Culture / Olivier Meuwly: «Troxler incarne le versant romantique du radicalisme»
Presque deux siècles après Troxler, nous constatons plus que jamais que la démocratie est vivante et que la Constitution peut, doit, toujours être discutée, entre autres choses. Le Palais fédéral en 1852. Bibliothèque nationale Suisse
Dans la nouvelle et belle collection «Presto» des Editions InFolio, collection mettant en lumière des personnages ou thèmes suisses, l’historien Olivier Meuwly consacre une biographie politique à un homme du XIXe siècle du même parti que lui: le radical Ignaz Troxler (1780-1866). Peu connu de notre côté de la Sarine, ce médecin, philosophe et pédagogue natif de Lucerne a beaucoup de choses à nous dire sur la société d’aujourd’hui selon l’historien, qui nous en dit un peu plus dans cet entretien.
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Je l’avais également intégré assez rapidement dans ma perspective de réflexion sur le rationalisme et le romantisme comme sources du libéralisme et du radicalisme qui se sont construits en Suisse. Troxler est fascinant parce qu’il incarne le versant romantique du radicalisme.</p> <p><strong>L’une des manifestations concrètes de ce «radicalisme romantique» que nous voyons encore aujourd’hui, c’est la présence d’une chambre des cantons, à savoir le Conseil des Etats, au sein de nos institutions. Expliquez-nous pourquoi et dites-nous dans quelle mesure Troxler a, selon vous, rendu possible sa création.</strong></p> <p>Le dispositif intellectuel qui sous-tend le mouvement radical et qui se met en place pour donner lieu à la Suisse moderne de 1848 est un dépassement hégélien du lien entre les Lumières proprement dites et le romantisme. Druey incarne et assume ce prolongement d’un héritage rationaliste, que d’autres avoueront seulement de manière indirecte. 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Nous parlons de la censure d’opinions et de crachats au visage d’intellectuels français venus simplement présenter leur livre à un petit public curieux de se confronter à un avis nuancé sur les débats qui secouent actuellement la notion de genre. Les psychanalystes Céline Masson et Caroline Elliachef étaient venues le 29 avril parler de leurs critiques à l’égard de la médicalisation précoce des enfants qui désirent changer de sexe; le philosophe Eric Marty était quant à lui venu le 17 mai parler de la différence entre l’approche anglo-saxonne et l’approche européenne du genre dans l’histoire des idées. Traitées de «transphobes», ces personnalités – situées à gauche! – ont été violemment contraintes d’annuler leur prise de parole sur le sol helvétique.</p> <p>Sur cette indéfendable affaire se superpose un deuxième scandale: mise sous pression par la CUAE – la «Conférence Universitaire des Associations d’Etudiant.e.x.s» – l’Université de Genève (UniGE) a abandonné son dépôt de plainte contre les transactivistes ayant fait preuve de violence. 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Qui sont ces groupes désormais puissants dans les rapports de force idéologiques qui parcourent l’université et la société de manière générale (pour vous en convaincre, songez au fait qu’à Neuchâtel, les représentants des étudiants avaient réussi à ne faire comptabiliser que les réussites d’examens, et pas les échecs, en période de Covid)? Nous n’avons malheureusement pas réussi à contacter la CUAE, mais les informations à disposition de tous et les contacts pris auprès d’autres faîtières suffisent à répondre aux besoins de cet article.</p> <p>De manière générale, toutes les faîtières d’associations étudiantes nichées dans les universités romandes poursuivent les mêmes objectifs: mettre en réseau la communauté estudiantine, défendre ses intérêts auprès du rectorat et auprès du canton, favoriser l’égalité des chances, financer des événements ou des activités d’associations d’étudiants, etc. Bref, soutenir les étudiants.</p> <p>Pour être membre de la CUAE, il suffit de s’affilier à l’une des associations étudiantes de l’Université de Genève, qui elles-mêmes composent la CUAE. Une contribution de 5 CHF est alors prélevée dans les taxes universitaires que paient de toute manière les étudiants. Mais il est aussi possible de s’engager pour la CUAE à titre individuel. Par comparaison, «l’Association Générale des Etudiant·e·s de l’Université de Fribourg» (AGEF) vit grâce à une cotisation obligatoire de 20 CHF pour tout étudiant, dont une bonne partie repart dans les sections de la faîtière (une section par département ou faculté). C’est à peu près la même chose à Neuchâtel, où tous les étudiants sont <em>de facto</em> membres de la «Fédération des étudiant·e·s neuchâtelois·e·s» (FEN) et paient ainsi une cotisation de 15 CHF, comprise dans la taxe d’étude. Si quelqu’un ne souhaite pas la payer, il doit démissionner par écrit de la faîtière.</p> <p>On part alors du principe que les faîtières en question doivent se sentir responsables de leur caractère représentatif vis-à-vis des étudiants qu’elles fédèrent. Mais pas besoin de trop gratter pour se rendre compte qu’il ne s’agit pas vraiment du genre de la maison. La CUAE se définit sur son site comme «association faîtière et syndicat des étudiant.e.x.s de l’Université de Genève, et leur porte-parole auprès des autorités universitaires et politiques». Déjà, même s’il s’agit d’une volonté des individus qui composent la CUAE, son statut de syndicat pose question, dans la mesure où il reflète une certaine culture politique: n’y a-t-il pas incompatibilité entre cette nature de syndicat (unique en Suisse parmi les universités) et le fait de devoir représenter les étudiants dans leur diversité (y compris politique, diversité qu’on oublie souvent)?</p> <h3>Revendications politiques «si ça concerne les étudiants»</h3> <p>En partant de cette interrogation, on peut tirer un fil logique pour questionner les types de revendications portées par la CUAE et par leurs émules romandes. Si les représentants de toutes les autres faîtières estudiantines nous ont déclaré qu’ils condamnaient les moyens violents utilisés par les manifestants genevois pour faire entendre leur cause, ils sont également unanimes sur la limite que leurs associations se fixent concernant leurs revendications politiques. En effet, toutes les faîtières se donnent la compétence de prendre publiquement position «quand le sujet concerne les étudiants». Voici comment par exemple Guillaume Haas détaille le cas de l’AGEF, qu’il co-préside:</p> <p>«Notre grande différence avec la CUAE (Genève) est que l’AGEF (Fribourg) est représentée à tous les niveaux de l’université de Fribourg. Et quand je dis à tous les niveaux, c’est à tous les niveaux: au Sénat, qui est l’organe suprême de l’université, mais aussi dans la moindre des petites commissions. L’UniFR est l’une des universités les plus démocratiques d’Europe. C’est ce qui explique que l’AGEF ait peu de coups d’éclat, contrairement à nos camarades de la CUAE. Je ne leur en fait pas le reproche: c’est leur seul moyen de se faire entendre. Sur le plan des idées politiques, j’observe qu’il y a des personnes de tous bords à l’AGEF. Il y a des sensibilités différentes qui s’expriment lors de discussions sur les budgets et l’allocation des fonds, par exemple. Mais l’AGEF est apolitique: nous ne fonctionnons pas avec un système de représentants par partis. On ne parle que de politique quand le sujet concerne les étudiants.»</p> <p>Or, cela devient plus difficile à appliquer dans des exemples concrets. C’est que cette ligne de conduite a priori juste et inoffensive est on ne peut plus floue. A partir de combien d’étudiants concernés une affaire est censée «concerner les étudiants»? Outre l’intégration des étudiants transgenres dans la forme des statuts de l’Union des étudiant-e-s de Suisse (UNES), les délégués de cette «faîtière des faîtières» ont par exemple traité d’une initiative populaire en assemblées des délégués, parce que la votation faisait courir un risque au programme ERASMUS, même si les étudiants n’étaient pas cités dans le texte. Rebelote avec la question de l’accord-cadre et HORIZON2020. Un ancien responsable de la FEN, la faîtière neuchâteloise, confie:</p> <p>«Peu de personnes s’engagent dans ces structures. Il y a eu des assemblées générales de la FEN où nous étions dix. Le fait que trop peu de gens s’y engagent ouvre la porte au fait que des activistes de groupes très virulents, qui ont l’habitude de participer et de mobiliser leurs "troupes" pour une cause, ramènent tous leurs amis.»</p> <p>Notre source explique avoir été prise de cours avec le reste du comité il y a quelques années: certains cercles militants qui connaissaient bien le système de la fédération ont requis une AG extraordinaire et ont pu avancer leurs pions en quasi-unanimité. A Genève, la CUAE indique elle-même sur son site que «l’association adopte la ligne et l’opinion de la majorité des gens qui s’y engagent». Les absents ont donc toujours tort, comme en démocratie. D’un certain point de vue, cela coule de source. Et il est vrai que si des étudiants ne se sentent pas représentés, ils ont intérêt à s’y engager.</p> <h3>Effet d'entre-soi</h3> <p>Mais d’un autre point de vue, comment en vouloir à des étudiants, qui n’adhèrent pas à la tendance «woke» ou «intersectionnelle» souvent représentée par ces associations qui raffolent d’écriture inclusive, de ne pas venir s’y impliquer? Un fait psychologique simple: quand la Fédération des Associations d’Etudiant-e-s-x (Lausanne) convoque une assemblée «ouverte à tou-x-te-s», un étudiant qui trouve cette graphie laide, contestable sur le fond, ridicule ou les trois à la fois se dira peut-être que le comité n’est sans doute pas si ouvert que cela à tout le monde, du moins pas aux idées qu’il défendrait s’il venait y parler en toute honnêteté.</p> <p>C’est un fait et non un commentaire, ni même une analyse: une idéologie radicale de gauche identitaire suinte du vocabulaire, du propos et des actions de la CUAE, comme de bien d’autres associations, y compris, mais dans une moindre mesure, les faîtières d’étudiants des autres universités. Et quand on se réunit autour de croyances sur les ressorts cachés du «système» et de la «société», par exemple leurs soi-disants ressorts «racistes» ou «transphobes», tout en excluant ou en méprisant – ne serait-ce que par un regard – toute autre approche, cela ressemble plus à une secte qu’à une association d’étudiants.</p> <p>Nous nous permettrons alors cette remarque personnelle: face à ce constat, au lieu de traquer les manifestations d’idéologie là où elles apparaîtront forcément à un moment donné, l’être humain étant ce qu’il est, ne vaudrait-il par mieux porter haut la valeur du pluralisme? Et se donner les moyens – pourquoi pas inventifs – de garantir cette diversité d’idées? Fait amusant, dans la Berne fédérale, l’association des étudiants s’organise autour… de représentants de partis. Cette solution a le mérite d’assumer la dimension politique de la démarche, tout en lui garantissant un certain équilibre. 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Il constate en revanche un écart entre le discours de gauche et la réalité de son corps d’élus: «La pluralité et la tolérance, brandies si souvent par le PS et les Verts, sont bien plus présentes chez leurs adversaires dans les faits. On le constate aussi dans des débats de société actuels, avec par exemple le courant woke de la gauche qui souhaite restreindre la liberté d’expression, censurer des œuvres, interdire certaines discussions, etc.»</p> <h3>La diversité des profils socio-professionnels, un atout? </h3> <p>La discussion devient encore plus intéressante quand on se penche sur un autre schéma: celui de l’observatoire des élites suisses (OBELIS), de l’Université de Lausanne, représentant le profil socio-professionnel des politiciens actuellement sous la Coupole. Ceux-ci sont répertoriés selon la distinction «ayant suivi des hautes études - n’ayant pas suivi de hautes études». 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Bon pour la tête: De quand date votre rencontre intellectuelle avec Troxler?
Olivier Meuwly: Je m’intéresse à lui depuis longtemps. Quand j’avais travaillé sur l’avocat et homme politique Henri Druey, Troxler était incontournable. Ces deux penseurs radicaux du XIXe siècle sont à la fois très proches et très contradictoires. De même, Troxler est peu connu sous nos latitudes. En Suisse allemande, au contraire, il est thématisé dans certains travaux depuis quelque temps. Je l’ai ainsi toujours gardé à l’œil. Et quand j’ai sorti un livre dans la collection «Petit savoir suisse» en 2007 sur les penseurs politiques suisses, j’ai accordé un chapitre à Troxler. Je l’avais également intégré assez rapidement dans ma perspective de réflexion sur le rationalisme et le romantisme comme sources du libéralisme et du radicalisme qui se sont construits en Suisse. Troxler est fascinant parce qu’il incarne le versant romantique du radicalisme.
L’une des manifestations concrètes de ce «radicalisme romantique» que nous voyons encore aujourd’hui, c’est la présence d’une chambre des cantons, à savoir le Conseil des Etats, au sein de nos institutions. Expliquez-nous pourquoi et dites-nous dans quelle mesure Troxler a, selon vous, rendu possible sa création.
Le dispositif intellectuel qui sous-tend le mouvement radical et qui se met en place pour donner lieu à la Suisse moderne de 1848 est un dépassement hégélien du lien entre les Lumières proprement dites et le romantisme. Druey incarne et assume ce prolongement d’un héritage rationaliste, que d’autres avoueront seulement de manière indirecte. Or, c’est grâce à un Troxler que la dimension romantique est présente dans la symbiose de départ, que Druey perfectionne avec son hégélianisme. La chambre des cantons obéit à une exigence romantique car elle représente les organes d’un corps social. La Suisse n’est pas seulement rationnelle, avec un Etat central qui protège les libertés individuelles, elle est aussi organique, avec des cantons qui la composent. Voilà ce qui fait la complexité et la saveur de la nation suisse, incluant, conformément à l’idéal romantique, un peuple maître de son destin.
On peut également mesurer le romantisme de Troxler au fait qu’il n’est pas un radical façon «rad’-soc’» anticlérical.
Tout à fait. Troxler sera toujours mal à l’aise avec l’anticléricalisme le plus absolu de ses camarades radicaux. Lui-même assumera toujours son catholicisme ancré, dans le genre de l’historien Jean de Müler. Sur le plan purement philosophique, on est dans le sillage de Shelling, alors que le pôle plus républicain du radicalisme à la genevoise ou à la valaisanne des années 1820-1850 a plutôt pour référence l’Aufklärung d’un Kant.
Nos institutions suisses, les devons-nous alors autant à Troxler qu’à Druey?
Oui. J’avais écrit un petit essai juste après ma thèse, dans les années 1990, intitulé Aux sources du radicalisme. Les origines de la démocratie libérale. J’y avais hasardé une hypothèse qui n’a jamais fait l’objet du moindre débat, car tout le monde s’en moque. Cette hypothèse, que j’ai en fait toujours reprise depuis lors et à laquelle je tiens de plus en plus, c’est que la démocratie directe à l’helvétique se nourrit de deux sources: le système français de Condorcet, qu’elle va incarner avec sa constitution girondine, et le romantisme médiéval, que l’on retrouve dans la Landsgemeinde. Celle-ci n’est pas un modèle en soi, certains théoriciens ont donc raison de dire qu’elle n’est pas en ligne directe de notre système. Mais elle n’en demeure pas moins un modèle, un modèle auquel on tient, parce qu’on veut s’en différencier. Les Vaudois en parlent d’ailleurs clairement en 1845. On retrouve donc la permanence de la dualité rationalisme-romantisme, qui débouche sur une synthèse qui s’appelle la Suisse moderne.
Le radicalisme de Troxler est aussi romantique du fait qu’il n’est pas opposé à l’idée d’unité. Comment comprendre cette unité sur plan politique?
L’unité romantique, c’est le tout et la diversité comme le théorisera aussi Denis de Rougemont à sa manière à travers l’amour occidental de l’homme et de la femme. C’est l’ensemble des petits touts qui font le grand Tout. C’est à travers sa communauté que le grand Tout se constitue, formée d’alvéoles qui, mises ensemble, s’irriguent mutuellement. On le retrouve dans l’article 1 de la Constitution fédérale, qui définit la Suisse comme composée du peuple et des cantons. L’un ne va pas sans l’autre.
«Dans le projet de Constitution que Troxler rédige, il a les yeux tournés vers le modèle des Etats-Unis d’Amérique: la souveraineté cantonale ne s’oppose pas pas à la souveraineté nationale.» (extrait de Troxler. Inventeur de la Suisse moderne)
Il n’empêche, les cantons ont bien changé depuis le XIXe siècle. Et donc la Suisse aussi. Qu’est-ce que Troxler dirait de nos débats d’aujourd’hui, notamment celui sur la règle de la majorité des cantons?
Que le déséquilibre démographique entre de petits cantons ruraux et de grands cantons urbains n’est pas le problème. Que la Suisse se constitue par ses cantons. Que ce n’est pas la Suisse qui crée les cantons, mais les cantons qui créent la Suisse. Que c’est donc un présupposé, un passage obligé sans lequel il n’y a pas de Suisse.
Troxler était un touche-à-tout: médecin, philosophe, homme politique... Est-on aujourd’hui en manque de ces humanistes, en particulier pendant le covid-19?
Oui, c’est certain. D’ailleurs, je mentionne dans le livre que Troxler s’était illustré en ayant une vision réformiste de la médecine lors du traitement d’une épidémie de fièvre à Lucerne en 1805-1806. C’est la vision romantique de la médecine: elle ne doit pas être restreinte à l’auscultation de la physiologie humaine, à l’observable, elle doit aller au-delà. Sa vision a été novatrice pour les recherches sur le crétinisme ou le magnétisme, par exemple. Freud fut une prolongation de cette conception de la science qui va au-delà du sensible. Troxler, pour qui cette Übersinnlichkeit était si importante, nous dirait aujourd’hui que la santé n’est pas seulement corporelle. Il nous dirait aussi, on peut toujours rêver, que ce ne sont pas seulement les règles de trois des épidémiologistes qui doivent être étudiées, mais aussi la société dans son ensemble, comme un corps vivant. Il dirait enfin qu’il est tout aussi populiste de dire «la santé avant tout» que «il faut tout rouvrir tout de suite».
Troxler était un intellectuel radical qui réfléchissait beaucoup aux institutions et à la représentation politique. Vous êtes en quelque sorte du même bois. Estimez-vous que notre siècle sera celui de la crise de la représentation?
Je le pense hélas. Presque deux siècles après Troxler, nous constatons plus que jamais que la démocratie est vivante et que la Constitution peut, doit, toujours être discutée, entre autres choses. Il y a des éléments qui ne sont pas inintéressants dans les modèles de tirage au sort, par exemple, sur lesquels j’ai notamment discuté avec l’éthicien Johan Rochel dans le cadre de recherches communes. Pour relever ce genre de défis, l’histoire, la pédagogie et la pensée restent de mise.
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Je l’avais également intégré assez rapidement dans ma perspective de réflexion sur le rationalisme et le romantisme comme sources du libéralisme et du radicalisme qui se sont construits en Suisse. Troxler est fascinant parce qu’il incarne le versant romantique du radicalisme.</p> <p><strong>L’une des manifestations concrètes de ce «radicalisme romantique» que nous voyons encore aujourd’hui, c’est la présence d’une chambre des cantons, à savoir le Conseil des Etats, au sein de nos institutions. Expliquez-nous pourquoi et dites-nous dans quelle mesure Troxler a, selon vous, rendu possible sa création.</strong></p> <p>Le dispositif intellectuel qui sous-tend le mouvement radical et qui se met en place pour donner lieu à la Suisse moderne de 1848 est un dépassement hégélien du lien entre les Lumières proprement dites et le romantisme. Druey incarne et assume ce prolongement d’un héritage rationaliste, que d’autres avoueront seulement de manière indirecte. 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Nous parlons de la censure d’opinions et de crachats au visage d’intellectuels français venus simplement présenter leur livre à un petit public curieux de se confronter à un avis nuancé sur les débats qui secouent actuellement la notion de genre. Les psychanalystes Céline Masson et Caroline Elliachef étaient venues le 29 avril parler de leurs critiques à l’égard de la médicalisation précoce des enfants qui désirent changer de sexe; le philosophe Eric Marty était quant à lui venu le 17 mai parler de la différence entre l’approche anglo-saxonne et l’approche européenne du genre dans l’histoire des idées. 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Qui sont ces groupes désormais puissants dans les rapports de force idéologiques qui parcourent l’université et la société de manière générale (pour vous en convaincre, songez au fait qu’à Neuchâtel, les représentants des étudiants avaient réussi à ne faire comptabiliser que les réussites d’examens, et pas les échecs, en période de Covid)? 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Si les représentants de toutes les autres faîtières estudiantines nous ont déclaré qu’ils condamnaient les moyens violents utilisés par les manifestants genevois pour faire entendre leur cause, ils sont également unanimes sur la limite que leurs associations se fixent concernant leurs revendications politiques. En effet, toutes les faîtières se donnent la compétence de prendre publiquement position «quand le sujet concerne les étudiants». Voici comment par exemple Guillaume Haas détaille le cas de l’AGEF, qu’il co-préside:</p> <p>«Notre grande différence avec la CUAE (Genève) est que l’AGEF (Fribourg) est représentée à tous les niveaux de l’université de Fribourg. Et quand je dis à tous les niveaux, c’est à tous les niveaux: au Sénat, qui est l’organe suprême de l’université, mais aussi dans la moindre des petites commissions. L’UniFR est l’une des universités les plus démocratiques d’Europe. C’est ce qui explique que l’AGEF ait peu de coups d’éclat, contrairement à nos camarades de la CUAE. Je ne leur en fait pas le reproche: c’est leur seul moyen de se faire entendre. Sur le plan des idées politiques, j’observe qu’il y a des personnes de tous bords à l’AGEF. Il y a des sensibilités différentes qui s’expriment lors de discussions sur les budgets et l’allocation des fonds, par exemple. Mais l’AGEF est apolitique: nous ne fonctionnons pas avec un système de représentants par partis. On ne parle que de politique quand le sujet concerne les étudiants.»</p> <p>Or, cela devient plus difficile à appliquer dans des exemples concrets. C’est que cette ligne de conduite a priori juste et inoffensive est on ne peut plus floue. A partir de combien d’étudiants concernés une affaire est censée «concerner les étudiants»? Outre l’intégration des étudiants transgenres dans la forme des statuts de l’Union des étudiant-e-s de Suisse (UNES), les délégués de cette «faîtière des faîtières» ont par exemple traité d’une initiative populaire en assemblées des délégués, parce que la votation faisait courir un risque au programme ERASMUS, même si les étudiants n’étaient pas cités dans le texte. Rebelote avec la question de l’accord-cadre et HORIZON2020. Un ancien responsable de la FEN, la faîtière neuchâteloise, confie:</p> <p>«Peu de personnes s’engagent dans ces structures. Il y a eu des assemblées générales de la FEN où nous étions dix. Le fait que trop peu de gens s’y engagent ouvre la porte au fait que des activistes de groupes très virulents, qui ont l’habitude de participer et de mobiliser leurs "troupes" pour une cause, ramènent tous leurs amis.»</p> <p>Notre source explique avoir été prise de cours avec le reste du comité il y a quelques années: certains cercles militants qui connaissaient bien le système de la fédération ont requis une AG extraordinaire et ont pu avancer leurs pions en quasi-unanimité. A Genève, la CUAE indique elle-même sur son site que «l’association adopte la ligne et l’opinion de la majorité des gens qui s’y engagent». Les absents ont donc toujours tort, comme en démocratie. D’un certain point de vue, cela coule de source. Et il est vrai que si des étudiants ne se sentent pas représentés, ils ont intérêt à s’y engager.</p> <h3>Effet d'entre-soi</h3> <p>Mais d’un autre point de vue, comment en vouloir à des étudiants, qui n’adhèrent pas à la tendance «woke» ou «intersectionnelle» souvent représentée par ces associations qui raffolent d’écriture inclusive, de ne pas venir s’y impliquer? Un fait psychologique simple: quand la Fédération des Associations d’Etudiant-e-s-x (Lausanne) convoque une assemblée «ouverte à tou-x-te-s», un étudiant qui trouve cette graphie laide, contestable sur le fond, ridicule ou les trois à la fois se dira peut-être que le comité n’est sans doute pas si ouvert que cela à tout le monde, du moins pas aux idées qu’il défendrait s’il venait y parler en toute honnêteté.</p> <p>C’est un fait et non un commentaire, ni même une analyse: une idéologie radicale de gauche identitaire suinte du vocabulaire, du propos et des actions de la CUAE, comme de bien d’autres associations, y compris, mais dans une moindre mesure, les faîtières d’étudiants des autres universités. 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Il constate en revanche un écart entre le discours de gauche et la réalité de son corps d’élus: «La pluralité et la tolérance, brandies si souvent par le PS et les Verts, sont bien plus présentes chez leurs adversaires dans les faits. On le constate aussi dans des débats de société actuels, avec par exemple le courant woke de la gauche qui souhaite restreindre la liberté d’expression, censurer des œuvres, interdire certaines discussions, etc.»</p> <h3>La diversité des profils socio-professionnels, un atout? </h3> <p>La discussion devient encore plus intéressante quand on se penche sur un autre schéma: celui de l’observatoire des élites suisses (OBELIS), de l’Université de Lausanne, représentant le profil socio-professionnel des politiciens actuellement sous la Coupole. Ceux-ci sont répertoriés selon la distinction «ayant suivi des hautes études - n’ayant pas suivi de hautes études». 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