Actuel / Grèves pour le climat: ce qu’en pensent les sans voix
L'écologie a le vent en poupe, la vague verte l'a montré, les mobilisations autour de la Grève pour le climat aussi, mais les discours et les points de vue divergent dans la société suisse: entre villes et campagnes, entre étudiants et apprentis, entre jeunes et moins jeunes... Les militants d'Extinction Rebellion bloquent le pont Bessières à Lausanne, le 20 septembre 2019. © LLE
Ce qui passe pour une unanimité dans la sphère médiatique et académique ne se retrouve pas forcément dans la base de la population. Surtout si l’on tourne son regard vers les campagnes. Un moindre effort qui aurait dû être fait depuis longtemps. D’autant plus que toute unanimité, même si elle est avérée, demande un examen critique. Faire l’effort de penser contre soi-même, c’est le début de la sagesse. Car rien n’est plus inhumain que les dogmes. Petit arrêt sur les interrogations d’une certaine partie de la population concernant les manifs pour le climat.
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Le rectorat a négocié avec la faîtière d’étudiants un accord commun – incluant tous les étudiants et collaborateurs de l’université – portant sur la défense de valeurs fondamentales telles que la liberté académique, la liberté d’expression, le refus de la violence, etc. Mais le <a href="https://www.unige.ch/communication/communiques/2022/luniversite-et-ses-etudiant-es-reaffirment-les-valeurs-de-linstitution">communiqué de l’université</a> souffre d’une certaine ambiguïté:</p> <p>«Par cette déclaration commune, le rectorat et les étudiant-es replacent (…) le débat dans son contexte académique et souhaitent rappeler des principes essentiels: le respect dû aux personnes passant par la lutte contre toute forme de discrimination, notamment de genre, d’origine ou de classe; le refus de la violence sous toutes ses formes; le respect de la liberté académique dans la recherche et l’enseignement, <em>encadrée par les valeurs précitées</em><sup><strong>1</strong></sup>. 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Qui sont ces groupes désormais puissants dans les rapports de force idéologiques qui parcourent l’université et la société de manière générale (pour vous en convaincre, songez au fait qu’à Neuchâtel, les représentants des étudiants avaient réussi à ne faire comptabiliser que les réussites d’examens, et pas les échecs, en période de Covid)? 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Par comparaison, «l’Association Générale des Etudiant·e·s de l’Université de Fribourg» (AGEF) vit grâce à une cotisation obligatoire de 20 CHF pour tout étudiant, dont une bonne partie repart dans les sections de la faîtière (une section par département ou faculté). C’est à peu près la même chose à Neuchâtel, où tous les étudiants sont <em>de facto</em> membres de la «Fédération des étudiant·e·s neuchâtelois·e·s» (FEN) et paient ainsi une cotisation de 15 CHF, comprise dans la taxe d’étude. Si quelqu’un ne souhaite pas la payer, il doit démissionner par écrit de la faîtière.</p> <p>On part alors du principe que les faîtières en question doivent se sentir responsables de leur caractère représentatif vis-à-vis des étudiants qu’elles fédèrent. Mais pas besoin de trop gratter pour se rendre compte qu’il ne s’agit pas vraiment du genre de la maison. La CUAE se définit sur son site comme «association faîtière et syndicat des étudiant.e.x.s de l’Université de Genève, et leur porte-parole auprès des autorités universitaires et politiques». Déjà, même s’il s’agit d’une volonté des individus qui composent la CUAE, son statut de syndicat pose question, dans la mesure où il reflète une certaine culture politique: n’y a-t-il pas incompatibilité entre cette nature de syndicat (unique en Suisse parmi les universités) et le fait de devoir représenter les étudiants dans leur diversité (y compris politique, diversité qu’on oublie souvent)?</p> <h3>Revendications politiques «si ça concerne les étudiants»</h3> <p>En partant de cette interrogation, on peut tirer un fil logique pour questionner les types de revendications portées par la CUAE et par leurs émules romandes. 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Outre l’intégration des étudiants transgenres dans la forme des statuts de l’Union des étudiant-e-s de Suisse (UNES), les délégués de cette «faîtière des faîtières» ont par exemple traité d’une initiative populaire en assemblées des délégués, parce que la votation faisait courir un risque au programme ERASMUS, même si les étudiants n’étaient pas cités dans le texte. Rebelote avec la question de l’accord-cadre et HORIZON2020. Un ancien responsable de la FEN, la faîtière neuchâteloise, confie:</p> <p>«Peu de personnes s’engagent dans ces structures. Il y a eu des assemblées générales de la FEN où nous étions dix. 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Mais il est parfois utile de jeter un coup d’œil plus affuté sur les représentants que nous avons encore actuellement à Berne. Car la composition d’un législatif dit quelque chose de la sociologie politique d’un pays. Deux prismes sont choisis ici: la diversité d’idées parmi les élus de chaque parti ainsi que leur profil socio-professionnel. Deux entrées a priori indépendantes mais qui touchent néanmoins à un thème commun: le pluralisme, garant, selon beaucoup de théories, d’une certaine représentativité de la société dans sa diversité.</p> <h3>Le pluralisme des idées, un gros mot à gauche?</h3> <p>On parle toujours de «l’avis des partis» sur tel ou tel sujet. Certes, les diverses formations politiques, par les votes de leurs délégués lors des assemblées, adoptent des résolutions, des prises de position, etc. Mais on oublie souvent que les partis sont composés de personnes, dont les plus importantes politiquement, dans une démocratie représentative, sont les élus. 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Le résultat semble comme calqué sur les graphiques précédents (pluralisme des idées):</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1648117695_capturedcran2022032411.27.09.png" class="img-responsive img-fluid center " width="555" height="386" /></p> <h4><em>Observatoire des élites suisses (Obelis) de l’Université de Lausanne, graphique publié dans <i>Le Temps</i> le 24 octobre 2019.</em></h4> <p>Là encore, Olivier Meuwly sourit: «Il y a une contradiction évidente entre le fait de se proclamer le parti des prolétaires et de ne plus l’être depuis longtemps au niveau de ses représentants, comme d’une partie de ses électeurs d’ailleurs.» Il n’empêche, en théorie, rien ne défend à un professeur d’université de s’intéresser à la condition des ouvriers. Mais il faut noter toutes les fois où la gauche, dans notre pays, place au premier plan de ses revendications l’égalité des chances, la dignité de chaque individu, le fait que chacun puisse et doive s’engager en politique ou dans un conseil d’administration, etc. Il y a donc un paradoxe évident entre la forte présence de ces thèmes au niveau de la posture de la gauche et la réalité des origines socio-professionnelles au niveau de ses représentants.</p> <p>Encore une fois, il n’a pas été question ici d’évaluer positivement ou négativement une homogénéité d’opinions ou de parcours. Mais de pointer des faits et de les mettre en perspective avec le langage de la gauche. Cette famille de pensée, incontournable dans la vie politique suisse, devrait davantage se pencher sur ses paradoxes. «C’est une des conditions pour que la social-démocratie, prise dans ses contradictions internes, ne subisse pas une dégringolade à la française – moins violente, mais quand même. 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Le sujet est intéressant mais il me semble qu’il y a trop de raccourcis pour un sujet si complexe. J’ai eu l’impression de lire un article du matin. J’aurai souhaité une analyse plus approfondie par exemple sur la désobéissance civile, ses origines, comment elle pourrait s’inscrire efficacement dans la marche du monde. Est-ce que la politique traditionnelle n’a t’elle pas aussi ses limites? Est-ce que la désobéissance au sens large, éducationnel peut-être, n’apporte pas une certaine dose de prise de risque et d’empowerment à ceux qui s’y aventure. N’est-ce pas une façons différente de d’hurler à l’aide voir de trouver une voie détournée pour chercher le dialogue? Je comprends les réticences et les craintes mais je m’interroge sur leurs fondements. Ces groupes sont-ils une réelle menace? Contre quoi? Contre qui? 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Concernant la «dose de prise de risque» dont vous parlez, pour ma part, je ne la constate pas. La désobéissance civile à la mode «On va s'enchaîner sur le pont Bessières pour ne pas laisser passer les voitures» ou «On va louper l'école» est, à mon sens, le fait d'un infantilisme moutonnier plus que d'un quelconque courage civique. Les nouveaux rebelles n'ont souvent pas grand chose de rebelle. D'autant que leur cause trouve un écho favorable auprès des institutions médiatiques, académiques et autres. C'est donc un conformisme. Cela dit, je partage votre suggestion selon laquelle la politique représentationnelle a des limites. Faut-il pour autant les franchir? Si oui, comment? Je fais une petite proposition en ce sens dans l'article: l'engagement citoyen comme complétant les institutions plutôt que comme s'y opposant. C'est ce que font par exemple les parlements des jeunes en Suisse depuis des années, avec des retombées concrètes et un apprentissage civique. 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Dans Le Temps du lundi 17 août 2020, on apprenait à l’occasion d’un petit article que les mouvements Grève du climat, Extinction Rébellion, Collective Climate for Justice et Break Free se réuniront pour une manifestation commune d’une semaine fin septembre. Divers acteurs de ces mouvements et profs d’université prenaient la parole dans l’article, sans qu’aucune voix critique ne s’exprimât. Rien de très étonnant: le traitement médiatique réservé à ces soulèvements écologistes est en grande partie incomplet, car unilatéralement biaisé.
A lire aussi: Manifs pour le climat: plaidoyer pour moins de morale et plus de raison
Quand analyse il y a, elle se fonde sur le présupposé que le discours de ces mouvements est juste. Elle se consacre alors à la stratégie de ces mouvements, au calendrier politique, aux fameux «changements sociétaux», etc. Quand commentaire il y a, il s’agit d’apporter son soutien aux «jeunes» – il faudrait savoir, les activistes se vantent de réunir dans la rue toutes les générations – et de dénoncer l’inaction des politiques ou la lenteur de leur réactivité. Le nombre d’injures, publiques et privées, reçues par l’auteur du présent article lors de précédents papiers critiques sur le sujet suffit à montrer l’omerta qui règne. Le questionnement des méthodes pour l’action en faveur de l’environnement est un nouveau tabou.
Quatre interrogations
Mais cette loi du silence gardée par les nouveaux censeurs n’empêchera pas la population de s’interroger. Quatre questions peuvent par exemple se poser concernant la manifestation commune prévue pour fin septembre (en pleine incertitude sanitaire, est-il utile de le préciser?). Premièrement, cette nouvelle manifestation consistera en de la désobéissance civile. La petite musique qu’on entend depuis plusieurs mois selon laquelle «Extinction Rebellion est un mouvement radical qui n’est pas représentatif des militants de la Grève du climat» ne tient donc plus. Ces derniers tolèrent et reprennent à leur compte les manières de faire du mouvement Extinction Rebellion. «Ils se radicalisent», conclut l’auteure du Temps: on peut tout aussi bien y voir l’aboutissement d’une démarche, voire un naturel revenu au galop.
Deuxièmement, Fanny Zürn, porte-parole de Grève du climat, estime que «durant la pandémie, la Confédération a continué de mettre l’accent sur l’économie». Cela fera plaisir à tous les salariés, indépendants et patrons qui ne savent pas s’ils vont s’en sortir. Car il n’aura échappé à personne que c’est justement la santé de quelques-uns qui est passée avant l’économie de ce pays. Chose dont on peut d’ailleurs se féliciter. Et s’il y a bien actuellement une discipline qui occupe toutes les discussions et accompagne toutes les décisions, c’est la science. Celle-là même que les politiques n’écouteraient pas selon les activistes.
Troisièmement, et «ce n’est pas pour rien» lit-on dans le papier, cette nouvelle action aura lieu en pleine dernière semaine de session parlementaire. Alors même que les activistes pour le climat s’attribuent le mérite d’avoir contribué à engendrer la vague verte aux dernières élections fédérales, faire confiance au travail des parlementaires et au moins attendre de pouvoir juger les résultats de leur action ne semble pas être à leur ordre du jour. Il s’agit de tacler la classe politique dans une vision manichéenne où le système représentatif serait composé de méchants et l’engagement citoyen de gentils. Or, cette forme d’engagement ne serait-elle pas davantage crédible si elle avait pour but de compléter les institutions plutôt que leur cracher à la figure?
Quatrièmement, ces mouvements continuent à être décrits ou perçus comme «issus de la société civile», «portés par les jeunes», etc. Soit. Mais ne serait-il pas intéressant de demander une fois aux ouvriers, aux paysans, aux apprentis, aux employés sans diplôme supérieur, ce qu’ils pensent de ces mouvances, au lieu de citer toujours le milieu académique ou les associations en lien avec les manifestations? Celles-ci ont occupé tant de contenus dans les médias qu’il serait peut-être bienvenu de varier les angles et de faire l’effort d’aller chercher d’autres sons de cloche. En voici quelques-uns, qui n’étaient pourtant pas difficiles à trouver.
La parole à la majorité silencieuse
Il suffit effectivement de se tourner vers les régions campagnardes pour entendre d’autres voix. D’abord, au bout du fil, une ancienne enseignante d’école primaire, très engagée dans son village de vallée latérale. Interrogée sur le thème des manifestations pour le climat, elle ne prend pas de gants: «c’est beaucoup de bruit pour pas grand-chose: au lieu de manifester, qu’ils s’engagent dans des exécutifs pour qu’ils se rendent compte de la diversité et de la complexité des problèmes!» Car la Valaisanne d’une soixantaine d’années, qui a d’ailleurs une expérience dans l’exécutif de sa commune, est formelle: la majorité des gens font déjà des efforts pour l’environnement au quotidien. «Mieux vaut des actions concrètes que des revendications éthérées. Celles-ci tiennent plus de la mode que d’un vrai sens civique.»
Y aurait-il un fossé géographique villes-campagnes au niveau de la perception de ce phénomène en cours? Affirmatif. Le fossé serait même sociologique: «je vois les activistes comme des enfants gâtés totalement déconnectés du réel. Moi aussi, si j’habitais à Zurich, je n’aurais pas de voiture, mais est-ce que les manifestants font l’effort de comprendre les régions comme la nôtre où ce n’est juste pas possible d’être dépendant du bus? Qu’ils viennent ici sur le terrain pour voir…», lance-t-elle, avant d’insister sur le fait que son point de vue est largement partagé parmi les habitants. Et ne la lancez pas sur Extinction Rebellion: «Ce sont des fous! Et la Grève du climat les ont rejoints? Alors ils sont fous aussi. Tout cela fait peur.»
A côté d’elle, un jeune collaborateur de la plaine, d’origine immigrée. Il prend le téléphone pour livrer à son tour son ressenti. «Ces manifs seraient utiles si elles aboutissaient à quelque chose, mais j’ai l’impression que c’est du cirque. Les manifs amènent plus de cheni qu’autre chose. Même au sens propre: une photo circulait après la première grande manif à Sion où on voyait une quantité de bouteilles de PETS et de verres à même le sol… C’est comme les prêtres à l’époque: ils prêchaient des choses et après, qu’est-ce qu’on découvrait pas chez eux! L’écologie est importante, mais là on parle des moyens d’atteindre la cible.» L’ancienne institutrice reprend son iPhone: «et il y a déjà eu une forte sensibilisation chez les politiciens!»
Cap sur Fribourg, où notamment une secrétaire à la retraite me lance: «Déjà, la désobéissance civile n’est pas un droit. On ne peut pas démonter l’ordre civil. Où va-t-on? Que vont-ils faire? C’est trop flou. Pourtant, il s’agit de notre argent. Toutes ces interventions touchent à notre porte-monnaie. Qu’ont-ils programmé pour septembre? On ne peut pas empêcher le citoyen de travailler.» Et s’agissant des critiques à l'encontre de la politique fédérale: «La priorité sanitaire est plus importante que le climat. Je soutiens la Confédération dans ce sens. Bien sûr, le climat doit faire partie de nos préoccupations, mais en ce moment il y a d’autres chats à fouetter.» Une formule qui trouve son écho chez bien des personnes.
Un loisir estudiantin?
Ce regard critique sur les manifestations est-il représentatif d’une majorité peu présentée dans les médias? En tout cas d’une certaine population rurale, mais pas dans tous les milieux. L’exemple du secondaire II est particulièrement intéressant. Un professeur valaisan a abordé le thème des manifs en cours de géographie. Il constate que l’enjeu écologique est devenu un thème qui compte. «Beaucoup y sont sensibles», commente-t-il. «Mais si je pose une question sur l’actualité du congé paternité ou des retraites, seuls deux étudiants dans la classe ont une réponse à proposer.» Leurs intérêts sont donc le miroir des sujets mis en avant dans les médias mainstream. «Et il faut dire que cela représente aussi des jours de congé, ne nous mentons pas. Nous avons par exemple eu une journée en classe avec des documentaires sur l’écologie.»
On note que le thème, en plus d’être générationnel («moi, je tiens à mon quatre-quatre en montagne, mais la majorité des élèves fait passer cette liberté après le climat», sourit l’enseignant), est estudiantin. Les apprentis qui me livrent leurs témoignages par WhatsApp sont soit indifférents à la cause, soit plutôt hostiles à ce genre d’initiatives, les décrivant comme des loisirs d’universitaires. «On a pas le temps nous pour ces choses-là! Et y a des choses plus importantes.» Libre à chacun de définir ses priorités politiques.
Au sein du monde académique, surtout dans les facultés des lettres et sciences humaines d’ailleurs (et non pas des sciences), les étudiants indociles sont ultra-minoritaires, se faisant taxer de réactionnaires quand ils n’épousent pas la marche du progrès… ou la marche du climat. Nous sommes quelques-uns à l’avoir vécu. Même si une minorité de jeunes sort dans la rue, toute la «communauté» est exhortée à les soutenir. Entendu à Neuchâtel: «tous les gens de droite sont des fachos». De Gaulle lui-même était taxé de facho en son temps par une certaine gauche. Une chose est donc certaine: rien de nouveau sous le soleil. Les modes passent, les climats aussi, mais l’inclination de l’Homme à faire dégager de la cour de récré ceux qui ne sont pas de sa bande ne semble pas près de s’arrêter.
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Le fossé serait même sociologique: «<em>je vois les activistes comme des enfants gâtés totalement déconnectés du réel. Moi aussi, si j’habitais à Zurich, je n’aurais pas de voiture, mais est-ce que les manifestants font l’effort de comprendre les régions comme la nôtre où ce n’est juste pas possible d’être dépendant du bus? Qu’ils viennent ici sur le terrain pour voir…</em>», lance-t-elle, avant d’insister sur le fait que son point de vue est largement partagé parmi les habitants. Et ne la lancez pas sur Extinction Rebellion: «<em>Ce sont des fous! Et la Grève du climat les ont rejoints? Alors ils sont fous aussi. Tout cela fait peur.</em>»</p> <p>A côté d’elle, un jeune collaborateur de la plaine, d’origine immigrée. Il prend le téléphone pour livrer à son tour son ressenti. «<em>Ces manifs seraient utiles si elles aboutissaient à quelque chose, mais j’ai l’impression que c’est du cirque. Les manifs amènent plus de cheni qu’autre chose. Même au sens propre: une photo circulait après la première grande manif à Sion où on voyait une quantité de bouteilles de PETS et de verres à même le sol… C’est comme les prêtres à l’époque: ils prêchaient des choses et après, qu’est-ce qu’on découvrait pas chez eux! L’écologie est importante, mais là on parle des moyens d’atteindre la cible.</em>» L’ancienne institutrice reprend son iPhone: «<em>et il y a déjà eu une forte sensibilisation chez les politiciens!</em>»</p> <p>Cap sur <strong>Fribourg</strong>, où notamment une secrétaire à la retraite me lance: «<em>Déjà, la désobéissance civile n’est pas un droit. On ne peut pas démonter l’ordre civil. Où va-t-on? Que vont-ils faire? C’est trop flou. Pourtant, il s’agit de notre argent. Toutes ces interventions touchent à notre porte-monnaie. Qu’ont-ils programmé pour septembre? 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Il constate que l’enjeu écologique est devenu un thème qui compte. «<em>Beaucoup y sont sensibles</em>», commente-t-il. «<em>Mais si je pose une question sur l’actualité du congé paternité ou des retraites, seuls deux étudiants dans la classe ont une réponse à proposer.</em>» Leurs intérêts sont donc le miroir des sujets mis en avant dans les médias mainstream. «<em>Et il faut dire que cela représente aussi des jours de congé, ne nous mentons pas. Nous avons par exemple eu une journée en classe avec des documentaires sur l’écologie.</em>»</p> <p>On note que le thème, en plus d’être générationnel («<em>moi, je tiens à mon quatre-quatre en montagne, mais la majorité des élèves fait passer cette liberté après le climat</em>», sourit l’enseignant), est estudiantin. Les apprentis qui me livrent leurs témoignages par WhatsApp sont soit indifférents à la cause, soit plutôt hostiles à ce genre d’initiatives, les décrivant comme des loisirs d’universitaires. «<em>On a pas le temps nous pour ces choses-là! Et y a des choses plus importantes.</em>» Libre à chacun de définir ses priorités politiques.</p> <p>Au sein du monde académique, surtout dans les facultés des lettres et sciences humaines d’ailleurs (et non pas des sciences), les étudiants indociles sont ultra-minoritaires, se faisant taxer de réactionnaires quand ils n’épousent pas la marche du progrès… ou la marche du climat. Nous sommes quelques-uns à l’avoir vécu. Même si une minorité de jeunes sort dans la rue, toute la «communauté» est exhortée à les soutenir. Entendu à <strong>Neuchâtel</strong>: «<em>tous les gens de droite sont des fachos</em>». De Gaulle lui-même était taxé de facho en son temps par une certaine gauche. Une chose est donc certaine: rien de nouveau sous le soleil. 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Le rectorat a négocié avec la faîtière d’étudiants un accord commun – incluant tous les étudiants et collaborateurs de l’université – portant sur la défense de valeurs fondamentales telles que la liberté académique, la liberté d’expression, le refus de la violence, etc. Mais le <a href="https://www.unige.ch/communication/communiques/2022/luniversite-et-ses-etudiant-es-reaffirment-les-valeurs-de-linstitution">communiqué de l’université</a> souffre d’une certaine ambiguïté:</p> <p>«Par cette déclaration commune, le rectorat et les étudiant-es replacent (…) le débat dans son contexte académique et souhaitent rappeler des principes essentiels: le respect dû aux personnes passant par la lutte contre toute forme de discrimination, notamment de genre, d’origine ou de classe; le refus de la violence sous toutes ses formes; le respect de la liberté académique dans la recherche et l’enseignement, <em>encadrée par les valeurs précitées</em><sup><strong>1</strong></sup>. 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Qui sont ces groupes désormais puissants dans les rapports de force idéologiques qui parcourent l’université et la société de manière générale (pour vous en convaincre, songez au fait qu’à Neuchâtel, les représentants des étudiants avaient réussi à ne faire comptabiliser que les réussites d’examens, et pas les échecs, en période de Covid)? 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Par comparaison, «l’Association Générale des Etudiant·e·s de l’Université de Fribourg» (AGEF) vit grâce à une cotisation obligatoire de 20 CHF pour tout étudiant, dont une bonne partie repart dans les sections de la faîtière (une section par département ou faculté). C’est à peu près la même chose à Neuchâtel, où tous les étudiants sont <em>de facto</em> membres de la «Fédération des étudiant·e·s neuchâtelois·e·s» (FEN) et paient ainsi une cotisation de 15 CHF, comprise dans la taxe d’étude. Si quelqu’un ne souhaite pas la payer, il doit démissionner par écrit de la faîtière.</p> <p>On part alors du principe que les faîtières en question doivent se sentir responsables de leur caractère représentatif vis-à-vis des étudiants qu’elles fédèrent. Mais pas besoin de trop gratter pour se rendre compte qu’il ne s’agit pas vraiment du genre de la maison. La CUAE se définit sur son site comme «association faîtière et syndicat des étudiant.e.x.s de l’Université de Genève, et leur porte-parole auprès des autorités universitaires et politiques». Déjà, même s’il s’agit d’une volonté des individus qui composent la CUAE, son statut de syndicat pose question, dans la mesure où il reflète une certaine culture politique: n’y a-t-il pas incompatibilité entre cette nature de syndicat (unique en Suisse parmi les universités) et le fait de devoir représenter les étudiants dans leur diversité (y compris politique, diversité qu’on oublie souvent)?</p> <h3>Revendications politiques «si ça concerne les étudiants»</h3> <p>En partant de cette interrogation, on peut tirer un fil logique pour questionner les types de revendications portées par la CUAE et par leurs émules romandes. Si les représentants de toutes les autres faîtières estudiantines nous ont déclaré qu’ils condamnaient les moyens violents utilisés par les manifestants genevois pour faire entendre leur cause, ils sont également unanimes sur la limite que leurs associations se fixent concernant leurs revendications politiques. En effet, toutes les faîtières se donnent la compétence de prendre publiquement position «quand le sujet concerne les étudiants». Voici comment par exemple Guillaume Haas détaille le cas de l’AGEF, qu’il co-préside:</p> <p>«Notre grande différence avec la CUAE (Genève) est que l’AGEF (Fribourg) est représentée à tous les niveaux de l’université de Fribourg. Et quand je dis à tous les niveaux, c’est à tous les niveaux: au Sénat, qui est l’organe suprême de l’université, mais aussi dans la moindre des petites commissions. L’UniFR est l’une des universités les plus démocratiques d’Europe. 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Outre l’intégration des étudiants transgenres dans la forme des statuts de l’Union des étudiant-e-s de Suisse (UNES), les délégués de cette «faîtière des faîtières» ont par exemple traité d’une initiative populaire en assemblées des délégués, parce que la votation faisait courir un risque au programme ERASMUS, même si les étudiants n’étaient pas cités dans le texte. Rebelote avec la question de l’accord-cadre et HORIZON2020. Un ancien responsable de la FEN, la faîtière neuchâteloise, confie:</p> <p>«Peu de personnes s’engagent dans ces structures. Il y a eu des assemblées générales de la FEN où nous étions dix. 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Et il est vrai que si des étudiants ne se sentent pas représentés, ils ont intérêt à s’y engager.</p> <h3>Effet d'entre-soi</h3> <p>Mais d’un autre point de vue, comment en vouloir à des étudiants, qui n’adhèrent pas à la tendance «woke» ou «intersectionnelle» souvent représentée par ces associations qui raffolent d’écriture inclusive, de ne pas venir s’y impliquer? Un fait psychologique simple: quand la Fédération des Associations d’Etudiant-e-s-x (Lausanne) convoque une assemblée «ouverte à tou-x-te-s», un étudiant qui trouve cette graphie laide, contestable sur le fond, ridicule ou les trois à la fois se dira peut-être que le comité n’est sans doute pas si ouvert que cela à tout le monde, du moins pas aux idées qu’il défendrait s’il venait y parler en toute honnêteté.</p> <p>C’est un fait et non un commentaire, ni même une analyse: une idéologie radicale de gauche identitaire suinte du vocabulaire, du propos et des actions de la CUAE, comme de bien d’autres associations, y compris, mais dans une moindre mesure, les faîtières d’étudiants des autres universités. 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Il constate en revanche un écart entre le discours de gauche et la réalité de son corps d’élus: «La pluralité et la tolérance, brandies si souvent par le PS et les Verts, sont bien plus présentes chez leurs adversaires dans les faits. On le constate aussi dans des débats de société actuels, avec par exemple le courant woke de la gauche qui souhaite restreindre la liberté d’expression, censurer des œuvres, interdire certaines discussions, etc.»</p> <h3>La diversité des profils socio-professionnels, un atout? </h3> <p>La discussion devient encore plus intéressante quand on se penche sur un autre schéma: celui de l’observatoire des élites suisses (OBELIS), de l’Université de Lausanne, représentant le profil socio-professionnel des politiciens actuellement sous la Coupole. Ceux-ci sont répertoriés selon la distinction «ayant suivi des hautes études - n’ayant pas suivi de hautes études». 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Mais il faut noter toutes les fois où la gauche, dans notre pays, place au premier plan de ses revendications l’égalité des chances, la dignité de chaque individu, le fait que chacun puisse et doive s’engager en politique ou dans un conseil d’administration, etc. Il y a donc un paradoxe évident entre la forte présence de ces thèmes au niveau de la posture de la gauche et la réalité des origines socio-professionnelles au niveau de ses représentants.</p> <p>Encore une fois, il n’a pas été question ici d’évaluer positivement ou négativement une homogénéité d’opinions ou de parcours. Mais de pointer des faits et de les mettre en perspective avec le langage de la gauche. Cette famille de pensée, incontournable dans la vie politique suisse, devrait davantage se pencher sur ses paradoxes. «C’est une des conditions pour que la social-démocratie, prise dans ses contradictions internes, ne subisse pas une dégringolade à la française – moins violente, mais quand même. 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Le sujet est intéressant mais il me semble qu’il y a trop de raccourcis pour un sujet si complexe. J’ai eu l’impression de lire un article du matin. J’aurai souhaité une analyse plus approfondie par exemple sur la désobéissance civile, ses origines, comment elle pourrait s’inscrire efficacement dans la marche du monde. Est-ce que la politique traditionnelle n’a t’elle pas aussi ses limites? Est-ce que la désobéissance au sens large, éducationnel peut-être, n’apporte pas une certaine dose de prise de risque et d’empowerment à ceux qui s’y aventure. N’est-ce pas une façons différente de d’hurler à l’aide voir de trouver une voie détournée pour chercher le dialogue? Je comprends les réticences et les craintes mais je m’interroge sur leurs fondements. Ces groupes sont-ils une réelle menace? Contre quoi? Contre qui? 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
5 Commentaires
@Rfavre 01.09.2020 | 18h08
«Je n’ai pas tout compris! Le sujet est intéressant mais il me semble qu’il y a trop de raccourcis pour un sujet si complexe. J’ai eu l’impression de lire un article du matin. J’aurai souhaité une analyse plus approfondie par exemple sur la désobéissance civile, ses origines, comment elle pourrait s’inscrire efficacement dans la marche du monde. Est-ce que la politique traditionnelle n’a t’elle pas aussi ses limites? Est-ce que la désobéissance au sens large, éducationnel peut-être, n’apporte pas une certaine dose de prise de risque et d’empowerment à ceux qui s’y aventure. N’est-ce pas une façons différente de d’hurler à l’aide voir de trouver une voie détournée pour chercher le dialogue? Je comprends les réticences et les craintes mais je m’interroge sur leurs fondements. Ces groupes sont-ils une réelle menace? Contre quoi? Contre qui? Raphaël Favre »
@Jonas Follonier 02.09.2020 | 08h39
«Merci @Rfavre pour votre retour et vos réflexions. L'histoire de la désobéissance civile en Suisse (ou de sa non-histoire) est un sujet intéressant et mériterait d'être traité en tant que tel. Je vous remercie donc pour cette idée, à laquelle je compte bien donner une suite. Concernant la «dose de prise de risque» dont vous parlez, pour ma part, je ne la constate pas. La désobéissance civile à la mode «On va s'enchaîner sur le pont Bessières pour ne pas laisser passer les voitures» ou «On va louper l'école» est, à mon sens, le fait d'un infantilisme moutonnier plus que d'un quelconque courage civique. Les nouveaux rebelles n'ont souvent pas grand chose de rebelle. D'autant que leur cause trouve un écho favorable auprès des institutions médiatiques, académiques et autres. C'est donc un conformisme. Cela dit, je partage votre suggestion selon laquelle la politique représentationnelle a des limites. Faut-il pour autant les franchir? Si oui, comment? Je fais une petite proposition en ce sens dans l'article: l'engagement citoyen comme complétant les institutions plutôt que comme s'y opposant. C'est ce que font par exemple les parlements des jeunes en Suisse depuis des années, avec des retombées concrètes et un apprentissage civique. Très belle journée à vous, Jonas Follonier»
@carcé 09.09.2020 | 19h07
«Pardonnez-moi, mais je comprends très bien que les jeunes (et moins jeunes) engagé(e)s pour le climat veulent secouer le cocotier! Regardez nos gouvernements (fédéraux, cantonaux) plus la Banque Nationale et les autres grandes banques, etc.): ils investissent des milliards dans les énergies fossiles. Les industries minières polluent encore et toujours plus, surtout ailleurs qu'en Suisse, comme s'il n'y avait jamais eu des doutes sur les mauvais effets du CO2 sur le climat. Le Conseil fédéral est contre un contrôle des multinationales polluantes, qui - sans aucune éthique - polluent et exploitent les ressources naturelles dans beaucoup de pays en spoliant, en plus, les indigènes de leurs terres. Donc rien ne bouge, le profit d'abord, le système a l'air bien figé. Notre "plus grand parti de Suisse" ne croit pas au réchauffement climatique. Ces manifestions sont donc également des signes d'une certaine panique. Même si quelques manifestants laissent des déchets sur place en partant...»
@stef 23.09.2020 | 21h51
«Il faut quand même comprendre que tous ces activistes ne se remuent PAS pour nous inciter à mettre nos déchets dans la poubelle et à acheter local. En partie seulement...
Mais l'accent est surtout mis sur la dénonciation du comportement trop laxiste des gouvernements envers l'économie libérale.
Certes, c'est elle qui nous nourrit, mais viendra forcément un moment où le système devra changer, car “lorsqu'il n'y aura plus de nourriture, nous ne pourrons pas manger de l'argent” ! Et le plus vite sera le mieux...»
@LEFV024 11.10.2020 | 16h41
«Moi, je trouve ces jeunes trop pressés! On ne fait rien de bien dans l'urgence. Mieux vaut réfléchir, avant d'agir. Tout le monde est d'accord sur le fait qu'il y a un "problème écologique". Ils ne sont pas les seuls à avoir compris cela.»