Média indocile – nouvelle formule
Jonas Follonier
Jonas Follonier
Journaliste et auteur-compositeur, Jonas Follonier est le rédacteur en chef de la revue mensuelle Le Regard Libre, consacrée à la culture et au débat d’idées. D’origine valaisanne, il est établi à Neuchâtel où il a obtenu un master en philosophie et littérature française. Il a rejoint Bon pour la tête en septembre 2018 en tant que pigiste.
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Les psychanalystes Céline Masson et Caroline Elliachef étaient venues le 29 avril parler de leurs critiques à l’égard de la médicalisation précoce des enfants qui désirent changer de sexe; le philosophe Eric Marty était quant à lui venu le 17 mai parler de la différence entre l’approche anglo-saxonne et l’approche européenne du genre dans l’histoire des idées. Traitées de «transphobes», ces personnalités – situées à gauche! – ont été violemment contraintes d’annuler leur prise de parole sur le sol helvétique.</p> <p>Sur cette indéfendable affaire se superpose un deuxième scandale: mise sous pression par la CUAE – la «Conférence Universitaire des Associations d’Etudiant.e.x.s» – l’Université de Genève (UniGE) a abandonné son dépôt de plainte contre les transactivistes ayant fait preuve de violence. 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Nous n’avons malheureusement pas réussi à contacter la CUAE, mais les informations à disposition de tous et les contacts pris auprès d’autres faîtières suffisent à répondre aux besoins de cet article.</p> <p>De manière générale, toutes les faîtières d’associations étudiantes nichées dans les universités romandes poursuivent les mêmes objectifs: mettre en réseau la communauté estudiantine, défendre ses intérêts auprès du rectorat et auprès du canton, favoriser l’égalité des chances, financer des événements ou des activités d’associations d’étudiants, etc. Bref, soutenir les étudiants.</p> <p>Pour être membre de la CUAE, il suffit de s’affilier à l’une des associations étudiantes de l’Université de Genève, qui elles-mêmes composent la CUAE. Une contribution de 5 CHF est alors prélevée dans les taxes universitaires que paient de toute manière les étudiants. Mais il est aussi possible de s’engager pour la CUAE à titre individuel. 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C’est ce qui explique que l’AGEF ait peu de coups d’éclat, contrairement à nos camarades de la CUAE. Je ne leur en fait pas le reproche: c’est leur seul moyen de se faire entendre. Sur le plan des idées politiques, j’observe qu’il y a des personnes de tous bords à l’AGEF. Il y a des sensibilités différentes qui s’expriment lors de discussions sur les budgets et l’allocation des fonds, par exemple. Mais l’AGEF est apolitique: nous ne fonctionnons pas avec un système de représentants par partis. On ne parle que de politique quand le sujet concerne les étudiants.»</p> <p>Or, cela devient plus difficile à appliquer dans des exemples concrets. C’est que cette ligne de conduite a priori juste et inoffensive est on ne peut plus floue. A partir de combien d’étudiants concernés une affaire est censée «concerner les étudiants»? 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Le rectorat a négocié avec la faîtière d’étudiants un accord commun – incluant tous les étudiants et collaborateurs de l’université – portant sur la défense de valeurs fondamentales telles que la liberté académique, la liberté d’expression, le refus de la violence, etc. Mais le <a href="https://www.unige.ch/communication/communiques/2022/luniversite-et-ses-etudiant-es-reaffirment-les-valeurs-de-linstitution">communiqué de l’université</a> souffre d’une certaine ambiguïté:</p> <p>«Par cette déclaration commune, le rectorat et les étudiant-es replacent (…) le débat dans son contexte académique et souhaitent rappeler des principes essentiels: le respect dû aux personnes passant par la lutte contre toute forme de discrimination, notamment de genre, d’origine ou de classe; le refus de la violence sous toutes ses formes; le respect de la liberté académique dans la recherche et l’enseignement, <em>encadrée par les valeurs précitées</em><sup><strong>1</strong></sup>. Ces convictions partagées permettent au Rectorat de renoncer au dépôt de plainte pénale initialement envisagé (…)»</p> <p>Faut-il en déduire que les conférences empêchées par les activistes LGBTQI+ n’auraient pas dû être organisées? Autrement dit, l’université donne-t-elle raison aux manifestants – au-delà de la violence dont ils ont fait usage – sur le bien-fondé de leur indignation? On pourrait le croire en lisant également ce passage: «Indépendamment de sa forme, l’action menée par les manifestant-es le 17 mai est révélatrice de la souffrance qui affecte certains groupes vulnérables – dont les personnes trans – et qui implique pour l’institution un devoir particulier de protection.»</p> <h3>Cotisations obligatoires et fonctionnement démocratique</h3> <p>Il ne sera pas question ici d’établir qui a gagné ce «match» (comme si on ne le savait pas, du reste), mais de livrer quelques informations sur cette faîtière d’étudiants et ses équivalents romands. Qui sont ces groupes désormais puissants dans les rapports de force idéologiques qui parcourent l’université et la société de manière générale (pour vous en convaincre, songez au fait qu’à Neuchâtel, les représentants des étudiants avaient réussi à ne faire comptabiliser que les réussites d’examens, et pas les échecs, en période de Covid)? Nous n’avons malheureusement pas réussi à contacter la CUAE, mais les informations à disposition de tous et les contacts pris auprès d’autres faîtières suffisent à répondre aux besoins de cet article.</p> <p>De manière générale, toutes les faîtières d’associations étudiantes nichées dans les universités romandes poursuivent les mêmes objectifs: mettre en réseau la communauté estudiantine, défendre ses intérêts auprès du rectorat et auprès du canton, favoriser l’égalité des chances, financer des événements ou des activités d’associations d’étudiants, etc. Bref, soutenir les étudiants.</p> <p>Pour être membre de la CUAE, il suffit de s’affilier à l’une des associations étudiantes de l’Université de Genève, qui elles-mêmes composent la CUAE. Une contribution de 5 CHF est alors prélevée dans les taxes universitaires que paient de toute manière les étudiants. Mais il est aussi possible de s’engager pour la CUAE à titre individuel. Par comparaison, «l’Association Générale des Etudiant·e·s de l’Université de Fribourg» (AGEF) vit grâce à une cotisation obligatoire de 20 CHF pour tout étudiant, dont une bonne partie repart dans les sections de la faîtière (une section par département ou faculté). C’est à peu près la même chose à Neuchâtel, où tous les étudiants sont <em>de facto</em> membres de la «Fédération des étudiant·e·s neuchâtelois·e·s» (FEN) et paient ainsi une cotisation de 15 CHF, comprise dans la taxe d’étude. Si quelqu’un ne souhaite pas la payer, il doit démissionner par écrit de la faîtière.</p> <p>On part alors du principe que les faîtières en question doivent se sentir responsables de leur caractère représentatif vis-à-vis des étudiants qu’elles fédèrent. Mais pas besoin de trop gratter pour se rendre compte qu’il ne s’agit pas vraiment du genre de la maison. La CUAE se définit sur son site comme «association faîtière et syndicat des étudiant.e.x.s de l’Université de Genève, et leur porte-parole auprès des autorités universitaires et politiques». Déjà, même s’il s’agit d’une volonté des individus qui composent la CUAE, son statut de syndicat pose question, dans la mesure où il reflète une certaine culture politique: n’y a-t-il pas incompatibilité entre cette nature de syndicat (unique en Suisse parmi les universités) et le fait de devoir représenter les étudiants dans leur diversité (y compris politique, diversité qu’on oublie souvent)?</p> <h3>Revendications politiques «si ça concerne les étudiants»</h3> <p>En partant de cette interrogation, on peut tirer un fil logique pour questionner les types de revendications portées par la CUAE et par leurs émules romandes. Si les représentants de toutes les autres faîtières estudiantines nous ont déclaré qu’ils condamnaient les moyens violents utilisés par les manifestants genevois pour faire entendre leur cause, ils sont également unanimes sur la limite que leurs associations se fixent concernant leurs revendications politiques. En effet, toutes les faîtières se donnent la compétence de prendre publiquement position «quand le sujet concerne les étudiants». Voici comment par exemple Guillaume Haas détaille le cas de l’AGEF, qu’il co-préside:</p> <p>«Notre grande différence avec la CUAE (Genève) est que l’AGEF (Fribourg) est représentée à tous les niveaux de l’université de Fribourg. Et quand je dis à tous les niveaux, c’est à tous les niveaux: au Sénat, qui est l’organe suprême de l’université, mais aussi dans la moindre des petites commissions. L’UniFR est l’une des universités les plus démocratiques d’Europe. C’est ce qui explique que l’AGEF ait peu de coups d’éclat, contrairement à nos camarades de la CUAE. Je ne leur en fait pas le reproche: c’est leur seul moyen de se faire entendre. Sur le plan des idées politiques, j’observe qu’il y a des personnes de tous bords à l’AGEF. Il y a des sensibilités différentes qui s’expriment lors de discussions sur les budgets et l’allocation des fonds, par exemple. Mais l’AGEF est apolitique: nous ne fonctionnons pas avec un système de représentants par partis. On ne parle que de politique quand le sujet concerne les étudiants.»</p> <p>Or, cela devient plus difficile à appliquer dans des exemples concrets. C’est que cette ligne de conduite a priori juste et inoffensive est on ne peut plus floue. A partir de combien d’étudiants concernés une affaire est censée «concerner les étudiants»? Outre l’intégration des étudiants transgenres dans la forme des statuts de l’Union des étudiant-e-s de Suisse (UNES), les délégués de cette «faîtière des faîtières» ont par exemple traité d’une initiative populaire en assemblées des délégués, parce que la votation faisait courir un risque au programme ERASMUS, même si les étudiants n’étaient pas cités dans le texte. Rebelote avec la question de l’accord-cadre et HORIZON2020. Un ancien responsable de la FEN, la faîtière neuchâteloise, confie:</p> <p>«Peu de personnes s’engagent dans ces structures. Il y a eu des assemblées générales de la FEN où nous étions dix. Le fait que trop peu de gens s’y engagent ouvre la porte au fait que des activistes de groupes très virulents, qui ont l’habitude de participer et de mobiliser leurs "troupes" pour une cause, ramènent tous leurs amis.»</p> <p>Notre source explique avoir été prise de cours avec le reste du comité il y a quelques années: certains cercles militants qui connaissaient bien le système de la fédération ont requis une AG extraordinaire et ont pu avancer leurs pions en quasi-unanimité. A Genève, la CUAE indique elle-même sur son site que «l’association adopte la ligne et l’opinion de la majorité des gens qui s’y engagent». Les absents ont donc toujours tort, comme en démocratie. D’un certain point de vue, cela coule de source. Et il est vrai que si des étudiants ne se sentent pas représentés, ils ont intérêt à s’y engager.</p> <h3>Effet d'entre-soi</h3> <p>Mais d’un autre point de vue, comment en vouloir à des étudiants, qui n’adhèrent pas à la tendance «woke» ou «intersectionnelle» souvent représentée par ces associations qui raffolent d’écriture inclusive, de ne pas venir s’y impliquer? 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Et quand on se réunit autour de croyances sur les ressorts cachés du «système» et de la «société», par exemple leurs soi-disants ressorts «racistes» ou «transphobes», tout en excluant ou en méprisant – ne serait-ce que par un regard – toute autre approche, cela ressemble plus à une secte qu’à une association d’étudiants.</p> <p>Nous nous permettrons alors cette remarque personnelle: face à ce constat, au lieu de traquer les manifestations d’idéologie là où elles apparaîtront forcément à un moment donné, l’être humain étant ce qu’il est, ne vaudrait-il par mieux porter haut la valeur du pluralisme? Et se donner les moyens – pourquoi pas inventifs – de garantir cette diversité d’idées? Fait amusant, dans la Berne fédérale, l’association des étudiants s’organise autour… de représentants de partis. Cette solution a le mérite d’assumer la dimension politique de la démarche, tout en lui garantissant un certain équilibre. 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Actuel / Les faîtières d’étudiants, cas d’école des pressions politiques contemporaines
La «Conférence Universitaire des Associations d’Etudiant.e.x.s» (CUAE) de l’Université de Genève s’est trouvée récemment sous le feu des projecteurs depuis sa confrontation avec le rectorat. Au centre du bras de fer, la plainte qu’avait envisagée l’université contre les activistes LGBTQI+ qui avaient empêché avec violence la tenue de conférences sur la question du genre, parce qu’ils jugeaient les invités transphobes. La CUAE avait demandé à l’université de ne pas déposer plainte et de reconnaître le caractère «transphobe» des conférenciers en question. L’université a plié. Sans doute en partie par trouille, mais ce n’est pas le sujet ici. Plutôt celui-ci: que dire du caractère représentatif ou non de ces revendications pour les étudiants? Quel regard les autres faîtières estudiantines romandes portent-elles sur cette genevoiserie? Quelles sont leurs missions? Comment fonctionnent-elles? Tour d’horizon.
Jonas Follonier
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Culture / Attention chef-d'œuvre
«Rends l’amour» (single), Benjamin Biolay
Jonas Follonier
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Culture / Qui est le chef d’orchestre de notre vie?
«Racontez-moi», Marzia Celii, le 10 juin 2022 à la Grange à Jeanne à Onnens (VD) et le 19 novembre 2022 à Les Caves à Versoix.
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Il constate en revanche un écart entre le discours de gauche et la réalité de son corps d’élus: «La pluralité et la tolérance, brandies si souvent par le PS et les Verts, sont bien plus présentes chez leurs adversaires dans les faits. On le constate aussi dans des débats de société actuels, avec par exemple le courant woke de la gauche qui souhaite restreindre la liberté d’expression, censurer des œuvres, interdire certaines discussions, etc.»</p> <h3>La diversité des profils socio-professionnels, un atout? </h3> <p>La discussion devient encore plus intéressante quand on se penche sur un autre schéma: celui de l’observatoire des élites suisses (OBELIS), de l’Université de Lausanne, représentant le profil socio-professionnel des politiciens actuellement sous la Coupole. Ceux-ci sont répertoriés selon la distinction «ayant suivi des hautes études - n’ayant pas suivi de hautes études». 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Mais il faut noter toutes les fois où la gauche, dans notre pays, place au premier plan de ses revendications l’égalité des chances, la dignité de chaque individu, le fait que chacun puisse et doive s’engager en politique ou dans un conseil d’administration, etc. Il y a donc un paradoxe évident entre la forte présence de ces thèmes au niveau de la posture de la gauche et la réalité des origines socio-professionnelles au niveau de ses représentants.</p> <p>Encore une fois, il n’a pas été question ici d’évaluer positivement ou négativement une homogénéité d’opinions ou de parcours. Mais de pointer des faits et de les mettre en perspective avec le langage de la gauche. Cette famille de pensée, incontournable dans la vie politique suisse, devrait davantage se pencher sur ses paradoxes. «C’est une des conditions pour que la social-démocratie, prise dans ses contradictions internes, ne subisse pas une dégringolade à la française – moins violente, mais quand même. 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Les résultats du sondage «Smartvote» le montrent (voir les trois graphiques ci-dessous).</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1648117898_capturedcran2022032411.30.40.png" class="img-responsive img-fluid center " width="551" height="616" /></p> <h4 style="text-align: left;"><em>Elus du Conseil national en 2019, sondage Smartvote.</em></h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1648118007_capturedcran2022032411.32.44.png" class="img-responsive img-fluid center " width="547" height="596" /></p> <h4><em>Elus du Conseil des Etats (premier tour) en 2019, sondage Smartvote.</em></h4> <p><em><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1648118085_capturedcran2022032411.34.13.png" class="img-responsive img-fluid center " width="549" height="568" /></em></p> <h4><em>Elus du Conseil des Etats (second tour) en 2019, sondage Smartvote.</em></h4> <p>Cette enquête demande aux candidats d’une élection en Suisse de répondre à 75 questions d’ordre politique («Etes-vous favorable à une hausse de l'âge de la retraite (p. ex. à 67 ans)?», «L’expansion du réseau mobile selon la norme 5G doit-elle se poursuivre?», «Le financement des partis ainsi que celui des campagnes pour les élections et les votations devrait-il être transparent?», ou encore «Les conditions de naturalisation devraient-elles être revues à la hausse?»). Sur la base des réponses, ces candidats sont classés selon un axe des abscisses «gauche-droite» et un axe des ordonnées «libéral-conservateur». Les résultats servent ensuite à générer des recommandations de vote pour tout citoyen qui participe à son tour au sondage.</p> <p>La première conclusion que l’on peut tirer des graphiques ci-dessus, c’est qu’il semble régner, au sein de l’Assemblée fédérale actuelle, un plus grand écart d’idées politiques au sein d’un parti de droite ou du centre qu’au sein d’un parti de gauche. On pourrait objecter, avec raison, que les critères «libéral» versus «conservateur» sont moins pertinents à gauche qu’à droite, et que l’écart observé verticalement sur le graphique est donc biaisé. Or, on remarque également une plus grande distance sur l’axe <i>horizontal</i> entre les points les plus éloignés d’un même parti de droite que ceux d’un même parti de gauche. Ce qui signifie bien qu’il y a plus de différences entre les ailes gauche et droite d’un parti de droite (ou du centre) qu’entre les ailes gauche et droite d’un parti de gauche. Fait éclairant, le constat peut être vérifié avec d’autres élections sur le site de Smartvote, par exemple l’actuel scrutin vaudois.</p> <p>Interrogé sur ces données, l’historien et juriste Olivier Meuwly, membre du PLR, prêche d’abord pour sa paroisse: «Le pluralisme des idées est une vertu sur le plan intellectuel». Mais il nuance aussitôt: «Cela peut être aussi un facteur de confusion ou de division sur le plan électoral.» Historiquement, les libéraux-radicaux ont toujours eu cette caractéristique, explique le spécialiste. Une caractéristique qu’il juge donc neutre: les partis de droite n’en ressortent pas plus légitimes. Il constate en revanche un écart entre le discours de gauche et la réalité de son corps d’élus: «La pluralité et la tolérance, brandies si souvent par le PS et les Verts, sont bien plus présentes chez leurs adversaires dans les faits. On le constate aussi dans des débats de société actuels, avec par exemple le courant woke de la gauche qui souhaite restreindre la liberté d’expression, censurer des œuvres, interdire certaines discussions, etc.»</p> <h3>La diversité des profils socio-professionnels, un atout? </h3> <p>La discussion devient encore plus intéressante quand on se penche sur un autre schéma: celui de l’observatoire des élites suisses (OBELIS), de l’Université de Lausanne, représentant le profil socio-professionnel des politiciens actuellement sous la Coupole. Ceux-ci sont répertoriés selon la distinction «ayant suivi des hautes études - n’ayant pas suivi de hautes études». Le résultat semble comme calqué sur les graphiques précédents (pluralisme des idées):</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1648117695_capturedcran2022032411.27.09.png" class="img-responsive img-fluid center " width="555" height="386" /></p> <h4><em>Observatoire des élites suisses (Obelis) de l’Université de Lausanne, graphique publié dans <i>Le Temps</i> le 24 octobre 2019.</em></h4> <p>Là encore, Olivier Meuwly sourit: «Il y a une contradiction évidente entre le fait de se proclamer le parti des prolétaires et de ne plus l’être depuis longtemps au niveau de ses représentants, comme d’une partie de ses électeurs d’ailleurs.» Il n’empêche, en théorie, rien ne défend à un professeur d’université de s’intéresser à la condition des ouvriers. Mais il faut noter toutes les fois où la gauche, dans notre pays, place au premier plan de ses revendications l’égalité des chances, la dignité de chaque individu, le fait que chacun puisse et doive s’engager en politique ou dans un conseil d’administration, etc. Il y a donc un paradoxe évident entre la forte présence de ces thèmes au niveau de la posture de la gauche et la réalité des origines socio-professionnelles au niveau de ses représentants.</p> <p>Encore une fois, il n’a pas été question ici d’évaluer positivement ou négativement une homogénéité d’opinions ou de parcours. Mais de pointer des faits et de les mettre en perspective avec le langage de la gauche. Cette famille de pensée, incontournable dans la vie politique suisse, devrait davantage se pencher sur ses paradoxes. «C’est une des conditions pour que la social-démocratie, prise dans ses contradictions internes, ne subisse pas une dégringolade à la française – moins violente, mais quand même. Le PS a connu récemment des défaites électorales à Zurich et à Fribourg. Le deuxième tour dans le Canton de Vaud sera un bon test», conclut Olivier Meuwly, pour qui rien n’est encore écrit.</p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'les-partis-de-droite-sont-plus-diversifies-que-les-partis-de-gauche', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 551, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 8, 'person_id' => (int) 2374, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' }count - [internal], line ?? 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Analyse / Les partis de droite sont plus diversifiés que les partis de gauche
Les graphiques «Smartvote» sont formels: au parlement suisse, les partis de gauche ont un positionnement idéel plus homogène que les partis de droite. Aussi, selon une étude de l’observatoire des élites suisses parue en 2019, il en est de même pour le profil socio-professionnel des actuels élus: les non-universitaires sont davantage représentés à droite qu’à gauche (même à 50% au PLR et à l’UDC.) Ces deux faits illustrent une contradiction entre les discours de gauche et la réalité.
Jonas Follonier
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Culture / Des mots qui sont autant d'aéronefs
«Le suc des sèves», Laurent Galley, Editions de l’Aire, 92 pages.
Jonas Follonier
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Certaines personnalités du PLR s’étaient illustrées ces derniers mois dans le débat public en se disant ouvertes au nucléaire de nouvelle génération, ayant l’avantage d’être une énergie indigène neutre en C0<sub>2</sub>. Réuni en assemblée à Montreux le samedi 12 février, le parti bourgeois a adopté, à un score quasi soviétique (247 «oui» contre 9 «non» et 4 abstentions), une résolution visant à ne pas fermer la construction de nouvelles centrales. Celle-ci, selon le <a href="https://www.plr.ch/fileadmin/documents/fdp.ch/pdf/FR/Positions/Papiers_de_position/Environnement__Transports__Energie_et_Communication/Pour_plus_d_informations/20220212_RES_Stromversorgungssicherheit_f.pdf">papier de position</a> ayant résulté d’une riche discussion parmi les membres, ne doit cependant être envisagée qu’en dernier recours.</p> <h3>Un jugement de valeur plus qu’une analyse politique</h3> <p>Cela, le président du PLR Thierry Burkhart l’a résumé <a href="https://www.rts.ch/play/tv/redirect/detail/12861397">au micro de la RTS</a>: «Le PLR n’a jamais demandé de construire immédiatement une nouvelle centrale. Par contre, nous avons toujours dit que nous voulions rester ouverts aux nouvelles technologies, aux évolutions et innovations du futur. Et s’il y a un jour un besoin, alors on doit pouvoir reparler du nucléaire.» Mais quel n’a pas été le qualificatif utilisé par l’audiovisuel public pour résumer cette position: «Pour le nouveau président du parti Thierry Burkhart, le test est réussi: la décision du jour montre que la base est prête à le suivre sur sa ligne plus conservatrice.» Si «conservateur» est bien, comme on l’entend habituellement, un adjectif qui s’oppose à «libéral» ou «progressiste», en quoi le fait de se montrer favorable au progrès technologique, qui plus est en spécifiant des garde-fous, serait-il conservateur? Ne serait-ce pas au contraire tout ce qu’il y a de plus progressiste, de plus libéral?</p> <p>Même à supposer que la journaliste ait voulu dire par-là que le parti souhaite revenir sur la volonté du peuple suisse de stopper la construction de nouvelles centrales, ce «changement de ligne» (dans l’hypothèse où c’en est un) n’a justement rien de conservateur, puisque, précisément, <i>c’est une rupture</i>, due aux mutations du réel. On a comme l’impression que ce mot a été brandi non par souci de précision dans la description de l’actualité politique, mais par réflexe. Le nucléaire, en somme, ce serait le vieux monde, alors inutile de s’embarrasser de nuances. Quand on ne pense pas, on prend les premiers qualificatifs qui viennent.</p> <p>Et l’affaire est sans doute encore plus simple que ça. Qualifier une prise de position, quelle qu’elle soit, de conservatrice, c’est devenu une manière, consciente ou inconsciente, de dénigrer la prise de position en question. Le raisonnement sous-jacent étant: soutenir l’innovation de la technologie nucléaire, c’est «con», or être «con», en politique, c’est être «conservateur», donc le soutien à l’innovation de la technologie nucléaire est une position conservatrice. De la même façon, selon certaines personnes de gauche, ne pas penser comme elles, c’est être «d’extrême droite». Ou ne pas penser comme la majorité des universitaires d’un domaine en particulier, c’est être «controversé». 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Certaines personnalités du PLR s’étaient illustrées ces derniers mois dans le débat public en se disant ouvertes au nucléaire de nouvelle génération, ayant l’avantage d’être une énergie indigène neutre en C0<sub>2</sub>. Réuni en assemblée à Montreux le samedi 12 février, le parti bourgeois a adopté, à un score quasi soviétique (247 «oui» contre 9 «non» et 4 abstentions), une résolution visant à ne pas fermer la construction de nouvelles centrales. Celle-ci, selon le <a href="https://www.plr.ch/fileadmin/documents/fdp.ch/pdf/FR/Positions/Papiers_de_position/Environnement__Transports__Energie_et_Communication/Pour_plus_d_informations/20220212_RES_Stromversorgungssicherheit_f.pdf">papier de position</a> ayant résulté d’une riche discussion parmi les membres, ne doit cependant être envisagée qu’en dernier recours.</p> <h3>Un jugement de valeur plus qu’une analyse politique</h3> <p>Cela, le président du PLR Thierry Burkhart l’a résumé <a href="https://www.rts.ch/play/tv/redirect/detail/12861397">au micro de la RTS</a>: «Le PLR n’a jamais demandé de construire immédiatement une nouvelle centrale. Par contre, nous avons toujours dit que nous voulions rester ouverts aux nouvelles technologies, aux évolutions et innovations du futur. 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Ne serait-ce pas au contraire tout ce qu’il y a de plus progressiste, de plus libéral?</p> <p>Même à supposer que la journaliste ait voulu dire par-là que le parti souhaite revenir sur la volonté du peuple suisse de stopper la construction de nouvelles centrales, ce «changement de ligne» (dans l’hypothèse où c’en est un) n’a justement rien de conservateur, puisque, précisément, <i>c’est une rupture</i>, due aux mutations du réel. On a comme l’impression que ce mot a été brandi non par souci de précision dans la description de l’actualité politique, mais par réflexe. Le nucléaire, en somme, ce serait le vieux monde, alors inutile de s’embarrasser de nuances. Quand on ne pense pas, on prend les premiers qualificatifs qui viennent.</p> <p>Et l’affaire est sans doute encore plus simple que ça. Qualifier une prise de position, quelle qu’elle soit, de conservatrice, c’est devenu une manière, consciente ou inconsciente, de dénigrer la prise de position en question. 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A vif / Non, le PLR n’est pas «conservateur» parce que pro-nucléaire…
Lors de son congrès du 12 février dernier, le Parti libéral-radical (PLR) a décidé de soutenir le recours à des centrales nucléaires de nouvelle génération. Au 19h30 du même jour, la correspondante de la RTS, qui était présente au Congrès, a conclu son reportage en affirmant que les délégués du PLR confirmaient ainsi la ligne «conservatrice» prise par le nouveau président Thierry Burkart. Ne pas se fermer aux évolutions technologiques de l’énergie nucléaire, ce serait donc conservateur! Mais encore…
Jonas Follonier
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Il a accédé à la notoriété avec le morceau de RnB <i>Master Teacher</i> en 2008, dans lequel la musicienne noire Georgia Anne Muldrow glisse «I stay woke». Ce qu’elle voulait dire par-là, explique-t-elle dans une interview, c’est qu’elle reste «en contact avec la lutte que [son] peuple a menée ici et que nous nous battons depuis le jour où nous avons atterri ici». La notion s’est ensuite popularisée avec le mouvement «Black Lives Matter» et s’est généralisée pour exprimer la conscience de toutes les injustices et discriminations, en particulier à l’égard des minorités.</p> <p>Ainsi, écrit Pierre Valentin, «le terme "woke" n’est donc pas <i>d</i>’<i>abord</i> un anathème créé par ses adversaires mais une autodésignation». C’est un point important, car on ne compte plus, depuis un an environ, les articles de médias de gauche et du centre expliquant que le concept «woke» est un concept fourre-tout et que le wokisme n’existe pas. Que certains, à droite, appliquent peut-être trop souvent cette étiquette à des personnes ou des phénomènes au cœur de l’actualité ne change rien au fait que ce sont des militants qui se sont eux-mêmes revendiqués – et continuent de se revendiquer – woke. Mais on en arrive hélas à ces situations burlesques où, sur un plateau télé, des activistes donnent une définition de leur combat woke, corrigeant celle que proposent leurs contradicteurs, et affirment une minute après que les «woke» n’existent pas, qu’il s’agit simplement «d’amener un peu plus de justice sociale».</p> <h3>Plus qu'une théorie, des actions</h3> <p>Cela étant posé, parlons maintenant concret. Pierre Valentin, au tout début de son étude, rapporte ce qui est sans doute le premier exemple largement connu de wokisme appliqué pratiquement dans la société – et cet épisode est on ne peut plus parlant:</p> <p>«Depuis les années 1970, l’université américaine d’Evergreen observait une tradition baptisée "Jour d’absence", au cours de laquelle les professeurs et les étudiants non blancs quittaient le campus et se réunissaient ailleurs. L’acte cherchait à rappeler à quel point les non-blancs étaient précieux dans la vie du collège. Mais, en 2017, les organisateurs ont inversé les choses et ont exigé que les professeurs et les étudiants blancs quittent le campus. Un professeur de biologie, Bret Weinstein, s’y est opposé, jugeant qu’il y avait une distinction fondamentale entre un groupe qui décide de ne pas venir sur le campus de sa propre initiative et un groupe qui interdit à un autre de venir. Ce professeur progressiste se trouva immédiatement confronté à la colère de certains étudiants, puis à diverses mesures de rétorsion et enfin à des agressions quotidiennes. Face à l’hostilité de l’administration universitaire, le professeur et sa compagne, craignant pour leur sécurité, quittèrent les lieux définitivement.» </p> <p>Depuis, les épisodes se sont succédé. De campagnes de lynchage et d’intimidation, mais aussi de pratiques, disons, plus innovantes. Aux Etats-Unis, on a ainsi pu notamment assister, en l’espace de deux ans, à l’<a href="https://www.watson.ch/fr/international/absurdie/332196225-princeton-juge-le-latin-et-le-grec-racistes-et-les-raie-de-son-cursus">abandon du latin et du grec</a> dans le cursus latin-grec de l’Université de Princeton parce que la culture classique serait «raciste» et «colonialiste»; au bannissement <a href="https://www.bbc.com/news/uk-44288431">par le réseau social Twitter</a> d’utilisateurs ayant déclaré que «les hommes ne sont pas des femmes»; à la <a href="https://www.madmoizelle.com/ne-me-pesez-pas-un-outil-simple-contre-la-grossophobie-en-milieu-medical-1226124">création de cartes «Ne me pesez pas»</a> à brandir à son médecin pour les personnes grosses car «la société est grossophobe»; ou encore à l’explication – <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/09571558211027041%23.YQpCCaRAino.twitter">dans un article universitaire</a> des <i>French Cultural Studies</i> – du massacre de <i>Charlie Hebdo</i> par la prétendue «islamophobie» du journal quand celui-ci était dirigé par Philippe Val.</p> <p>En Europe, on a pu apprendre que des <a href="https://www.marianne.net/culture/litterature/a-luniversite-de-cambridge-des-classiques-de-la-litterature-juges-desormais-sulfureux">étiquettes ont été placées</a> à la bibliothèque de l’Université de Cambridge en mode «attention le contenu va peut-être vous heurter» au début de livres potentiellement choquants, qu’une nouvelle traduction française de <i>Dix petits nègres</i> d’Agatha Christie a été <a href="https://www.france24.com/fr/20200826-le-roman-dix-petits-n%25C3%25A8gres-d-agathe-christie-bient%25C3%25B4t-rebaptis%25C3%25A9-en-fran%25C3%25A7ais">rebaptisée «Ils étaient dix»</a> pour ne pas heurter un lectorat noir, qu’une nouvelle traduction néerlandaise de l’<i>Enfer</i> de Dante ne mentionne <a href="https://www.marianne.net/monde/europe/mahomet-efface-de-lenfer-de-dante-une-tendance-du-monde-culturel-occidental-a-reculer-face-au-terrorisme">plus Mahomet</a> car ce serait offensant pour les musulmans, que la traduction – encore une autre et toujours aux Pays-Bas – du poème de la militante Amanda Gorman récité à l’investiture de Joe Biden devait être assurée par une personne ayant la même couleur de peau (noire) que l’auteure (le traducteur engagé dans un premier temps pour son talent <a href="https://www.letemps.ch/culture/traduire-poetesse-amanda-gorman-enjeux-dune-polemique?fbclid=IwAR0nD1BXxsANJcbQx-vJYIQ5Gr5gwZZfJ-XpjmzoOUH0yzyGb9mo1cRGE88">a été évincé</a>), etc. etc. Et ne parlons pas du Canada, où, à titre d’exemple, des BD de «Tintin» et de «Lucky Luke» ont été <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1817537/livres-autochtones-bibliotheques-ecoles-tintin-asterix-ontario-canada">transformées en engrais</a> parce que jugées racistes.</p> <p>La Suisse romande aussi est touchée. Ne pensons qu’à la comédienne Claude-Inga Barbey, qui a reçu une telle pression sur les réseaux sociaux suite à un sketch jugé transphobe et un autre jugé sinophobe qu’elle a <a href="https://www.letemps.ch/opinions/claudeinga-barbey-merci-davoir-commente-videos-revoir">mis un terme</a> à sa chronique vidéo pour <i>Le Temps</i>. D’autres événements, plus anecdotiques, montrent que notre pays est concerné au même titre que les autres. Par exemple, l’apparition un peu partout de toilettes non-genrées. A l’Université de Neuchâtel, les WC classiques ne reconnaissant «que» des hommes et des femmes étaient accusés <a href="https://leregardlibre.com/forum/des-toilettes-non-genrees-allons-donc/">par des militants</a> d’«oppresser une partie de la communauté universitaire» en utilisant des «codes stéréotypés et moyenâgeux», à savoir la distinction hommes-femmes… L’idée étant que les personnes qui ont un autre genre, qui hésitent sur leur genre, qui ne veulent pas le dire, etc., doivent pouvoir être reconnues officiellement. Selon cette logique, il en va du <i>respect</i> à leur égard.</p> <h3>Un anti-universalisme</h3> <p>On le voit, le wokisme est une culture avant tout morale. Radio Canada en donne une définition précise: «Dans un contexte de combat en matière de justice sociale, cette expression définit quelqu’un qui est sensibilisé aux injustices qui peuvent avoir lieu autour de lui. On utilise souvent cette expression en opposition à “être endormi”, soit ne pas être éduqué sur les enjeux socio-économiques et sur les questions raciales», relaie Pierre Valentin, citant l’ouvrage de Mathieu Bock-Côté, <i>La révolution racialiste – et autres virus idéologiques</i>.</p> <p>Or cette posture morale de «sensibilisation» s’est parée d’un habillage scientifique post-modernisant lui-même tourné vers l’action, la prescription, l’injonction: «la boucle est bouclée car ce qui a commencé sous la forme de descriptions (première étape) et qui a muté en injonctions (deuxième étape) se termine sous la forme d’injonctions dissimulées dans des descriptions (troisième étape)», note Pierre Valentin. «Le ton change en conséquence au fur et à mesure qu’ils pensent parler de faits établis et non de théories. C’est ainsi que, par exemple, la théorie critique de la race (<i>critical race theory</i>, ou CRT), l’une des branches les plus populaires du wokisme, ne se demande plus si du racisme existe dans une certaine interaction sociale (une évidence, à leurs yeux), mais bien comment celui-ci se manifeste.»</p> <p>Il s’agit alors, comme le résume l’historien des idées Pierre-André Taguieff, de «tout déconstruire pour tout décoloniser». C’est ainsi que sont régulièrement dénoncés par les militants woke «la culture du viol» et «le racisme systémique» des sociétés occidentales. Car oui, l’Occident, dans son histoire et la structure même des Etats qui le composent, offre selon eux un contexte favorable au viol et au racisme, voire les encourage. Inutile de rappeler à ces parvenus de la pensée que la libération des peuples et des esprits, l’évolution du droit vers les sociétés ouvertes que nous connaissons aujourd’hui de ce côté du globe, les progrès en matière de droits des femmes, tout cela s’est <i>précisément passé en Occident</i>. Car si vous leur fournissez cet argument incontestable, ce sera pour eux la preuve que vous êtes sur la défensive, que vous cachez un privilège, un pouvoir, sous les traits factices de l’universalisme et des Lumières. Un héritage, justement, que les activistes woke rejettent ouvertement.</p> <p>Une illustration parmi d’autres: «Dans leur manuel sur la théorie critique de la race les universitaires Richard Delgado et Jean Stefancic affirment (…) que "contrairement aux mouvements des droits civiques traditionnels, qui englobent l’amélioration progressive des conditions, la théorie critique de la race remet en question les fondements mêmes de l’ordre libéral, y compris la théorie de l’égalité, le raisonnement juridique, le rationalisme des Lumières et les principes neutres du droit constitutionnel"» (c’est Pierre Valentin qui cite).</p> <p>Ce n’est donc pas parce que les woke entendent défendre des droits individuels qu’il faut les prendre pour des enfants des Lumières, du libéralisme ou même de l’individualisme. Car de toute manière, ces gens défendent, selon leurs propres mots, non pas tous les êtres humains dans ce qu’ils ont de semblable, mais des «communautés» bien précises, des «minorités», soit des groupes aussi abstraits que le «système», le «patriarcat», la «société» qu’ils accusent d’être dominants. Nulle place pour l’universalité – ni par ricochet pour l’individuation – dans leur logiciel: un Noir subit le même sort que ses semblables, un sort de «dominé», par le simple fait de sa couleur de peau; idem pour une lesbienne du simple fait qu’elle est attirée par les femmes; et ainsi de suite. Et le mot magique d’arriver quand quelqu’un fait partie de plusieurs communautés «dominées»: l’intersectionnalité. Ainsi, une femme noire lesbienne devra être défendue au nom de cette «convergence des luttes» car différents pouvoirs s’exercent cumulativement sur sa personne. En revanche, silence radio du côté des woke sur l’antisémitisme ou le sort des femmes dans des pays orientaux, comme l’appuie très justement Pierre Valentin dans le <a href="https://www.fondapol.org/app/uploads/2021/07/etude-fondapol-pierre-valentin-wokisme-volume-2-07-2021-1.pdf">deuxième volet</a> de son étude. En Suisse romande, un fait intéressant: les associations féministes de tendance woke, d’habitude si promptes à réagir à l’actualité, n’avaient <a href="https://www.watson.ch/fr/international/suisse/185777475-les-talibans-seraient-des-islamistes-moderes-mais-encore">rien communiqué sur Kaboul</a> au moment de la prise de pouvoir des talibans.</p> <p>Tout cela est bien triste. Car seul le droit, dans une société libérale, doit pouvoir trancher si injustice il y a. Et nier que, globalement, les individus sont libres et égaux de leurs choix de vie dans nos pays développés est une honte. Car en plus de nier le réel, ce discours donne du grain à moudre à ceux qui se laisseraient tenter par un retour en arrière, un plaidoyer illibéral du genre «y en a marre des pédés, des bougnouls et des bonnes femmes qui réclament leurs droits». La contre-productivité est un effet bien connu de l’outrance, et il n’aura échappé à personne que Trump est contemporain du politiquement correct et de l’arrivée en force du wokisme. Si son élection ne tient pas seulement à une réaction face à l’extrémisme de la gauche woke, il y a clairement un peu de cela quand même. Et l’Europe n’est pas épargnée par ce genre de phénomènes relevant du «retour de balancier».</p> <h3>Face à l'empire de l'émotion, rétablir la raison</h3> <p>Il convient encore de pointer une caractéristique du wokisme trop rarement évoquée: l’<i>attitude</i> de ses adeptes. Car si leur idéologie, maintenant bien connue, est problématique en soi, la manière qu’ils ont de raisonner est elle-même préoccupante. Car, justement, ils ne raisonnent pas. Comme l’a bien pointé l’ex-dessinateur du <i>Monde</i> Xavier Gorce – lui-même victime de cette idéologie – dans son livre <i>Raison et dérision</i>, paru dans la collection «Tracts Gallimard», les militants woke qui s’offusquent d’un propos, d’un sketch ou d’une œuvre ne le font pas en vertu d’un argument, d’un désaccord… mais d’une émotion: «je suis choqué», «je suis blessé», etc. La fameuse culture de l’offense et de la victimisation. C’est également ce que relève l’essayiste Eugénie Bastié dans <i>La Guerre des idées – enquête au cœur de l’intelligentsia française</i>, décrivant le mouvement woke comme un «sectarisme fondé sur le sentiment». Elle partage d’ailleurs à ce sujet cette remarque brillante que lui a faite le philosophe Marcel Gauchet: «cette nouvelle intolérance diffère de l’ancien sectarisme marxiste; "Tout anticommuniste est un chien": quand Sartre écrit ça, il ne dit pas que l’anticommuniste le blesse, et qu’il faut se protéger de ce type de discours.»</p> <p>Ainsi, si nous voulons nous prévenir de ce virus idéologique, il nous revient de porter haut les valeurs de l’universalisme, dans nos pensées et dans nos vies, ainsi que le principe de liberté d’expression (saluons <a href="https://www.gov.uk/government/news/landmark-proposals-to-strengthen-free-speech-at-universities">l’initiative de Boris Johnson</a> de sécuriser cet acquis fragile dans les universités britanniques). Mais évertuons-nous aussi à maintenir que la raison est le seul outil légitime pour débattre parmi les hommes et ainsi avancer vers la vérité et vers le bonheur. 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Il a accédé à la notoriété avec le morceau de RnB <i>Master Teacher</i> en 2008, dans lequel la musicienne noire Georgia Anne Muldrow glisse «I stay woke». Ce qu’elle voulait dire par-là, explique-t-elle dans une interview, c’est qu’elle reste «en contact avec la lutte que [son] peuple a menée ici et que nous nous battons depuis le jour où nous avons atterri ici». La notion s’est ensuite popularisée avec le mouvement «Black Lives Matter» et s’est généralisée pour exprimer la conscience de toutes les injustices et discriminations, en particulier à l’égard des minorités.</p> <p>Ainsi, écrit Pierre Valentin, «le terme "woke" n’est donc pas <i>d</i>’<i>abord</i> un anathème créé par ses adversaires mais une autodésignation». C’est un point important, car on ne compte plus, depuis un an environ, les articles de médias de gauche et du centre expliquant que le concept «woke» est un concept fourre-tout et que le wokisme n’existe pas. Que certains, à droite, appliquent peut-être trop souvent cette étiquette à des personnes ou des phénomènes au cœur de l’actualité ne change rien au fait que ce sont des militants qui se sont eux-mêmes revendiqués – et continuent de se revendiquer – woke. Mais on en arrive hélas à ces situations burlesques où, sur un plateau télé, des activistes donnent une définition de leur combat woke, corrigeant celle que proposent leurs contradicteurs, et affirment une minute après que les «woke» n’existent pas, qu’il s’agit simplement «d’amener un peu plus de justice sociale».</p> <h3>Plus qu'une théorie, des actions</h3> <p>Cela étant posé, parlons maintenant concret. Pierre Valentin, au tout début de son étude, rapporte ce qui est sans doute le premier exemple largement connu de wokisme appliqué pratiquement dans la société – et cet épisode est on ne peut plus parlant:</p> <p>«Depuis les années 1970, l’université américaine d’Evergreen observait une tradition baptisée "Jour d’absence", au cours de laquelle les professeurs et les étudiants non blancs quittaient le campus et se réunissaient ailleurs. L’acte cherchait à rappeler à quel point les non-blancs étaient précieux dans la vie du collège. Mais, en 2017, les organisateurs ont inversé les choses et ont exigé que les professeurs et les étudiants blancs quittent le campus. Un professeur de biologie, Bret Weinstein, s’y est opposé, jugeant qu’il y avait une distinction fondamentale entre un groupe qui décide de ne pas venir sur le campus de sa propre initiative et un groupe qui interdit à un autre de venir. Ce professeur progressiste se trouva immédiatement confronté à la colère de certains étudiants, puis à diverses mesures de rétorsion et enfin à des agressions quotidiennes. Face à l’hostilité de l’administration universitaire, le professeur et sa compagne, craignant pour leur sécurité, quittèrent les lieux définitivement.» </p> <p>Depuis, les épisodes se sont succédé. De campagnes de lynchage et d’intimidation, mais aussi de pratiques, disons, plus innovantes. Aux Etats-Unis, on a ainsi pu notamment assister, en l’espace de deux ans, à l’<a href="https://www.watson.ch/fr/international/absurdie/332196225-princeton-juge-le-latin-et-le-grec-racistes-et-les-raie-de-son-cursus">abandon du latin et du grec</a> dans le cursus latin-grec de l’Université de Princeton parce que la culture classique serait «raciste» et «colonialiste»; au bannissement <a href="https://www.bbc.com/news/uk-44288431">par le réseau social Twitter</a> d’utilisateurs ayant déclaré que «les hommes ne sont pas des femmes»; à la <a href="https://www.madmoizelle.com/ne-me-pesez-pas-un-outil-simple-contre-la-grossophobie-en-milieu-medical-1226124">création de cartes «Ne me pesez pas»</a> à brandir à son médecin pour les personnes grosses car «la société est grossophobe»; ou encore à l’explication – <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/09571558211027041%23.YQpCCaRAino.twitter">dans un article universitaire</a> des <i>French Cultural Studies</i> – du massacre de <i>Charlie Hebdo</i> par la prétendue «islamophobie» du journal quand celui-ci était dirigé par Philippe Val.</p> <p>En Europe, on a pu apprendre que des <a href="https://www.marianne.net/culture/litterature/a-luniversite-de-cambridge-des-classiques-de-la-litterature-juges-desormais-sulfureux">étiquettes ont été placées</a> à la bibliothèque de l’Université de Cambridge en mode «attention le contenu va peut-être vous heurter» au début de livres potentiellement choquants, qu’une nouvelle traduction française de <i>Dix petits nègres</i> d’Agatha Christie a été <a href="https://www.france24.com/fr/20200826-le-roman-dix-petits-n%25C3%25A8gres-d-agathe-christie-bient%25C3%25B4t-rebaptis%25C3%25A9-en-fran%25C3%25A7ais">rebaptisée «Ils étaient dix»</a> pour ne pas heurter un lectorat noir, qu’une nouvelle traduction néerlandaise de l’<i>Enfer</i> de Dante ne mentionne <a href="https://www.marianne.net/monde/europe/mahomet-efface-de-lenfer-de-dante-une-tendance-du-monde-culturel-occidental-a-reculer-face-au-terrorisme">plus Mahomet</a> car ce serait offensant pour les musulmans, que la traduction – encore une autre et toujours aux Pays-Bas – du poème de la militante Amanda Gorman récité à l’investiture de Joe Biden devait être assurée par une personne ayant la même couleur de peau (noire) que l’auteure (le traducteur engagé dans un premier temps pour son talent <a href="https://www.letemps.ch/culture/traduire-poetesse-amanda-gorman-enjeux-dune-polemique?fbclid=IwAR0nD1BXxsANJcbQx-vJYIQ5Gr5gwZZfJ-XpjmzoOUH0yzyGb9mo1cRGE88">a été évincé</a>), etc. etc. Et ne parlons pas du Canada, où, à titre d’exemple, des BD de «Tintin» et de «Lucky Luke» ont été <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1817537/livres-autochtones-bibliotheques-ecoles-tintin-asterix-ontario-canada">transformées en engrais</a> parce que jugées racistes.</p> <p>La Suisse romande aussi est touchée. Ne pensons qu’à la comédienne Claude-Inga Barbey, qui a reçu une telle pression sur les réseaux sociaux suite à un sketch jugé transphobe et un autre jugé sinophobe qu’elle a <a href="https://www.letemps.ch/opinions/claudeinga-barbey-merci-davoir-commente-videos-revoir">mis un terme</a> à sa chronique vidéo pour <i>Le Temps</i>. D’autres événements, plus anecdotiques, montrent que notre pays est concerné au même titre que les autres. Par exemple, l’apparition un peu partout de toilettes non-genrées. A l’Université de Neuchâtel, les WC classiques ne reconnaissant «que» des hommes et des femmes étaient accusés <a href="https://leregardlibre.com/forum/des-toilettes-non-genrees-allons-donc/">par des militants</a> d’«oppresser une partie de la communauté universitaire» en utilisant des «codes stéréotypés et moyenâgeux», à savoir la distinction hommes-femmes… L’idée étant que les personnes qui ont un autre genre, qui hésitent sur leur genre, qui ne veulent pas le dire, etc., doivent pouvoir être reconnues officiellement. Selon cette logique, il en va du <i>respect</i> à leur égard.</p> <h3>Un anti-universalisme</h3> <p>On le voit, le wokisme est une culture avant tout morale. Radio Canada en donne une définition précise: «Dans un contexte de combat en matière de justice sociale, cette expression définit quelqu’un qui est sensibilisé aux injustices qui peuvent avoir lieu autour de lui. On utilise souvent cette expression en opposition à “être endormi”, soit ne pas être éduqué sur les enjeux socio-économiques et sur les questions raciales», relaie Pierre Valentin, citant l’ouvrage de Mathieu Bock-Côté, <i>La révolution racialiste – et autres virus idéologiques</i>.</p> <p>Or cette posture morale de «sensibilisation» s’est parée d’un habillage scientifique post-modernisant lui-même tourné vers l’action, la prescription, l’injonction: «la boucle est bouclée car ce qui a commencé sous la forme de descriptions (première étape) et qui a muté en injonctions (deuxième étape) se termine sous la forme d’injonctions dissimulées dans des descriptions (troisième étape)», note Pierre Valentin. «Le ton change en conséquence au fur et à mesure qu’ils pensent parler de faits établis et non de théories. C’est ainsi que, par exemple, la théorie critique de la race (<i>critical race theory</i>, ou CRT), l’une des branches les plus populaires du wokisme, ne se demande plus si du racisme existe dans une certaine interaction sociale (une évidence, à leurs yeux), mais bien comment celui-ci se manifeste.»</p> <p>Il s’agit alors, comme le résume l’historien des idées Pierre-André Taguieff, de «tout déconstruire pour tout décoloniser». C’est ainsi que sont régulièrement dénoncés par les militants woke «la culture du viol» et «le racisme systémique» des sociétés occidentales. Car oui, l’Occident, dans son histoire et la structure même des Etats qui le composent, offre selon eux un contexte favorable au viol et au racisme, voire les encourage. Inutile de rappeler à ces parvenus de la pensée que la libération des peuples et des esprits, l’évolution du droit vers les sociétés ouvertes que nous connaissons aujourd’hui de ce côté du globe, les progrès en matière de droits des femmes, tout cela s’est <i>précisément passé en Occident</i>. Car si vous leur fournissez cet argument incontestable, ce sera pour eux la preuve que vous êtes sur la défensive, que vous cachez un privilège, un pouvoir, sous les traits factices de l’universalisme et des Lumières. Un héritage, justement, que les activistes woke rejettent ouvertement.</p> <p>Une illustration parmi d’autres: «Dans leur manuel sur la théorie critique de la race les universitaires Richard Delgado et Jean Stefancic affirment (…) que "contrairement aux mouvements des droits civiques traditionnels, qui englobent l’amélioration progressive des conditions, la théorie critique de la race remet en question les fondements mêmes de l’ordre libéral, y compris la théorie de l’égalité, le raisonnement juridique, le rationalisme des Lumières et les principes neutres du droit constitutionnel"» (c’est Pierre Valentin qui cite).</p> <p>Ce n’est donc pas parce que les woke entendent défendre des droits individuels qu’il faut les prendre pour des enfants des Lumières, du libéralisme ou même de l’individualisme. Car de toute manière, ces gens défendent, selon leurs propres mots, non pas tous les êtres humains dans ce qu’ils ont de semblable, mais des «communautés» bien précises, des «minorités», soit des groupes aussi abstraits que le «système», le «patriarcat», la «société» qu’ils accusent d’être dominants. Nulle place pour l’universalité – ni par ricochet pour l’individuation – dans leur logiciel: un Noir subit le même sort que ses semblables, un sort de «dominé», par le simple fait de sa couleur de peau; idem pour une lesbienne du simple fait qu’elle est attirée par les femmes; et ainsi de suite. Et le mot magique d’arriver quand quelqu’un fait partie de plusieurs communautés «dominées»: l’intersectionnalité. Ainsi, une femme noire lesbienne devra être défendue au nom de cette «convergence des luttes» car différents pouvoirs s’exercent cumulativement sur sa personne. En revanche, silence radio du côté des woke sur l’antisémitisme ou le sort des femmes dans des pays orientaux, comme l’appuie très justement Pierre Valentin dans le <a href="https://www.fondapol.org/app/uploads/2021/07/etude-fondapol-pierre-valentin-wokisme-volume-2-07-2021-1.pdf">deuxième volet</a> de son étude. En Suisse romande, un fait intéressant: les associations féministes de tendance woke, d’habitude si promptes à réagir à l’actualité, n’avaient <a href="https://www.watson.ch/fr/international/suisse/185777475-les-talibans-seraient-des-islamistes-moderes-mais-encore">rien communiqué sur Kaboul</a> au moment de la prise de pouvoir des talibans.</p> <p>Tout cela est bien triste. Car seul le droit, dans une société libérale, doit pouvoir trancher si injustice il y a. Et nier que, globalement, les individus sont libres et égaux de leurs choix de vie dans nos pays développés est une honte. Car en plus de nier le réel, ce discours donne du grain à moudre à ceux qui se laisseraient tenter par un retour en arrière, un plaidoyer illibéral du genre «y en a marre des pédés, des bougnouls et des bonnes femmes qui réclament leurs droits». La contre-productivité est un effet bien connu de l’outrance, et il n’aura échappé à personne que Trump est contemporain du politiquement correct et de l’arrivée en force du wokisme. Si son élection ne tient pas seulement à une réaction face à l’extrémisme de la gauche woke, il y a clairement un peu de cela quand même. Et l’Europe n’est pas épargnée par ce genre de phénomènes relevant du «retour de balancier».</p> <h3>Face à l'empire de l'émotion, rétablir la raison</h3> <p>Il convient encore de pointer une caractéristique du wokisme trop rarement évoquée: l’<i>attitude</i> de ses adeptes. Car si leur idéologie, maintenant bien connue, est problématique en soi, la manière qu’ils ont de raisonner est elle-même préoccupante. Car, justement, ils ne raisonnent pas. Comme l’a bien pointé l’ex-dessinateur du <i>Monde</i> Xavier Gorce – lui-même victime de cette idéologie – dans son livre <i>Raison et dérision</i>, paru dans la collection «Tracts Gallimard», les militants woke qui s’offusquent d’un propos, d’un sketch ou d’une œuvre ne le font pas en vertu d’un argument, d’un désaccord… mais d’une émotion: «je suis choqué», «je suis blessé», etc. La fameuse culture de l’offense et de la victimisation. C’est également ce que relève l’essayiste Eugénie Bastié dans <i>La Guerre des idées – enquête au cœur de l’intelligentsia française</i>, décrivant le mouvement woke comme un «sectarisme fondé sur le sentiment». Elle partage d’ailleurs à ce sujet cette remarque brillante que lui a faite le philosophe Marcel Gauchet: «cette nouvelle intolérance diffère de l’ancien sectarisme marxiste; "Tout anticommuniste est un chien": quand Sartre écrit ça, il ne dit pas que l’anticommuniste le blesse, et qu’il faut se protéger de ce type de discours.»</p> <p>Ainsi, si nous voulons nous prévenir de ce virus idéologique, il nous revient de porter haut les valeurs de l’universalisme, dans nos pensées et dans nos vies, ainsi que le principe de liberté d’expression (saluons <a href="https://www.gov.uk/government/news/landmark-proposals-to-strengthen-free-speech-at-universities">l’initiative de Boris Johnson</a> de sécuriser cet acquis fragile dans les universités britanniques). Mais évertuons-nous aussi à maintenir que la raison est le seul outil légitime pour débattre parmi les hommes et ainsi avancer vers la vérité et vers le bonheur. 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Analyse / Selon les woke, les woke n’existent pas. Spoiler alerte: ils existent!
Vous en avez sûrement déjà entendu parler, de ces personnes – souvent jeunes, mais pas que – qui militent contre le «racisme systémique», la «culture du viol» ou encore le «pouvoir de l’Homme blanc occidental hétérosexuel». Arf, vous dites-vous peut-être, c’est un phénomène risible. Et vous avez raison. En revanche, considérer cette nouvelle tendance comme insignifiante relèverait de l’erreur. Les «woke» – appelons-les par leur nom – ont réussi à imposer leurs vues dans des institutions clés comme les universités ou les médias. Mais aussi dans les entreprises et jusque dans l’arène politique. Un récent rapport de Fondapol, très fouillé, dépeint les conséquences du wokisme sur nos sociétés. Aux Etats-Unis, bien sûr, mais aussi en Europe. Qui sont-ils, d’où vient leur idéologie, en quoi est-elle farfelue et même dangereuse et quels sont les événements en Suisse romande qui peuvent y être rattachés? Analyse.
Jonas Follonier
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Culture / Des étrangetés au presbytère
«Les fantômes du presbytère», Daniel Sangsue, Editions La Baconnière, 134 pages.
Jonas Follonier