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Chronique

Chronique / Sureau l’indocile


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S’il est un qualificatif repris du mot d’ordre de Bon pour la tête qui s’applique particulièrement à François Sureau, c’est bien celui d’indocile. Voilà un écrivain hors les modes, sinon hors du temps, encore que pleinement engagé dans notre époque. Qui naguère, aurait pu être rangé parmi les Hussards, n’était son admiration pour Sartre. Car François Sureau, officier, avocat et maintenant académicien, n’est pas à un paradoxe près. Et surtout, ce qui n’est nullement contradictoire, écrivain farouchement attaché à la liberté. Sans laquelle, selon le mot de Chateaubriand qu’il fait sien, «il n’y a rien dans le monde.»



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Etonnant parcours, et même destin, dirons-nous, que celui de François Sureau. On ne sait trop d’ailleurs par quel côté le prendre. Comme les chats, il a eu plusieurs vies – l’écrire est d’ailleurs devenu un truisme le concernant. Né d’un père président de l’Académie nationale de médecine, François Maurice Christophe Sureau de son nom complet, après l’ENA, devient avocat au barreau, puis près le Conseil d’Etat et la Cour de cassation; il travaille avec Alain Minc, rédige les statuts d’En Marche, le mouvement d’Emmanuel Macron, dont il est l’une des plumes ou du moins l’un de ses inspirateurs pour certains discours, dont celui du centenaire de l’Armistice. C’est aussi lui qui aurait fait dire au futur président: «Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort.» Car Sureau n’est jamais là où on l’attend. Libertaire – on va y venir – mais catholique et royaliste; anarchiste, détestant la bureaucratie et l’administration, mais soldat. Bien sûr avec panache – il y a du cadet de Gascogne, du Cyrano chez Sureau. Car notre homme est aussi colonel de réserve dans la Légion étrangère, rien moins. Et ce n’est pas pour rire. 

Chaque année il accomplit une période, comme en été 2019, qu’il a racontée dans le quotidien La Croix. «Le soldat vit en partie double et très peu le savent, entre la crasse et la beauté des tenues, la peur et l’oubli, l’héroïsme et l’administration, le règlement et ce cœur qui bat plus lourdement, plus profondément que le cœur des civils.» Et plus loin, évoquant des manœuvres à Djibouti: «Parfois, des bandes hostiles de singes gris montaient à coups de pierre à l’assaut de ce petit morceau détaché du désert des tartares et qui flottait dans le souvenir des temps anciens, et l’on ne pouvait les disperser que par la force des armes. Au plus fort des manœuvres, il faisait si chaud qu’on pouvait faire des œufs au plat sur le capot des blindés. Passaient sur les hauteurs pelées les Danakils de Monfreid, le vieux fusil Gras de tous les trafics entre les épaules.» On pense au Crabe-Tambour, à Schoendoerffer – dans le bar que tient l’épouse de Sureau à Paris, rapporte Eugénie Bastié à la faveur d’un beau portrait de l’écrivain dans Le Figaro, on peut boire des «képis blancs», tout comme au «Normandie», à Hanoï, du film Dien Bien Phu. Chez Sureau, la littérature n’est jamais loin. C’est même la grande affaire qui englobe toutes les autres. 

Sureau est l’auteur à ce jour d’une vingtaine d’ouvrages, essais, romans, poésies. Autant de catégories qui, là encore, n’ont pas forcément grand sens. Je pense aux trois volets des aventures du lieutenant Passavant qui mêlent un peu tous les genres. Et que dire de son dernier ouvrage, L’or du temps? Le titre est bien sûr repris d’André Breton. De son Introduction au discours sur le peu de réalité (1927), «Je cherche l’or du temps.» Phrase qui figure sur la tombe du poète. Il s’agit, dira-t-on, du récit d’une décente d’un fleuve, en l’occurrence la Seine – pour l’heure jusqu’au bassin parisien, un autre volume suivra, qui conduira le lecteur jusqu’à la Manche. Livre-fleuve, sans jeu de mot – il compte 848 pages! Mais qui est bien davantage que cela. La Seine sert ici de prétexte à se et à raconter. A la fois, autobiographie, portrait d’un frère en imagination, hommage ou plutôt tribut payé à quelques grandes figures, écrivain: Apollinaire, Genevoix, Chrétien de Troyes, mais aussi, soldats: Lyautey «l’Africain», pour reprendre l’expression de Benoist-Méchin,  Mangin – qui connaît encore son nom aujourd’hui? – Diego  Brosset, ami de Vercors et de Saint-Exupéry, qui, à la tête de la 1e DFL, entra le premier dans Rome. Oui, un livre décidément inclassable. Comme l’est, encore une fois, son auteur, esprit passionnément attaché à la liberté. 

«Je cherche l’or du temps», la Seine à La Roche-Guyon © R.A.

C’est pourquoi, en ces temps troublés, où chaque jour qui passe voit nos libertés toujours plus se restreindre, être davantage rognées pour cause de pandémie, être menacées par les multiples intégrismes qui prétendent gouverner nos vies – indigénisme, islamisme, etc. – il faut lire Sureau. Et je pense notamment à ce petit opuscule Sans la liberté paru l’an dernier, mais achevé en 2018, et qui se révèle singulièrement prémonitoire. 

L'esclavage avilit l'homme jusqu'à s'en faire aimer

Dans ces quelques pages en forme de plaidoyer en faveur du libre arbitre, à l’encontre de tous ceux qui entendent le limiter, à commencer par les dépositaires de la puissance publique, François Sureau examine minutieusement les raisons de cette dérive. Et cette question: «D’où nous vient cette tolérance pour les tutelles que l’Etat nous impose, lui dont par ailleurs le comportement est rarement un modèle, qu’il s’agisse de légalité ou d’honneur?» Tous, peu ou prou, nous subissons aujourd’hui une forme de «paternalisme étatique ». Mais peu nous en importe. Du moment que les règles imposées valent surtout pour le voisin, «la liberté d’autrui ne nous concerne plus.» 

Sarlat, statue d’Etienne de la Boétie © DR

Ce à quoi l’on assiste «sans mot dire», c’est «au remplacement de l’idéal des libertés par le culte des droits.» Si encore ce renforcement – apparent – de l’Etat était efficace. Rien n’est moins certain. Et François Sureau de prendre pour exemple l’état d’urgence imposé à la suite des attentats en France et qui a permis six mille perquisitions administratives, mais pour n’aboutir qu’à une quarantaine de mises en examen, dont vingt seulement pour apologie du terrorisme! «On ne fera croire à personne, commente l’auteur, qu’il est impossible de trouver un juge pour signer un mandat, quand c’est nécessaire.» Impéritie de l’Etat qui traduit en réalité un affaissement du politique. «Nous avons réussi le prodige, écrit encore François Sureau, d’asservir le citoyen en diminuant dans le même temps l’efficacité de l’Etat, sans améliorer pour autant la qualité de la représentation.» 

Dès lors, que faire? Réaffirmer et surtout, c’est moi qui traduit, mettre en œuvre les grands principes qui fondent ce que nous sommes. Se réapproprier une forme de citoyenneté, ce qui ne va aucunement de soi ainsi que le relevait, il y a longtemps déjà, Etienne de la Boétie, l’ami de Montaigne, dans son Discours de la servitude volontaire. On pourrait aussi citer, à la suite de François Sureau, la philosophe Simone Weil: «L’esclavage avilit l’homme jusqu’à s’en faire aimer; la vérité, c’est que la liberté n’est précieuse qu’aux yeux de ceux qui la possèdent effectivement». Encore faut-il s’employer à ce que le plus grand nombre en bénéficie. «Il n’y a dans ce domaine qu’une ligne de partage, écrit encore Sureau. Elle sépare ceux qui préfèrent la liberté, fut-ce au prix de la douleur intime, intellectuelle ou morale, ou du désordre social, et ceux qui préfèrent les arrangements, la soumission au monde comme il va.»


François Sureau, Sans la liberté, Tracts Gallimard, 2019.

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