Actuel / «En Tunisie, le renoncement aux interdits religieux passe par une phase d’hypocrisie»
Fethi Benslama décrypte l'actuelle situation tunisienne. © DR
Membre de l’Académie tunisienne, psychanalyste, professeur honoraire de l’Université de Paris, Fethi Benslama publie sur sa page Facebook des commentaires sans filtre sur la situation en Tunisie, son pays. Pionnière des Printemps arabes, la Tunisie donne des signes d’inquiétude, accentués ces derniers mois: crises politiques à répétition, stagnation économique, pas seulement dues à l’épidémie de Covid-19. Interview.
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Jeudi, comme souvent dans ce rendez-vous formaté pour le buzz, il s’est passé <a href="https://twitter.com/LeDevBreton/status/1590817814059044864?s=20&t=4TWr6vsi3CFKbFwoMHZdVw" target="_blank" rel="noopener">quelque chose de fort</a> sur le plateau de «Touche pas à mon poste!», l’émission animée par Cyril Hanouna sur la chaîne C8 du groupe Bolloré – le nom à l’origine du clash de jeudi soir. Pour La France insoumise (LFI), ce parti de la gauche radicale siégeant à l’Assemblée nationale, un dilemme à présent se pose: faut-il encore aller à TPMP, là où bat le cœur de la France antisystème, où les électorats lepénistes et mélenchonistes s’invectivent, mais surtout, se parlent comme nulle part ailleurs?</p> <p>Que s’est-il passé de si grave ou plutôt de si révélateur? Alors que le débat portait sur l’accueil par la France de 234 migrants se trouvant à bord du bateau Ocean Viking, le jeune député LFI Louis Boyard, qui fut autrefois chroniqueur rétribué à TPMP, a mis les pieds dans son ancienne gamelle en parlant d’un procès menaçant «Bolloré» pour déforestation au Cameroun. 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Bolloré t’a donné de l’argent, t’étais chroniqueur ici…»</p> <p>Boyard, qui avait visiblement préparé son coup, la joue grands principes: «Attends, Cyril, est-ce que tu es en train de me dire que je n’ai pas le droit de dire que Bolloré, il a un procès avec cent cinquante Camerounais parce qu’il a déforesté?» La suite: le député-LFI-ex-chroniqueur-TPMP, ne s’énervant pas, devant pressentir qu’il sortira gagnant de la <em>battle</em>, se prévaut de sa qualité de député. Hanouna piétine l’argument, estimant que Boyard, comme d’autres de son parti, doit son élection à TPMP. Après avoir donné du «mon chéri» à Boyard, il le traite d’«abruti» et de «merde», chacun accusant l’autre d’avoir fait monter l’extrême droite – le grand tabou de la politique française.</p> <p>Quelle suite LFI, plus largement la Nupes, la coalition de gauche à l’Assemblée nationale, donnera-t-elle à cet incident? Continuera-t-elle d’aller sur le plateau de TPMP? Qui, d’Hanouna ou de la gauche radicale, a-t-il le plus besoin de l’autre? Sans LFI, formation aux accents populistes, TPMP perdrait sa caution de gauche, risquant alors de ne plus réunir que des «anti-tout», souvent l’antichambre d’un parti de l’ordre. Mais en renonçant à ce forum, La France insoumise se priverait d’un lieu où elle peut porter des coups à «Macron», ce qui lui rapporte des voix. Ne plus se montrer dans «Touche pas à mon poste!» pourrait être interprété comme l’aveu qu’on appartient au «système», à cette «élite» qu’on prétend combattre.</p> <p>Dans le même temps, en participant à cette émission, LFI sait qu’elle contribue à saper la confiance dans les institutions démocratiques, dont on a vu jeudi soir le peu de cas qu’en faisait Cyril Hanouna en insultant le député Boyard. Il y a deux semaines, toujours à la barre de TPMP, Hanouna appelait à la tenue d’un procès expéditif, assortie d’une «perpétuité immédiate» pour la meurtrière présumée de la petite Lola. 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Né en 1950 à Constantine, issu de la communauté juive algérienne, partie avec les pieds-noirs à l’indépendance en 1962, Stora était investi d’une mission réconciliatrice par le président de la République. A la fin de son travail, l’historien émet une série de préconisations. Et l’on entre alors dans le vif du sujet: l’action.</p> <p>La première de ces préconisations, qui rappelle la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud, l’Instance Vérité et Dignité en Tunisie, est la constitution d’une «Commission "Mémoires et vérité" chargée d’impulser des initiatives communes entre la France et l’Algérie sur les questions de mémoires». La <em>vérité</em>. Pas de réconciliation sans vérité sur les exactions passées, croit-on.</p> <p>Mais la vérité n’est pas seulement question de faits, elle intéresse aussi le sens. Or deux sens ne peuvent cohabiter. Pas d’en-même-temps possible: la douleur d’un camp ne peut valoir celle de l’autre. Celle de l’Allemand de la Seconde Guerre mondiale ne vaut pas celle de l’Allié. On touche probablement ici à la limite du rapport Stora: le colon ne peut pas faire valoir sa douleur au même titre que le colonisé. Sinon, toute la hiérarchie, établie selon une échelle de valeurs qui accorde au colonisé la légitimité de sa révolte, est rebattue. Et pourtant, se dit-on, il faut tendre vers la reconnaissance des souffrances de part et d’autre, pour pouvoir la faire, cette réconciliation. Comme c’est compliqué…</p> <h3>Les choses ont un sens que la paix peut ignorer</h3> <p>Seul le sens permet d’y voir clair. Mais le problème du sens, qui dit qui avait raison, qui avait tort, c’est qu’il ne permet pas toujours de refermer les plaies, puisque personne ne veut être en tort, ou avoir tous les torts. 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Mais elle a comme quelque chose d’inextricable. Ce n’est pas encourageant.</p> <h3>Quand le bourreau redevient l'égal de la victime</h3> <p>Alors, quelles similitudes entre l’après-attentats et ces précédents après-guerres? La première de toutes, la plus importante: la nécessité de l’amnistie, avons-nous vu, par quoi on cesse de juger ceux qu’on sait coupables, par quoi on passe à autre chose. Comme la victime, le bourreau doit pouvoir reprendre une vie normale. Sauf que toute amnistie suppose un vainqueur reconnu comme tel, autrement dit un juste faisant offrande de son pardon au vaincu. 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Pourquoi? On a tenté de répondre à cette question. Indice: l’image, pas terrible, du «voisin français». ', 'subtitle_edition' => null, 'content' => '<p>«C’est la petite Gilberte, Gilberte de Courgenay…» La Mob, c’était mieux avant. Il y avait alors de vraies frontières. Pas comme aujourd’hui avec Schengen qui les a toutes effacées, ce qui est bien pratique aussi, il faut le dire. Mais parfois une votation – ou une pandémie – suffit à les rétablir. C’est ce qui s’est passé dimanche avec la «burqa», l’initiative interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, acceptée à 51,2% par le peuple. Un score relativement modeste qui cache de fortes disparités. Sans le vote des métropoles, favorables au non, le texte aurait été approuvé bien plus largement. En Suisse romande, les communes frontalières de la France ont plébiscité le oui. Qu’est-ce que cela révèle de ce vote, à cet endroit bien précis, celui des limites géographiques et politiques d’un pays, en sa partie francophone?</p> <p>A Courgenay, dans cette Ajoie s’enfonçant tel un saillant dans les départements français du Doubs et du Territoire de Belfort, 65,4% des habitants ont voté en faveur de l’initiative soutenue par l’UDC et une partie de la gauche (<a href="https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/votations/20210307/initiative-populaire-oui-a-l-interdiction-de-se-dissimuler-le-visage.html" target="_blank" rel="noopener">cliquez ici</a> pour avoir accès à la carte interactive). Un score de cinq points supérieur à la moyenne cantonale jurassienne, 60,7% de oui, la plus élevée des dix-neuf cantons qui ont approuvé le texte.</p> <p>Des trois districts du canton du Jura, celui de Porrentruy, qui épouse la carte de l’Ajoie, dont la particularité est d’avoir avec la France le double de frontière qu’il n’en a avec la Suisse, affiche le plus haut taux d’acceptation, 64,7%. A la pointe du saillant, Bure, la commune qui héberge la place d’armes du même nom, se hisse à la première place du district avec 76% de oui. 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Un <i>mansplaining</i> en mode solidaire, bien sûr. Je serais même tenté d’y voir un peu plus que cela: un <i>manembracing</i> virant au <i>manembarrassing</i>. Autrement dit: une défense à ce point appuyée qu’elle en devient gênante.</p> <p>Gabriel Bender a le zèle du converti. Du converti au féminisme. C’est l’impression qu’il donne. Comme s’il devait montrer, à lui-même et au monde, qu’il est du bon côté. Celui des dominés, en l’occurrence des dominées. Militantisme et sociologie – sa discipline – ne font plus qu’un dans un certain nombre de domaines de recherche. En première année de «socio», on apprenait pourtant à distinguer le discours de l’acteur de celui de l’observateur.</p> <p>Ce précieux conseil, qui permet d’entretenir la veille démocratique, ne semble plus partagé par tous les observateurs des phénomènes de société. La prose «féministe» de Gabriel Bender rend compte d’une confusion des statuts certainement volontaire. Chez lui, les termes du combat paraissent ne pas devoir être discutés, celui de patriarcat, par exemple. Or ce n’est pas parce que le patriarcat existe en tant que phénomène historique que le mot n’est pas utilisé dans la période actuelle comme une ressource discursive mise au service d’un intérêt.</p> <p>Contrairement à quelques-uns éprouvant le besoin d’exposer leur vertu, je n’ai pas pour habitude de dire dans un texte ce que je pense profondément. Parce que je me dis qu’un individu, au hasard, un lecteur, une lectrice, peut parfaitement faire crédit à un autre individu de son appartenance à la bonne part de l’humanité même si ce dernier dévie, autrement dit s’accorde le droit de questionner des tendances. Le fait de dévier, de pouvoir le faire, est gage de bonne santé démocratique. Cela ne veut pas dire qu’on est en droit d’imposer son point de vue aux autres. 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Voilà pour ce que je pense.</p> <p>Maintenant, ce que je comprends. C’est plus pudique et de mon point de vue, plus intéressant, même si je peux parfaitement concevoir la nécessité et l’intérêt de récits à la première personne. Mon article sur le site de <i>Marianne</i> ne porte pas sur les faits présumés de harcèlement révélés par <i>Le Temps</i>. Je renvoie d’ailleurs dès le premier paragraphe à l’enquête du quotidien romand datée du 29 octobre. Il me semble que beaucoup, en France aussi, savent de quoi il retourne avec cette «Tour».</p> <p>Non, l’angle de mon article porte sur une action politique, menée essentiellement par des femmes, lesquelles exercent une pression dans un rapport de force en vue de l’obtention d’un résultat. On dirait que cette approche universelle a rendu Gabriel Bender tout drôle. Que comprendre en creux de ses arguments à lui? 1) Qu’un combat mené par des femmes se doit d’être protégé, parce que tout combat féminin serait empreint de fragilité. 2) Que des femmes sont au fond incapables de tactique, qu’elles sont toujours «entières», comme si parler de manœuvre à leur sujet, c’était implicitement en référer aux vieux schémas de ruse, de rouerie, voire de sorcellerie associés aux femmes durant des siècles.</p> <p>Mais on est de son temps ou on ne l’est pas. Il s’agit bien pour des femmes de la RTS, et pour des hommes avec elles, de tirer parti, c’est-à-dire avantage d’une situation à l’origine défavorable. C’est ce qui s’appelle faire de la politique. Mais encore une fois, tout combat politique conduit par des femmes devrait-il être assimilé seulement à du «militantisme», notion contenant en elle un statut de dominé, et par-là échapper à la critique ordinaire? Ne serait-ce pas là jouer sur les «deux tableaux», celui de la victime à qui réparation est due et celui du citoyen à qui tout revient une fois la victoire acquise? Aussi je propose qu’on laisse la démocratie trancher sur les reformes sociétales voulues par le «collectif du 14 juin». Et que le droit remplisse son office pour les cas de harcèlement et mobbing présumés.</p> <p>Il y a de la mauvaise foi dans le texte de Gabriel Bender. A tout le moins des imprécisions. J’en veux pour preuve ce passage où il comprend de travers ce qui est pourtant clair: personne, parmi les salariés de la RTS, ne pousse, contrairement à ce qu’il affirme, la femme que je cite anonymement à produire un «faux témoignage», soit des accusations de harcèlement qu’elle n’aurait pas subi. J’écris qu’elle n’a pas suivi des collègues qui l’incitaient à témoigner, non de quelque chose dont ils auraient été convaincus de l’existence la concernant, mais de faits dont ils pouvaient penser qu’elle avait été victime, comme d’autres. 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Le Liban passait pour la Suisse du Moyen-Orient. Après son Printemps de 2011, ce sort enviable était promis à la Tunisie. Mauvais œil! Neuf ans plus tard, le pays, en effet comparable à la Suisse par la taille et le nombre d’habitants, semble atteint d’une terrible gueule de bois sur plusieurs plans: politique, économique, identitaire et naturellement sanitaire avec l’épidémie de Covid-19 qui agit défavorablement sur les autres secteurs. La Tunisie renoue-t-elle avec le cliché du «pays arabe» incapable de décoller?
Les difficultés sont en effet nombreuses, mais il faut mettre sur l’autre plateau de la balance les libertés acquises avec la révolution de 2011; l’expérience démocratique en cours est réelle, incomparable dans le monde arabe. La dignité politique est un bien inestimable. Mais il est vrai que la Tunisie d’aujourd’hui est plus fragile et fait face à des problèmes qui peuvent conduire à une perte de contrôle sur son avenir. Les Tunisiens sont très inquiets, mais les dés ne sont pas jetés. Le vieux rêve d’être la Suisse est une singerie, personne de sérieux ne songe à le reprendre. La Suisse n’est pas exportable, sauf pour le chocolat dont les Tunisiens raffolent beaucoup.
Sans doute un peu naïvement, on pensait que la Tunisie possédait beaucoup d’atouts pour réussir: un acquis laïc, un système éducatif développé, une unité nationale allant de soi, un goût pour le compromis, une topographie relativement peu accidentée, favorable à la réalisation de grands travaux routiers et ferroviaires permettant de désenclaver les régions défavorisées du centre-ouest, historiquement les plus hostiles au pouvoir central. Où cela n’a-t-il pas fonctionné, et pourquoi?
Les atouts existent mais n’ont pas été exploités pour produire les résultats escomptés. Il y a des raisons principalement imputables aux responsables politiques qui ont accédé au pouvoir, mais d’autres raisons ne sont pas de leur fait. Il y a d’une part l’héritage de Ben Ali, qui a laissé le pays dans une situation économique et sociale très mauvaise. L’ampleur des défis était considérable après la révolution. Il y a des causes qui sont liées au contexte géopolitique. Le terrorisme islamiste avec les attentats sanglants a privé la Tunisie d’une ressource importante pour son économie, celle du tourisme. La situation des deux pays voisins, avec la guerre civile en Lybie et la crise politique en Algérie, est un élément d’instabilité et de perte économique non négligeables. Ceci étant, la responsabilité des acteurs politiques est incontestable. En gros, des réformes importantes ont été engagées mais à un rythme très lent, principalement à cause des multiples changements de gouvernements. Cette instabilité politique résulte d’un cocktail de causes: une part relève du système mis en place avec la nouvelle constitution, qui recèle beaucoup d’incohérences; une autre part est due à l’immaturité du personnel politique qui n’a pas grandi et intégré la logique du jeu démocratique, il joue à court terme avec des ambitions d’ego mal fichu, ridicule, il est détesté par la population; quant à la dernière part, elle peut être rapportée à l’aphorisme churchillien sur la démocratie: il n’est pas facile d’adopter la pire forme de gouvernement à l’exception de toutes les autres, en sortant de la dictature. La démocratie comporte une complexité et des contradictions qui ne peuvent être résolues que dans une expérience au long cours. Le passage de la dictature à un régime démocratique est une mutation d’écologie humaine qui met les façons d’être anciennes à l’agonie, pendant que de nouvelles espèces apparaissent et exigent leur droit d’être. C’est un retournement de monde: ce qui était n’est plus et pas encore ce qui vient.
L’Europe a-t-elle une part de responsabilité dans cette apparente stagnation ou la trouvez-vous au contraire trop prudente avec la Tunisie?
L’Europe a alloué à la Tunisie des fonds importants qui l’ont aidée dans la transition après la révolution. Il y a eu un appui budgétaire et des prêts d’assistance dite macro-financière (AMF). Etait-ce suffisant pour décoller? Je ne sais pas. Toujours est-il que la Commission européenne a dispersé cette aide dans un trop grand nombre de domaines, ce qui en a amoindri l’impact et rendu sa gestion compliquée. C’est un audit de la Commission européenne qui le dit. Il faudrait une évaluation par des experts indépendants pour juger cette aide et lui donner de nouvelles perspectives, puisque l’Europe est apparemment prête à continuer son soutien à la Tunisie.
L’actuel président Kaïs Saïed, un éminent juriste, s’est fait élire sur une double dynamique, identitaire, en réaffirmant des principes liés à la civilisation islamique, et juridique, la loi, rien que la loi, toute la loi. Il a pu apparaître comme une réincarnation du premier président post-dictateur Ben Ali, Moncef Marzouki, un islamo-nationaliste, mais en mieux. Son adversaire, Nabil Karoui, battu à plates-coutures, incarnait si l’on peut dire le «rêve occidental», mais également la corruption et une forme de berlusconisme aux yeux de ses adversaires. Quels sont les rapports de force identitaires à l’œuvre en Tunisie? Sont-ils irréconciliables?
L’expérience démocratique en Tunisie n’est pas exempte des problèmes que connaissent les démocraties aujourd’hui dans le monde, à savoir le populisme et les inégalités qui résultent de l’ordre économique ultra-libéral, avec un discrédit des acteurs politiques. Parmi les personnes que vous avez citées, il y a ce mélange de loufoquerie, de crapulerie et d’inconsistance qui caractérise la scène politique en Tunisie. Le président a été élu parce qu’il n’est pas du sérail et qu’il offre une image de droiture, il n’a pas trempé dans le marécage, mais c’est un apprenant en politique. C’est un stagiaire au plus haut niveau de l’Etat et dans une situation de turbulence. Il fera des erreurs et il vient d’en commettre une grave, relative à l’égalité entre femmes et hommes dans l’héritage. Il a adopté une position intégriste avec une interprétation coranique désuète, prônant l’équité au lieu de l’égalité. Je crois qu’il a voulu enlever un argument polémique aux islamistes. Il a fait comme certains hommes politiques européens qui reprennent des idées d’extrême droite, en croyant leur tirer le tapis sous les pieds. En Tunisie, les personnes de qualité sont en retrait de la scène et ne parviennent pas à faire un front commun.
Sur le plan identitaire, les libertés ont permis l’expression à ciel ouvert, dans l’espace public, des conflits et de leurs protagonistes. L’un des effets est la perte considérable de la crédibilité du parti islamiste conservateur qui s’est traduite par un rétrécissement important de son électorat, il est sur la voie de l’affaiblissement. La majorité des Tunisiens a compris que l’identitaire religieux ne peut régler les problèmes du pays, néanmoins elle tient à conserver des valeurs et des traditions d’un islam de bon aloi quant à la teneur de l’alliage entre croyance et tolérance. La morale conservatrice ancienne est vivante et c’est le fonds de commerce du parti islamiste Ennahda. La sécularisation avance avec des contradictions mais elle avance: pas assez au regard de certains, trop pour d’autres. La politique est le lieu du compromis. Il ne faut pas assigner à un pays des idéaux prêts à être portés, alors qu’ils ont été cousus ailleurs en tremblant longuement et avec beaucoup de froissements. Je crois que ce sur quoi il ne faut pas transiger, c’est la corruption et l’injustice. Ce sont là les priorités. Un chef du gouvernement vient de perdre le pouvoir en Tunisie parce que la haute autorité pour la lutte contre la corruption a révélé ses conflits d’intérêt. Dans quel pays de cette partie du monde, et même ailleurs dans les démocraties plus vieilles, cela est possible? Dans le marasme survient tout à coup un saut en hauteur exceptionnel, c’est la Tunisie aujourd’hui.
La population s’intéresse-t-elle à l’égalité hommes-femmes, aux droits des minorités, notamment sexuelles, ou est-ce l’exemple même d’une problématique factice importée d’Occident, pour reprendre un langage anti-impérialiste? Cela dit, peut-on aujourd’hui, au cœur de Tunis, manger et boire en public durant le jeûne du ramadan?
La classe moyenne et citadine est au diapason de la demande d’égalité entre les femmes et les hommes, quant à l’orientation sexuelle, les esprits sont en avance sur les lois. Sur ce plan, le changement en Occident a pris du temps, c’est un combat au long cours. A propos du ramadan, je pense que les Tunisiens tiennent plus au rituel qu’à l’effectivité du jeûne. Les sondages que j’ai faits tendent à montrer que les non-jeûneurs sont majoritaires. Mais le renoncement aux interdits religieux passe par une phase d’hypocrisie, avant qu’ils ne tombent comme la feuille de vigne d’Epinal du péché originel. La constitution tunisienne issue de la révolution affirme la liberté de conscience. Cependant, de la conscience à la pratique publique, il y a du chemin dont un tronçon passe par l’inconscient, lequel aime les interdits pour les transgresser, car le désir ne se fonde pas sur la permission. Ceci étant, lorsque j’écoute les Tunisiens, même parmi les plus libéraux, ils ne voient pas l’intérêt d’une déritualisation massive pour la société et pour les individus comme en Occident.
Qu’en est-il du secteur des loisirs et de la culture?
Le gouvernement tunisien a imposé un confinement rapide et draconien qui a balayé le secteur des loisirs et de la culture. La Tunisie a eu peu de malades et de morts. Mais cela a entraîné un relâchement ensuite, comme dans d’autres pays, ce qui a relancé l’épidémie d’une manière inquiétante actuellement. Pendant le confinement, il y a eu beaucoup d’initiatives de solidarité, y compris dans le domaine érotico-culturel. Comme celle de Nermine Sfar, une danseuse connue pour ses coups d’éclats, qui a dansé les nuits pendant de longues heures sur les réseaux sociaux pour inciter les gens à rester chez eux. Ses vidéos ont plus de succès que les discours politiques. L’humour a été de la partie aussi. Ceci étant, la vie culturelle en Tunisie reprendra son cours avec ses nombreux artistes et créateurs dont certains sont d’un niveau international. Le théâtre est très vivant en Tunisie, il est corollaire du mouvement moderniste, à partir de la seconde moitié du 19e siècle.
Le terrorisme islamiste forme-t-il toujours un enjeu sécuritaire ou diriez-vous qu’il n’est pas plus à craindre en Tunisie qu’en France ou en Angleterre?
Le terrorisme islamiste n’est fini nulle part, les autres formes de terreur non plus, de nouvelles modalités plus dangereuses apparaitront probablement, tant que le monde reste ce qu’il est, marqué par la sauvagerie des rapports de force et les injustices cruelles. Je n’excuse pas le recours à la violence aveugle, mais le terrorisme est un symptôme terrible, si ses causes ne sont pas traitées, il reviendra sous une forme plus destructrice encore.
Avez-vous bon espoir pour le futur de la Tunisie? Qu’est-ce qui vous fait vibrer, dans ce pays?
Ma position est gramscienne: pessimisme de l’analyse et optimisme de l’action. L’action intelligente et résolue est possible dans ce pays. La Tunisie est un petit pays, géographiquement un cap (Africa), et elle l’est sur le plan de la civilisation, souvent l’humain y fait des pointes comme une danseuse qui veut s’envoler, il suffit de regarder son histoire. Par exemple elle est le premier pays du monde musulman à avoir aboli l’esclavage (1846). La Tunisie est émouvante à l’image de sa révolution: souvenez-vous, les gens l’ont faite en clamant les vers d’un poète qui appelle à faire plier le destin, lequel est une prérogative de Dieu en islam. Pour autant, les gens continuent majoritairement à croire en Dieu, mais il y a un processus de désactivation progressive des extensions du logiciel ancien. Carthage ne s’est pas faite en une nuit.
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La Suisse n’est pas exportable, sauf pour le chocolat dont les Tunisiens raffolent beaucoup.</p> <p><strong>Sans doute un peu naïvement, on pensait que la Tunisie possédait beaucoup d’atouts pour réussir: un acquis laïc, un système éducatif développé, une unité nationale allant de soi, un goût pour le compromis, une topographie relativement peu accidentée, favorable à la réalisation de grands travaux routiers et ferroviaires permettant de désenclaver les régions défavorisées du centre-ouest, historiquement les plus hostiles au pouvoir central. Où cela n’a-t-il pas fonctionné, et pourquoi?</strong></p> <p>Les atouts existent mais n’ont pas été exploités pour produire les résultats escomptés. Il y a des raisons principalement imputables aux responsables politiques qui ont accédé au pouvoir, mais d’autres raisons ne sont pas de leur fait. Il y a d’une part l’héritage de Ben Ali, qui a laissé le pays dans une situation économique et sociale très mauvaise. L’ampleur des défis était considérable après la révolution. Il y a des causes qui sont liées au contexte géopolitique. Le terrorisme islamiste avec les attentats sanglants a privé la Tunisie d’une ressource importante pour son économie, celle du tourisme. La situation des deux pays voisins, avec la guerre civile en Lybie et la crise politique en Algérie, est un élément d’instabilité et de perte économique non négligeables. Ceci étant, la responsabilité des acteurs politiques est incontestable. En gros, des réformes importantes ont été engagées mais à un rythme très lent, principalement à cause des multiples changements de gouvernements. Cette instabilité politique résulte d’un cocktail de causes: une part relève du système mis en place avec la nouvelle constitution, qui recèle beaucoup d’incohérences; une autre part est due à l’immaturité du personnel politique qui n’a pas grandi et intégré la logique du jeu démocratique, il joue à court terme avec des ambitions d’ego mal fichu, ridicule, il est détesté par la population; quant à la dernière part, elle peut être rapportée à l’aphorisme churchillien sur la démocratie: il n’est pas facile d’adopter la pire forme de gouvernement à l’exception de toutes les autres, en sortant de la dictature. La démocratie comporte une complexité et des contradictions qui ne peuvent être résolues que dans une expérience au long cours. Le passage de la dictature à un régime démocratique est une mutation d’écologie humaine qui met les façons d’être anciennes à l’agonie, pendant que de nouvelles espèces apparaissent et exigent leur droit d’être. C’est un retournement de monde: ce qui était n’est plus et pas encore ce qui vient.</p> <p><strong>L’Europe a-t-elle une part de responsabilité dans cette apparente stagnation ou la trouvez-vous au contraire trop prudente avec la Tunisie?</strong></p> <p>L’Europe a alloué à la Tunisie des fonds importants qui l’ont aidée dans la transition après la révolution. Il y a eu un appui budgétaire et des prêts d’assistance dite macro-financière (AMF). Etait-ce suffisant pour décoller? Je ne sais pas. Toujours est-il que la Commission européenne a dispersé cette aide dans un trop grand nombre de domaines, ce qui en a amoindri l’impact et rendu sa gestion compliquée. C’est un audit de la Commission européenne qui le dit. Il faudrait une évaluation par des experts indépendants pour juger cette aide et lui donner de nouvelles perspectives, puisque l’Europe est apparemment prête à continuer son soutien à la Tunisie.</p> <p><strong>L’actuel président Kaïs Saïed, un éminent juriste, s’est fait élire sur une double dynamique, identitaire, en réaffirmant des principes liés à la civilisation islamique, et juridique, la loi, rien que la loi, toute la loi. Il a pu apparaître comme une réincarnation du premier président post-dictateur Ben Ali, Moncef Marzouki, un islamo-nationaliste, mais en mieux. Son adversaire, Nabil Karoui, battu à plates-coutures, incarnait si l’on peut dire le «rêve occidental», mais également la corruption et une forme de berlusconisme aux yeux de ses adversaires. Quels sont les rapports de force identitaires à l’œuvre en Tunisie? Sont-ils irréconciliables?</strong></p> <p>L’expérience démocratique en Tunisie n’est pas exempte des problèmes que connaissent les démocraties aujourd’hui dans le monde, à savoir le populisme et les inégalités qui résultent de l’ordre économique ultra-libéral, avec un discrédit des acteurs politiques. Parmi les personnes que vous avez citées, il y a ce mélange de loufoquerie, de crapulerie et d’inconsistance qui caractérise la scène politique en Tunisie. Le président a été élu parce qu’il n’est pas du sérail et qu’il offre une image de droiture, il n’a pas trempé dans le marécage, mais c’est un apprenant en politique. C’est un stagiaire au plus haut niveau de l’Etat et dans une situation de turbulence. Il fera des erreurs et il vient d’en commettre une grave, relative à l’égalité entre femmes et hommes dans l’héritage. Il a adopté une position intégriste avec une interprétation coranique désuète, prônant l’équité au lieu de l’égalité. Je crois qu’il a voulu enlever un argument polémique aux islamistes. Il a fait comme certains hommes politiques européens qui reprennent des idées d’extrême droite, en croyant leur tirer le tapis sous les pieds. En Tunisie, les personnes de qualité sont en retrait de la scène et ne parviennent pas à faire un front commun.</p> <p>Sur le plan identitaire, les libertés ont permis l’expression à ciel ouvert, dans l’espace public, des conflits et de leurs protagonistes. L’un des effets est la perte considérable de la crédibilité du parti islamiste conservateur qui s’est traduite par un rétrécissement important de son électorat, il est sur la voie de l’affaiblissement. La majorité des Tunisiens a compris que l’identitaire religieux ne peut régler les problèmes du pays, néanmoins elle tient à conserver des valeurs et des traditions d’un islam de bon aloi quant à la teneur de l’alliage entre croyance et tolérance. La morale conservatrice ancienne est vivante et c’est le fonds de commerce du parti islamiste Ennahda. La sécularisation avance avec des contradictions mais elle avance: pas assez au regard de certains, trop pour d’autres. La politique est le lieu du compromis. Il ne faut pas assigner à un pays des idéaux prêts à être portés, alors qu’ils ont été cousus ailleurs en tremblant longuement et avec beaucoup de froissements. Je crois que ce sur quoi il ne faut pas transiger, c’est la corruption et l’injustice. Ce sont là les priorités. Un chef du gouvernement vient de perdre le pouvoir en Tunisie parce que la haute autorité pour la lutte contre la corruption a révélé ses conflits d’intérêt. Dans quel pays de cette partie du monde, et même ailleurs dans les démocraties plus vieilles, cela est possible? Dans le marasme survient tout à coup un saut en hauteur exceptionnel, c’est la Tunisie aujourd’hui.</p> <p><strong>La population s’intéresse-t-elle à l’égalité hommes-femmes, aux droits des minorités, notamment sexuelles, ou est-ce l’exemple même d’une problématique factice importée d’Occident, pour reprendre un langage anti-impérialiste? Cela dit, peut-on aujourd’hui, au cœur de Tunis, manger et boire en public durant le jeûne du ramadan?</strong></p> <p>La classe moyenne et citadine est au diapason de la demande d’égalité entre les femmes et les hommes, quant à l’orientation sexuelle, les esprits sont en avance sur les lois. Sur ce plan, le changement en Occident a pris du temps, c’est un combat au long cours. A propos du ramadan, je pense que les Tunisiens tiennent plus au rituel qu’à l’effectivité du jeûne. Les sondages que j’ai faits tendent à montrer que les non-jeûneurs sont majoritaires. Mais le renoncement aux interdits religieux passe par une phase d’hypocrisie, avant qu’ils ne tombent comme la feuille de vigne d’Epinal du péché originel. La constitution tunisienne issue de la révolution affirme la liberté de conscience. Cependant, de la conscience à la pratique publique, il y a du chemin dont un tronçon passe par l’inconscient, lequel aime les interdits pour les transgresser, car le désir ne se fonde pas sur la permission. Ceci étant, lorsque j’écoute les Tunisiens, même parmi les plus libéraux, ils ne voient pas l’intérêt d’une déritualisation massive pour la société et pour les individus comme en Occident.</p> <p><strong>Qu’en est-il du secteur des loisirs et de la culture?</strong></p> <p>Le gouvernement tunisien a imposé un confinement rapide et draconien qui a balayé le secteur des loisirs et de la culture. La Tunisie a eu peu de malades et de morts. Mais cela a entraîné un relâchement ensuite, comme dans d’autres pays, ce qui a relancé l’épidémie d’une manière inquiétante actuellement. Pendant le confinement, il y a eu beaucoup d’initiatives de solidarité, y compris dans le domaine érotico-culturel. Comme celle de Nermine Sfar, une danseuse connue pour ses coups d’éclats, qui a dansé les nuits pendant de longues heures sur les réseaux sociaux pour inciter les gens à rester chez eux. Ses vidéos ont plus de succès que les discours politiques. L’humour a été de la partie aussi. Ceci étant, la vie culturelle en Tunisie reprendra son cours avec ses nombreux artistes et créateurs dont certains sont d’un niveau international. Le théâtre est très vivant en Tunisie, il est corollaire du mouvement moderniste, à partir de la seconde moitié du 19e siècle.</p> <p><strong>Le terrorisme islamiste forme-t-il toujours un enjeu sécuritaire ou diriez-vous qu’il n’est pas plus à craindre en Tunisie qu’en France ou en Angleterre?</strong></p> <p>Le terrorisme islamiste n’est fini nulle part, les autres formes de terreur non plus, de nouvelles modalités plus dangereuses apparaitront probablement, tant que le monde reste ce qu’il est, marqué par la sauvagerie des rapports de force et les injustices cruelles. Je n’excuse pas le recours à la violence aveugle, mais le terrorisme est un symptôme terrible, si ses causes ne sont pas traitées, il reviendra sous une forme plus destructrice encore.</p> <p><strong>Avez-vous bon espoir pour le futur de la Tunisie? Qu’est-ce qui vous fait vibrer, dans ce pays?</strong></p> <p>Ma position est gramscienne: pessimisme de l’analyse et optimisme de l’action. L’action intelligente et résolue est possible dans ce pays. La Tunisie est un petit pays, géographiquement un cap (Africa), et elle l’est sur le plan de la civilisation, souvent l’humain y fait des pointes comme une danseuse qui veut s’envoler, il suffit de regarder son histoire. Par exemple elle est le premier pays du monde musulman à avoir aboli l’esclavage (1846). La Tunisie est émouvante à l’image de sa révolution: souvenez-vous, les gens l’ont faite en clamant les vers d’un poète qui appelle à faire plier le destin, lequel est une prérogative de Dieu en islam. Pour autant, les gens continuent majoritairement à croire en Dieu, mais il y a un processus de désactivation progressive des extensions du logiciel ancien. Carthage ne s’est pas faite en une nuit.</p> <p> </p>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'en-tunisie-le-renoncement-aux-interdits-religieux-passe-par-une-phase-d-hypocrisie', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-6', 'like' => (int) 495, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 2559, 'homepage_order' => (int) 2799, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => 'Tunisie', 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 830, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 3918, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'En finir avec Hanouna, mais après?', 'subtitle' => 'Gros clash jeudi soir dans «Touche pas à mon poste!», sur C8. 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Jeudi, comme souvent dans ce rendez-vous formaté pour le buzz, il s’est passé <a href="https://twitter.com/LeDevBreton/status/1590817814059044864?s=20&t=4TWr6vsi3CFKbFwoMHZdVw" target="_blank" rel="noopener">quelque chose de fort</a> sur le plateau de «Touche pas à mon poste!», l’émission animée par Cyril Hanouna sur la chaîne C8 du groupe Bolloré – le nom à l’origine du clash de jeudi soir. Pour La France insoumise (LFI), ce parti de la gauche radicale siégeant à l’Assemblée nationale, un dilemme à présent se pose: faut-il encore aller à TPMP, là où bat le cœur de la France antisystème, où les électorats lepénistes et mélenchonistes s’invectivent, mais surtout, se parlent comme nulle part ailleurs?</p> <p>Que s’est-il passé de si grave ou plutôt de si révélateur? Alors que le débat portait sur l’accueil par la France de 234 migrants se trouvant à bord du bateau Ocean Viking, le jeune député LFI Louis Boyard, qui fut autrefois chroniqueur rétribué à TPMP, a mis les pieds dans son ancienne gamelle en parlant d’un procès menaçant «Bolloré» pour déforestation au Cameroun. Vincent Bolloré est ce milliardaire français propriétaire du groupe Canal, un catholique breton qu’on dit hanté par la crainte du «grand remplacement», ce concept d’extrême droite repris par son poulain Eric Zemmour lors de la dernière campagne présidentielle.</p> <p>Fidèle à son style «wesh-embrouille», où les différends se règlent en <em>battles</em> de tchatche, Cyril Hanouna a aussitôt mis un coup de pression au député Boyard, façon «qu’est-ce t’as dit?»: «Tu sais que t’es dans le groupe Bolloré, ici?», lui a-t-il lâché quand apparaissaient au même moment les résultats d’un sondage-téléspectateurs indiquant une proportion de 80% se prononçant contre l’accueil des 234 migrants et de 20% se disant pour.</p> <p>En sweat-capuche, Hanouna, tout à son personnage de caïd de la street chic rappelant au p’tit merdeux le respect dû au patron, le vrai, insiste alors: «Tu sais que t’es dans le groupe Bolloré?... Qu’est-ce que tu viens foutre ici, alors?... Bolloré t’a donné de l’argent, t’étais chroniqueur ici…»</p> <p>Boyard, qui avait visiblement préparé son coup, la joue grands principes: «Attends, Cyril, est-ce que tu es en train de me dire que je n’ai pas le droit de dire que Bolloré, il a un procès avec cent cinquante Camerounais parce qu’il a déforesté?» La suite: le député-LFI-ex-chroniqueur-TPMP, ne s’énervant pas, devant pressentir qu’il sortira gagnant de la <em>battle</em>, se prévaut de sa qualité de député. Hanouna piétine l’argument, estimant que Boyard, comme d’autres de son parti, doit son élection à TPMP. Après avoir donné du «mon chéri» à Boyard, il le traite d’«abruti» et de «merde», chacun accusant l’autre d’avoir fait monter l’extrême droite – le grand tabou de la politique française.</p> <p>Quelle suite LFI, plus largement la Nupes, la coalition de gauche à l’Assemblée nationale, donnera-t-elle à cet incident? Continuera-t-elle d’aller sur le plateau de TPMP? Qui, d’Hanouna ou de la gauche radicale, a-t-il le plus besoin de l’autre? Sans LFI, formation aux accents populistes, TPMP perdrait sa caution de gauche, risquant alors de ne plus réunir que des «anti-tout», souvent l’antichambre d’un parti de l’ordre. Mais en renonçant à ce forum, La France insoumise se priverait d’un lieu où elle peut porter des coups à «Macron», ce qui lui rapporte des voix. Ne plus se montrer dans «Touche pas à mon poste!» pourrait être interprété comme l’aveu qu’on appartient au «système», à cette «élite» qu’on prétend combattre.</p> <p>Dans le même temps, en participant à cette émission, LFI sait qu’elle contribue à saper la confiance dans les institutions démocratiques, dont on a vu jeudi soir le peu de cas qu’en faisait Cyril Hanouna en insultant le député Boyard. Il y a deux semaines, toujours à la barre de TPMP, Hanouna appelait à la tenue d’un procès expéditif, assortie d’une «perpétuité immédiate» pour la meurtrière présumée de la petite Lola. 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Né en 1950 à Constantine, issu de la communauté juive algérienne, partie avec les pieds-noirs à l’indépendance en 1962, Stora était investi d’une mission réconciliatrice par le président de la République. A la fin de son travail, l’historien émet une série de préconisations. Et l’on entre alors dans le vif du sujet: l’action.</p> <p>La première de ces préconisations, qui rappelle la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud, l’Instance Vérité et Dignité en Tunisie, est la constitution d’une «Commission "Mémoires et vérité" chargée d’impulser des initiatives communes entre la France et l’Algérie sur les questions de mémoires». La <em>vérité</em>. Pas de réconciliation sans vérité sur les exactions passées, croit-on.</p> <p>Mais la vérité n’est pas seulement question de faits, elle intéresse aussi le sens. Or deux sens ne peuvent cohabiter. Pas d’en-même-temps possible: la douleur d’un camp ne peut valoir celle de l’autre. Celle de l’Allemand de la Seconde Guerre mondiale ne vaut pas celle de l’Allié. On touche probablement ici à la limite du rapport Stora: le colon ne peut pas faire valoir sa douleur au même titre que le colonisé. Sinon, toute la hiérarchie, établie selon une échelle de valeurs qui accorde au colonisé la légitimité de sa révolte, est rebattue. Et pourtant, se dit-on, il faut tendre vers la reconnaissance des souffrances de part et d’autre, pour pouvoir la faire, cette réconciliation. Comme c’est compliqué…</p> <h3>Les choses ont un sens que la paix peut ignorer</h3> <p>Seul le sens permet d’y voir clair. Mais le problème du sens, qui dit qui avait raison, qui avait tort, c’est qu’il ne permet pas toujours de refermer les plaies, puisque personne ne veut être en tort, ou avoir tous les torts. Le cas franco-algérien renvoie à la spécificité de la guerre d’Algérie, plus sensible sur un plan mémoriel que les guerres franco-allemandes.</p> <p>La guerre d’Algérie, combat décolonial, lutte pour la libération, fut probablement moins une guerre classique entre deux nations qu’une guerre civile à l’intérieur d’un même territoire. Opposant deux populations d’inégal statut, certes, et ce n’est pas rien, mais ayant toute deux un caractère civil. De là, sans doute, le refus, longtemps, de nommer par le terme de guerre ce qui était appelé sous le nom d’événements.</p> <p>C’est pourquoi la vérité (qui la dit? selon quels critères?) peut être, aussi, parfois, l’ennemi de la réconciliation, celle-ci étant par nature toujours un peu artificielle. Disons que l’intérêt de la paix l’emporte à un moment donné sur l’intérêt de la guerre, surtout dans une configuration de conflit civil.</p> <h3>Les pieds dans le plat</h3> <p>Très vite apparaît la nécessité de l’amnistie, pour étouffer des braises dont chacun a cependant conscience qu’elle ne seront jamais tout à fait éteintes. Ce fut vrai après une relative brève période d’épuration en France en 1944-45. Vrai entre la France et l’Algérie à l’indépendance en 1962. Vrai encore en 1999, lorsque le président algérien Abdelaziz Bouteflika fit voter la loi dite de concorde civile, qui mit fin par un plébiscite à la guerre civile.</p> <p>Cela nous amène à la France d’aujourd’hui, celle, d’après, espérons-le, les attentats islamistes. Attentats? Islamistes? D’emblée, les pieds dans le plat. La somme de «ce qui est arrivé en France ces dernières années» pèse son poids de non-dits. Cette situation présente des similitudes avec les conflits évoqués plus haut. Mais elle a comme quelque chose d’inextricable. Ce n’est pas encourageant.</p> <h3>Quand le bourreau redevient l'égal de la victime</h3> <p>Alors, quelles similitudes entre l’après-attentats et ces précédents après-guerres? La première de toutes, la plus importante: la nécessité de l’amnistie, avons-nous vu, par quoi on cesse de juger ceux qu’on sait coupables, par quoi on passe à autre chose. Comme la victime, le bourreau doit pouvoir reprendre une vie normale. Sauf que toute amnistie suppose un vainqueur reconnu comme tel, autrement dit un juste faisant offrande de son pardon au vaincu. L’amnistie, qui comporte une part d’amnésie volontaire, permet le retour à la paix dans des sociétés qui se sont entredéchirées.</p> <p>Toute la difficulté en France – on le voit avec les polémiques entourant l’adoption en cours de la loi confortant le respect des principes républicains, initialement intitulée contre le séparatisme islamiste – tient dans l’énoncé et dans le sens attribué à des faits qui ont ensanglanté la métropole comme jamais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.</p> <h3>Déni de réalité</h3> <p>Dire ce qui s’est passé contient un enjeu de pouvoir politique et culturel pour le présent et pour l’avenir. Il y a là un rapport de force, d’autant plus à l’œuvre que la qualification de ces attentats n’est pas claire pour tous, ou doit rester équivoque, manière de manœuvre dilatoire. On est alors proche du déni de réalité. Laquelle? Oui, on peut jouer longtemps sur les mots.</p> <p>La meilleure façon de tirer un trait sur cette période serait effectivement de dire que l’islamisme n’existe pas et que par conséquent il n’y a pas eu d’attentats, tout attentat ayant une motivation idéologique. Il y aurait eu une sorte d’explosion de violence spontanée.</p> <h3>Désigner une idéologie, c'est désigner des idéologues</h3> <p>Retenir la qualification d’attentats, qui plus est islamistes, ce qu’ils ont bel et bien été, c’est désigner une idéologie. L’idéologie islamiste, donc: soit un projet de conquête civilisationnelle dirigé contre l’Occident jugé décadent et en bout de course. Toute la littérature djihadiste, s’inspirant de l’islamisme, est faite de cela.</p> <p>Désigner une idéologie potentiellement violente, c’est désigner des idéologues et des compagnons de route. C’est vouloir occuper le pouvoir à leur place, là où on pense qu’ils l’occupent, dans certaines parties de l’université, par exemple. C’est désigner un problème: «l’islamo-gauchisme», soit une convergence plus ou moins solide entre matérialisme et religion en vue de renverser l’ordre bourgeois, lequel s’oppose à la fois à l’égalité et à une saine vision de l’existence – notons que le fidèle musulman n’érigeant pas sa religion en cause politique, et cela fait du monde, n’a que faire de ces sollicitations révolutionnaires.</p> <h3>La France insoumise visée et visant à son tour</h3> <p>Sur la défensive, se sentant visée par une entreprise épuratrice post-islamiste, par quoi il s’agit d’empêcher, du moins de s’opposer frontalement aux conditions de production de l’islamisme, la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon refuse de faire la différence entre islamisme et islam, accuse le gouvernement de persécution envers les musulmans. Comme si l’islamisme n’existait pas ou n’avait pas existé, en France et ailleurs, comme si – autre façon de hiérarchiser la donne historique – les coupables de ce qu’il faut quand même bien appeler des attentats, n’étaient pas à chercher parmi des musulmans, population opprimée, mais chez leurs oppresseurs, autrement dit dans l’Occident capitaliste, colon un jour, colon toujours…</p> <h3>La poursuite de la guerre d'Algérie</h3> <p>On retrouve ici la matière du rapport Stora sur les conséquences de la guerre d’Algérie. En quoi on pourrait affirmer que les attentats islamistes qui ont frappé la France ces dernières années sont en partie, en partie seulement, la poursuite d’une guerre d’Algérie qui n’a pas réellement pris fin. 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Qu’est-ce que cela révèle de ce vote, à cet endroit bien précis, celui des limites géographiques et politiques d’un pays, en sa partie francophone?</p> <p>A Courgenay, dans cette Ajoie s’enfonçant tel un saillant dans les départements français du Doubs et du Territoire de Belfort, 65,4% des habitants ont voté en faveur de l’initiative soutenue par l’UDC et une partie de la gauche (<a href="https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/votations/20210307/initiative-populaire-oui-a-l-interdiction-de-se-dissimuler-le-visage.html" target="_blank" rel="noopener">cliquez ici</a> pour avoir accès à la carte interactive). 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Ce terme, dont l’islam politique est féru, a plusieurs acceptions. C’est son problème comme sa force. Il englobe et confond la critique, la crainte et le rejet de l’islam. Mais on peut penser que le «vote des frontières» à l’initiative qui nous occupe renferme une part de crainte, voire de rejet de la religion musulmane, en tous les cas de ses formes apparaissant comme radicales ou intolérantes.</p> <p>Notre hypothèse, elle, est qu’il faut envisager ce vote frontalier romand comme le résultat d’une association d’idées: niqab=islam, islam=danger, danger=France. Cet enchaînement peut certainement valoir aussi, selon des modalités propres, avec d’autres pays limitrophes de la Suisse – la chose est frappante dans le canton de Saint-Gall, qui fait face à l’Autriche, visée le 12 novembre par un attentat djihadiste à Vienne.</p> <p>Ne nous cachons pas la réalité: nombreux sont les Suisses à avoir de la France une image cauchemardesque, ou du moins dégradée. Pour rien au monde, ils ne voudraient être français, ni connaître ce que la France, singulièrement cette «France voisine» – proche mais tenue à distance comme tout voisin – connaît: le chômage, la délinquance, un rapport exacerbé à l’islam, globalement, des problèmes paraissant insolubles.</p> <hr /> <p style="text-align: center;"><strong>Lire aussi</strong>: <em><a href="https://bonpourlatete.com/analyses/islamisme-france-suisse-le-vrai-sujet-qui-fache" target="_blank" rel="noopener">Islamisme France-Suisse: le vrai sujet qui fâche</a></em></p> <hr /> <p>Les communes romandes frontalières, spécialement celles de fort passage, spécialement celles situées en zones rurales, spécialement enfin celles qui n’ont pas avec la France de «barrière naturelle» – une rivière, un fort dénivelé forestier ou montagneux –, s’estiment aux premières loges d’un danger réel, exagéré ou fantasmé dont elles entendent se prémunir. Les habitants de ces localités se considèrent vulnérables, ils voient dans la frontière une protection contre des périls, le rôle même d’une frontière.</p> <p>Deux épisodes de délinquance remontant à l’été dernier renforcent cette hypothèse: l’un a touché la «<a href="https://bonpourlatete.com/actuel/la-suisse-c-est-un-autre-monde-faut-dire-la-verite" target="_blank" rel="noopener">piscine de Porrentruy</a>», en Ajoie, lorsque des «racailles» (terme chargé de sous-entendus) venues de quartiers sensibles de France voisine ont commis des incivilités dans l’enceinte du bassin bruntrutain; <a href="https://bonpourlatete.com/actuel/neuchatel-veut-que-l-algerie-reprenne-ses-delinquants-sans-papiers" target="_blank" rel="noopener">un autre</a> a fait grimper les chiffres de la délinquance semble-t-il comme rarement sur le littoral neuchâtelois, lorsque des mineurs ou jeunes majeurs isolés essentiellement originaires du Maghreb, certains d’entre eux étant en réalité originaires de France, ont commis des rapines.</p> <p>Les urnes électorales sont en quelque sorte nos lieux d’aisance démocratiques. 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Un <i>mansplaining</i> en mode solidaire, bien sûr. Je serais même tenté d’y voir un peu plus que cela: un <i>manembracing</i> virant au <i>manembarrassing</i>. Autrement dit: une défense à ce point appuyée qu’elle en devient gênante.</p> <p>Gabriel Bender a le zèle du converti. Du converti au féminisme. C’est l’impression qu’il donne. Comme s’il devait montrer, à lui-même et au monde, qu’il est du bon côté. Celui des dominés, en l’occurrence des dominées. Militantisme et sociologie – sa discipline – ne font plus qu’un dans un certain nombre de domaines de recherche. En première année de «socio», on apprenait pourtant à distinguer le discours de l’acteur de celui de l’observateur.</p> <p>Ce précieux conseil, qui permet d’entretenir la veille démocratique, ne semble plus partagé par tous les observateurs des phénomènes de société. La prose «féministe» de Gabriel Bender rend compte d’une confusion des statuts certainement volontaire. Chez lui, les termes du combat paraissent ne pas devoir être discutés, celui de patriarcat, par exemple. Or ce n’est pas parce que le patriarcat existe en tant que phénomène historique que le mot n’est pas utilisé dans la période actuelle comme une ressource discursive mise au service d’un intérêt.</p> <p>Contrairement à quelques-uns éprouvant le besoin d’exposer leur vertu, je n’ai pas pour habitude de dire dans un texte ce que je pense profondément. Parce que je me dis qu’un individu, au hasard, un lecteur, une lectrice, peut parfaitement faire crédit à un autre individu de son appartenance à la bonne part de l’humanité même si ce dernier dévie, autrement dit s’accorde le droit de questionner des tendances. Le fait de dévier, de pouvoir le faire, est gage de bonne santé démocratique. Cela ne veut pas dire qu’on est en droit d’imposer son point de vue aux autres. Bref, le débat est un acquis précieux, et cette réponse à Gabriel Bender y participe.</p> <hr /> <p style="text-align: center;"><strong>Lire aussi</strong>: <em><a href="https://bonpourlatete.com/analyses/mise-au-pas-du-patriarcat-a-la-rts" target="_blank" rel="noopener">Mise au pas du patriarcat à la RTS</a></em></p> <hr /> <p>Alors, qu’est-ce que je pense du harcèlement? Comme la plupart des gens, je pense que c’est intolérable. Je pense aussi que la «drague» en entreprise, lourde ou légère, est une mauvaise chose. Je dénonce le machisme et la beauferie. Je me souviens, mais là on part sur #metoogay, de trois journalistes causant politique avant une échéance électorale: l’un d’eux avait usé du mot «pédoque» pour évoquer un élu romand. C’était moche, j’avais envie de l’insulter. Tout ça pour dire que je suis heureux qu’une certaine tenue comportementale et verbale – «un homme ça s’empêche», merci Albert Camus – devienne la règle. Ce changement, on le doit aux féministes. 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Que comprendre en creux de ses arguments à lui? 1) Qu’un combat mené par des femmes se doit d’être protégé, parce que tout combat féminin serait empreint de fragilité. 2) Que des femmes sont au fond incapables de tactique, qu’elles sont toujours «entières», comme si parler de manœuvre à leur sujet, c’était implicitement en référer aux vieux schémas de ruse, de rouerie, voire de sorcellerie associés aux femmes durant des siècles.</p> <p>Mais on est de son temps ou on ne l’est pas. Il s’agit bien pour des femmes de la RTS, et pour des hommes avec elles, de tirer parti, c’est-à-dire avantage d’une situation à l’origine défavorable. C’est ce qui s’appelle faire de la politique. Mais encore une fois, tout combat politique conduit par des femmes devrait-il être assimilé seulement à du «militantisme», notion contenant en elle un statut de dominé, et par-là échapper à la critique ordinaire? 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@PB41 07.09.2020 | 13h06
«Excellente analyse de ce pays aussi compliqué que dynamique. La transition vers une nouvelle organisation politique et sociale est aussi un problème de génération et de divergences ville-campagne. Mais à la fin, avec la nouvelle génération, c’est la société qui l’emportera.»