Actuel / La tragédie vite oubliée du Kazakhstan et ses troublantes questions
Novembre 2021, Kassim-Jomart Tokaiev est en visite officielle à Genève et rencontre Guy Parmelin. © Akorda
A Genève, fin novembre 2021, la délégation kazakh rencontre des représentants des grandes entreprises suisses pour une conférence économique. © Akorda
Février 2020, le président du CICR Peter Maurer reçoit du président kazakh la médaille de l'Ordre de l'amitié pour sa contribution à la coopération entre le pays et le Comité. © DR
Il y a des tueries que l’on rappelle sans cesse, des décennies durant, et d’autres que l’on éclipse quelques jours après. Telle celle qui a ensanglanté cette république d’Asie centrale, grande comme cinq fois la France, 19 millions d’habitants… et de considérables richesses dans son sous-sol. Les émeutes qui y ont éclaté dès le 2 janvier ont fait 225 morts, dont 19 policiers. Les forces de l’ordre avaient obtenu le droit de tirer sur les manifestants sans avertissement. Or l’opinion internationale ne s’émeut pas. Les gouvernements démocratiques réagissent avec des gants, soutiennent la dictature en place et tournent la page. Pourquoi?
Rappel. Ce pays, autrefois partie de l’URSS, a vécu sous la férule du président Noursoultan Nazarbaiev de 1990 à 2019. Auquel a succédé un de ses proches, Kassim-Jomart Tokaiev. Personnalité d’envergure qui fut directeur général de l’ONU à Genève de 2011 à 2013. Celui-ci a remplacé le nom de la capitale, Astana, en Noursoultan, hommage à son prédécesseur, resté «Père de la nation». Mais entre eux, cela s’est gâté. Les mouvances proches du sortant acceptant mal l’émergence des rivaux. L’économie a connu des revers. Le prix des carburants s’est envolé. Ce qui a déclenché une vaste colère populaire début janvier. Nourrie aussi par la pauvreté, le manque d’équipements, les formidables écarts de richesses, la corruption. Révolte téléguidée par l’Occident ou rejointe par des islamistes venus de l’étranger? Les connaisseurs soupçonnent plutôt certaines mouvances liées au vieux dictateur d’avoir soufflé sur les braises et même armé des forts-à-bras. La violence extrême des émeutes a surpris. Des bâtiments publics ont été incendiés. Des statues de l’ancien patron abattues. Et le nouveau également insulté. Des policiers furent attaqués à mort: deux d’entre eux ont été retrouvés décapités. La Russie, fort inquiète, a envoyé 3'000 hommes à la rescousse du pouvoir mais les a retirés peu après. Dans la foulée, la police et l’armée se sont lancées dans une répression à grande échelle. Des milliers d’arrestations. Non seulement des manifestants mais aussi des personne soupçonnées de sympathiser avec eux. Des actes de torture sont signalés lors des interrogatoires. D’innombrables familles sont à la recherche de proches disparus.
Une telle opération, si elle s’était produite en Russie ou en Chine, provoquerait une indignation énorme en Occident. Et là, rien. Sinon des marques de soutien au gouvernement! Jusqu’au président du Conseil européen, Charles Michel. Et la Suisse? La secrétaire d’Etat au DFAE, Livia Leu, a téléphoné à ses homologues du Kazakhstan pour leur adresser non pas l’expression d’une inquiétude à propos des droits humains mais des condoléances à la suite des émeutes meurtrières. Le contenu de la conversation figure sur le site officiel de la présidence kazakhe, toute heureuse de cette manifestation de solidarité. Dans les rues de la capitale, des images géantes rendent hommage aux policiers tombés, mais pas un mot sur les 200 victimes civiles.
Dans le cas d’un tel affrontement guerrier, avec un nombre extraordinaire de prisonniers politiques, on pourrait imaginer le CICR dans tous ses états, seule organisation internationale vouée à la protection des victimes de la violence. Mais il fait preuve d’une grande retenue. Son Senior Public Relations Officer s’explique ainsi: «Le CICR possède un bureau à Noursoultan et nos équipes à Tashkent, en Ouzbékistan et Bishkek, au Kirghizistan, sont en contact étroit avec nos partenaires de la Société du Croissant-Rouge du Kazakhstan afin d’évaluer les besoins, notamment en termes de soutien aux personnes qui sont à la recherche d’un proche. Le CICR n’a pas accès aux personnes détenues mais fournit un soutien technique et logistique à la Société du Croissant-Rouge du Kazakhstan à travers la mise à disposition de kits contenant le matériel nécessaire pour traiter des blessés.» Mais suffit-il de s’appuyer sur une organisation nationale forcément proche du pouvoir?
Aucune délégation spéciale ne s’est donc rendue sur place. Pourtant, le CICR a d’excellents contacts avec le pouvoir actuel. Son président, Peter Maurer a même reçu des mains du président Tokaiev une médaille honorifique pour marquer de leur bonne coopération. Les deux hommes se sont revus récemment, le 30 novembre dernier à Genève, en marge d’une rencontre entre Kassim-Jomart Tokaiev et le président de la Confédération Guy Parmelin. Moment solennel, rue des Granges, devant la Fondation Tatiana Zoubov, avec tapis rouge et garde des Vieux-Grenadiers en tenue d’apparat. La photo, ignorée en Suisse, figure en bonne place sur le site officiel de l'ambassade du Kazakhstan.
A cette occasion s’est tenue aussi une réunion économique à haut niveau entre le Kazakhstan et plusieurs entreprises suisses: Glencore, Sika, Swiss Grow, Stadler, ABB, Roche, Philipp Morris et d’autres. Pas moins de 200 sociétés helvétiques sont actives dans cet eldorado asiatique. A ces chiffres tout s’éclaire. Les deux pays font entre eux de grosses affaires. 26 milliards de francs investis à partir de la Suisse en 15 ans. Et en retour, 775 millions en provenance du Kazakhstan. Son économie, toujours plus internationalisée, s’est développée de façon spectaculaire ces dernières années. Avec de vastes programmes de renforcement des infrastructures. Grâce à la manne du pétrole, du gaz et des métaux précieux. D’où l’intérêt des Occidentaux pour ce pays.
On comprend dès lors qu’il s’agit de ne pas froisser un tel partenaire. Le gouvernement suisse, comme les entreprises engagées là-bas, comme le CICR lui-même, de plus en plus tourné vers les partenariats privés, sont sans doute soulagés que cette terrible crise politique et humanitaire ne mobilise guère l’opinion publique. Tous misent sur la continuité du pouvoir actuel.
Et demain? Si la rivalité, déjà extrême, entre les clans Tokaiev et Nazarbaiev s’accentue encore, on peut s’attendre à ce que le gouvernement en place parte en chasse des milliards planqués à l’étranger par ses rivaux. Du côté de Genève ? La fille du vieux potentat et son mari, Dinara et Timur Kulibayev, dont la fortune serait de trois milliards de dollars, possèdent une villa de luxe à Anières et un château à Collonge-Bellerive. Plusieurs notables de ce bord, nantis de puissantes fonctions, viennent d’être déboulonnés à Astana. Pardon… à Noursoultan.
Il serait piquant qu’une demande d’entraide soit adressée à la Suisse si chère aux oligarques de tous bords. Il deviendrait alors difficile de ne déplaire à personne.
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Syndicats et autorités politiques ont pourtant tout fait pour sauver l’entreprise historique, aux mains d’une multinationale qui compare avantages et inconvénients de chaque lieu de production. Ici, hauts salaires, franc fort et dans ce cas, retard technologique. Donc, départ. Chapeau aux travailleurs qui cherchaient des solutions, des innovations. Les voilà licenciés. Les messages de solidarité font du bien mais n’assurent pas leur avenir. Qu’ils puissent être aidés à rebondir.</span></p> <p><span>Est-ce à dire que notre pays est menacé de désindustrialisation comme il en est beaucoup question chez nos voisins? Gare aux réponses trop simples. Les faits. Face au secteur des services comptant les banques et les assurances, le tourisme, le commerce de gros et de détail, l'administration publique et les assurances sociales, qui pèse pour 75% du PIB, l’industrie résiste, avec environ 24% (contre moins de 14% en France!). L’agriculture pour 1 %. </span></p> <p><span>La grosse tranche du gâteau industriel, c’est évidemment les médicaments et les montres. Mais on aurait tort d’ignorer tout un tissu de plus petites entreprises qui fabriquent toutes sortes de produits technologiques performants. En dépit de tous les handicaps de la place. Sait-on par exemple que du Valais partent des pièces destinées à Mercedes, Jaguar, ou Ferrari? Se doute-t-on qu’une lame de scie sauteuse sur deux dans le monde est fabriquée à Sankt Niklaus (Saint-Nicolas), quelques kilomètres en aval de Zermatt. Ou qu’Airbus et Dassault se fournissent en tôles aéronautiques d’aluminium dans la région de Sierre?</span></p> <p><span>Ce canton est en pointe. En 2023, il était en tête des investissements industriels. <em>L’Agefi</em> fournit une explication: «C’est dans le Haut Valais que le boom économique est le plus visible. Le groupe pharmaceutique Lonza, dont le siège est à Bâle mais le site de production à Viège, y a investi plus d’un milliard de francs. Un nouveau complexe de production high-tech fournit des solutions adaptées pour le développement et la fabrication de nouveaux médicaments. Ce site et ses possibilités inédites dans la pharma ancrent Viège et le Valais au cœur des chaînes mondiales de création de valeur. Les investissements dans la recherche et la formation ont joué un rôle majeur pour le développement économique du canton. A la génération précédente, c’est la HES, la Haute école spécialisée, qui a formé des ingénieurs précieux pour alimenter une industrie en plein essor. Petit à petit tout un écosystème propice à l’émergence d’idées innovantes s’est installé en Valais. La Fondation The Ark favorise l’établissement et l’éclosion de start-ups dans les domaines de l’informatique, de l’énergie, des sciences de la vie et de l’environnement. 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Ou leur politique dite verte conduira-t-elle à la décroissance? La concentration des efforts sur la course aux armements et l’aide à l’Ukraine, telle qu’elle est brandie aujourd’hui, peut aider certains secteurs industriels mais coûtera extrêmement cher. On articule à Bruxelles le chiffre de 100 milliards à cette fin d’ici 2029. Ce sera forcément au détriment d’autres attentes, dans les infrastructures, l’éducation, la recherche, la cohésion sociale. Sans compter que la transition écologique, nous assure-t-on, nécessitera en plus une pluie de milliards. Quelles priorités fixera le nouveau Parlement? Selon les choix, les retombées sur l’économie suisse seront différentes. Le surarmement de l’Europe ne nous rapporte quasiment rien, sa santé économique et sociale nous est bien plus bien profitable.</span></p> <p><span>Deuxième point. Le fonctionnement même de l’Union. Deux tendances s’affrontent. Les convaincus du projet savent qu’ils ne peuvent pas en faire un Etat fédéral, mais ils souhaitent renforcer les compétences du Conseil européen (réunion des chefs d’Etat), notamment en supprimant le droit de veto des nations, de la Commission, avec des tâches nouvelles, et celles, souhaitables, du Parlement. Ce surcroît d’autorité se justifierait à bien des égards pour unir les forces, renforcer l’élan collectif. Mais bien peu de dirigeants nationaux le préconisent. Parce qu’il va à l’encontre d’une tendance lourde, le regain du nationalisme. Plus de pouvoirs aux Etats, limiter ceux de l’Union. En finir avec les figures mégalomanes du style Van der Leyen à la tête. En réalité, déglinguer la machine de l’intérieur. On entend ces accents sur un large spectre. A droite, à droite de la droite et à gauche aussi, qui rêve de l’Europe sociale, parfois même de la fin du capitalisme. Le succès est promis par les sondages au parti de Marine Le Pen en France, à l’AfD en Allemagne, aux patriotes version Meloni en Italie, et à des formations plus ou moins du même tabac ailleurs. Ces partis n’obtiendront pas la majorité qui permettrait de tout chambouler mais ils pèsent sur les autres familles politiques. Un partenaire comme la Suisse pourrait se réjouir de traiter avec une autorité «bruxelloise» affaiblie plutôt que renforcée. Pas sûr. Les nationalistes qui tous jouent néanmoins le jeu communautaire – ils ne veulent sortir ni de l’Union ni de l’euro – ne seront guère partageux avec les pays-tiers qu’ils désignent parfois comme des profiteurs et des opportunistes. Il s’agira pour tous, passagers ou pas du grand bateau de l’Union, d’analyser en finesse son cap à venir. Pas facile puisqu’il dépendra d’un collectif de 27 capitaines!</span></p> <p><span>Troisième point. Le périmètre de l’Union. Vers quels élargissements va-t-elle? 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
4 Commentaires
@Apitoyou 21.01.2022 | 09h13
«Merci de cette synthèse éclairée. C’est ce que l’on attend du journalisme. Avec un peu d’ironie pour un commentaire sur le pouvoir confédéral et à propos d’un récent film, je dirais: Don’t look down.»
@Frank 25.01.2022 | 16h02
«Bon article mettant en évidence les compromissions de nos pays européens vis à vis de nombreuses dictatures.
Vous dites que l'on s'offusque des problèmes en Chine... il y va de millions de personnes et difficile de les passer sous silence devant les quelques 225 civiles au Kazakhstan même si un homme mort est un homme mort de trop. Je rappelle le Tibet annexé "à la pointes des baïonnettes" et que nos dirigeants font mines de ne plus voir par souci de real politique liée aux besoins des échanger commerciaux! Triste monde et tristes dirigeants du monde civilisé...»
@willoft 26.01.2022 | 22h47
«Cher Monsieur Pilet et comme je l'ai déjà dit à maintes reprises sur le site Swissinfo.ch, que je ne consulte même plus (de vrais bureaucrates, ceux-là), je reçois ce jour, le bulletin de vote.
Alors bien sûr que le délai postal ne sert à rien et qu'il est déjà à la poubelle!
Vive la démocratie suisse (pour les thons.nes) et pour les blaireaux :)»
@willoft 26.01.2022 | 22h55
«Enfin et veuillez bien m'en excuser, car j'en ai oublié l'essentiel de mon message, la rage :9
Oui, lisant la brochure de vote qui s'améliore un peu (graphiques et bla), comment tolérer que la Chancellerie tolère en quatrième de couverture (la dernière page) les recommandations politiques.
Cette brochure n'est-elle pas sensée donner les avis des uns et des autres?
P.S. Bon, vous me direz, c'est du lobbyisme :)))))»