Culture / L’hypertexte de Muños Molina tient de l’auberge espagnole
Vincent van Gogh, Les Arènes d'Arles, 1888. © Musée de l'Ermitage, St.-Petersbourg
Aspirant à composer «le grand poème du siècle», le romancier espagnol devient Un promeneur solitaire dans la foule, dont les errances fécondes recoupent celles de Frédéric Pajak et de Paul Nizon ou de Roland Jaccard, entre autres contemporains, avec des révérences aux grandes ombres d’Edgar Allan Poe et de Charles Baudelaire, du Juif errant Walter Benjamin ou d’Emily Dickinson l’ange puritain, et l’incitation générale à «écrire» ce livre en le lisant.
Chacune et chacun se rappelle, probablement, le moment plus ou moins vertigineux où, en tant qu’individu, elle ou il aura découvert tout à coup son unicité fondamentale par rapport à la multitude.
Pour ma part cela m’est apparu la nuit, entre seize et vingt ans, dans le quartier de notre enfance où trois tours de seize étages venaient d’être construites au-dessus des bois dans lesquels nous avions joué, trois piliers monumentaux dont les centaines de petits écrans allumés constituaient autant de fenêtres donnant sur ces multiples vies empilées aux silhouettes et aux actes plus ou moins identifiables par le petit voyeur que j’étais là. Plus tard, l’idée d’un roman virtuel m’est venue à partir de cette mosaïque visuelle surgie des ténèbres, dont les personnages seraient évoqués à l’enseigne de ce simultanéisme mondialisé que nous connaissons aujourd’hui, où nous sommes informés de tout ce qui se passe en temps réel. Mais avant le composition de ce roman, un autre choc, de nature culturelle plus encore que personnelle, m’aura fait éprouver le sentiment-sensation d’être seul dans la masse humaine, un matin à Tokyo, dans le métro de la première heure, au milieu de centaines de Japonais à mallettes se rendant à leurs bureaux d’employés japonais à calculettes.
Or c’est le même type d’expérience que me semble évoquer le dernier livre traduit en français du romancier espagnol Antonio Muños Molina (déjà primé par le Médicis étranger de 2020 et reparu ces jours en livre de poche), intitulé Un promeneur solitaire dans le foule et constituant une sorte d’inventaire socio-poétique de notre «profond aujourd’hui», selon l’expression de Blaise Cendrars.
Profitez de l'Eté protégé par la Police
Au même instant, ce mercredi soir d’été radieux à une terrasse de la Dolce Riviera (Suisse du sud-ouest) où j’avais amorcé la lecture de ce pavé de 500 pages acquis la veille, je repensais malgré moi au pauvre type en uniforme de la police locale qui, deux jours plus tôt, sur un quai de la gare de Morges, avait paniqué au point de massacrer, de trois balles, un autre pauvre mec dont le comportement bizarre (on dira qu’il, avait l’air de prier, et tout de suite on aura pensé «terroriste», puis on dira qu’il titubait entre les voies du train et le quai, on aura appelé la police, laquelle aura fait illico les «sommations d’usage» sans résultat probant), et je lisais, en gras et avec de solennelles majuscules, Tout ce qu’Il te Faut pour profiter de l’Été à l’amorce d’une séquence affirmant que «c’était l’été des robes courtes et légères comme des tuniques», j’avais siroté un premier Aperol en dépit de l’interdiction qui m’est faite ces temps de consommer de l’alcool pour cause de «souffle au cœur», je pensais au flic arrêté et aussitôt justifié à la radio par sa hiérarchie paniquant à son tour, je pensais à l’agonie du mec menotté dont le faciès de métis (comme on l’apprendra plus tard) avait sans doute inquiété les jeunes policiers affolés, je lisais dans mon livre «L’Espagne était le septième pays du monde à jeter le plus de nourriture à la poubelle», je pensais à ma bonne amie en guerre contre le cancer depuis avril et à laquelle sa troisième chimio avait fait perdre le goût des aliments, c’était une «soirée de rêve» devant le plus grand lac d’Europe et le plus beau du monde à nos yeux, et je lisais «Ne rate pas l’occasion que tu attendais. Laisse-toi séduire par nos promotions avant la fin de l’été», puis je lisais «Cet été, fais les meilleures photos avec ta perche à selfie», je revoyais les cheveux sales du premier suicidé que j’avais vu cinquante ans plus tôt au pied du pont Bessières en pleine ville de Lausanne, je revoyais le corps d’ivoire du désespéré repêché dans la Seine une nuit de printemps d’une autre année, à ma lecture du livre de Muños Molina s’ajoutait celle de ma propre vie et je me disais que chaque lectrice et chaque lecteur d’Un promeneur solitaire dans la foule, au fil des pages, pourrait composer son propre «roman» à sa guise, que ce soit en observant «cela simplement qui est» au présent, selon l’expression d’un autre nomade solitaire du nom de Charles-Albert Cingria, ou en scrutant le passé et ses innombrables «romans» dont l’un pourrait être signé Robert Walser et l’autre Marina Tsvetaeva, autres «personnes déplacées» à leur façon…
Fou de littérature, et comptant lui-même au nombre des auteurs majeurs de la littérature espagnole actuelle, Antonio Muños Molina en même temps qu’il arpente «à l’horizontale» les rues de la ville-monde avec ses carnets et son smartphone, replonge en verticale diachronique à la rencontre des solitaires de naguère ou jadis, à commencer par Thomas de Quincey et Edgar Allan Poe les veilleurs ténébreux aux lisières du rêve et de la folie, dont la déesse secrète, comme celle de Baudelaire ou d’Emily Dickinson, avait pour nom Poésie. Dans leurs foulées, Walter Benjamin le Juif allemand et Fernando Pessoa le Lisboète aux multiples hétéronymes feront converger les démarches de l’Andalou Antonio Muños Molina et du Franco-suisse Frédéric Pajak, qui se retrouvent également dans le labyrinthe de Joyce, auteur d’un «roman total» comme voudrait l’être Un promeneur solitaire dans la foule, etc.
Une poésie en phase avec la ville-monde
«J’appelle poésie l’ivresse et la plus grande concentration expressive de tout art», écrit Muños Molina, «toute présence ou image mémorable du monde réel. Ce dont elle se rapproche est l’emportement suprême de l’amour qui ne ferme pas les yeux. Il fait un bon vertigineux pour voyager dans l’inconnu. Il disparaît sans laisser de traces».
Quand ensuite il parle de sa façon d’écrire sans cesse et partout sur ses carnets volants, il précise: «Quand j’écris au crayon je suis plus proche du silence que je recherche», et l’on comprend que ce silence contient le bruit du temps et toutes les voix, et cette pratique du «crayonné» lui fait dire que l’une des choses qu’il envie le plus est l’art du dessin, ce qui nous renvoie aux livres de Pajak combinant, de façon puissamment originale, le texte et le dessin en contrepoint.
Frédéric Pajak incarne à sa façon le promeneur seul dans la foule, comme le poète Pavese qu’il a rencontré une nuit dans le dédale de Turin, ou le Bernois Paul Nizon exilé à Paris avec son imper et son chapeau d’écrivain à dégaine de détective «en marche vers l’écriture», en compagnie duquel, à l’instigation du Portugais d’origine (on n’en sort pas…) Amaury da Cunha, il dialogue à propos de tout ce qui l’intéresse autant que nous et vous, à savoir: son père mort jeune et le tien, les rêves de Nizon et les vôtre, la vie bonne ou vache, la littérature merveilleuse ou ses simulacres médiocres, Van Gogh et Dürrenmatt, la façon d’écrire de l’un ou pour l’autre de dessiner à la plume, et ce qui pourrait n’être qu’une conversation d’initiés s’ouvre à tous grâce au vin (rires) et au rire (encore un verre), et tout à coup l’homme seul devient une foule et ça bourdonne comme un essaim d’abeilles au fond du jardin ou de la rue Campagne-Première où finit A bout de souffle de Godard, etc.
A un moment donné, Nizon se compare à Shakespeare. Il pense, le fringant nonagénaire, que son écriture est unique, et il a raison. C’est Virginia Woolf qui disait que la véritable aristocratie consiste à se savoir unique, motif de ne jalouser personne. Avec le même aplomb tranquille, Flannery O’Connor disait aimer ses livres comme ses enfants, ce qui n’empêche pas d’aimer les enfants des autres et d’admirer tel peintre ou tel écrivain sans l’envier, la réalité de se transformer en fiction et le plomb des jours en or du temps.
Que la fiction est une réalité qui circule...
Dans l’ensemble de textes brefs constituant son dernier opuscule paru, intitulé On ne se remet jamais d’une enfance heureuse, Roland Jaccard raconte sa dernière conversation avec Sigmund Freud (1856-1939), qui lui annonce le déclin et la capilotade finale de la psychanalyse, vaincue (notamment en France) par les querelles de chapelles, et c’est sur le même ton enjoué et naturel qu’il évoque sa visite à Paul Nizon, lequel partage avec lui le goût des journaux personnels où chacun invente sa vie de la façon la moins «objective» qui soit, et l’on n’est pas étonné de relever au passage qu’un Elias Canetti est l’un des auteurs préférés de Nizon, qui figure lui aussi un promeneur solitaire dans la foule, dont les écrits ont traité de la «masse» avec pénétration, entre réalité et fictions de la pensée.
Le dernier «roman» d’Antonio Muños Molina ne raconte pas une histoire: il en amorce mille, parfois très intimes (de belles évocations sensuelles et sensibles à la fois) sans qu’on sache si l’auteur est lui-même impliqué, souvent mêlées à l’actualité ou prenant la tangente comme cette mariée qui fuit et s’envole en hélico en pleine cérémonie, etc.
A préciser enfin et pour la route: que ce «poème du siècle», virtuel et plus-que-réel en son hypertexte, est à la fois accessible à tout un chacun et nécessite cependant un certain effort de lecture créatif, en conformité parfaite avec ce que tout écrivain se prenant pour Shakespeare (!) est en droit d’attendre de sa lectrice et de son lecteur…
«Un promeneur solitaire dans la foule», Antonio Muños Molina, traduit de l’espagnol par Isabelle Gugnon, Editions du Seuil, 520 pages.
«Pourquoi tu me regardes comme ça? Conversation entre Paul Nizon et Frédéric Pajak», Amaury da Cunha, Editions Noir sur Blanc, 101 pages.
«On ne se remet jamais d’une enfance heureuse», Roland Jaccard, Editions de l’Aire (Le Banquet), 175 pages.
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Plus tard, l’idée d’un roman virtuel m’est venue à partir de cette mosaïque visuelle surgie des ténèbres, dont les personnages seraient évoqués à l’enseigne de ce simultanéisme mondialisé que nous connaissons aujourd’hui, où nous sommes informés de tout ce qui se passe en temps réel. 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Laisse-toi séduire par nos promotions avant la fin de l’été», puis je lisais «Cet été, fais les meilleures photos avec ta perche à selfie», je revoyais les cheveux sales du premier suicidé que j’avais vu cinquante ans plus tôt au pied du pont Bessières en pleine ville de Lausanne, je revoyais le corps d’ivoire du désespéré repêché dans la Seine une nuit de printemps d’une autre année, à ma lecture du livre de Muños Molina s’ajoutait celle de ma propre vie et je me disais que chaque lectrice et chaque lecteur <i>d’Un promeneur solitaire dans la foule, </i>au fil des pages, pourrait composer son propre «roman» à sa guise, que ce soit en observant «cela simplement qui est» au présent, selon l’expression d’un autre nomade solitaire du nom de Charles-Albert Cingria, ou en scrutant le passé et ses innombrables «romans» dont l’un pourrait être signé Robert Walser et l’autre Marina Tsvetaeva, autres «personnes déplacées» à leur façon…</p> <p>Fou de littérature, et comptant lui-même au nombre des auteurs majeurs de la littérature espagnole actuelle, Antonio Muños Molina en même temps qu’il arpente «à l’horizontale» les rues de la ville-monde avec ses carnets et son smartphone, replonge en verticale diachronique à la rencontre des solitaires de naguère ou jadis, à commencer par Thomas de Quincey et Edgar Allan Poe les veilleurs ténébreux aux lisières du rêve et de la folie, dont la déesse secrète, comme celle de Baudelaire ou d’Emily Dickinson, avait pour nom Poésie. Dans leurs foulées, Walter Benjamin le Juif allemand et Fernando Pessoa le Lisboète aux multiples hétéronymes feront converger les démarches de l’Andalou Antonio Muños Molina et du Franco-suisse Frédéric Pajak, qui se retrouvent également dans le labyrinthe de Joyce, auteur d’un «roman total» comme voudrait l’être <i>Un promeneur solitaire dans la foule,</i> etc.</p> <h3>Une poésie en phase avec la ville-monde</h3> <p>«J’appelle poésie l’ivresse et la plus grande concentration expressive de tout art», écrit Muños Molina, «toute présence ou image mémorable du monde réel. Ce dont elle se rapproche est l’emportement suprême de l’amour qui ne ferme pas les yeux. Il fait un bon vertigineux pour voyager dans l’inconnu. Il disparaît sans laisser de traces».</p> <p>Quand ensuite il parle de sa façon d’écrire sans cesse et partout sur ses carnets volants, il précise: «Quand j’écris au crayon je suis plus proche du silence que je recherche», et l’on comprend que ce silence contient le bruit du temps et toutes les voix, et cette pratique du «crayonné» lui fait dire que l’une des choses qu’il envie le plus est l’art du dessin, ce qui nous renvoie aux livres de Pajak combinant, de façon puissamment originale, le texte et le dessin en contrepoint. </p> <p>Frédéric Pajak incarne à sa façon le promeneur seul dans la foule, comme le poète Pavese qu’il a rencontré une nuit dans le dédale de Turin, ou le Bernois Paul Nizon exilé à Paris avec son imper et son chapeau d’écrivain à dégaine de détective «en marche vers l’écriture», en compagnie duquel, à l’instigation du Portugais d’origine (on n’en sort pas…) Amaury da Cunha, il dialogue à propos de tout ce qui l’intéresse autant que nous et vous, à savoir: son père mort jeune et le tien, les rêves de Nizon et les vôtre, la vie bonne ou vache, la littérature merveilleuse ou ses simulacres médiocres, Van Gogh et Dürrenmatt, la façon d’écrire de l’un ou pour l’autre de dessiner à la plume, et ce qui pourrait n’être qu’une conversation d’initiés s’ouvre à tous grâce au vin (rires) et au rire (encore un verre), et tout à coup l’homme seul devient une foule et ça bourdonne comme un essaim d’abeilles au fond du jardin ou de la rue Campagne-Première où finit <em>A</em><i> bout de souffle</i> de Godard, etc. </p> <p>A un moment donné, Nizon se compare à Shakespeare. Il pense, le fringant nonagénaire, que son écriture est unique, et il a raison. C’est Virginia Woolf qui disait que la véritable aristocratie consiste à se savoir unique, motif de ne jalouser personne. Avec le même aplomb tranquille, Flannery O’Connor disait aimer ses livres comme ses enfants, ce qui n’empêche pas d’aimer les enfants des autres et d’admirer tel peintre ou tel écrivain sans l’envier, la réalité de se transformer en fiction et le plomb des jours en or du temps.</p> <h3>Que la fiction est une réalité qui circule...</h3> <p>Dans l’ensemble de textes brefs constituant son dernier opuscule paru, intitulé <em>On ne se remet jamais d’une enfance heureuse</em>, Roland Jaccard raconte sa dernière conversation avec Sigmund Freud (1856-1939), qui lui annonce le déclin et la capilotade finale de la psychanalyse, vaincue (notamment en France) par les querelles de chapelles, et c’est sur le même ton enjoué et naturel qu’il évoque sa visite à Paul Nizon, lequel partage avec lui le goût des journaux personnels où chacun invente sa vie de la façon la moins «objective» qui soit, et l’on n’est pas étonné de relever au passage qu’un Elias Canetti est l’un des auteurs préférés de Nizon, qui figure lui aussi un promeneur solitaire dans la foule, dont les écrits ont traité de la «masse» avec pénétration, entre réalité et fictions de la pensée.</p> <p>Le dernier «roman» d’Antonio Muños Molina ne raconte pas une histoire: il en amorce mille, parfois très intimes (de belles évocations sensuelles et sensibles à la fois) sans qu’on sache si l’auteur est lui-même impliqué, souvent mêlées à l’actualité ou prenant la tangente comme cette mariée qui fuit et s’envole en hélico en pleine cérémonie, etc.</p> <p>A préciser enfin et pour la route: que ce «poème du siècle», virtuel et plus-que-réel en son hypertexte, est à la fois accessible à tout un chacun et nécessite cependant un certain effort de lecture créatif, en conformité parfaite avec ce que tout écrivain se prenant pour Shakespeare (!) est en droit d’attendre de sa lectrice et de son lecteur…</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1631726484_images5.jpeg" class="img-responsive img-fluid left " width="203" height="308" /></p> <h4>«Un promeneur solitaire dans la foule», Antonio Muños Molina, traduit de l’espagnol par Isabelle Gugnon, Editions du Seuil, 520 pages. </h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1631726607_9782882507105.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="206" height="302" /></p> <h4>«Pourquoi tu me regardes comme ça? Conversation entre Paul Nizon et Frédéric Pajak», Amaury da Cunha, Editions Noir sur Blanc, 101 pages.</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1631726526_unknown.png" class="img-responsive img-fluid left " width="218" height="332" /></p> <h4>«On ne se remet jamais d’une enfance heureuse», Roland Jaccard, Editions de l’Aire (Le Banquet), 175 pages.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'l-hypertexte-de-munos-molina-tient-de-l-auberge-espagnole', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 570, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 675, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Edition) {} ], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5282, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Lire «Vivre», de Boualem Sansal, participe de sa libération', 'subtitle' => 'L’arrestation du grand écrivain algérien, le 16 novembre dernier à Alger, relève à la fois de l’infamie et de la logique d’Etat, s’agissant d’un opposant déclaré plus virulent même qu’un Salman Rushdie. 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Est-il vrai qu’il aurait apprécié le fait de ne pas être maltraité? Est-il vrai qu’il aurait affirmé ces derniers temps qu’il en avait assez de vivre? Et que voit-il par la fenêtre, si tant est que les murs qui l'enferment soient pourvus de la moindre ouverture? 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Mais pas du tout : maintes fois, en effet, l’auteur du redoutable 2084 l’a répété: ce n’est pas à l’islam qu’il en veut, mais à l’islamisme et à l’instrumentalisation sociale et politique du «message» musulman, comparable à l’instrumentalisation faite par tous les fanatiques césaro-papistes des confessions diverses, etc.</p> <p>Freeman Dyson rend hommage à l’auteure de science-fiction Madeleine L'Engle, très prisée des enfants et des ados anglo-saxons (elle a écrit une trentaine de romans les visant en priorité) et qui accorde, en chrétienne atypique, plus d’importance aux scientifiques qu’aux théologiens, coupables, selon elle, de limiter la notion de Dieu alors que «les scientifiques, avec leurs questions, avec leur émerveillement face à la gloire de l’Univers», l’ont aidée dans sa quête de méditation et de contemplation, tant il est vrai que les spécialistes de biologie cellulaire ou d'astrophysique traitent de la nature de l'existence même au fil de questions d’ordre théologique: «quelle est la nature du temps? 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Boualem Sansal sera-t-il libre à Noël? C’est évidemment à espérer, même si cette fête d’«infidèles» tourne au marché de pacotille. Et les Terriens méritent-ils d’ailleurs d’être sauvés! Salut le mystère!</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1733404354_g08284.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="161" height="235" /></p> <p><strong>Boualem Sansal. <em>Vivre. Le compte à rebours</em>. </strong><strong>Gallimard, 2024, 233p. </strong></p> <p><strong><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1733404445_laviedanslunivers.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="156" height="248" /></strong></p> <p><strong>Freeman J. Dyson. </strong><strong><em>La vie dans l’univers. Réflexions d’un physicien. </em></strong><strong>Gallimard, Bibliothèques des sciences humaines, 2009. 255p.</strong></p> <hr /> <h2><strong>Entretien avec Boualem Sansal, en 2006 </strong></h2> <p><strong> </strong><strong>(paru dans le quotidien <em>24 heures </em>le 9 mai 2006)</strong></p> <p>Boualem Sansal est l’une des grandes voix de la littérature algérienne francophone, dont les romans ressaisissent la tragique et complexe réalité contemporaine avec une porosité et une faconde sans pareilles. Après <em>Le serment des barbares</em> (1999), <em>L’enfant fou de l’arbre creux</em> (2000) et <em>Dis-moi le paradis</em> (2003), son quatrième roman, Harraga, s’attache à deux destinées de femmes avec autant d’empathie que de lucidité révoltée. Au printemps 2006, cet auteur qui a «mal à l’Algérie» adressait une lettre ouverte à ses compatriotes intitulée <em>Poste restante: Alger,</em> d’un courage civique impressionnant. 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Après un début d’études classiques en latin-grec, j’ai cependant bifurqué sur une formation d’ingénieur, l’Algérie de l’indépendance ayant besoin de bâtisseurs et de techniciens plus que de «beaux parleurs», comme on disait alors. C’est pourquoi je me suis retrouvé, en 1992, au poste de Directeur de l’industrie, où m’avait appelé un condisciple devenu ministre.</p> <p><strong>Qu’avez-vous appris dans les allées du pouvoir?</strong></p> <p>Ce qui m’a le plus frappé, c’est la morgue, la corruption, les luttes entre clans et, d’une manière générale, le mépris de la population, ainsi qu’une formidable incompétence des apparatchiks du parti unique.</p> <p><strong>En avez-vous un exemple?</strong></p> <p>Le plus éloquent est ce rapport qu’un ministre m’a chargé d’établir, sur les relations entre l’endettement des pays du Sud méditerranéen et leur niveau de développement. Me fiant aux chiffres de la Banque mondiale et du FMI, j’ai constaté que les pays les plus endettés à régimes autoritaires, à commencer par l’Égypte, étaient aussi les plus déficients en matière de développement, alors qu’Israël, super-endetté, affichait un développement constant. Ce constat a mis le ministre en fureur, qui m’a prié de supprimer la mention d’Israël, ce que l’honnêteté m’interdisait. Je lui ai donc proposé ma démission immédiate, qui a été refusée en même temps qu’on enterrait le rapport. Par la suite, mes positions et mes livres m’ont valu d’être limogé.</p> <p><strong>Comment en êtes-vous venu au roman?</strong></p> <p>Cela s’est fait comme ça, pendant la terreur islamiste qui nous cloîtrait. Or que fait-on dans ces conditions ? On tourne en rond, on remâche les dernières horreurs du jour, on prend des notes sur ce qu’on observe, et tout à coup le « roman » est là, dicté par la vie. C’est ainsi qu’est né Le serment des barbares.</p> <p><strong>Décrire la réalité si fidèlement, comme l’a fait aussi votre ami Rachid Mimouni, ne représentait-il pas un risque?</strong></p> <p>Bien entendu, mais sortir dans la rue était déjà risqué. A propos de mon ami Rachid, la nuit suivant son enterrement en Algérie, des fanatiques ont exhumé son cadavre pour le livrer aux chiens. Ce n’est pas du roman : c’est la réalité, comme <em>Harraga </em>relève d’une réalité vécue.</p> <p><strong>Dans votre lettre ouverte aux Algériens, vous vous en prenez violemment à l’amnistie…</strong></p> <p>Pour aboutir à une vraie réconciliation, il fallait enquêter et rendre la justice. Je ne suis pas contre le pardon, au contraire, mais cette amnistie était une insulte aux victimes et un déni de justice.</p> <p><strong>Pensez-vous être entendu? 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Au premier rang des romanciers-poètes de la francophonie, la Jurassienne fait irradier «la lumière sous chaque mot».', 'subtitle_edition' => 'L’esprit d’enfance, où la fantaisie transfigure le quotidien, imprègne «L’enlèvement de Sarah Popp», merveille d’imagination poétique et de douce folie humoristique sublimant la platitude et les épreuves de la vie. Au premier rang des romanciers-poètes de la francophonie, la Jurassienne fait irradier «la lumière sous chaque mot».', 'content' => '<p>De quoi l’écrivain contemporain, pour être «crédible», doit-il parler aujourd’hui? Faut-il qu’il s’«engage», comme le recommandait Jean-Paul Sartre crépitant de son aigre voix comme une mitraillette, au mitan du siècle dernier, ou peut-il se contenter de «raconter des histoires» à la Harry Potter ou à la Marc Levy? Doit-il «témoigner», ou «l’art pour l’art» suffit-il à le justifier, ou le «fun» inspiré par la «cool attitude»? Et qu’en est-il de son rapport à la fiction? Celle-ci l’éloigne-t-elle du réel, ou lui permet-elle au contraire de se libérer du «nombrilisme» et de mieux accéder à l’«universel»?</p> <p>De telles questions auront peut-être «fait débat», cet hiver-là, tandis qu’il neigeait sur Vilnius, à tel festival de littérature auquel venait de participer Sarah Popp (quel nom, n’est-ce pas? pour une auteure, autrice, auteuse ou autorelle en langage d’inclusion), qui se réjouissait de revenir en Suisse pour y retrouver, à la veille de son cinquante-neuvième anniversaire, son compagnon Tobie, aussi à l’aise à son piano que devant les fourneaux, et leur fille Matild associée à une mini-troupe d’animateurs de robots-marionnettes au goût dernier cri de la nouvelle génération théâtrale.</p> <p>Alors quoi, un roman de plus sur les «problèmes du roman»? Mais quelle barbe! Et pourtant non: grâce à la neige et au gel, aux avions cloués au sol et donc à l’imprévu illico salué par Tobie («accepte ce qui arrivera» lui chante-t-il au téléphone quand elle lui expose son retard de deux ou trois jours), et Sarah de se réjouir de l’imprévisible occasion de vivre elle ne sait encore quoi alors que, de la fenêtre du bus qui la ramène de l’aéroport en ville, elle voit sans le voir un grand camion blanc dont la cabine figure une petite maisonnette, prélude à un conte à dormir debout. De fait, c’est de ce même camion que, quelques pages plus loin, va surgir le personnage le plus imprévu qui soit, au prénom d’Aimé et au nom d’Anders, messager comme tombé du ciel et kidnappant pour ainsi dire la romancière (qu’il connaît et suit depuis longtemps) pour l’enjoindre d’écrire enfin LA vérité, disons plus précisément ce qu’il voudrait lire sous sa plume de «témoin», d’écrivaine «engagée», question de rétablir la justice comme s’y employa longtemps sa maman juriste désormais plus que nonagénaire, rangée des prétoires et veuve d’un marchand de cornichons, qui a passé par la prison (crime d’avoir porté à l’époque un «enfant du péché») sans en être à vrai dire traumatisée (ah le «trauma» dont les médias actuels raffolent) au motif qu’elle y a découvert de l’imprévu, elle aussi…</p> <p>Des débats publics entre auteurs et autrices, peut-être assommants (comme souvent) ou au contraire passionnants (comme parfois), l’on passe alors, via la fiction, à une discussion incarnée, ancrée dans la réalité par mille détails concrets et savoureux, avec une Sarah jouant et déjouant à la fois le jeu de son kidnappeur. Ainsi se met-elle bel et bien à écrire des fragments de sa «vraie vie» sur la table de la maisonnette roulante, tandis que la romancière module sa propre vision des choses, où la poésie se joue allègrement des règles de la théorie, autant que des conventions morales.</p> <h3>Au dam du «poulailler paroissial»</h3> <p>Comment une romancière d’aujourd’hui doit-elle parler de la violence faite aux femmes, ou des humiliations subies au nom de la morale courante? Le kidnappeur de Sarah Popp, comme les gens «adultes et responsables», croit avoir la réponse, enjoignant la romancière de témoigner comme au commissariat ou au tribunal – aujourd’hui aux assises des médias friands d’accusations – «on veut des noms!» </p> <p>Or ce n’est pas minimiser les souffrances que de les confronter à la complexité de la vie, jamais réductibles aux seules sentences morales. Dans le roman de Rose-Marie Pagnard, en tout cas, la morale des bien-pensants, de telle tante bigote ou de tels voisins malveillants dans un village «gonflé de méchanceté», pèse lourdement sur les jugements portés sur telle jeune fille libre ou, d’une génération antérieure, sur telle «fille-mère» passible de la prison. Mais Sarah Popp n’est pas du genre, en tant que romancière, à se contenter d’une «dénonciation» univoque. Est-ce dire qu’elle fuit dans l’équivoque? Pas non plus. Il faudrait alors, par manière de réponse, détailler le roman et ses rebondissements, les multiples facettes de ses personnages, «raconter» le vieil Anders et le pourquoi de sa révolte remontant au calvaire social de sa mère, raconter celle-ci et sa propre façon de se libérer voire de se fiche de son passé, raconter l’amour fou de Sarah et de Tobie en butte au qu’en dira-t-on, raconter la sensualité persistante de Sarah la quasi sexa, raconter Sarah et sa fille, Sarah et l’angoisse, Sarah et les maux - Sarah et les mots, Sarah et la magie des objets, Sarah et la fantaisie de la fée-sorcière Rose-Marie.</p> <p>Rose-Marie Pagnard est poète autant sinon plus qu’elle est romancière, à savoir que chez elle les mots et les images passent avant les «scènes à faire», qui tissent une sorte de tapisserie «musicale» aux détails reproduisant à foison la joyeuse profusion de la réalité.</p> <h3>Féerie kaléidoscopique</h3> <p>Et c’est alors qu’il faudrait citer à qui mieux mieux, quitte à tirer «la ficelle folie». Citer le «sac de tristesse» de l’ancien voisin bûcheron, «vieux mais propre» et fleurant le savon, le bois et le citron. Citer le syndrome des jambes de Sarah dont les cauchemars l’empêchent de dormir car «chaque nuit est un piège», telle étant la part d’ombre de ce tourbillon lumineux de neige comme produite par une usine à farine. Citer les vitrines, les concerts, les biscuits de Noël qui peut être «poussent les pensées vers la mélancolie». Citer la «tête osseuse» à «noblesse de cheval» du faux ogre estimant qu’on est tous des «maltraités de la vie». Citer le «cœur explosif» du passé de Sarah entrevu par Tobie, lequel inspire celle-ci quand il rage. Citer le souvenir pénible du «poulailler paroissial» de la mesquine petite ville. Citer les deux enfants morts emportés par le père dans un carton à chaussures – «il faut beaucoup de calme et de propreté pour que ces faits révèlent leur beauté». Citer la beauté partout quand on a l’âme clame et propre à l’écart des «bandits en soutanes», ou citer par la fenêtre du bus les bonds de dauphins que suggèrent les ondulations d’un pipeline russe violet sur fond de neige, citer la forêt qui «se serre autour de l’histoire» avec «cette petite histoire humaine à l’intérieur», etc.</p> <p>Rose-Marie Pagnard a l’âge des seniors et la grâce des enfants, ou plutôt de l’enfance en tant qu’instance de l’imagination sans âge, et c’est à l’enfance grave des contes que la fugue dans la neige lituanienne de <i>L’enlèvement de Sarah Popp</i> fait penser, à l’enfance tissée d’émerveillements primesautiers et d’effrois secrets, à ce qui nous reste de bonne rage vivace après les déceptions et les larmes, à ce qui relance notre joie. </p> <p>Dans ce conte foisonnant qui ressemble si fort à la vie, peut-être même plus réel qu’elle, il y aurait, au conditionnel de l’enfance, un poney cinquantenaire aux yeux bleus, un drôle de type nommé Robert Louis Stevenson comme le conteur fameux mort aux îles Samoa d’un AVC après avoir fait rêver les jeunesses du monde à son île au trésor, un beau garçon surnommé Chasseur qui se fait draguer «grave» par Sarah, laquelle n’est plus à la fin qu’une poussière géante ou qu’une araignée en chocolat sous le balai de la mémoire passée et future, avec les mots de Rose-Marie Pagnard, fée et sorcière-sourcière emmêlée dans ses pinceaux et autres stylos dans sa féerie évoquant «une danse de Lapons endormis», lapins d’Alice et compagnie, sous les étoiles dont les noms (Chevelure de Bérénice ou Petit Lion) «valent le coup de vivre cent ans», enfin Sarah, agitant son kaléidoscope, se dit comme ça, «qu’il ne lui est pas nécessaire de tout comprendre, seulement de vivre et d’être amie de l’imagination».</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1732184054_zoelenlevementdesarahpoppcopie.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="298" /></p> <h4>«L’enlèvement de 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tour de verre investie par un congrès universitaire à l’enseigne de la Modern Language Association, l’Amérique que j’aimais pour avoir lu avec passion les romans de Thomas Wolfe et de William Faulkner ou de Philip Roth, les nouvelles fulgurantes de Flannery O’Connor et les poèmes de Walt Whitman, entre tant d’autres, m’avait immédiatement sidéré par la sottise vulgaire de sa télévision et la coupure évidente séparant ses divers milieux sociaux, classes et races.</p> <p>Ensuite, une première escale à La Nouvelle Orleans, où je découvris un haut lieu du jazz dont parle Kennedy, et la remontée de la côte Est jusqu’à Washington et New York, trimballé par les bus de la compagnie Greyhound où Noirs et Blancs se tenaient à méfiante distance, je passai par tous les stades de l’adhésion et de la répulsion que suscitait une évidente société à deux vitesses, illustrée à foison par le livre de Kennedy.</p> <p>En revanche, et je me rappelle alors quelques vives discussions dans l’entourage de Vladmir Volkoff, enseignant alors à Macon (Georgia) après la parution des <i>Humeurs de la mer</i>, peu de trace alors de l’agressivité opposant les tenants de telle ou telle position idéologique ou politique, alors que Kennedy affirme aujourd’hui que, désormais, «les discussions politiques aux Etats-Unis sont trop souvent réduites à deux individus s’affrontant de loin à grands cris haineux»… </p> <h3>Histoire d’une rupture</h3> <p>Le dépouillement des urnes de ces jours révèle, une fois de plus, la fracture profonde affectant les USA en 2024, dont l’histoire est retracée par Douglas Kennedy dès l’évocation de son enfance, marquée par un père violent, anticommuniste furieux, lui-même jamais guéri du traumatisme de la guerre (200'000 morts à Okinawa…) et partageant la frustration domestique de toute une génération, la mère de l’écrivain vivant de son côté l’humiliation des femmes. 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Ainsi Douglas Kennedy, compose-t-il un patchwork où la tendresse généreuse le dispute à la critique du «râleur-né» de l’East Village new yorkais. Deux autres auteurs «expatriés», à savoir Gore Vidal longtemps établi en Italie, et James Baldwin séjournant en France, sont en outre cités par Kennedy comme exemples de virulents critiques restés fondamentalement attachés à leur pays, comme il l’est lui-même, revenu aux States en 2011 après un long séjour en Irlande et de constants déplacements entre Paris et Berlin, notamment.</p> <h3>L’avenir à reculons</h3> <p>Alors que nous nous demandons ces jours où ira demain l’Amérique de Trump, l’on peut rappeler que le même Douglas Kennedy nous a proposé l’an dernier un détour par l’avenir, avec un roman d’anticipation grinçant intitulé <i>Et c’est ainsi que nous vivrons,</i> situé en 2045 où les etats désunis ont fait scission en deux entités, l’une représentant une théocratie où l’on brûle les hérétiques comme au bon vieux temps de l’Inquisition espagnole (ou calviniste), l’autre une République dont le progressisme coercitif passe par la surveillance de tous ses citoyens, comme chez Orwell, par un Big Brother évoquant la Corée du nord ou le paradis selon Elon Musk… </p> <p>Fort heureusement, les prédictions catastrophistes des écrivains sont souvent démenties par la complexe réalité humaine, et Douglas Kennedy, tout réaliste et pessimiste qu’il soit, n’en finit pas pour autant de parier pour les «surprises de l’Histoire». Si persuadé qu’il soit qu’une démocratie sociale et progressiste est le seul moyen pour son pays d’aller de l’avant, il poursuit aussi bien le dialogue avec tel ami voyant en Trump la mort de la démocratie américaine et l’éventualité d’un nouveau totalitarisme ploutocratique, autant qu’avec tel autre qui voit en Trump «un président incompris, critiqué à tort». </p> <p>Sans équivoque pour autant, son livre, comme un roman, est un miroir promené le long de la route américaine (une évocation de la Route 66 rappelle le mythe national, avec un éloge chaleureux quoique nuancé de Jack Kerouac le beatnik virant «réac» sur le tard ), dans un «ailleurs» de citoyen du monde qui pourrait être aussi le nôtre…</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1730993956_ailleurschezmoi.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="322" /></p> <h4>«Ailleurs, chez moi», Douglas Kennedy, traduit de l'anglais (USA) par Chloé Royer, Editions Belfond, 256 pages.</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1730994068_9782266341042ori.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="328" /></p> <h4>«Et c'est ainsi que nous vivrons», Douglas Kennedy, traduit de l'anglais (USA) par Chloé Royer, Editions Belfond/Pocket, 451 pages.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'douglas-kennedy-interroge-l-amerique-qui-le-divise', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 62, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 675, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5214, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Pavese, notre ami fragile, nous attend à l’«Hôtel Roma»', 'subtitle' => 'Merveille de sensibilité mimétique, de substance documentaire et de justesse d’expression dans son approche d’un grand écrivain retrouvé à l’été (1950) de son suicide, l’ouvrage de Pierre Adrian restitue à la fois les aspects contradictoires de la personne, complexe et combien âprement attachante, et le génie du poète, avec ses racines piémontaises et de constantes et pertinentes références à ses œuvres relues.', 'subtitle_edition' => 'Merveille de sensibilité mimétique et de justesse d’expression dans son approche d’un grand écrivain retrouvé à l’été (1950) de son suicide, l’ouvrage de Pierre Adrian restitue à la fois les aspects contradictoires de la personne et le génie du poète, avec ses racines piémontaises et de constantes références à ses œuvres.', 'content' => '<p>Il y a des gens, comme ça, à de certains moments particuliers, que vous éprouvez l’irrépressible besoin de prendre dans vos bras, et cette impulsion soudaine se trouve précisément exprimée par le jeune écrivain français Pierre Adrian, à la fin de son <i>Hôtel Roma,</i> dans ces lignes marquant la fin d’une intense recherche menée par lui sur les traces d’un des plus grands auteurs italiens du XXème siècle, en la personne de Cesare Pavese: «<em>Je m’attachais à l’homme à mesure que je l’accompagnais vers la mort. 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Et si vous pensez que le geste de prendre Pavese dans vos bras va vous en rapprocher en moite tendresse, déchantez car le mec est aussi distant, voire impossible avec ses semblables qu’avec les femmes, comme il le sous-entend dans ce fragment du <i>Métier de vivre</i> daté de ses vingt-sept ans: «Comme les grands amants, les grands poètes sont rares. Les velléités, les fureurs et les rêves ne suffisent pas; il faut ce qu’il y a de mieux: des couilles dures. Ce que l’on appelle également le regard olympien».</p> <p>Hélas le péremptoire jeune homme ne sera jamais un «grand amant», mais il pressent en lui le «grand poète» non sans raison, malgré le «vice absurde» qu’il nourrit déjà, et qu’il maudit en toute lucidité. Ainsi le note-t-il aussi en novembre 1937: «Le plus grand tort de celui qui se suicide est non de se tuer mais d’y penser et de ne pas le faire. Rien n’est plus abject que l’état de désintégration morale auquel amène l’idée – l’habitude de l’idée – du suicide. Responsabilité, conscience, force, tout flotte à la dérive sur cette mer morte, coule et revient futilement à la surface, jouet de n’importe quel courant.» </p> <h3>L'incommunicable en partage</h3> <p>Et d’autres couleurs au cinéma, comme dans les films de Michelangelo Antonioni que Pierre Adrian évoque à propos de la mort de Monica Vitti qui vous a tous fait craquer, jeunes gens, entre seize et vingt ans, quand vous découvriez le mot «incommunicabilité» très prisé des intellos une dizaine d’années après la mort de Pavese… </p> <p>Le terme est au cœur du paradoxe de la relation de Pavese avec les autres, qu’il appelle et rejette en même temps, auxquels il offre sa poésie et qu’il fuit comme malgré lui. </p> <p>Or ce mélange d’attirance et de répulsion, Pierre Adrian l’a éprouvé lui-même après avoir trouvé, en sa vingtaine, l’écrivain selon son cœur en la personne de Pier Paolo Pasolini, l’opposé à maints égards de Pavese, qu’il suivra du Frioul à Rome avant, la trentaine venue, de repérer un autre «compagnon lucide» possible avec Pavese qu’il va «retrouver», de Rome où il vit, à Turin, en compagnie d’une amie-amante qu’il appelle «la fille à la peau mate» à la façon du poète parlant de sa «fille à la voix rauque», passion malheureuse entre tant d’autres… </p> <h3>D'amitié et d'amour</h3> <p>Autre paradoxe alors: que le récit-enquête-pèlerinage consacré à un poète mal barré en amour, entrepris en complicité avec une jeune Parisienne de joyeuse compagnie, transforme ce qui pourrait n’être qu’un fastidieux «docu» littéraire en histoire d’amitié et d’amour, où l’incommunicabilité fameuse – l’un des murs sur lesquels Pavese bute souvent dans <i>Le Métier de vivre</i> – se déploie en vecteur de sympathies multiples, au fil des rencontres parfois très étonnantes qui ponctuent le parcours des deux «petits Français»…</p> <p>Cela commence à <i>La Dernière plage</i>, ce restau à salle de bal et terrasse estivale des hauts de Turin, anciennement <i>Taverna dell’orso,</i> où Pavese accoutumait de se rendre, à deux pas de la maison de sa mère, et dont le nouveau propriétaire farceur a conçu une anti-publicité typique de l’humour grinçant des Piémontais: «<em>Si mangia male, si paga tanto</em>», l’on mange mal et l’on paie cher…</p> <p>Premier lieu «à la Pavese», au seuil des Langhe, restau de province aux airs «défaits», avant une série d’escales significatives dans les collines, en Calabre où le poète a été exilé sept mois par les autorités fascistes, à Rome, ou encore à Bocca di Magra en face des falaises de marbre de Carrare où il foula sa véritable «dernière plage» en compagnie d’un improbable flirt…</p> <h3>Les œuvres, bagages accompagnés</h3> <p>Valeur ajoutée inestimable à ce périple: les constantes références de l’auteur aux livres de Pavese, citations à l’appui tirées de <i>La lune et les feux</i>, son dernier livre apparié à une «divine comédie», des <i>Dialogues avec Leuco</i>, sur l’exemplaire duquel figurent les derniers mots manuscrits du désespéré («Je pardonne à tous et à tous je demande pardon. Ca va? Pas trop de bavardages»), du <i>Bel été</i> (prix Strega en juin 1950, consécration à peine relevée par les médias sauf à Turin), <i>Entre femmes seules </i>aux si profondes intuitions psychologiques, <i>Le Métier de vivre</i> à de multiples reprises et la correspondance de l’écrivain d’où l’auteur tire la page saisissante, à valeur d’autoportrait, d’une lettre à Fernanda Pivano, le 25 octobre 1950, où figurent ces mots d’une si terrible lucidité: «Or P. qui sans doute est un solitaire parce qu’en grandissant il a compris qu’on ne peut rien faire qui vaille sinon loin du commerce du monde, est le martyr de ces contradictions. Il veut être seul – et il est seul –, mais il veut l’être au milieu d’un cercle qui le sache (…) P. appelle même tout cela besoin d’expression, de communication, de communion; sa privation, tragédie de la solitude, incommunicabilité des âmes, et ainsi de suite. Que pourra faire un tel homme devant l’amour?»</p> <p>Enfin Pierre Adrian a retrouvé à Rome, géant nonagénaire, le dernier compagnon vivant de Pavese au nom de Franco Ferrarotti, qui nous vaut les pages les plus émouvantes <i>d’Hôtel Roma</i>, avec l’évocation des funérailles de Pavese, dont le cercueil fut suivi par des centaines de personnes, le message bouleversant du jeune Italo Calvino, atterré par la mort de son ami, et une conclusion qui oriente l’ensemble de l’ouvrage dans le même sens que les derniers mots de Pavese, le 18 août 1950: «Un clou chasse l’autre. Mais quatre clous font une croix. Mon rôle public, je l’ai accompli – j’ai fait ce que je pouvais. J’ai travaillé, j’ai donné de la poésie aux hommes, j’ai partagé la peine de beaucoup».</p> <p>Et Pierre Adrian de conclure: «Ferrotti m’avait conforté dans la conviction qu’un écrivain peut être l’ami qui vous réconforte et vous aide à tenir. Pavese était devenu un compagnon de route. Je m’étais lié à lui. On ne demande pas à nos amis de nous ressembler. 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1 Commentaire
@Michel Rossinelli 23.09.2021 | 00h38
«Comment résister à une aussi belle invitation à la lecture ? En ne résistant pas ! Et Roland Jaccard qui a stoïquement choisi l'éternité, mais dont l'oeuvre enseigne un véritable art de vivre libre, sereinement mais sans illusion.»