Culture / «Téléréalité» d’Aurélien Bellanger, genre Balzac au petit pied…
Le plateau d'American Idol, quintessence du divertissement télévisé. © Josh Hallett
Tenant de la chronique (franco-française) d’époque et du roman (hyper)réaliste brouillant les pistes entre faits réels et fiction, ce nouvel ouvrage de l’auteur de La Théorie de l’information, du Grand Paris et du Continent de la douceur évoque l’irrésistible ascension dans le PAF et l’improbable chute sur le pif d’un battant de l’industrie du divertissement traversant en météore les avatars de la télé, entre pseudo-féerie et pitoyable retour au réel. Plein de bonnes idées et d’une écriture brillante quoique sans style vraiment affirmé, le roman décolle bien mais peine ensuite à tenir la route et à s’étoffer faute de personnages incarnés, manquant autant d’émotion que d’originalité dans sa vision.
Il fut un temps encore récent – disons entre le début des années 60 et la fin des années 80 du siècle passé – où un certain chic littéraire à la française consistait à dénigrer, dans le processus du roman, les notions d’histoire et de personnage, pour ne plus s’en tenir qu’au texte, à la textualité, au sous-texte et autres particularités considérées jusque-là comme secondaires, sauf par le public non initié.
Dit un peu grossièrement, alors même qu’on se gorgeait de moralisme politico-social, entre autres idéologies freudo-marxiennes, parler simplement de la société, de ses composantes humaines et de ses conflits, de ses transformations et de leurs conséquences sur les individus, paraissait indigne de l’écrivain, par ailleurs sur-considéré en fonction de son engagement «citoyen»...
Sans parler d’un Proust ou d’un Céline qui dépassaient les têtes par la force de leur style, ces remarquables peintres de la société qu’avaient été ou continuaient d’être un Jules Romains ou un Georges Simenon, étaient plutôt mal vus des purs «littéraires», alors qu’on reléguait un Zola ou un Balzac dans les casiers de l’enseignement élémentaire de la littérature.
Sur quoi surgit Michel Houellebecq, qui mit positivement les pieds dans le plat avec son scannage de la société des années 80, de sa réalité et de ses fantasmes, de ses faits et gestes ressaisis par ses traits de langage. Dans un essais qu’il lui a consacré, Aurélien Bellanger parle de Houellebecq comme d’un «écrivain romantique», mais le romantisme réel de l’auteur de Sérotonine n’a rien d’éthéré, qui découle d’une vision réaliste et «panique», proche d’un certain fantastique urbain inauguré, précisément, par l’encombrant Honoré de Balzac.
Du Minitel aux Enfants de la télé
Ce long préambule me semblait nécessaire pour mieux situer, avec le recul des années, ce qu’ont représenté l’apparition, puis l’évolution thématique des livres de Michel Houellebecq, préfigurant ou accompagnant un mouvement plus général de retour à un regard des écrivains plus «réaliste», ou plus «balzacien», sur la société en mutation, où le roman jouerait son rôle sans se confondre avec celui du reportage, comme il en est allé plus naturellement chez les auteurs anglais ou américains, notamment. À ceux-ci font d’ailleurs penser les romans de Maylis de Kerangal, par exemple dans le mémorable Construire un pont, et les premiers romans d’Aurélien Bellanger me semblent appartenir à la même tendance.
Plus que du prof de lettres ou du journaliste, il y a quelque chose de l’ingénieur chez ces romanciers-là, et la curiosité singulière de Bellanger pour le Minitel dans La Théorie de l’information autant que celle de Maylis de Kerangal pour les actes chirurgicaux détaillés des transplantations cardiaques dans Réparer les vivants, sont aussi significatives que les connaissances de Michel Houellebecq en matière d’agronomie et d’économie. Est-ce dire que la littérature gagnerait à se faire plus «documentaire»? Je dirais plutôt: à se faire plus universellement «poreuse», ou plus précisément encore : plus attentive aux données immédiates du quotidien.
Et quoi de plus immédiatement quotidien, alors, que la nouvelle donnée de la télé pour les enfants du siècle que nous fûmes en découvrant le monde (ou plutôt une partie de celui-ci, mais avec sa magie en noir et blanc) avec Rintintin, Thierry la Fronde ou Continents sans visas? Cela pour la Préhistoire. Alors que l’histoire des Enfants de la télé selon Aurélien Bellanger, dans Téléréalité, commence en couleurs dans les années 90…
A nous deux Paris, et ce qui s’ensuit…
La référence au jeune Eugène de Rastignac du Père Goriot s’impose dès la première partie de Téléréalité, dont le protagoniste, lui aussi venu du Sud, va conquérir Paris à sa façon, fort de considérables compétences en matière de comptabilité et de gestion, ajoutées à une vraie passion adolescente pour la télé dont il a une formidable collection d’émissions enregistrées, mais sans la prestance, ni le charme, ni l’intelligence pénétrante, la sensibilité surfine, la rouerie et la dévorante ambition du personnage de Balzac, d’ailleurs cité nommément par Bellanger dans la foulée.
Fils d’entrepreneur en plomberie dans la Drôme et environs, Sébastien Bitereau (le surnom bite-en-trop lui pend au nez comme à son père) a découvert, fasciné, par l’entremise d’un vieux réparateur de télés, le mystère du fonctionnement des tubes cathodiques, sans faire trop attention à la même époque aux réalités télévisuelles du Club Dorothée et de Chevaliers du Zodiaque – son premier émoi tout personnel remontant à l’air de flûte de Bonne nuit les petits -, mais un émerveillement plus décisif que sa passion naissante pour la télé remonte à sa découverte du Plan comptable général en lequel, préparant un bac G dans la section gestion, il trouve le «compagnon idéal» qui lui offre les clefs de la compréhension du monde environnant.
Sur cette base sûre, Sébastien acquiert les outils de la bureautique et du traitement des études de cas qui lui permettront plus tard de briller, mieux qu’en «premier comptable de la Drôme», son rêve de bachelier : en producteur-manager de concepts télévisuels au plus haut niveau de l’audiovisuel français.
Voilà donc pour le départ de Téléréalité, à la fois houellebecquien dans son traitement du matériau et du meilleur Bellanger par ses observations personnelles et l’alacrité de son récit.
L’irrésistible ascension du très jeune fort en chiffres et en plans, d’abord coaché par un premier mentor du nom de Patrick Lepape, animateur vedette de La Roue de la fortune, auprès d’une Véronique sympa qui se chargera de le déniaiser dans la foulée, va le conduire ensuite (après le crash volontaire de l’hélico de Patrick en perte de popularité) dans les bons papiers de Pascal Sevran, à l’époque de La chance aux chansons, lequel lui fait rencontrer un soir (au Grand Véfour évidemment) un Charles Trenet sémillant qui le confirme dans sa conviction naissante que la télévision est un art, plus exactement «le grand art d’aujourd’hui», carrément «le seul équivalent de contemporain de l’opéra» au dire du fou chantant…
Quant à conclure que ceux qui font la télé sont les nouveaux Wagner ou les Verdi, les Rossini ou les Strauss des plateaux les mieux garnis: la suite prouvera qu’on retombe de haut. De fait, la télé, en ces années 90, perd de sa magie au profit de la réalité et de l’incontournable quart d’heure de notoriété signé Warhol, et le roman de Bellanger, tout intelligent qu’il soit (Sébastien a découvert entretemps Guy Debord et sa Société du spectacle), me semble perdre lui aussi de sa vitalité en multipliant les «études de cas» liées aux multiples occurrences de la concurrence et de la course aux parts de marché dont les lecteurs ont déjà été saturés par les médias. Bref, plus que d’art, il sera surtout question de business et de clinquant à l’ère du bling-bling sarkozien…
Les problèmes du personnage, de la fiction et du style
Si les 100 premières pages de Téléréalité m’ont «scotché», comme on dit, malgré la minceur du protagoniste et l’inexistence en 3D de ses interlocuteurs «reconnaissables» ou non au petit jeu du name-dropping cher à Houellebecq, la suite du roman, en dépit de trouvailles indéniables, comme celle qui voit l’indigent Cyril Hanouna lancer une émission du soir dans laquelle les invités racontent ce qu’ils ont vu à la télé dans la journée — exemple parfait de l’auto-contemplation stérile vers laquelle se dirigent également les réseaux sociaux à webcam que veux-tu… — me semble souffrir de la même maladie qui plombe actuellement la créativité française, à la télé et dans les sinistres séries hexagonales, comme si le romancier ne croyait pas à ses personnages, avec son Bitereau démarqué de Stéphane Courbit en clone phalloïde probablement moins «intéressant» que l’original, ses fades détours touristiques sur le yacht de Berlusconi ou son dénouement pathétique entre carnage «téléréel» et retraite au couvent du protagoniste et de Loana…
Reste une «étude de cas» proposée au lecteur: faire la part d’un très remarquable talent, en cette époque d’eaux basses du roman français, de la réception complaisante d’une critique réduite à l’état de service de promotion publicitaire, de la crise actuelle d’un Occident gavé et en panne de créativité, et celle aussi d’une lucidité vive et d’une écriture alerte mais d’un style encore dilué — la part du feu auquel on espère qu’Aurélien Bellanger saura se confronter demain avec autant de folle ambition, de «fruit» et de «bête», de générosité et de poésie qu’un fou du roman à la Balzac…
Aurélien Bellanger. Téléréalité. Gallimard 243p. 2021.
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À ceux-ci font d’ailleurs penser les romans de Maylis de Kerangal, par exemple dans le mémorable <i>Construire un pont</i>, et les premiers romans d’Aurélien Bellanger me semblent appartenir à la même tendance.</p> <p>Plus que du prof de lettres ou du journaliste, il y a quelque chose de l’ingénieur chez ces romanciers-là, et la curiosité singulière de Bellanger pour le Minitel dans <i>La Théorie de l’information</i> autant que celle de Maylis de Kerangal pour les actes chirurgicaux détaillés des transplantations cardiaques dans <i>Réparer les vivants</i>, sont aussi significatives que les connaissances de Michel Houellebecq en matière d’agronomie et d’économie. Est-ce dire que la littérature gagnerait à se faire plus «documentaire»? 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Alors que l’histoire des <i>Enfants de la télé</i> selon Aurélien Bellanger, dans <em>Téléréalité</em>, commence en couleurs dans les années 90… </p> <h3>A nous deux Paris, et ce qui s’ensuit…</h3> <p>La référence au jeune Eugène de Rastignac du <i>Père Goriot</i> s’impose dès la première partie de <i>Téléréalité,</i> dont le protagoniste, lui aussi venu du Sud, va conquérir Paris à sa façon, fort de considérables compétences en matière de comptabilité et de gestion, ajoutées à une vraie passion adolescente pour la télé dont il a une formidable collection d’émissions enregistrées, mais sans la prestance, ni le charme, ni l’intelligence pénétrante, la sensibilité surfine, la rouerie et la dévorante ambition du personnage de Balzac, d’ailleurs cité nommément par Bellanger dans la foulée. </p> <p>Fils d’entrepreneur en plomberie dans la Drôme et environs, Sébastien Bitereau (le surnom bite-en-trop lui pend au nez comme à son père) a découvert, fasciné, par l’entremise d’un vieux réparateur de télés, le mystère du fonctionnement des tubes cathodiques, sans faire trop attention à la même époque aux réalités télévisuelles du <i>Club Dorothée</i> et de <i>Chevaliers du Zodiaque</i> – son premier émoi tout personnel remontant à l’air de flûte de <i>Bonne nuit les petits -, </i>mais un émerveillement plus décisif que sa passion naissante pour la télé remonte à sa découverte du <i>Plan comptable général</i> en lequel, préparant un bac G dans la section gestion, il trouve le «compagnon idéal» qui lui offre les clefs de la compréhension du monde environnant. </p> <p>Sur cette base sûre, Sébastien acquiert les outils de la bureautique et du traitement des <i>études de cas</i> qui lui permettront plus tard de briller, mieux qu’en «premier comptable de la Drôme», son rêve de bachelier : en producteur-manager de concepts télévisuels au plus haut niveau de l’audiovisuel français.</p> <p>Voilà donc pour le départ de <i>Téléréalité,</i> à la fois houellebecquien dans son traitement du matériau et du meilleur Bellanger par ses observations personnelles et l’alacrité de son récit.</p> <p>L’irrésistible ascension du très jeune fort en chiffres et en plans, d’abord coaché par un premier mentor du nom de Patrick Lepape, animateur vedette de <i>La Roue de la fortune</i>, auprès d’une Véronique sympa qui se chargera de le déniaiser dans la foulée, va le conduire ensuite (après le crash volontaire de l’hélico de Patrick en perte de popularité) dans les bons papiers de Pascal Sevran, à l’époque de <i>La chance aux chansons</i>, lequel lui fait rencontrer un soir (au Grand Véfour évidemment) un Charles Trenet sémillant qui le confirme dans sa conviction naissante que la télévision est un art, plus exactement «le grand art d’aujourd’hui», carrément «le seul équivalent de contemporain de l’opéra» au dire du fou chantant… </p> <p>Quant à conclure que ceux qui font la télé sont les nouveaux Wagner ou les Verdi, les Rossini ou les Strauss des plateaux les mieux garnis: la suite prouvera qu’on retombe de haut. De fait, la télé, en ces années 90, perd de sa magie au profit de la réalité et de l’incontournable quart d’heure de notoriété signé Warhol, et le roman de Bellanger, tout intelligent qu’il soit (Sébastien a découvert entretemps Guy Debord et sa <i>Société du spectacle</i>), me semble perdre lui aussi de sa vitalité en multipliant les «études de cas» liées aux multiples occurrences de la concurrence et de la course aux parts de marché dont les lecteurs ont déjà été saturés par les médias. Bref, plus que d’art, il sera surtout question de business et de clinquant à l’ère du bling-bling sarkozien… </p> <h3>Les problèmes du personnage, de la fiction et du style</h3> <p>Si les 100 premières pages de <i>Téléréalité </i>m’ont «scotché», comme on dit, malgré la minceur du protagoniste et l’inexistence en 3D de ses interlocuteurs «reconnaissables» ou non au petit jeu du <i>name-dropping</i> cher à Houellebecq, la suite du roman, en dépit de trouvailles indéniables, comme celle qui voit l’indigent Cyril Hanouna lancer une émission du soir dans laquelle les invités racontent ce qu’ils ont vu à la télé dans la journée — exemple parfait de l’auto-contemplation stérile vers laquelle se dirigent également les réseaux sociaux à webcam que veux-tu… — me semble souffrir de la même maladie qui plombe actuellement la créativité française, à la télé et dans les sinistres séries hexagonales, comme si le romancier ne croyait pas à ses personnages, avec son Bitereau démarqué de Stéphane Courbit en clone phalloïde probablement moins «intéressant» que l’original, ses fades détours touristiques sur le yacht de Berlusconi ou son dénouement pathétique entre carnage «téléréel» et retraite au couvent du protagoniste et de Loana…</p> <p>Reste une «étude de cas» proposée au lecteur: faire la part d’un très remarquable talent, en cette époque d’eaux basses du roman français, de la réception complaisante d’une critique réduite à l’état de service de promotion publicitaire, de la crise actuelle d’un Occident gavé et en panne de créativité, et celle aussi d’une lucidité vive et d’une écriture alerte mais d’un style encore dilué — la part du feu auquel on espère qu’Aurélien Bellanger saura se confronter demain avec autant de folle ambition, de «fruit» et de «bête», de générosité et de poésie qu’un fou du roman à la Balzac…</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1617823697_81o5iexyfxl.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="269" height="394" /></p> <h4>Aurélien Bellanger. <i>Téléréalité</i>. 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Est-il vrai qu’il aurait apprécié le fait de ne pas être maltraité? Est-il vrai qu’il aurait affirmé ces derniers temps qu’il en avait assez de vivre? Et que voit-il par la fenêtre, si tant est que les murs qui l'enferment soient pourvus de la moindre ouverture? 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Mais pas du tout : maintes fois, en effet, l’auteur du redoutable 2084 l’a répété: ce n’est pas à l’islam qu’il en veut, mais à l’islamisme et à l’instrumentalisation sociale et politique du «message» musulman, comparable à l’instrumentalisation faite par tous les fanatiques césaro-papistes des confessions diverses, etc.</p> <p>Freeman Dyson rend hommage à l’auteure de science-fiction Madeleine L'Engle, très prisée des enfants et des ados anglo-saxons (elle a écrit une trentaine de romans les visant en priorité) et qui accorde, en chrétienne atypique, plus d’importance aux scientifiques qu’aux théologiens, coupables, selon elle, de limiter la notion de Dieu alors que «les scientifiques, avec leurs questions, avec leur émerveillement face à la gloire de l’Univers», l’ont aidée dans sa quête de méditation et de contemplation, tant il est vrai que les spécialistes de biologie cellulaire ou d'astrophysique traitent de la nature de l'existence même au fil de questions d’ordre théologique: «quelle est la nature du temps? 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Je m’y attendais, c’est un corps d’élite, les imams, toujours prêts à bondir et à rendre service, comme les scouts »...</p> <h3><strong>Un hymne insolent à la vie libre !</strong></h3> <p>Sacré Boualem, qui fait passer le salut des Terriens par le truchement de la connexion onirique – et quel régal panaché que la suite des réponses de l’imam, du rabbin, du curé et de l’hindouiste vegan, quelle fiesta d’ironie sagace et de lucidité débonnaire quoique sans illusion, aboutissant à une conclusion d’un surprenant optimisme, à savoir que «l’avenir appartient aux gens de bien», ce que Sansal commente tranquillement (je l’imagine plutôt tranquille, ce matin, dans sa réclusion), en ces termes: «Tiens, je crois que c’est ça la bonne définition de cet objet non identifié qu’est l’humanité, que je cherche depuis des années, L’humanité, ce sont ces gens de bien qui, vaille que vaille, assurent le service de la vie»…</p> <p>Aussi bien ne me fais-je pas trop de souci, malgré tout, pour ce cher homme dont la force morale, l’intelligence et l’immense savoir «humain», modulés dans ses livres si variés de forme – jusqu’à ce roman d’anticipation parodiant joyeusement la littérature conjecturale pour ados de tous les âges – me font penser qu’il vit son incarcération actuelle, par les morts-vivants du pouvoir, comme une péripétie parmi d’autres, mais combien révélatrice pour nous qui en découvrons les effets de solidarité massive autant que les retombées de haine et d’abjection.</p> <p>Vivre, oui, et d’abord lire ce livre tonique, hymne insolent et généreux à la vie libre (!) au lieu de radoter dans le vide des idéologies «divinement» meurtrières. Boualem Sansal sera-t-il libre à Noël? C’est évidemment à espérer, même si cette fête d’«infidèles» tourne au marché de pacotille. Et les Terriens méritent-ils d’ailleurs d’être sauvés! Salut le mystère!</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1733404354_g08284.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="161" height="235" /></p> <p><strong>Boualem Sansal. <em>Vivre. Le compte à rebours</em>. </strong><strong>Gallimard, 2024, 233p. </strong></p> <p><strong><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1733404445_laviedanslunivers.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="156" height="248" /></strong></p> <p><strong>Freeman J. Dyson. </strong><strong><em>La vie dans l’univers. Réflexions d’un physicien. </em></strong><strong>Gallimard, Bibliothèques des sciences humaines, 2009. 255p.</strong></p> <hr /> <h2><strong>Entretien avec Boualem Sansal, en 2006 </strong></h2> <p><strong> </strong><strong>(paru dans le quotidien <em>24 heures </em>le 9 mai 2006)</strong></p> <p>Boualem Sansal est l’une des grandes voix de la littérature algérienne francophone, dont les romans ressaisissent la tragique et complexe réalité contemporaine avec une porosité et une faconde sans pareilles. Après <em>Le serment des barbares</em> (1999), <em>L’enfant fou de l’arbre creux</em> (2000) et <em>Dis-moi le paradis</em> (2003), son quatrième roman, Harraga, s’attache à deux destinées de femmes avec autant d’empathie que de lucidité révoltée. Au printemps 2006, cet auteur qui a «mal à l’Algérie» adressait une lettre ouverte à ses compatriotes intitulée <em>Poste restante: Alger,</em> d’un courage civique impressionnant. Nous avions rencontré l’auteur après cette parution...</p> <p><strong>Comment, Boualem Sansal, vivez-vous aujourd’hui en Algérie?</strong></p> <p>Plutôt mal, après une amnistie marquant la réhabilitation des criminels d’hier, qui se retrouvent à plastronner en ville avec une arrogance extraordinaire. La chape d’un ordre moral intolérant se fait de nouveau ressentir, parallèlement à la réintroduction de l’enseignement religieux et à l’occupation des mosquées. Or la population semble l’accepter, tant elle est respectueuse de l’islam.</p> <p><strong>Quelle a été votre éducation personnelle?</strong></p> <p>Je suis né dans une famille où l’on pensait que l’instruction était essentielle. Ayant perdu mon père très tôt, j’ai été soumis, avec mes trois frères, à la discipline rigoureuse d’un grand-père chef de gare qui avait fait la guerre de 14-18, laïc et profondément attaché à la France et à sa culture. Après un début d’études classiques en latin-grec, j’ai cependant bifurqué sur une formation d’ingénieur, l’Algérie de l’indépendance ayant besoin de bâtisseurs et de techniciens plus que de «beaux parleurs», comme on disait alors. C’est pourquoi je me suis retrouvé, en 1992, au poste de Directeur de l’industrie, où m’avait appelé un condisciple devenu ministre.</p> <p><strong>Qu’avez-vous appris dans les allées du pouvoir?</strong></p> <p>Ce qui m’a le plus frappé, c’est la morgue, la corruption, les luttes entre clans et, d’une manière générale, le mépris de la population, ainsi qu’une formidable incompétence des apparatchiks du parti unique.</p> <p><strong>En avez-vous un exemple?</strong></p> <p>Le plus éloquent est ce rapport qu’un ministre m’a chargé d’établir, sur les relations entre l’endettement des pays du Sud méditerranéen et leur niveau de développement. Me fiant aux chiffres de la Banque mondiale et du FMI, j’ai constaté que les pays les plus endettés à régimes autoritaires, à commencer par l’Égypte, étaient aussi les plus déficients en matière de développement, alors qu’Israël, super-endetté, affichait un développement constant. Ce constat a mis le ministre en fureur, qui m’a prié de supprimer la mention d’Israël, ce que l’honnêteté m’interdisait. Je lui ai donc proposé ma démission immédiate, qui a été refusée en même temps qu’on enterrait le rapport. Par la suite, mes positions et mes livres m’ont valu d’être limogé.</p> <p><strong>Comment en êtes-vous venu au roman?</strong></p> <p>Cela s’est fait comme ça, pendant la terreur islamiste qui nous cloîtrait. Or que fait-on dans ces conditions ? On tourne en rond, on remâche les dernières horreurs du jour, on prend des notes sur ce qu’on observe, et tout à coup le « roman » est là, dicté par la vie. C’est ainsi qu’est né Le serment des barbares.</p> <p><strong>Décrire la réalité si fidèlement, comme l’a fait aussi votre ami Rachid Mimouni, ne représentait-il pas un risque?</strong></p> <p>Bien entendu, mais sortir dans la rue était déjà risqué. A propos de mon ami Rachid, la nuit suivant son enterrement en Algérie, des fanatiques ont exhumé son cadavre pour le livrer aux chiens. Ce n’est pas du roman : c’est la réalité, comme <em>Harraga </em>relève d’une réalité vécue.</p> <p><strong>Dans votre lettre ouverte aux Algériens, vous vous en prenez violemment à l’amnistie…</strong></p> <p>Pour aboutir à une vraie réconciliation, il fallait enquêter et rendre la justice. Je ne suis pas contre le pardon, au contraire, mais cette amnistie était une insulte aux victimes et un déni de justice.</p> <p><strong>Pensez-vous être entendu? Et menacé?</strong></p> <p>On m’a appris récemment que le livre faisait l’objet d’une mesure de censure, mais de nombreux compatriotes partagent mon point de vue, même si mes adversaires me font passer pour un « agent de la France » Menacé ? L’Algérie est un grand pays, dans lequel je reste à peu près invisible. Par ailleurs, comme Mimouni, je suis protégé par ma notoriété. 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Celle-ci l’éloigne-t-elle du réel, ou lui permet-elle au contraire de se libérer du «nombrilisme» et de mieux accéder à l’«universel»?</p> <p>De telles questions auront peut-être «fait débat», cet hiver-là, tandis qu’il neigeait sur Vilnius, à tel festival de littérature auquel venait de participer Sarah Popp (quel nom, n’est-ce pas? pour une auteure, autrice, auteuse ou autorelle en langage d’inclusion), qui se réjouissait de revenir en Suisse pour y retrouver, à la veille de son cinquante-neuvième anniversaire, son compagnon Tobie, aussi à l’aise à son piano que devant les fourneaux, et leur fille Matild associée à une mini-troupe d’animateurs de robots-marionnettes au goût dernier cri de la nouvelle génération théâtrale.</p> <p>Alors quoi, un roman de plus sur les «problèmes du roman»? Mais quelle barbe! Et pourtant non: grâce à la neige et au gel, aux avions cloués au sol et donc à l’imprévu illico salué par Tobie («accepte ce qui arrivera» lui chante-t-il au téléphone quand elle lui expose son retard de deux ou trois jours), et Sarah de se réjouir de l’imprévisible occasion de vivre elle ne sait encore quoi alors que, de la fenêtre du bus qui la ramène de l’aéroport en ville, elle voit sans le voir un grand camion blanc dont la cabine figure une petite maisonnette, prélude à un conte à dormir debout. 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Ainsi se met-elle bel et bien à écrire des fragments de sa «vraie vie» sur la table de la maisonnette roulante, tandis que la romancière module sa propre vision des choses, où la poésie se joue allègrement des règles de la théorie, autant que des conventions morales.</p> <h3>Au dam du «poulailler paroissial»</h3> <p>Comment une romancière d’aujourd’hui doit-elle parler de la violence faite aux femmes, ou des humiliations subies au nom de la morale courante? Le kidnappeur de Sarah Popp, comme les gens «adultes et responsables», croit avoir la réponse, enjoignant la romancière de témoigner comme au commissariat ou au tribunal – aujourd’hui aux assises des médias friands d’accusations – «on veut des noms!» </p> <p>Or ce n’est pas minimiser les souffrances que de les confronter à la complexité de la vie, jamais réductibles aux seules sentences morales. Dans le roman de Rose-Marie Pagnard, en tout cas, la morale des bien-pensants, de telle tante bigote ou de tels voisins malveillants dans un village «gonflé de méchanceté», pèse lourdement sur les jugements portés sur telle jeune fille libre ou, d’une génération antérieure, sur telle «fille-mère» passible de la prison. Mais Sarah Popp n’est pas du genre, en tant que romancière, à se contenter d’une «dénonciation» univoque. Est-ce dire qu’elle fuit dans l’équivoque? Pas non plus. Il faudrait alors, par manière de réponse, détailler le roman et ses rebondissements, les multiples facettes de ses personnages, «raconter» le vieil Anders et le pourquoi de sa révolte remontant au calvaire social de sa mère, raconter celle-ci et sa propre façon de se libérer voire de se fiche de son passé, raconter l’amour fou de Sarah et de Tobie en butte au qu’en dira-t-on, raconter la sensualité persistante de Sarah la quasi sexa, raconter Sarah et sa fille, Sarah et l’angoisse, Sarah et les maux - Sarah et les mots, Sarah et la magie des objets, Sarah et la fantaisie de la fée-sorcière Rose-Marie.</p> <p>Rose-Marie Pagnard est poète autant sinon plus qu’elle est romancière, à savoir que chez elle les mots et les images passent avant les «scènes à faire», qui tissent une sorte de tapisserie «musicale» aux détails reproduisant à foison la joyeuse profusion de la réalité.</p> <h3>Féerie kaléidoscopique</h3> <p>Et c’est alors qu’il faudrait citer à qui mieux mieux, quitte à tirer «la ficelle folie». Citer le «sac de tristesse» de l’ancien voisin bûcheron, «vieux mais propre» et fleurant le savon, le bois et le citron. Citer le syndrome des jambes de Sarah dont les cauchemars l’empêchent de dormir car «chaque nuit est un piège», telle étant la part d’ombre de ce tourbillon lumineux de neige comme produite par une usine à farine. Citer les vitrines, les concerts, les biscuits de Noël qui peut être «poussent les pensées vers la mélancolie». Citer la «tête osseuse» à «noblesse de cheval» du faux ogre estimant qu’on est tous des «maltraités de la vie». Citer le «cœur explosif» du passé de Sarah entrevu par Tobie, lequel inspire celle-ci quand il rage. Citer le souvenir pénible du «poulailler paroissial» de la mesquine petite ville. Citer les deux enfants morts emportés par le père dans un carton à chaussures – «il faut beaucoup de calme et de propreté pour que ces faits révèlent leur beauté». Citer la beauté partout quand on a l’âme clame et propre à l’écart des «bandits en soutanes», ou citer par la fenêtre du bus les bonds de dauphins que suggèrent les ondulations d’un pipeline russe violet sur fond de neige, citer la forêt qui «se serre autour de l’histoire» avec «cette petite histoire humaine à l’intérieur», etc.</p> <p>Rose-Marie Pagnard a l’âge des seniors et la grâce des enfants, ou plutôt de l’enfance en tant qu’instance de l’imagination sans âge, et c’est à l’enfance grave des contes que la fugue dans la neige lituanienne de <i>L’enlèvement de Sarah Popp</i> fait penser, à l’enfance tissée d’émerveillements primesautiers et d’effrois secrets, à ce qui nous reste de bonne rage vivace après les déceptions et les larmes, à ce qui relance notre joie. </p> <p>Dans ce conte foisonnant qui ressemble si fort à la vie, peut-être même plus réel qu’elle, il y aurait, au conditionnel de l’enfance, un poney cinquantenaire aux yeux bleus, un drôle de type nommé Robert Louis 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Ainsi Douglas Kennedy, compose-t-il un patchwork où la tendresse généreuse le dispute à la critique du «râleur-né» de l’East Village new yorkais. 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Ca va? Pas trop de bavardages»), du <i>Bel été</i> (prix Strega en juin 1950, consécration à peine relevée par les médias sauf à Turin), <i>Entre femmes seules </i>aux si profondes intuitions psychologiques, <i>Le Métier de vivre</i> à de multiples reprises et la correspondance de l’écrivain d’où l’auteur tire la page saisissante, à valeur d’autoportrait, d’une lettre à Fernanda Pivano, le 25 octobre 1950, où figurent ces mots d’une si terrible lucidité: «Or P. qui sans doute est un solitaire parce qu’en grandissant il a compris qu’on ne peut rien faire qui vaille sinon loin du commerce du monde, est le martyr de ces contradictions. Il veut être seul – et il est seul –, mais il veut l’être au milieu d’un cercle qui le sache (…) P. appelle même tout cela besoin d’expression, de communication, de communion; sa privation, tragédie de la solitude, incommunicabilité des âmes, et ainsi de suite. Que pourra faire un tel homme devant l’amour?»</p> <p>Enfin Pierre Adrian a retrouvé à Rome, géant nonagénaire, le dernier compagnon vivant de Pavese au nom de Franco Ferrarotti, qui nous vaut les pages les plus émouvantes <i>d’Hôtel Roma</i>, avec l’évocation des funérailles de Pavese, dont le cercueil fut suivi par des centaines de personnes, le message bouleversant du jeune Italo Calvino, atterré par la mort de son ami, et une conclusion qui oriente l’ensemble de l’ouvrage dans le même sens que les derniers mots de Pavese, le 18 août 1950: «Un clou chasse l’autre. Mais quatre clous font une croix. Mon rôle public, je l’ai accompli – j’ai fait ce que je pouvais. J’ai travaillé, j’ai donné de la poésie aux hommes, j’ai partagé la peine de beaucoup».</p> <p>Et Pierre Adrian de conclure: «Ferrotti m’avait conforté dans la conviction qu’un écrivain peut être l’ami qui vous réconforte et vous aide à tenir. Pavese était devenu un compagnon de route. Je m’étais lié à lui. On ne demande pas à nos amis de nous ressembler. On leur demande de nous aider à vivre»…</p> <p><em>Post scriptum</em>: <a href="https://www.youtube.com/watch?v=AWqKECytyeU" target="_blank" rel="noopener"><i>Amico fragile</i></a> est l’une des plus belles chansons de Fabrizio de André, autre géant «à la Pavese» dont la voix grave et douce fait écho à celle, <i>sottovoce</i>, qu’on entend entre les lignes du <i>Métier de vivre</i>…</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1729776691_g07635.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="293" /></p> <h4>«Hotel Roma», Pierre Adrian, Editions Gallimard, 192 pages.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'pavese-notre-ami-fragile-nous-attend-a-l-hotel-roma', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 64, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 675, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' } ] $embeds = [] $images = [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) { 'id' => (int) 8056, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'American_Idol_Experience_-_Disney's_Hollywood_Studios_(3341579740).jpg', 'type' => 'image', 'subtype' => 'jpeg', 'size' => (int) 118150, 'md5' => 'ccc2a9268fabc0ad1f74cd415f5c6bd8', 'width' => (int) 1024, 'height' => (int) 680, 'date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'title' => '', 'description' => 'Le plateau d'American Idol, quintessence du divertissement télévisé.', 'author' => '', 'copyright' => '© Josh Hallett', 'path' => '1617826433_american_idol_experience__disneys_hollywood_studios_3341579740.jpg', 'embed' => null, 'profile' => 'default', '_joinData' => object(Cake\ORM\Entity) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Attachments' } ] $audios = [] $comments = [] $author = 'Jean-Louis Kuffer' $description = 'Tenant de la chronique (franco-française) d’époque et du roman (hyper)réaliste brouillant les pistes entre faits réels et fiction, ce nouvel ouvrage de l’auteur de La Théorie de l’information, du Grand Paris et du Continent de la douceur évoque l’irrésistible ascension dans le PAF et l’improbable chute sur le pif d’un battant de l’industrie du divertissement traversant en météore les avatars de la télé, entre pseudo-féerie et pitoyable retour au réel. 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