</a> et de <a href="https://www.amnesty.ch/fr/themes/torture/guantanamo">Guantanamo</a>, où la torture a été systématique. S’y ajoutent l’action de <a href="https://www.amnesty.org/fr/wp-content/uploads/sites/8/2021/07/mde190032012fr.pdf">la France et de l’OTAN en Libye (2011)</a> qui a notamment donné lieu à l’assassinat sordide de Khadafi et, bien entendu, le soutien constant de Washington à Israël dans le conflit israélo-palestinien, matérialisé notamment par les <a href="https://www.middleeasteye.net/news/43-times-us-has-used-veto-power-against-un-resolutions-israel">nombreux vétos</a> que les États-Unis ont opposés aux résolution de l’ONU condamnant la partie israélienne.</p> <p>Les pays du Sud qui, aujourd’hui, s’abstiennent de condamner la Russie pour son invasion de l’Ukraine ont tout cela à l’esprit et l’on peut donc comprendre que bon nombre d’entre eux soient sceptiques devant les appels des États-Unis et de l’Occident à rejoindre leur croisade contre Moscou face à un conflit complexe dont ils ne comprennent pas tous les enjeux et qui ne leur semble pas pire que ceux d’Irak, de Libye ou d’ailleurs. Il faut aussi dire que plusieurs d’entre eux sont des <a href="https://foreignpolicy.com/2022/03/30/west-ukraine-russia-tensions-africa-asia-middle-east/">clients fidèles de Moscou</a> qui leur vend des armes et équipe ou forme leurs forces armées à des conditions favorables.</p> <p>Mais, de fait, ces pays défendent surtout leurs propres intérêts légitimes et sont principalement préoccupés par la crise économique planétaire résultant de ce conflit et le blocage des exportations de céréales et d’engrais chimiques d’Ukraine et de Russie qui les menacent de famine, comme l’a plaidé au nom de l’Afrique auprès de Poutine le <a href="https://www.france24.com/fr/ %C3 %A9missions/l-entretien/20220609-en-direct-le-pr %C3 %A9sident-s %C3 %A9n %C3 %A9galais-macky-sall-s-exprime-sur-france-24">président sénégalais Macky Sall</a> lors de sa récente visite à Sotchi. Il a d’ailleurs bien précisé ce point de vue dans un entretien accordé au Monde en disant en substance que l’Afrique devait d’abord veiller à régler ses propres problèmes plutôt que de prendre parti dans ce conflit.</p> <h3>Un modèle occidental discutable hier comme aujourd’hui</h3> <p>Dans une perspective historique plus longue, il ne faut pas sous-estimer non plus le fait que de nombreux pays du Sud, principalement en Afrique, n’ont toujours pas digéré les avanies de l’esclavage, de la colonisation et des politiques néocoloniales qui lui ont emboîté le pas. Ils ont aussi le souvenir qu’à l’époque de la lutte anticoloniale et du début des indépendances, l’URSS a été pratiquement le seul pays à les <a href="https://africasacountry.com/2018/08/the-now-neglected-history-of-soviet-anti-colonialism">soutenir</a>.</p> <p>Les <a href="https://www.bbc.com/afrique/region-56971100">très mauvaises</a> relations actuelles de la France avec les pays du Sahel doivent donc aussi s’analyser en se remémorant « l’amitié entre les peuples » qui a lié à Moscou le <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/russie-afrique-une-relation-ancienne-mise-en-lumiere-par-lintervention-du-groupe-wagner-au-mali/">Mali de Modibo Keïta</a> ou la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1959/08/26/aide-sovietique-a-la-guinee_2145176_1819218.html">Guinée-Conakry de Sékou Touré</a> dans les années 1960. En dépit de tout ce qu’elle peut faire en Ukraine, la Russie d’aujourd’hui tire toujours avantage de cette réputation de solidarité passée avec ce qu’on appelait le Tiers Monde, comme une sorte de rente historique.</p> <h4 style="text-align: center;"><img src="https://images.theconversation.com/files/468275/original/file-20220610-34199-nk0s1o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" alt="" /><em><span>Timbre commémoratif guinéen consacré au soixantième anniversaire de la Révolution de 1917.</span></em></h4> <p>Enfin, pour en revenir à une dimension éminemment contemporaine, de nombreux États du Sud restent dubitatifs face à la volonté proclamée par Joe Biden d’incarner le camp de la démocratie sur la scène internationale. Outre le fait que la crédibilité de Biden est entachée par le fait qu’il a <a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2020/11/22/retour-sur-quinze-annees-derreurs-de-biden-en-irak/">voté en faveur de l’invasion de l’Irak</a>, la démocratie américaine a régulièrement démontré toutes ses limites et outrances avec Donald Trump, a consterné le monde lors de l’invasion du Congrès le 6 janvier 2021 et suscite l’horreur par les tueries de masse perpétrées par des fous sanguinaires qui ensanglantent ses villes chaque semaine.</p> <p>Plus divisés que jamais, les États-Unis donnent plutôt l’image d’un pays au bord de la guerre civile et sur le déclin, inefficace, violent, raciste et injuste, notamment vis-à-vis de sa minorité afro-américaine.</p> <p>À l’inverse, la grande Némésis actuelle de Washington, à savoir la République populaire de Chine de Xi Jinping, représente le contre-modèle d’un pays en plein essor qui a réussi en quelques décennies à sortir des centaines de millions de personnes de la pauvreté et à mettre en œuvre une politique de développement économique et social lui permettant d’espérer redevenir d’ici le centenaire de sa révolution en 2049 la première puissance du monde qu’elle était jusqu’au XIX<sup>e</sup> siècle.</p> <p>Il n’est donc pas surprenant qu’une proportion importante de la population de nombreux pays du Sud et même du Nord en soit arrivée à penser qu’un régime autoritaire est plus efficace pour gouverner qu’un système « démocratique » – concept qui a souvent été détourné par les oligarchies locales à leur profit, est souvent synonyme de corruption et n’a pas tenu ses promesses de justice et de liberté. Cela explique en bonne partie que la démocratie soit remise en question un peu partout aux quatre coins de la planète et que l’autoritarisme ait le vent en poupe.</p> <p>Enfin, il ne faut pas négliger le fait que la majorité des populations de nombreux pays du Sud est rétive au libéralisme sociétal prôné par l’Occident, jugé décadent, a-religieux et trop favorable aux droits des femmes et des minorités LGBT+, alors que la Russie s’est forgé l’image du <a href="https://fpc.org.uk/russias-traditional-values-leadership/">modèle opposé qui défend les « valeurs traditionnelles »</a>. Or Moscou en joue beaucoup avec habileté et succès dans son discours à leur égard.</p> <h3>Le G20 en danger ?</h3> <p>Pour toutes ces raisons, de nombreux pays du Sud se montrent pour le moins réservés face à l’invasion par la Russie de l’Ukraine pour la défense de laquelle l’Occident s’est mobilisé de manière un peu trop enthousiaste pour ne pas être suspecte à leurs yeux. À l’époque de la guerre froide, une bonne partie de ces pays avaient déjà essayé d’échapper à la nécessité de choisir entre la « peste américaine » et le « choléra soviétique » en créant le Mouvement des non-alignés lors de la <a href="https://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/dd10d6bf-e14d-40b5-9ee6-37f978c87a01/c28105d8-8f82-4f57-b077-7e87dfbc7205">conférence de Bandung en 1955</a> présidée par Sukarno, entouré de Nehru, de Nasser, de Nkrumah, de Norodom Sihanouk et même de Zhou Enlai.</p> <h4 style="text-align: center;"><img src="https://images.theconversation.com/files/468789/original/file-20220614-2481-jmrhmg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" alt="Nasser, Sukarno et Nehru en train de trinquer" /><em><span>Nasser, Sukarno et Nehru trinquant ensemble au succès de la conférence de Bandung.</span></em></h4> <p>Le funeste conflit armé qui ensanglante à nouveau une Europe où l’on pensait « ne jamais plus revoir cela » favorise une certaine résurgence de cet <a href="https://lejournaldelafrique.com/guerre-ukraine-russie-le-non-alignement-le-meilleur-choix-pour-lafrique/">esprit du non-alignement</a>. Ce qui ne va pas rendre plus facile la gestion des affaires d’un monde désormais confronté à une crise économique dévastatrice, qui peut avoir des conséquences catastrophiques pour certains pays très dépendants des importations de gaz ou de blé en provenance de Russie ou d’Ukraine.</p> <p>Très concrètement, le clivage évoqué plus haut qui s’approfondit au sein du G20 illustre particulièrement bien cette nouvelle division Nord-Sud de la communauté internationale. Le prochain sommet du club des vingt plus grandes économies de la planète doit en effet se tenir <a href="https://g20.org/bali-summit/">à Bali à la mi-novembre</a> puisque c’est l’Indonésie qui assure sa présidence en 2022. Or, une petite majorité de pays membres de l’alliance informelle de ceux qui soutiennent activement l’Ukraine, tous du Nord au sens économique du terme, <a href="https://fortune.com/2022/03/25/russia-g20-summit-putin-biden-indonesia-bali-china-ukraine/">ne veulent pas s’asseoir à la même table que Poutine</a> et insistent pour que la Russie ne soit pas invitée. Les autres, majoritairement du Sud, la Chine en tête, ne partagent pas entièrement cette position de rupture ou sont même d’un avis résolument contraire.</p> <p>Face à cela, le président indonésien Jokowi, hôte du sommet et placé dans une <a href="https://globalvoices.org/2022/04/15/indonesia-is-caught-between-russia-and-the-west-ahead-of-the-november-g20-conference/">situation très inconfortable</a>, a annoncé qu’il n’était pas dans son pouvoir d’exclure la Russie mais qu’il inviterait en revanche volontiers <a href="https://www.lalibre.be/international/europe/2022/04/27/guerre-en-ukraine-zelensky-est-invite-au-sommet-du-g20-en-indonesie-OZZZACW6UVAGZLGRMTNH4DBAFE/">Volodymyr Zelensky à également participer à la réunion</a>, ce que ce dernier a déjà accepté. Il est difficile de dire si sa proposition sera retenue et permettra de surmonter le blocage, mais il se pourrait bien au contraire que la guerre entre la Russie et l’Ukraine fasse exploser le G20. Ce ne serait certes pas là son aspect le plus dramatique ni fondamental, mais cette institution emblématique de la phase de globalisation qui s’achève serait alors l’une des victimes collatérales de l’impasse conflictuelle vers laquelle se dirige le concert plus dissonant que jamais des nations.<img src="https://counter.theconversation.com/content/184295/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p> <hr /> <p> </p> <h4><span><a href="https://theconversation.com/profiles/jean-luc-maurer-1248589">Jean-Luc Maurer</a>, Professeur honoraire en études du développement, affilié au Albert Hirschman Center on Democracy, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/graduate-institute-institut-de-hautes-etudes-internationales-et-du-developpement-iheid-2905">Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)</a></em></span></h4> <h4>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. Lire l’<a href="https://theconversation.com/avec-le-conflit-russie-ukraine-le-renouveau-des-non-alignes-184295">article original</a>.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'avec-le-conflit-russie-ukraine-le-renouveau-des-non-alignes', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 565, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => 'https://theconversation.com/avec-le-conflit-russie-ukraine-le-renouveau-des-non-alignes-184295', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'attachments' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, 'relatives' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Post) {} ], 'embeds' => [], 'images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'audios' => [], 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'author' => 'Bon pour la tête', 'description' => 'La guerre que la Russie a déclenchée le 24 février contre l’Ukraine vient de franchir le cap des trois mois et ne semble pas près de finir. 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Ainsi, l’AG de l’ONU a voté le 2 mars une <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/03/1115472">première résolution</a> demandant à la Russie de « retirer immédiatement, complètement et sans condition toutes ses forces militaires », à une écrasante majorité de 141 voix favorables, face à seulement 5 oppositions et 35 abstentions.</p> <p>Les cinq pays ayant voté contre cette résolution sont sans surprise la Russie elle-même, son vassal la Biélorussie, les régimes dictatoriaux pestiférés dépendants d’elle que sont la Syrie et l’Érythrée, ainsi que la sinistre Corée du Nord.</p> <p>Toutefois, parmi les <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2022/03/03/10-points-synthetiques-sur-le-vote-a-lassemblee-generale-des-nations-unies/">35 pays qui se sont abstenus</a>, on comptait déjà plusieurs des acteurs majeurs de la communauté internationale, dont la Chine et l’Inde, mais aussi le Pakistan, l’Iran, l’Afrique du Sud ou l’Algérie.</p> <p>Le 7 avril, lors du vote d’une <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/04/1117912">seconde résolution de l’AG</a> proposant d’exclure la Russie du Conseil des droits de l’homme, seuls 93 pays se sont prononcés pour, 24 contre et 58 choisissant de s’abstenir.</p> <p>Parmi les 24 pays qui ont voté contre, on retrouve les quatre qui avaient déjà soutenu la Russie précédemment, mais cette dernière a cette fois rallié à sa cause de nombreux pays d’Asie, à commencer par la Chine, suivie des frères communistes du Vietnam et du Laos, ainsi que de toutes les anciennes républiques soviétiques de l’Asie centrale, les alliés naturels d’Amérique du Sud que sont Cuba et le Nicaragua et des pays africains comme l’Algérie, le Mali, le Congo ou l’Éthiopie.</p> <p>Cependant, c’est le nombre de pays s’étant abstenus qui est le plus parlant. On y retrouve la plupart des poids lourds démographiques et politiques du monde non occidental : l’Inde, l’Indonésie, le Pakistan, le Bangladesh, la Thaïlande, le Brésil, le Mexique, l’Égypte, l’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Angola, le Mozambique, l’Arabie saoudite, le Qatar et Oman notamment. Six d’entre eux (Inde, Indonésie, Brésil, Mexique, Afrique du Sud et Arabie saoudite) sont même membres du G20, qui est <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Guerre-Ukraine-difficile-mise-ban-Russie-sommets-economiques-2022-04-20-1201211149">plus divisé que jamais</a> sur cette question puisque la Russie y bénéficie du soutien de la Chine.</p> <p>Depuis lors, ce nouveau clivage Nord-Sud ne s’est pas démenti : les pays qui refusent de condamner fermement la Russie représentent donc les deux tiers de l’humanité. Plusieurs raisons complémentaires permettent d’expliquer et de comprendre cette situation.</p> <h3>Le souvenir de la guerre froide</h3> <p>Tout d’abord, pour beaucoup de pays du Sud, le conflit entre la Russie et l’Ukraine est confus et relève des séquelles de l’implosion de l’URSS. Ils ne sont pas loin de considérer qu’il s’agit là d’une affaire interne à la « grande Russie » dans laquelle ils ne veulent pas prendre parti au nom d’un principe de non-ingérence, en l’occurrence interprété de manière très discutable.</p> <p>Ensuite, les objectifs de l’Occident, des États-Unis et de l’OTAN leur semblent à juste titre suspects. Après avoir commencé à <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2013-2-page-7.htm">tourner le dos à l’Europe</a> depuis la présidence Obama pour se concentrer sur sa rivalité croissante avec la Chine dans la région Indopacifique, les États-Unis semblent en effet avoir redécouvert leur vieil ennemi russe et vouloir mener contre lui, par l’intermédiaire de l’Ukraine, une nouvelle guerre au nom du « combat de la démocratie contre le totalitarisme ».</p> <p>Or nombreux sont les pays du Sud qui ont fait les frais de la guerre froide et des guerres chaudes qu’ont menées sur leur territoire les deux puissances dominantes de l’époque. Il serait fastidieux d’énumérer ici tous les conflits sanglants de cette nature qui ont émaillé l’histoire de la seconde partie du XX<sup>e</sup> siècle, de la capitulation de l’Allemagne nazie en mai 1945 jusqu’à la chute du mur de Berlin en novembre 1989. On ne peut toutefois pas passer sous silence la <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2011-2-page-47.htm">guerre de Corée</a> de 1950 à 1953, les interventions armées des États-Unis dans leur pré carré latino-américain au Guatemala en <a href="https://journals.openedition.org/orda/2667">1954</a> et <a href="https://www.jstor.org/stable/3177112">1960</a>, à <a href="https://www.jstor.org/stable/24487082">Cuba en 1959-1960</a>, au <a href="https://theintercept.com/empire-politician/biden-el-salvador-reagan-military-junta/">Salvador</a> et au <a href="https://www.grin.com/document/105740">Nicaragua</a> en 1980, en <a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1983_num_29_1_2548">Grenade</a> en 1983 et à <a href="https://www.bbc.com/news/world-latin-america-50837024">Panama</a> en 1989 et surtout la <a href="https://www.herodote.net/La_guerre_du_Vietnam-synthese-1750.php">guerre du Vietnam</a> élargie au Cambodge et au Laos de 1961 à 1975.</p> <p>Et tout cela sans compter les innombrables coups d’État militaires sanglants organisés avec le soutien de la CIA américaine et ses alliés aux quatre coins de la planète, du <a href="https://blogs.mediapart.fr/pizzicalaluna/blog/280314/preuves-de-l-implication-des-etats-unis-dans-le-coup-d-etat-au-bresil-le-2-avril-1964">Brésil</a> et du <a href="https://www.jstor.org/stable/44832260">Congo</a> en 1964 à l’<a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2001-1-page-59.htm">Indonésie</a> en 1965 et au <a href="https://maze.fr/2018/09/chili-11-septembre-1973-lingerence-des-etats-unis-ou-la-chute-dun-etat-democratique/">Chili</a> en 1973.</p> <p>Il est vrai que l’URSS s’est comportée de manière guère moins brutale pour supprimer les velléités démocratiques au sein du bloc socialiste, de <a href="https://www.lhistoire.fr/budapest-1956%C2%A0-la-r%C3%A9volution-confisqu%C3%A9e">Budapest en 1956</a> à <a href="https://www.herodote.net/21_ao%C3%BBt_1968-evenement-19680821.php">Prague en 1968</a>, sans même parler de la <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/intervention-sovietique-en-afghanistan/">guerre d’Afghanistan (1979-1988)</a>.</p> <p>Quoi qu’il en soit, une chose est certaine : de très nombreux pays du Sud ont payé le prix fort de la guerre froide et ne veulent pas se retrouver une nouvelle fois coincés entre le marteau et l’enclume.</p> <h3>Deux poids, deux mesures ?</h3> <p>En outre, le comportement plus récent de l’Occident sur la scène internationale ne le place pas en bonne position pour condamner les pays qui violent la souveraineté d’autres nations et leur donner des leçons de morale.</p> <p>En effet, la croisade planétaire visant à imposer la démocratie dans le monde par la force armée, lancée par George W. 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S’y ajoutent l’action de <a href="https://www.amnesty.org/fr/wp-content/uploads/sites/8/2021/07/mde190032012fr.pdf">la France et de l’OTAN en Libye (2011)</a> qui a notamment donné lieu à l’assassinat sordide de Khadafi et, bien entendu, le soutien constant de Washington à Israël dans le conflit israélo-palestinien, matérialisé notamment par les <a href="https://www.middleeasteye.net/news/43-times-us-has-used-veto-power-against-un-resolutions-israel">nombreux vétos</a> que les États-Unis ont opposés aux résolution de l’ONU condamnant la partie israélienne.</p> <p>Les pays du Sud qui, aujourd’hui, s’abstiennent de condamner la Russie pour son invasion de l’Ukraine ont tout cela à l’esprit et l’on peut donc comprendre que bon nombre d’entre eux soient sceptiques devant les appels des États-Unis et de l’Occident à rejoindre leur croisade contre Moscou face à un conflit complexe dont ils ne comprennent pas tous les enjeux et qui ne leur semble pas pire que ceux d’Irak, de Libye ou d’ailleurs. Il faut aussi dire que plusieurs d’entre eux sont des <a href="https://foreignpolicy.com/2022/03/30/west-ukraine-russia-tensions-africa-asia-middle-east/">clients fidèles de Moscou</a> qui leur vend des armes et équipe ou forme leurs forces armées à des conditions favorables.</p> <p>Mais, de fait, ces pays défendent surtout leurs propres intérêts légitimes et sont principalement préoccupés par la crise économique planétaire résultant de ce conflit et le blocage des exportations de céréales et d’engrais chimiques d’Ukraine et de Russie qui les menacent de famine, comme l’a plaidé au nom de l’Afrique auprès de Poutine le <a href="https://www.france24.com/fr/ %C3 %A9missions/l-entretien/20220609-en-direct-le-pr %C3 %A9sident-s %C3 %A9n %C3 %A9galais-macky-sall-s-exprime-sur-france-24">président sénégalais Macky Sall</a> lors de sa récente visite à Sotchi. Il a d’ailleurs bien précisé ce point de vue dans un entretien accordé au Monde en disant en substance que l’Afrique devait d’abord veiller à régler ses propres problèmes plutôt que de prendre parti dans ce conflit.</p> <h3>Un modèle occidental discutable hier comme aujourd’hui</h3> <p>Dans une perspective historique plus longue, il ne faut pas sous-estimer non plus le fait que de nombreux pays du Sud, principalement en Afrique, n’ont toujours pas digéré les avanies de l’esclavage, de la colonisation et des politiques néocoloniales qui lui ont emboîté le pas. Ils ont aussi le souvenir qu’à l’époque de la lutte anticoloniale et du début des indépendances, l’URSS a été pratiquement le seul pays à les <a href="https://africasacountry.com/2018/08/the-now-neglected-history-of-soviet-anti-colonialism">soutenir</a>.</p> <p>Les <a href="https://www.bbc.com/afrique/region-56971100">très mauvaises</a> relations actuelles de la France avec les pays du Sahel doivent donc aussi s’analyser en se remémorant « l’amitié entre les peuples » qui a lié à Moscou le <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/russie-afrique-une-relation-ancienne-mise-en-lumiere-par-lintervention-du-groupe-wagner-au-mali/">Mali de Modibo Keïta</a> ou la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1959/08/26/aide-sovietique-a-la-guinee_2145176_1819218.html">Guinée-Conakry de Sékou Touré</a> dans les années 1960. En dépit de tout ce qu’elle peut faire en Ukraine, la Russie d’aujourd’hui tire toujours avantage de cette réputation de solidarité passée avec ce qu’on appelait le Tiers Monde, comme une sorte de rente historique.</p> <h4 style="text-align: center;"><img src="https://images.theconversation.com/files/468275/original/file-20220610-34199-nk0s1o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" alt="" /><em><span>Timbre commémoratif guinéen consacré au soixantième anniversaire de la Révolution de 1917.</span></em></h4> <p>Enfin, pour en revenir à une dimension éminemment contemporaine, de nombreux États du Sud restent dubitatifs face à la volonté proclamée par Joe Biden d’incarner le camp de la démocratie sur la scène internationale. Outre le fait que la crédibilité de Biden est entachée par le fait qu’il a <a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2020/11/22/retour-sur-quinze-annees-derreurs-de-biden-en-irak/">voté en faveur de l’invasion de l’Irak</a>, la démocratie américaine a régulièrement démontré toutes ses limites et outrances avec Donald Trump, a consterné le monde lors de l’invasion du Congrès le 6 janvier 2021 et suscite l’horreur par les tueries de masse perpétrées par des fous sanguinaires qui ensanglantent ses villes chaque semaine.</p> <p>Plus divisés que jamais, les États-Unis donnent plutôt l’image d’un pays au bord de la guerre civile et sur le déclin, inefficace, violent, raciste et injuste, notamment vis-à-vis de sa minorité afro-américaine.</p> <p>À l’inverse, la grande Némésis actuelle de Washington, à savoir la République populaire de Chine de Xi Jinping, représente le contre-modèle d’un pays en plein essor qui a réussi en quelques décennies à sortir des centaines de millions de personnes de la pauvreté et à mettre en œuvre une politique de développement économique et social lui permettant d’espérer redevenir d’ici le centenaire de sa révolution en 2049 la première puissance du monde qu’elle était jusqu’au XIX<sup>e</sup> siècle.</p> <p>Il n’est donc pas surprenant qu’une proportion importante de la population de nombreux pays du Sud et même du Nord en soit arrivée à penser qu’un régime autoritaire est plus efficace pour gouverner qu’un système « démocratique » – concept qui a souvent été détourné par les oligarchies locales à leur profit, est souvent synonyme de corruption et n’a pas tenu ses promesses de justice et de liberté. Cela explique en bonne partie que la démocratie soit remise en question un peu partout aux quatre coins de la planète et que l’autoritarisme ait le vent en poupe.</p> <p>Enfin, il ne faut pas négliger le fait que la majorité des populations de nombreux pays du Sud est rétive au libéralisme sociétal prôné par l’Occident, jugé décadent, a-religieux et trop favorable aux droits des femmes et des minorités LGBT+, alors que la Russie s’est forgé l’image du <a href="https://fpc.org.uk/russias-traditional-values-leadership/">modèle opposé qui défend les « valeurs traditionnelles »</a>. Or Moscou en joue beaucoup avec habileté et succès dans son discours à leur égard.</p> <h3>Le G20 en danger ?</h3> <p>Pour toutes ces raisons, de nombreux pays du Sud se montrent pour le moins réservés face à l’invasion par la Russie de l’Ukraine pour la défense de laquelle l’Occident s’est mobilisé de manière un peu trop enthousiaste pour ne pas être suspecte à leurs yeux. À l’époque de la guerre froide, une bonne partie de ces pays avaient déjà essayé d’échapper à la nécessité de choisir entre la « peste américaine » et le « choléra soviétique » en créant le Mouvement des non-alignés lors de la <a href="https://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/dd10d6bf-e14d-40b5-9ee6-37f978c87a01/c28105d8-8f82-4f57-b077-7e87dfbc7205">conférence de Bandung en 1955</a> présidée par Sukarno, entouré de Nehru, de Nasser, de Nkrumah, de Norodom Sihanouk et même de Zhou Enlai.</p> <h4 style="text-align: center;"><img src="https://images.theconversation.com/files/468789/original/file-20220614-2481-jmrhmg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" alt="Nasser, Sukarno et Nehru en train de trinquer" /><em><span>Nasser, Sukarno et Nehru trinquant ensemble au succès de la conférence de Bandung.</span></em></h4> <p>Le funeste conflit armé qui ensanglante à nouveau une Europe où l’on pensait « ne jamais plus revoir cela » favorise une certaine résurgence de cet <a href="https://lejournaldelafrique.com/guerre-ukraine-russie-le-non-alignement-le-meilleur-choix-pour-lafrique/">esprit du non-alignement</a>. Ce qui ne va pas rendre plus facile la gestion des affaires d’un monde désormais confronté à une crise économique dévastatrice, qui peut avoir des conséquences catastrophiques pour certains pays très dépendants des importations de gaz ou de blé en provenance de Russie ou d’Ukraine.</p> <p>Très concrètement, le clivage évoqué plus haut qui s’approfondit au sein du G20 illustre particulièrement bien cette nouvelle division Nord-Sud de la communauté internationale. Le prochain sommet du club des vingt plus grandes économies de la planète doit en effet se tenir <a href="https://g20.org/bali-summit/">à Bali à la mi-novembre</a> puisque c’est l’Indonésie qui assure sa présidence en 2022. Or, une petite majorité de pays membres de l’alliance informelle de ceux qui soutiennent activement l’Ukraine, tous du Nord au sens économique du terme, <a href="https://fortune.com/2022/03/25/russia-g20-summit-putin-biden-indonesia-bali-china-ukraine/">ne veulent pas s’asseoir à la même table que Poutine</a> et insistent pour que la Russie ne soit pas invitée. Les autres, majoritairement du Sud, la Chine en tête, ne partagent pas entièrement cette position de rupture ou sont même d’un avis résolument contraire.</p> <p>Face à cela, le président indonésien Jokowi, hôte du sommet et placé dans une <a href="https://globalvoices.org/2022/04/15/indonesia-is-caught-between-russia-and-the-west-ahead-of-the-november-g20-conference/">situation très inconfortable</a>, a annoncé qu’il n’était pas dans son pouvoir d’exclure la Russie mais qu’il inviterait en revanche volontiers <a href="https://www.lalibre.be/international/europe/2022/04/27/guerre-en-ukraine-zelensky-est-invite-au-sommet-du-g20-en-indonesie-OZZZACW6UVAGZLGRMTNH4DBAFE/">Volodymyr Zelensky à également participer à la réunion</a>, ce que ce dernier a déjà accepté. Il est difficile de dire si sa proposition sera retenue et permettra de surmonter le blocage, mais il se pourrait bien au contraire que la guerre entre la Russie et l’Ukraine fasse exploser le G20. Ce ne serait certes pas là son aspect le plus dramatique ni fondamental, mais cette institution emblématique de la phase de globalisation qui s’achève serait alors l’une des victimes collatérales de l’impasse conflictuelle vers laquelle se dirige le concert plus dissonant que jamais des nations.<img src="https://counter.theconversation.com/content/184295/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p> <hr /> <p> </p> <h4><span><a href="https://theconversation.com/profiles/jean-luc-maurer-1248589">Jean-Luc Maurer</a>, Professeur honoraire en études du développement, affilié au Albert Hirschman Center on Democracy, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/graduate-institute-institut-de-hautes-etudes-internationales-et-du-developpement-iheid-2905">Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)</a></em></span></h4> <h4>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. Lire l’<a href="https://theconversation.com/avec-le-conflit-russie-ukraine-le-renouveau-des-non-alignes-184295">article original</a>.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'avec-le-conflit-russie-ukraine-le-renouveau-des-non-alignes', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 565, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => 'https://theconversation.com/avec-le-conflit-russie-ukraine-le-renouveau-des-non-alignes-184295', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Edition) {} ], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 4 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5295, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Un bien cruel conte de Noël (1)', 'subtitle' => 'Catherine et Pierre forment un couple épanoui. 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La fidélité absolue est un concept éculé et hypocrite qui a pour but principal que les hommes soient certains que les enfants qui sortent des ventres de leur épouse soient bien le produit de leurs spermatozoïdes à eux. Transmettre ses gènes est un réflexe très animal, si Sapiens est vraiment un être supérieur, il devrait se détendre sur cette question. En plus, Pierre et moi n’avons pas fait d’enfants, trop concentrés sur nous-mêmes et nos vies à réussir. Marie, ma sœur, prétend que pour les femmes, l’importance de la fidélité n’a pas pour but la perpétuation de l’espèce mais plutôt la conservation à leur côté du mâle qui assure leur protection. Elle se trompe. Si Pierre et moi sommes toujours ensemble après trente-cinq ans de mariage, c’est justement parce que nous nous laissons la liberté d’aller de temps en temps voir ailleurs. Marie, elle, ne souhaitait plus de rapports sexuels tout en menaçant son mari de le quitter s’il la trompait. C’est lui qui est parti avec la première maîtresse qu’il s’est autorisée.</p> <p>Mais Pierre a changé.</p> <p>Nous nous sommes connus dans une manifestation contre le racisme alors que nous avions vingt-sept ans. Il était graphiste tandis que moi j’enseignais le français à des réfugiés dans un centre géré par l’Eglise protestante. Je l’avais déjà remarqué à d’autres occasions au fil des ans – Lausanne est une petite ville – notamment lors d’une soirée chez Jean-Luc, lequel a été mon amant lorsque j’avais vingt ans et que j’hésitais entre le trotskisme et l’écologie politique. Lorsque Jean-Luc, figure de proue des trotskistes locaux, m’avait quittée pour une camarade d’origine kurde plus valorisante pour lui, j’avais renoncé aux principes de la Quatrième Internationale et milité pour la sauvegarde de la planète, jusqu’à ma rencontre avec un zapatiste belge avec qui je suis partie au Mexique où j’ai attrapé une infection sexuellement transmissible. De retour en Suisse, j’ai soigné ma salpingite et terminé mes études de lettres. Entre deux amants de passage, je traversais de longues périodes d’abstinence sexuelle sans que cela me coûte. A la manif, j’ai trouvé Pierre très beau avec sa moustache et sa barbe de cinq jours. Et je l’ai trouvé irrésistible lorsqu’il a jeté une bouteille vide en direction des forces de l’ordre qui voulaient nous empêcher d’accéder à la salle où se déroulait une assemblée de l’UDC, ce parti d’extrême droite honni par nous. Pierre s’est fait réprimander par les camarades communistes qui assuraient le service d’ordre et il a fini par en venir aux mains avec eux. J’ai spontanément pris sa défense, nous nous sommes faits bousculer et avons quitté la manifestation, lui avec une arcade sourcilière fendue, moi avec un fort désir pour lui. Je l’ai emmené chez moi pour soigner sa blessure et nous avons fait l’amour toute la nuit. Deux semaines plus tard nous emménagions ensemble; nous ne nous sommes plus quittés.</p> <p>L’autre soir, alors que nous avions des invités à la maison, il m’a semblé reconnaître chez Pierre les signes d’une tension extrême. Depuis le temps, je le connais bien. Serge et Mireille, nos invités, l’ont eux aussi sentie, cette tension. Ce sont tout à la fois des amis et des clients. Des amis parce que comme nous ils sont de centre gauche, des clients car ils font appel à notre agence de communication pour promouvoir leur commerce. Après avoir été de grands voyageurs, Serge et Mireille vendent aujourd’hui des produits venus d’Asie, principalement d’Inde mais aussi de Birmanie et du Cambodge. Ils sélectionnent avec soins les artisans, privilégiant les structures coopératives respectueuses de l’environnement et du bien-être des populations locales. Nous gérons leur site internet et leur publicité, et tournons même pour eux des clips promotionnels. Pierre est devenu agressif avec Mireille lorsque celle-ci a déclaré que les néo-féministes exagéraient et que #MeToo décourageait toute tentative de séduction de la part des hommes. «Je n’ai pas peur de le dire, j’aime bien que l’on me tienne la porte et que les hommes me fassent sentir qu’ils me désirent…» Pierre lui a rétorqué que le patriarcat était une forme de fascisme et qu’en tant que progressiste nous devions tout faire pour l’abattre. J’ai essayé de dévier la conversation sur la nourriture bio mais très vite c’est l’écriture inclusive qui a fait s’échauffer les esprits. Serge, qui se pique d’aimer la littérature, a déclaré que le français était en danger, qu’il fallait le sauver des points médians et des réformes de l’orthographe. Pierre a rétorqué que pour rester vivantes les langues devaient changer, que les normes les étouffaient, que les règles orthographiques avaient été inventées pour empêcher les pauvres d’accéder aux études. «Etes-vous allés récemment au cinéma?» ai-je incidemment demandé à Mireille?</p> <p>Le lendemain, elle m’a appelée. «Avec Serge, on se demande si Pierre n’est pas en train devenir woke…» Mon sang s’est figé dans mes veines, une sourde angoisse est montée de mon estomac jusque dans ma gorge. «Non, non… Vous vous trompez… Vous avez bien vu, il continue de manger de la viande», ai-je rassuré Mireille. Mais le doute s’était instillé en moi, je me suis mise à mieux observer Pierre et, pour la première fois, j’ai fouillé dans ses poches et ses agendas, même dans son ordinateur. 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En jeu, rien de moins que les causes de la crise de la pollution plastique et les solutions appropriées pour y remédier.</p> <ul> <li> <p>D’un côté, la <a href="https://hactoendplasticpollution.org/fr/">Coalition de haute ambition</a> (HAC), les activistes du «zéro déchet» et de <a href="https://theconversation.com/traite-mondial-contre-la-pollution-plastique-en-coulisses-le-regard-des-scientifiques-francais-presents-234046">nombreux scientifiques</a> insistent sur la nécessité d’une <a href="https://hactoendplasticpollution.org/hac-member-states-ministerial-joint-statement-for-inc-5/">approche globale portant sur l’ensemble du cycle de vie des plastiques</a>, y compris leur production.</p> </li> <li> <p>De l’autre côté, une <a href="https://medium.com/points-of-order/spoiler-alert-f737a24292e6">petite minorité d’Etats</a> ainsi que l’industrie pétrochimique ont à de nombreuses reprises détourné l’attention de cette question de la production des plastiques. Au lieu de cela, ils accusent des <a href="https://psmag.com/environment/the-epa-blames-six-asian-nations-that-the-u-s-exports-plastic-waste-to-for-ocean-pollution/">systèmes de recyclage inadéquats et une mauvaise gestion des déchets</a>.</p> </li> </ul> <p>L’attention portée au recyclage des plastiques et à la gestion des déchets touche en réalité des millions de personnes en Asie, en Amérique du Sud et en Afrique. Il s’agit des travailleurs qui récupèrent, réutilisent ou revendent les plastiques, les textiles, l’aluminium et d’autres matériaux précieux issus des déchets.</p> <p>Dans le cadre du traité sur les plastiques, pour que ces travailleurs informels soient reconnus, que leurs conditions de travail puissent être améliorées et qu’ils puissent bénéficient d’une transition écologique plus équitable, les solutions politiques doivent aller au-delà des mécanismes économiques basés sur le seul marché et des stratégies axées sur le profit.</p> <p>Si ce n’est pas le cas, les efforts en faveur d’un recyclage plus inclusif et du développement de l’économie circulaire risquent de renforcer les injustices mêmes qu’ils prétendent combattre.</p> <h3>Qui sont les ramasseurs informels de déchets?</h3> <p>Les collecteurs de déchets – et les autres personnes travaillant avec eux dans un cadre informel et coopératif – effectuent une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0921344924001824#sec0021">grande partie du travail de recyclage à l’échelle mondiale</a>. Ils réduisent de manière significative la quantité de plastique qui se retrouve dans les océans.</p> <p>Malgré cela, et parce qu’ils font un travail salissant et vivent dans des endroits sales, ils sont souvent tenus pour responsables du problème de la pollution plastique. Dans les discours politiques des villes et des Etats, leur travail a longtemps été <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0956247816657302">tourné en dérision, considéré comme non qualifié et inefficace</a>. <a href="https://www.undp.org/blog/unsung-heroes-four-things-policymakers-can-do-empower-informal-waste-workers">L’absence de reconnaissance officielle</a> de leur travail rend leurs revenus particulièrement instables et précaires. Les réglementations environnementales peuvent <a href="https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/ac6b49">aggraver ces menaces</a> en accélérant la privatisation du traitement des déchets.</p> <p>Alors que les efforts de lutte contre la pollution plastique gagnent du terrain, les ramasseurs informels sont soumis à une double pression:</p> <ul> <li> <p>Ils doivent protéger leur accès aux déchets, car c’est l’un des rares moyens de subsistance dont ils disposent.</p> </li> <li> <p>En même temps, ils cherchent à améliorer leurs conditions de vie et de travail.</p> </li> </ul> <p>Un groupe de ramasseurs de déchets a donc profité de l’ouverture des négociations pour <a href="https://globalrec.org/document/just-transition-waste-pickers-un-plastics-treaty/">plaider en faveur de la reconnaissance de leur travail</a>. Il a été demandé que leurs contributions historiques à la réduction de la pollution plastique soient explicitement reconnues, et qu’un objectif explicite de transition juste soit intégré au traité sur les plastiques.</p> <h3>Avec l’économie circulaire, tout le monde est gagnant?</h3> <p>La <a href="https://theconversation.com/quatre-idees-recues-sur-la-transition-juste-227569">transition juste</a> est un principe défendu par les groupes de travailleurs et les défenseurs de la justice sociale afin de garantir que les politiques de transition écologique protègent, améliorent et compensent équitablement les moyens de subsistance des travailleurs et des communautés affectés par l’environnement.</p> <p>Les ramasseurs de déchets ont utilisé ce terme pour réclamer que le traité comprenne des dispositions pour améliorer leurs conditions de travail et de sécurité. Mais également pour que le traité intègre davantage les travailleurs informels aux systèmes de gestion des déchets, et pour exiger que les systèmes de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-elargie-du-producteur-67766">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP) soutiennent aussi les travailleurs du secteur des déchets, en particulier les <a href="https://www.wiego.org/gender-waste-project">femmes et d’autres groupes vulnérables</a>.</p> <p>Etonnamment, ces demandes ont obtenu le soutien d’un large éventail de parties prenantes puissantes. Par exemple la <a href="https://www.businessforplasticstreaty.org/vision-statement#Key-elements">Business Coalition for a Plastics Treaty</a>, les <a href="https://news.un.org/en/story/2024/10/1156301">dirigeants des Nations unies</a> et même <a href="https://resolutions.unep.org/resolutions/uploads/american_chemistry_council.pdf">l’industrie pétrochimique</a>.</p> <p>Certaines de ces demandes ont été intégrées aux projets de traité sur les plastiques discutés au cours des négociations, ce qui représente une victoire majeure pour les travailleurs du secteur informel des déchets.</p> <p>Un consensus se dégage sur le fait qu’une économie circulaire inclusive peut être bénéfique à la fois pour l’environnement, l’économie et les travailleurs en améliorant la gestion de la pollution, les moyens de subsistance et les opportunités de croissance économique pour les entreprises.</p> <p>Ces promesses demandent toutefois à être vérifiées sur le terrain. Et c’est là que les choses se compliquent.</p> <h3>« Gagnant-gagnant », mais la victoire de qui ?</h3> <p>Dans mon livre <a href="https://mitpress.mit.edu/9780262546973/recycling-class/"><em>Recycling Class</em></a>, j’examine comment les efforts de recyclage inclusif ont été mis en œuvre à Bengaluru, l’une des plus grandes villes de l’Inde.</p> <figure><a href="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img src="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" alt="" /></a> <figcaption><span></span></figcaption> </figure> <p>Dans cet ouvrage, je défends que l’intégration dans des programmes d’économie circulaire basés sur le marché n’est pas une solution miracle aux injustices ancrées dans les systèmes de production, de consommation et de production des déchets.</p> <p>La plupart des politiques d’économie circulaire et de recyclage inclusif reposent sur des mécanismes de marché, partant du principe que la création de marchés pour les déchets incitera les acteurs du marché à récupérer efficacement les déchets et à les convertir en ressources.</p> <p>Pour remplir leurs obligations en matière de <a href="https://theconversation.com/faire-payer-plus-les-entreprises-pour-quelles-reduisent-les-emballages-130073">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP), les marques peuvent alors s’engager à acheter des plastiques recyclés et à financer la collecte des déchets en achetant des <a href="https://www.worldbank.org/en/programs/problue/publication/unlocking-financing-to-combat-the-plastics-crisis">crédits plastique</a>.</p> <p>Cette approche vise à améliorer le prix des déchets, à augmenter les salaires et à encourager les efforts de collecte, tout en attirant des investissements pour financer l’amélioration des infrastructures et des technologies.</p> <p>Cependant, les mécanismes fondés sur le marché aggravent les inégalités existantes en matière d’accès au marché. Les efforts visant à donner la priorité à la traçabilité et à la transparence – dans le but d’améliorer l’efficacité du marché et le respect de la réglementation – désavantagent souvent les travailleurs informels.</p> <p>Ces derniers ne disposent pas des ressources et des capacités techniques nécessaires pour adopter des systèmes de suivi complexes basés sur les SIG ou la blockchain, et se retrouvent exclus des processus formalisés. Les start-up financées par le capital-risque et les grandes entreprises s’emparent alors du secteur du recyclage.</p> <p>Les multinationales préfèrent d’ailleurs les partenariats avec des start-up technologiques qui offrent des services à «valeur ajoutée» tels que des indicateurs et des tableaux de bord environnementaux, permettant aux entreprises de mettre en scène leur propre récit sur le développement durable. Souvent issus de milieux éduqués et privilégiés, les employés de ces firmes <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S001671852300057X">concurrencent les travailleurs informels existants, les subordonnant au passage</a>.</p> <p>A l’inverse, les femmes et les membres des minorités ethno-raciales et religieuses, qui constituent la majorité des travailleurs des économies informelles des déchets, sont confrontés à des obstacles supplémentaires. Notamment des <a href="https://mouvements.info/recuperateurs-de-dechets/">stigmates sociaux bien ancrés</a> qui limitent leur capacité à participer sur un pied d’égalité à ces marchés émergents. Ils restent toujours relégués aux mêmes tâches manuelles et difficiles, même si leurs conditions de travail en ressortent légèrement améliorées.</p> <h3>L’industrie du plastique maintient le <em>statu quo</em></h3> <p>Malgré les bonnes intentions de départ, des termes tels que «économie circulaire inclusive» sont donc trop souvent utilisés à des fins de <em>green washing</em> et même de <em>justice washing</em>, tandis que les travailleurs continuent à endurer des conditions difficiles. Une étude de <a href="https://www.circle-economy.com/resources/decent-work-in-the-circular-economy">Circle Economy</a> souligne que la plupart des emplois du secteur de l’économie circulaire restent ad-hoc et informels et ne bénéficient pas des garanties d’un emploi décent.</p> <p>En fin de compte, les travailleurs informels sont confrontés à un choix difficile: soit ils acceptent d’être exploités au sein des circuits de traitements des déchets en tant que simples ressources, soit ils risquent de perdre complètement leurs moyens de subsistance.</p> <p>Les systèmes actuels de production et de consommation du plastique déplacent donc la charge des déchets sur des communautés autochtones ou ethniques marginalisées, créant ainsi des <a href="https://www.dukeupress.edu/pollution-is-colonialism">zones sacrifiées</a>. Ce déplacement permet de maintenir la rentabilité, tout en perpétuant les atteintes à l’environnement et les inégalités sociales.</p> <p>En promouvant des technologies de <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-57087908">recyclage chimique</a> non éprouvées et en étendant les marchés du plastique, les entreprises <a href="https://theconversation.com/comment-lindustrie-fossile-influence-les-negociations-mondiales-sur-le-plastique-222112">pétrochimiques</a> et de matières plastiques <a href="https://direct.mit.edu/glep/article/21/2/121/97367/Future-Proofing-Capitalism-The-Paradox-of-the">s’approprient le langage de l’économie circulaire</a>. Cela leur permet de donner un vernis écologique à leurs propositions, tout en maintenant le <em>statu quo</em> sur les inégalités.</p> <p>Pendant ce temps, la HAC, plusieurs ONG et même certains ramasseurs de déchets invoquent également l’économie circulaire comme solution à la crise du plastique, en mettant l’accent sur le réemploi et le recyclage inclusif.</p> <h3>Demander des comptes aux pollueurs plutôt que compter sur l’efficacité du marché</h3> <p>Pour que l’économie circulaire aille au-delà de la simple protection du capitalisme fossile, elle doit prendre en compte les collecteurs de déchets et recycleurs informels dans le Sud et reconnaître les limites des mécanismes basés sur le marché. C’est vrai aussi bien pour le traité international sur la pollution plastique que pour d’autres démarches régionales comme le <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/ATAG/2021/679066/EPRS_ATA(2021)679066_FR.pdf">plan d’action de l’UE pour l’économie circulaire</a>.</p> <p>En effet, toute stratégie de lutte contre la pollution plastique basée sur le marché et axée sur le profit est susceptible de reproduire ces schémas d’inégalité. Et par la même occasion, de pérenniser les injustices systémiques qui soutiennent le statu quo. Pour une transition vraiment juste, la lutte contre la pollution plastique ne doit donc pas devenir une opportunité de croissance économique ou de profit.</p> <p>Au contraire, nous avons besoin d’une approche centrée sur la réparation. Il faut d’abord, pour cela, reconnaître les contributions historiques des collecteurs informels du plastique ainsi que les préjudices qu’ils subissent. Puis redistribuer les ressources aux personnes les plus touchées et créer des systèmes qui donnent la priorité à la restauration de l’environnement et à la justice sociale plutôt qu’au profit des entreprises.</p> <p>Une économie circulaire bien financée devrait d’abord renforcer le pouvoir des travailleurs, puis améliorer les capacités des infrastructures et réduire la concentration de ces déchets en produits chimiques toxiques, plutôt que de s’appuyer sur des solutions basées sur le marché qui aggravent les inégalités.</p> <p>Les vraies solutions consistent à demander des comptes aux pollueurs et à adopter des approches circulaires fondées sur la sobriété et la réparation, et non sur l’efficacité du marché.<img src="https://counter.theconversation.com/content/244065/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p> <hr /> <h4><span><a href="https://theconversation.com/profiles/manisha-anantharaman-1526162">Manisha Anantharaman</a>, Assistant Professor, Center for the Sociology of Organisations, CNRS/Sciences Po, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/sciences-po-2196">Sciences Po </a></em></span></h4> <h4>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. Lire l’<a href="https://theconversation.com/les-ramasseurs-de-dechets-grands-perdants-du-recit-dominant-sur-la-pollution-plastique-244065">article original</a>.</h4> </div>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'les-ramasseurs-de-dechets-grands-perdants-du-recit-dominant-sur-la-pollution-plastique', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 42, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5283, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Les Etats-Unis financent un collectif international de journalistes', 'subtitle' => 'Si le réseau Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) a révélé des avoirs russes cachés ou la corruption au Venezuela, le Delaware, paradis de l'évasion fiscale, reste pour lui un tabou. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Drew Sullivan, son cofondateur.', 'subtitle_edition' => 'Si le réseau Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) a révélé des avoirs russes cachés ou la corruption au Venezuela, le Delaware, paradis de l'évasion fiscale, reste pour lui un tabou. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Drew Sullivan, son cofondateur.', 'content' => '<p style="text-align: center;"><strong>Urs P. Gasche</strong>, article publié sur <a href="https://www.infosperber.ch/medien/medienkritik/die-usa-finanzieren-internationales-journalisten-kollektiv/" target="_blank" rel="noopener"><em>Infosperber</em></a> le 5 décembre 2024, traduit par <em>Bon Pour La Tête</em></p> <hr /> <p>Parmi de nombreux autres médias, la <em>NZZ</em> et le <em>Tages-Anzeiger</em> ont diffusé à plusieurs reprises des révélations du réseau international de journalistes Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP). Ce faisant, ils n'ont pas rendu transparent le fait que les services gouvernementaux américains paient la moitié du budget de l'OCCRP. 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De plus, l'agence gouvernementale américaine interdit d'utiliser son argent pour mettre au jour la corruption aux Etats-Unis.</p> <p>Certaines subventions étaient même affectées à un but précis: le Department of State, par exemple, a versé 173 000 dollars à l'OCCRP pour «détecter et combattre la corruption au Venezuela». Ou l'<a href="https://www.usaid.gov/">Agence pour le développement international (USAID)</a> a versé plus de deux millions de dollars dans le but de «mettre au jour la criminalité et la corruption à Malte et à Chypre».</p> <p>Le journal en ligne français indépendant <a href="https://www.mediapart.fr/en/journal/international/021224/hidden-links-between-giant-investigative-journalism-and-us-government">« Mediapart »</a> en a parlé le 2 décembre 2024 <a href="https://www.mediapart.fr/en/journal/international/021224/hidden-links-between-giant-investigative-journalism-and-us-government">.</a></p> <p>Le fondateur de l'OCCRP est un ancien employé <a href="https://www.rockwellautomation.com/de-ch.html">de Rockwell</a> devenu journaliste: <a href="https://www.occrp.org/en/staff/drew-sullivan">Drew Sullivan</a>. L'OCCRP a été créé à l'instigation de fonctionnaires du gouvernement américain. Selon Mediapart, Sullivan a reçu pour cela, en 2008, un financement de départ de 1,7 million de dollars du <a href="https://www.state.gov/bureaus-offices/under-secretary-for-civilian-security-democracy-and-human-rights/bureau-of-international-narcotics-and-law-enforcement-affairs/">Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs</a>(INL). Il s'agit d'une agence d'application de la loi du Département d'Etat américain.</p> <p>L'OCCRP s'appuie souvent sur des documents divulgués provenant de sources non identifiées. La qualité des recherches et des révélations de l'OCCRP n'est pas mise en doute. L'orientation unilatérale des recherches et le manque de transparence des informations sur le financement donnent lieu à des critiques.</p> <p>L'ampleur des liens personnels et financiers de l'OCCRP avec le gouvernement américain va à l'encontre de «tous les principes de l'éthique journalistique». C'est ce qu'a déclaré Leonard Novy, directeur de l'Institut allemand des médias et de la politique de communication, à la chaîne NDR. Cela laisse supposer que les journalistes peuvent être utilisés ou instrumentalisés à des fins politiques.</p> <p>Sullivan et l'OCCRP ont également laissé les médias partenaires et leurs lecteurs dans l'ignorance de leur proximité avec le gouvernement américain. Selon Leonard Novy, l'organisation a ainsi dépassé les limites.</p> <h3><strong>Sullivan n'a pas voulu parler clairement aujourd'hui encore</strong></h3> <p>Sullivan a d'abord affirmé à la chaîne NDR que l'OCCRP avait «un groupe de donateurs largement répandu», parmi lesquels «aucun donateur individuel ne domine». Il a ajouté que «le gouvernement américain [...] est l'un des plus grands donateurs, mais ce n'est pas un pourcentage énorme». 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[...] Je suis très reconnaissant au gouvernement américain.»</p> <p>Par écrit, Sullivan a renchéri: «Nous avons dû décider si nous voulions accepter de l'argent du gouvernement ou ne pas exister.» Sur le site web de l'OCCRP, les montants des sponsors ne sont pas indiqués.</p> <h3><strong>Conditions posées</strong></h3> <p>Sullivan a confirmé à la NDR le pouvoir d'influence des autorités américaines: «Dans le cadre d'accords de coopération que nous n'aimons pas conclure, ils ont un droit de regard sur le choix des personnes [...] Ils peuvent mettre leur veto sur quelqu'un [...] Ils n'ont jamais mis leur veto sur quelqu'un.»</p> <p>L'OCCRP ne peut pas enquêter sur des affaires américaines avec l'argent fourni par Washington. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Sullivan à la NDR. «Je pense que le gouvernement américain ne le permet pas. Mais même dans d'autres pays où ces dispositions n'existent pas, nous ne le faisons pas parce que cela vous place dans une situation de conflit d'intérêts et que vous préférez rester à l'écart de telles situations.»</p> <p>Ainsi, le paradis fiscal américain du Delaware n'a jamais fait l'objet de toutes les recherches sur l'évasion fiscale et l'argent de la corruption.</p> <p>L'OCCRP a tout de même effectué des recherches isolées aux Etats-Unis: par exemple sur les <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/meet-the-florida-duo-helping-giuliani-investigate-for-trump-in-ukraine">hommes d'affaires</a> qui avaient soutenu l'avocat de Donald Trump pour nuire à Joe Biden, ou sur la manière dont le Pentagone a dépensé des sommes énormes pour <a href="https://www.occrp.org/en/project/making-a-killing/revealed-the-pentagon-is-spending-up-to-22-billion-on-soviet-style-arms-for-syrian-rebels">fournir des armes</a> à des groupes rebelles en Syrie, ou encore sur un <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/flight-of-the-monarch-us-govt-contracted-airline-once-owned-by-criminals-with-ties-to-russian-mob">contrat</a> entre le gouvernement américain et une compagnie aérienne dont les propriétaires sont liés au crime organisé en Russie.</p> <p>Ces recherches ont manifestement respecté une autre condition imposée par les autorités américaines à l'OCCRP: l'activité doit être «en accord avec la politique étrangère et les intérêts économiques des Etats-Unis et les promouvoir.» (<a href="https://www.govinfo.gov/content/pkg/COMPS-1071/pdf/COMPS-1071.pdf">US Foreign Assistance Act</a>).</p> <h3><strong>Voici comment la «NZZ» et Tamedia ont présenté la source OCCRP</strong></h3> <p><strong>«NZZ» du 19 juillet 2023</strong></p> <p>«L'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) est un réseau d'organisations journalistiques fondé en 2006, basé dans de nombreux pays différents et fonctionnant sous cette forme en tant que filiale du Journalism Development Network à but non lucratif, dont le siège est dans le Maryland.»</p> <p><strong>«Tages-Anzeiger» du 21 juin 2023</strong></p> <p>«Grâce à l'organisation OCCRP, des journalistes femmes de plusieurs pays ont pu étudier ces données, dont <em>Der Standard</em> en Autriche et <em>Der Spiegel</em> en Allemagne. 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Des faits presque incroyables sur le travail de relations publiques du Pentagone.</p> <p><strong>20 avril 2008</strong> <a href="https://www.spiegel.de/kultur/gesellschaft/gekaufte-meinung-pentagon-beschaeftigt-pr-armee-fuer-us-tv-a-548519.html">Le Pentagone emploie une armée de RP pour la télévision américaine</a>. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
3 Commentaires
@guy.mettan 24.06.2022 | 09h14
«Excellente synthèse ! Le Sud Global me semble enfin sortir de sa léthargie et de ses dépendances financière, commerciale, agricole, intellectuelle et idéologique vis à vis de l’Occident Collectif, comme on appelle maintenant la coalition des pays dans le sud.
L’IED nous manque !»
@hum 24.06.2022 | 16h46
«Monsieur Maurer devrait se demander pourquoi les 2/3 de l'humanité n'ont pas les mêmes idées que lui, au lieu de leur dire qu'ils se trompent. Il ferait bien de lire des articles d'Européens et d'Américains (par exemple Kissinger) ne partageant pas son opinion.
L'UE et la Suisse risquent bien de rejoindre économiquement le tiers monde grâce à leurs réactions émotionelles, compréhensibles pour des citoyens mais pas pour des politiciens.»
@asterix 26.06.2022 | 12h00
«Enfin une synthèse éclairante et divergeant de celles abondamment répandues. Merci Monsieur Maurer»