Analyse / En France, le «repli communautaire» s’invite à la table du coronavirus
Parmi les recommandations faites aux enseignants français pour le retour en classe, une vigilance particulière envers les discours et attitudes de "repli communautaire". Communautaire? Analyse d'une petite phrase qui a disparu sous le tapis. © Ministère de l'Education nationale
Début mai, le ministère français de l’Education nationale a diffusé des «fiches» invitant les professeurs à signaler des propos communautaristes – entendre notamment islamistes – chez des élèves. C’est toute une histoire, pleine de ressentiment, qui, d’un coup, est remontée à la surface. Analyse.
Aussitôt apparu, aussitôt disparu. Non pas comme quelque chose sans importance. Non. Bien plutôt comme une image pornographique accidentellement diffusée et promptement effacée. Ou encore, comme un secret de famille révélé à table puis jeté à la poubelle avec les restes du repas. Qui veut un café? Minute… Cette table, c’est celle de la France mobilisée contre le coronavirus, dernier du nom. Cette image compromettante, ce secret, c’est le ventre de la société française, et il ne sent pas la violette. Le 4 mai, le ministère de l’Education national écrivait les mots qu’il ne faut pas, surtout dans un moment qui requiert l’union des forces: «repli communautaire».
A une semaine du déconfinement à l’école primaire, dans un ensemble de «fiches» – non contraignantes, contrairement à une «circulaire» – envoyées aux professeurs, le ministère en question invitait ces derniers à signaler tout discours d’élève en rupture avec les valeurs républicaines (nous résumons). Soit: les «dérives sectaires», les «thèses complotistes», les «propos inacceptables» et, last but not least, le «repli communautaire». «Communautaire», associé à «repli», renvoie à «communautarisme», un mot codé qui en cache au moins un autre: «islamisme». Par quoi il faut comprendre une vision du monde réglée par la loi divine, en parallèle ou en opposition à l’universalisme à la française qu’est censée inculquer l’Education nationale.
Camp décolonial
Sans surprise, une pluie de critiques s’est abattue après la parution dans la presse du contenu de ces fiches. Des récriminations provenant de la gauche radicale et du mouvement décolonial (anti-impérialiste, ancré en banlieue, principalement au sein de la deuxième génération de l’immigration maghrébine), parfois réunis sous le vocable péjoratif d’«islamogauchiste». Mais pas seulement. Des individus sans lien avec les premiers ont crié à la «dictature» en découvrant ces recommandations, de crainte que la parole des élèves, à l’occasion leurs enfants, soit censurée par la «macronie», cet objet politique détesté d’une frange des Français. L’apparente unanimité des reproches adressés au gouvernement et plus haut à la présidence, qui ont «menti» aux Français au début de la crise du Covid-19, leur ont fait «peur» par la suite, est l’un des enjeux de ce qui se trame dans le conduit des passions hexagonales.
Attardons-nous sur le point le plus «chaud», qui a trait aux attentats djihadistes. Le mouvement décolonial – il n’est pas le seul à avoir fait le rapprochement – a remarqué que la formulation «propos inacceptables», ressemblait à s’y méprendre à celle employée dans une précédente fiche, datant de plusieurs mois, voire de plusieurs années, également destinée aux professeurs et relative, elle, à l’attitude à adopter face à des élèves pouvant développer une forme de compréhension d’actes terroristes – le cas emblématique de «Charlie Hebdo» – et nuire ainsi au «vivre ensemble».
Tollé! La «dissidence» des «Je ne suis pas Charlie» observée dans certaines écoles des «quartiers populaires», essentiellement en banlieue, après l’attentat de janvier 2015 contre l’hebdomadaire satirique, ne peut pas, ne doit pas être mise sur le même plan que les griefs légitimes des citoyens pour l’impréparation de l’Etat face au Covid-19. C’est l’évidence même. Sauf qu’on nage ici dans une mer de non-dits, remués telle de la vase par quelques fiches sibyllines de l’Education nationale. Et comme on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment, ni les contempteurs de ces instructions transmises aux professeurs, ni leurs auteurs cachés dans les méandres de l’administration ne se sont attardés sur le fond. Les passages polémiques ont d’ailleurs été retirés des PDF du ministère accessibles au public, avons-nous constaté. Fin du game? Non, ce serait trop beau.
Que pouvait donc craindre le gouvernement? Pourquoi diable mettait-il en garde contre le «repli communautaire» en banlieue, parmi les Français d’origine maghrébine et subsaharienne, sous-entendu de confession musulmane?
Deux fleuves opposés
C’est là que deux récits, longs comme de grands fleuves, se rencontrent et forment du ressac. L’un d'eux est celui de l’universalisme à la française, du modèle dit assimilationniste, en réalité pas différent des processus d’intégration en vigueur partout en Europe, sauf en Grande-Bretagne. Le second, son opposé, est issu des combats contre la colonisation et l’«occupant français», une mentalité de colon dont la police française ne se serait jamais totalement départie, selon des collectifs décoloniaux comme «Urgence notre police assassine» (pendant le confinement, une possible bavure policière en date du 18 avril a entraîné deux ou trois nuits de moyennes émeutes dans une poignée de cités).
Le courant décolonial voit dans l’universalisme français et son bras idéologique la «laïcité», un manière de poursuivre l’«œuvre civilisatrice», colonisatrice, de la Troisième république, celle, du moins, incarnée par Jules Ferry, jugé raciste pour sa propension à considérer les peuples colonisés comme «inférieurs». Ainsi, lorsque la fiche demandant aux professeurs de faire remonter les «propos inacceptables» est parue, un enseignant appartenant au camp décolonial, s’indignant sur les réseaux sociaux, a comparé le rôle de flic devant être prétendument tenu par les professeurs lors du déconfinement, à la mission très «IIIe» des hussards noirs de la République, les maîtres d’école de Jules Ferry officiant en métropole et dans les colonies. Nous ne sommes pas les nouveaux hussards noirs, nous ne voulons pas l’être, laissait entendre cet enseignant. Ce qui est en soi problématique, car les hussards noirs participent de la mythologie française, du socle commun, ils sont un maillon essentiel des émotions positives.
C’est justement cette mythologie fondatrice que les décoloniaux, mais aussi tout ou partie des intersectionnels influencés par le modèle des minorités importé des campus américains, veulent hacher menue, parce qu’elle reproduirait des modèles de domination, parce qu’elle induit, surtout, dans le cas présent, d’être redevable à une histoire forçant à reconnaître en soi une part française, celle, pas que, du bourreau faisant du mal aux aïeux autrefois colonisés. Or nous contenons tous en nous un legs de cruauté dont nous aurions dû à souffrir à certaines époques. Cela ne nous empêche pas de le faire nôtre.
L'islamisme? Quel islamisme?
A ce stade, le rapport avec le terrorisme d’inspiration islamiste semble tout de même très éloigné. Oui, si l’on s’en tient aux strictes spécificités des différents parcours idéologiques, même si la notion de «révolte légitime» en réponse aux «injustices» fait plus qu’affleurer chez certains militants et peut engendrer des comportements débordant du cadre «social». Mais non, si l’on s’interroge sur les raisons du passage de certaines personnes à l’islamisme radical et, plus radical encore et sans trop d’espoir de retour, au djihadisme.
Généralement, il ne s’agit pas d’une conversion spontanée à la violence verbale ou physique, mais du résultat d’un processus de désaffiliation à ce que les Français nomment la République, cette matrice supposée commune à tous. Si l’islamisme, idéologie de reconquête apparue au début du XXe siècle pour en remontrer à l’Occident colonisateur, est nécessaire à l’accomplissement de l’acte meurtrier, lui donne un sens, une armature, il n’est pas cause suffisante. Il y a un autre élément: le ressentiment, la rancœur, l’amertume, le fait de se sentir rejeté, humilié, au besoin de s’en convaincre, de ne pas s’estimer légitime, la compensation religieuse faisant alors son travail de rétablissement narcissique vis-à-vis d’une société décrétée «mécréante». Alors, avec Daech, ils sont allés voir ailleurs avant de revenir en France pour se venger de leur ancienne condition de losers et de proscrits en tirant dans le tas. C’est la logique des attentats du 13 novembre 2015, ceux du Bataclan, des terrasses et de Saint-Denis.
On se souvient de l’absurde déni opposé par certains, sociologues ou militants, souvent les deux à la fois, aux avertissements du journaliste David Thomson sur le plateau de l’émission «Ce soir (ou jamais!)», en avril 2014 sur France 2. Ce spécialiste du djihadisme annonçait le retour un jour prochain en France, pour y commettre des attentats, de terroristes enrôlés dans l’Etat islamique en Irak et en Syrie.
Pour le camp décolonial, qui était dans ce déni ou feignait de ne pas comprendre des enjeux l’obligeant à revoir son argumentaire, le problème premier n’a jamais été l’«islamisme», un terme communément dépréciatif, qu’il a tendance à récuser lorsqu’il vise des militants associatifs d’obédience «Frères musulmans», qui peuvent être des copains ou des connaissances. Toute forme, même contestataire, de l’islam, est en soi légitime, pourvu qu’elle ne verse pas dans la violence manifeste – les décoloniaux, qui donnent le «la» idéologique dans certaines facs de sciences sociales, ne s’intéressent guère aux discours islamistes radicaux, qui marqueraient l’échec des politiques d’intégration et de leurs responsables.
L’expression diverse de l’islam, parfois rétrograde, essentiellement sur le plan des mœurs, est, aux yeux de ces progressistes autoproclamés, somme toute un juste soulagement à la dure vie en France, à l’«injustice» de ce pays envers les musulmans, toutes générations confondues. Telle est la ligne de cette mouvance, pour qui le problème central est celui des discriminations sociales et raciales, l’islamisme n’étant alors qu’un écran de fumée créé par des «laïcards» et des «fachos» pour faire porter aux dominés parmi les dominés, les «Arabes» et les «Noirs», la responsabilité de leur condition difficile en France.
Les héros
A cette aune, quelles lectures faire de la crise du Covid-19 dans l’Hexagone? L’une est positive et encourageante. Elle peut contribuer à renforcer le sentiment d’appartenance commune, reposant sur une souffrance partagée et une épreuve traversée ensemble – depuis la décolonisation, enfin une «guerre» qui nous réunit. Durant la crise sanitaire, on s’est rendu compte, mais beaucoup le savaient déjà, qu’une partie importante des immigrés ou leurs descendants vivant en banlieue, ont fourni une bonne part des «emplois essentiels», sans lesquels le pays n’aurait pas pu fonctionner. Il y a ici de bonnes raisons d’être moins suspicieux, plus reconnaissant envers une population trop souvent ignorée et devant être considérée comme l’égale de toute autre, sans distinction.
Mais il y a aussi des lectures clivantes. Celle de Français profondément méfiants, quand ils ne sont pas racistes et pleins de mépris envers les habitants des banlieues, prompts à les juger indignes d’appartenir à la grande famille française. On trouve ici la droite extrême ainsi que des électeurs de partis dits républicains. Celle, ensuite, du camp décolonial, encore lui, qui cherchera avantage politique à l’abnégation des «siens» lors de l’épidémie de Covid-19. La séquence «coronavirus» s’inscrira dans le récit des événements épiques et traumatiques de l’histoire de la France – la Première Guerre mondiale, la Seconde, la reconstruction – qui doit une fière chandelle aux «invisibles», les tirailleurs, les immigrés, aujourd’hui le personnel soignant, les éboueurs, les livreurs, ce «petit personnel» qui fait les victoires.
Cette approche exclusive de l’héroïsme, à l’avantage des «racisés», a pour inconvénient d’irriter ceux qui ne s’y retrouvent logiquement pas et qui n’ont pas pour autant l’impression d’avoir démérité. Les décoloniaux associés à la gauche radicale n’ont toutefois pas intérêt à classer les efforts consentis par origines ou «races». Depuis plus d’un an, ils entendent faire cause commune avec les gilets jaunes, faire peuple avec la France dite périphérique, celle du coup de rouge et du saucisson, contre l’élite incarnée par Emmanuel Macron. La star marseillaise de la lutte contre le coronavirus, le professeur Raoult, est populaire auprès des Français, d’où qu’ils viennent, qui n’aiment pas le «système».
Identité Panini
L’exaltation des «origines», au détriment de la France, cette «grosse nulle donneuse de leçons», existe pourtant. Magyd Cherfi, ancien membre de Zebda, un groupe de musique mythique pour la deuxième génération de l’immigration maghrébine, celle qui a aujourd’hui 40 ans et plus, a couché sur son compte Twitter ce que pourrait être le ressenti d’Algériens vivant en Algérie en rapport avec la gestion de la crise sanitaire, la France apparaissant à la traîne des pays maghrébins qui comptent beaucoup moins de morts. Mais ce ressenti pourrait être aussi bien celui de jeunes Français d’origine maghrébine fantasmant le pays des aînés à coups de «Maghreb United» et de figurines composant sur les réseaux sociaux une «identité Panini» emmaillotée d’islam.
«Enfin les "Blancs" vont payer l’addition du ciel, fait dire le chanteur et écrivain toulousain à ses cousins du bled. La comptabilité céleste va étaler son compte de résultat séculaire. Enfin, les riches, les pervers, les mécréants, les grands colonisateurs du monde (…) vont rembourser avec force intérêt le prix de la "grande nuit des parias". (…) Y’a longtemps qu’on en pouvait plus de ces dégénérés qui nous narguent de leur toute puissance, de leurs mœurs outrageantes et corrompues. Longtemps qu’on bavait de se payer l’Occident et ses femmes trop belles et si faciles à défroquer, qui d’un claquement de doigts divorcent et redivorcent jusqu’à trouver le toutou docile qui acceptera qu’elles sortent, boivent et baisent. Ouais c’est vrai leur Zemmour avait raison, les Blancs n’ont plus de couilles et paradent en culottes échancrée. Z’ont même un jour à eux tous ces pédés.»
Revenu d’un militantisme à grosses œillères, Magyd Cherfi livre là un regard désenchanté sur cette fierté maghrébine empreinte d’une profonde amertume. Le détour par Zemmour sonne juste, tant l’auteur du Suicide français, condamné pour incitation à la haine raciale mais continuant d’officier dans les colonnes du Figaro et sur l’antenne de CNews, est devenu le symbole d’un deux poids, deux mesures, dont n’a pas bénéficié Dieudonné par exemple, mais incarne aussi ce «juif cultivé», à vous foutre des complexes, qui prend tout de la France sans exiger d’elle le moindre inventaire, quand eux s’y refusent, ne peuvent s’y résoudre, entretenant avec l’histoire de France un rapport conflictuel sans lendemain.
C’est l’ensemble de ces représentations, ces motifs de colère, ces refus, cette résistance, ces cuves de ressentiment, cette lassitude, cette énergie que contenait en elle l’expression «repli communautaire» figurant dans la fiche de l’Education nationale avant d’en être retirée. Et qu’il faut reliée à la Cellule de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire, la CLIR. Ce nouvel organisme est déployé depuis le début de l’année dans une quinzaine de «quartiers sensibles», dont un situé à Montbéliard, dans le département du Doubs frontalier de la Suisse, explique un cadre de ce dispositif «interministériel», mobilisant l’Intérieur, la Culture, les Sports, la Cohésion des territoires et l’Education nationale. Lors d’un déplacement à Mulhouse mi-février, alors que l’épidémie de coronavirus y agissait en silence et ferait des ravages, le président de la République avait appelé a lutter contre le «séparatisme islamiste».
Justement, ce combat mené par l’Etat apparaîtra-t-il encore comme légitime au sortir de la crise sanitaire, alors que la banlieue, notamment la parisienne, où ce «repli» et cet «islamisme» sont observés, a fourni une grande part du personnel permettant d’endiguer l’épidémie et enregistre les plus forts taux de surmortalité? On voudrait tant croire, au moins une fois, à l’union sacrée.
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Par quoi il faut comprendre une vision du monde réglée par la loi divine, en parallèle ou en opposition à l’universalisme à la française qu’est censée inculquer l’Education nationale.</p> <h3>Camp décolonial</h3> <p>Sans surprise, une <strong>pluie de critiques</strong> s’est abattue après la parution dans la presse <a href="https://www.nouvelobs.com/coronavirus-de-wuhan/20200512.OBS28723/une-fiche-invitant-a-signaler-les-propos-inacceptables-des-eleves-sur-le-covid-agace-les-profs.html?fbclid=IwAR26UeWUlIeumsj3kH32fFjWDQKz3_8NnhGZ4vqKITswVowWkvA24jUO-6E" target="_blank" rel="noopener">du contenu de ces fiches</a>. Des récriminations provenant de la gauche radicale et du mouvement décolonial (anti-impérialiste, ancré en banlieue, principalement au sein de la deuxième génération de l’immigration maghrébine), parfois réunis sous le vocable péjoratif d’«islamogauchiste». Mais pas seulement. Des individus sans lien avec les premiers ont crié à la «<strong>dictature</strong>» en découvrant ces recommandations, de crainte que la parole des élèves, à l’occasion leurs enfants, soit<em> censurée par la «macronie»</em>, cet objet politique détesté d’une frange des Français. L’apparente unanimité des reproches adressés au gouvernement et plus haut à la présidence, qui ont «menti» aux Français au début de la crise du Covid-19, leur ont fait «peur» par la suite, est l’un des enjeux de ce qui se trame dans le conduit des passions hexagonales.</p> <p>Attardons-nous sur le point le plus «chaud», qui a trait aux attentats djihadistes. Le mouvement décolonial – il n’est pas le seul à avoir fait le rapprochement – a remarqué que la formulation «propos inacceptables», ressemblait à s’y méprendre à celle employée dans une précédente fiche, datant de plusieurs mois, voire de plusieurs années, également destinée aux professeurs et relative, elle, à l’attitude à adopter face à des élèves pouvant développer une forme de <em>compréhension d’actes terroristes</em> – le cas emblématique de «Charlie Hebdo» – et nuire ainsi au «<strong>vivre ensemble</strong>».</p> <p>Tollé! La «dissidence» des «Je ne suis pas Charlie» observée dans certaines écoles des «quartiers populaires», essentiellement en banlieue, après l’attentat de janvier 2015 contre l’hebdomadaire satirique, ne peut pas, ne doit pas être mise sur le même plan que les griefs légitimes des citoyens pour l’impréparation de l’Etat face au Covid-19. C’est l’évidence même. Sauf qu’on nage ici dans une mer de <strong>non-dits</strong>, remués telle de la vase par quelques fiches sibyllines de l’Education nationale. Et comme on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment, ni les contempteurs de ces instructions transmises aux professeurs, ni leurs auteurs cachés dans les méandres de l’administration ne se sont attardés sur <strong>le fond</strong>. Les passages polémiques ont d’ailleurs été retirés des PDF du ministère accessibles au public, avons-nous constaté. <em>Fin du game?</em> Non, ce serait trop beau.</p> <p>Que pouvait donc <strong>craindre</strong> le gouvernement? Pourquoi diable mettait-il en garde contre le «repli communautaire» en banlieue, parmi les Français d’origine maghrébine et subsaharienne, sous-entendu de confession musulmane?</p> <h3>Deux fleuves opposés</h3> <p>C’est là que deux <strong>récits</strong>, longs comme de grands fleuves, se rencontrent et forment du ressac. L’un d'eux est celui de <strong>l’universalisme</strong> à la française, du modèle dit <strong>assimilationniste</strong>, en réalité pas différent des processus d’intégration en vigueur partout en Europe, sauf en Grande-Bretagne. Le second, son opposé, est issu des combats contre la <strong>colonisation</strong> et l’«occupant français», une mentalité de colon dont la <strong>police</strong> française ne se serait jamais totalement départie, selon des collectifs décoloniaux comme «Urgence notre police assassine» (pendant le confinement, une possible bavure policière en date du 18 avril a entraîné deux ou trois nuits de moyennes émeutes dans une poignée de cités).</p> <p>Le courant décolonial voit dans l’universalisme français et son bras idéologique la «<strong>laïcité</strong>», un manière de poursuivre l’«œuvre civilisatrice», colonisatrice, de la Troisième république, celle, du moins, incarnée par Jules Ferry, jugé <em>raciste</em> pour sa propension à considérer les peuples colonisés comme «inférieurs». Ainsi, lorsque la fiche demandant aux professeurs de faire remonter les «propos inacceptables» est parue, un enseignant appartenant au camp décolonial, s’indignant sur les réseaux sociaux, a comparé le rôle de <strong>flic</strong> devant être prétendument tenu par les professeurs lors du déconfinement, à la mission très «IIIe» des <strong>hussards noirs de la République</strong>, les maîtres d’école de Jules Ferry officiant en métropole et dans les colonies. Nous ne sommes pas les nouveaux hussards noirs, nous ne voulons pas l’être, laissait entendre cet enseignant. Ce qui est en soi problématique, car les hussards noirs participent de la <strong>mythologie</strong> française, du <strong>socle commun</strong>, ils sont un maillon essentiel des émotions positives.</p> <p>C’est justement cette mythologie fondatrice que les décoloniaux, mais aussi tout ou partie des <strong>intersectionnels</strong> influencés par le modèle des minorités importé des campus américains, veulent hacher menue, parce qu’elle reproduirait des <strong>modèles de domination</strong>, parce qu’elle induit, surtout, dans le cas présent, d’être redevable à une histoire forçant à reconnaître en soi une <strong>part française</strong>, celle, pas que, du bourreau faisant du mal aux aïeux autrefois colonisés. Or nous contenons tous en nous un legs de cruauté dont nous aurions dû à souffrir à certaines époques. Cela ne nous empêche pas de le faire nôtre.</p> <h3>L'islamisme? Quel islamisme?</h3> <p>A ce stade, le rapport avec le <strong>terrorisme d’inspiration islamiste</strong> semble tout de même très éloigné. Oui, si l’on s’en tient aux strictes spécificités des différents parcours idéologiques, même si la notion de «révolte légitime» en réponse aux «injustices» fait plus qu’affleurer chez certains militants et peut engendrer des comportements débordant du cadre «social». Mais non, si l’on s’interroge sur les raisons du passage de certaines personnes à l’islamisme radical et, plus radical encore et sans trop d’espoir de retour, au djihadisme.</p> <p>Généralement, il ne s’agit pas d’une <strong>conversion spontanée</strong> à la violence verbale ou physique, mais du résultat d’un processus de <strong>désaffiliation</strong> à ce que les Français nomment la <strong>République</strong>, cette matrice supposée commune à tous. Si l’islamisme, idéologie de <strong>reconquête</strong> apparue au début du XXe siècle pour en remontrer à l’Occident colonisateur, est nécessaire à l’accomplissement de l’acte meurtrier, lui donne un sens, une armature, il n’est pas cause suffisante. Il y a un <strong>autre élément</strong>: le ressentiment, la rancœur, l’amertume, le fait de se sentir rejeté, humilié, au besoin de s’en convaincre, de ne pas s’estimer légitime, la compensation religieuse faisant alors son travail de rétablissement <strong>narcissique</strong> vis-à-vis d’une société décrétée «<em>mécréante</em>». Alors, avec Daech, ils sont allés voir ailleurs avant de revenir en France pour se venger de leur ancienne condition de losers et de proscrits en tirant dans le tas. C’est la logique des attentats du 13 novembre 2015, ceux du Bataclan, des terrasses et de Saint-Denis.</p> <p>On se souvient de l’absurde <strong>déni</strong> opposé par certains, sociologues ou militants, souvent les deux à la fois, aux avertissements du journaliste David Thomson sur le plateau de l’émission «Ce soir (ou jamais!)», en avril 2014 sur France 2. Ce spécialiste du djihadisme annonçait le retour un jour prochain en France, pour y commettre des attentats, de terroristes enrôlés dans l’Etat islamique en Irak et en Syrie.</p> <p>Pour le camp décolonial, qui était dans ce déni ou feignait de ne pas comprendre des enjeux l’obligeant à revoir son argumentaire, le problème premier n’a jamais été l’«islamisme», un terme communément dépréciatif, qu’il a tendance à récuser lorsqu’il vise des militants associatifs d’obédience «Frères musulmans», qui peuvent être des copains ou des connaissances. Toute forme, même contestataire, de l’islam, est en soi <strong>légitime</strong>, pourvu qu’elle ne verse pas dans la violence manifeste – les décoloniaux, qui donnent le «la» idéologique dans certaines facs de sciences sociales, ne s’intéressent guère aux discours islamistes radicaux, qui marqueraient l’échec des politiques d’intégration et de leurs responsables. </p> <p>L’expression diverse de l’islam, parfois <strong>rétrograde</strong>, essentiellement sur le plan des mœurs, est, aux yeux de ces <strong>progressistes autoproclamés</strong>, somme toute un juste soulagement à la dure vie en France, à l’«injustice» de ce pays envers les musulmans, toutes générations confondues. Telle est la ligne de cette mouvance, pour qui le problème central est celui des <strong>discriminations</strong> sociales et raciales, l’islamisme n’étant alors qu’un écran de fumée créé par des «laïcards» et des «fachos» pour faire porter aux dominés parmi les dominés, les «Arabes» et les «Noirs», la <strong>responsabilité</strong> de leur condition difficile en France.</p> <h3>Les héros</h3> <p>A cette aune, quelles lectures faire de la crise du Covid-19 dans l’Hexagone? L’une est positive et encourageante. Elle peut contribuer à renforcer le sentiment <strong>d’appartenance</strong> commune, reposant sur une souffrance <strong>partagée</strong> et une épreuve traversée <strong>ensemble</strong> – depuis la décolonisation, enfin une «guerre» qui nous réunit. Durant la crise sanitaire, on s’est rendu compte, mais beaucoup le savaient déjà, qu’une partie importante des immigrés ou leurs descendants vivant en banlieue, ont fourni une bonne part des «emplois essentiels», sans lesquels le pays n’aurait pas pu fonctionner. Il y a ici de bonnes raisons d’être moins suspicieux, plus reconnaissant envers une population trop souvent ignorée et devant être considérée comme l’égale de toute autre, sans distinction.</p> <p>Mais il y a aussi des lectures <strong>clivantes</strong>. Celle de Français profondément <strong>méfiants</strong>, quand ils ne sont pas <strong>racistes</strong> et pleins de mépris envers les habitants des banlieues, prompts à les juger indignes d’appartenir à la grande famille française. On trouve ici la droite extrême ainsi que des électeurs de partis dits républicains. Celle, ensuite, du camp décolonial, encore lui, qui cherchera avantage politique à l’abnégation des «<em>siens</em>» lors de l’épidémie de Covid-19. La séquence «coronavirus» s’inscrira dans le récit des événements épiques et traumatiques de l’histoire de la France – la Première Guerre mondiale, la Seconde, la reconstruction – qui doit une fière chandelle aux «invisibles», les tirailleurs, les immigrés, aujourd’hui le personnel soignant, les éboueurs, les livreurs, ce «petit personnel» qui fait les victoires.</p> <p>Cette approche exclusive de <strong>l’héroïsme</strong>, à l’avantage des «racisés», a pour inconvénient d’irriter ceux qui ne s’y retrouvent logiquement pas et qui n’ont pas pour autant l’impression d’avoir démérité. Les décoloniaux associés à la gauche radicale n’ont toutefois pas intérêt à classer les efforts consentis par origines ou «races». Depuis plus d’un an, ils entendent faire <strong>cause commune</strong> avec les gilets jaunes, faire <strong>peuple</strong> avec la France dite périphérique, celle du coup de rouge et du saucisson, contre l’élite incarnée par Emmanuel Macron. 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Le 4 mai, le ministère de l’Education national écrivait les mots qu’il ne faut pas, surtout dans un moment qui requiert l’union des forces: «<em>repli communautaire</em>».</p> <p>A une semaine du déconfinement à l’école primaire, dans un ensemble de «fiches» – non contraignantes, contrairement à une «circulaire» – envoyées aux professeurs, le ministère en question invitait ces derniers à <strong>signaler</strong> tout discours d’élève en rupture avec les valeurs républicaines (nous résumons). Soit: les «<em>dérives sectaires</em>», les «<em>thèses complotistes</em>», les «<em>propos inacceptables</em>» et, <i>last but not least</i>, le «<em>repli communautaire</em>». «Communautaire», associé à «repli», renvoie à «communautarisme», un mot codé qui en cache au moins un autre: «<strong>islamisme</strong>». Par quoi il faut comprendre une vision du monde réglée par la loi divine, en parallèle ou en opposition à l’universalisme à la française qu’est censée inculquer l’Education nationale.</p> <h3>Camp décolonial</h3> <p>Sans surprise, une <strong>pluie de critiques</strong> s’est abattue après la parution dans la presse <a href="https://www.nouvelobs.com/coronavirus-de-wuhan/20200512.OBS28723/une-fiche-invitant-a-signaler-les-propos-inacceptables-des-eleves-sur-le-covid-agace-les-profs.html?fbclid=IwAR26UeWUlIeumsj3kH32fFjWDQKz3_8NnhGZ4vqKITswVowWkvA24jUO-6E" target="_blank" rel="noopener">du contenu de ces fiches</a>. Des récriminations provenant de la gauche radicale et du mouvement décolonial (anti-impérialiste, ancré en banlieue, principalement au sein de la deuxième génération de l’immigration maghrébine), parfois réunis sous le vocable péjoratif d’«islamogauchiste». Mais pas seulement. Des individus sans lien avec les premiers ont crié à la «<strong>dictature</strong>» en découvrant ces recommandations, de crainte que la parole des élèves, à l’occasion leurs enfants, soit<em> censurée par la «macronie»</em>, cet objet politique détesté d’une frange des Français. L’apparente unanimité des reproches adressés au gouvernement et plus haut à la présidence, qui ont «menti» aux Français au début de la crise du Covid-19, leur ont fait «peur» par la suite, est l’un des enjeux de ce qui se trame dans le conduit des passions hexagonales.</p> <p>Attardons-nous sur le point le plus «chaud», qui a trait aux attentats djihadistes. Le mouvement décolonial – il n’est pas le seul à avoir fait le rapprochement – a remarqué que la formulation «propos inacceptables», ressemblait à s’y méprendre à celle employée dans une précédente fiche, datant de plusieurs mois, voire de plusieurs années, également destinée aux professeurs et relative, elle, à l’attitude à adopter face à des élèves pouvant développer une forme de <em>compréhension d’actes terroristes</em> – le cas emblématique de «Charlie Hebdo» – et nuire ainsi au «<strong>vivre ensemble</strong>».</p> <p>Tollé! La «dissidence» des «Je ne suis pas Charlie» observée dans certaines écoles des «quartiers populaires», essentiellement en banlieue, après l’attentat de janvier 2015 contre l’hebdomadaire satirique, ne peut pas, ne doit pas être mise sur le même plan que les griefs légitimes des citoyens pour l’impréparation de l’Etat face au Covid-19. C’est l’évidence même. Sauf qu’on nage ici dans une mer de <strong>non-dits</strong>, remués telle de la vase par quelques fiches sibyllines de l’Education nationale. Et comme on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment, ni les contempteurs de ces instructions transmises aux professeurs, ni leurs auteurs cachés dans les méandres de l’administration ne se sont attardés sur <strong>le fond</strong>. Les passages polémiques ont d’ailleurs été retirés des PDF du ministère accessibles au public, avons-nous constaté. <em>Fin du game?</em> Non, ce serait trop beau.</p> <p>Que pouvait donc <strong>craindre</strong> le gouvernement? Pourquoi diable mettait-il en garde contre le «repli communautaire» en banlieue, parmi les Français d’origine maghrébine et subsaharienne, sous-entendu de confession musulmane?</p> <h3>Deux fleuves opposés</h3> <p>C’est là que deux <strong>récits</strong>, longs comme de grands fleuves, se rencontrent et forment du ressac. L’un d'eux est celui de <strong>l’universalisme</strong> à la française, du modèle dit <strong>assimilationniste</strong>, en réalité pas différent des processus d’intégration en vigueur partout en Europe, sauf en Grande-Bretagne. Le second, son opposé, est issu des combats contre la <strong>colonisation</strong> et l’«occupant français», une mentalité de colon dont la <strong>police</strong> française ne se serait jamais totalement départie, selon des collectifs décoloniaux comme «Urgence notre police assassine» (pendant le confinement, une possible bavure policière en date du 18 avril a entraîné deux ou trois nuits de moyennes émeutes dans une poignée de cités).</p> <p>Le courant décolonial voit dans l’universalisme français et son bras idéologique la «<strong>laïcité</strong>», un manière de poursuivre l’«œuvre civilisatrice», colonisatrice, de la Troisième république, celle, du moins, incarnée par Jules Ferry, jugé <em>raciste</em> pour sa propension à considérer les peuples colonisés comme «inférieurs». Ainsi, lorsque la fiche demandant aux professeurs de faire remonter les «propos inacceptables» est parue, un enseignant appartenant au camp décolonial, s’indignant sur les réseaux sociaux, a comparé le rôle de <strong>flic</strong> devant être prétendument tenu par les professeurs lors du déconfinement, à la mission très «IIIe» des <strong>hussards noirs de la République</strong>, les maîtres d’école de Jules Ferry officiant en métropole et dans les colonies. Nous ne sommes pas les nouveaux hussards noirs, nous ne voulons pas l’être, laissait entendre cet enseignant. Ce qui est en soi problématique, car les hussards noirs participent de la <strong>mythologie</strong> française, du <strong>socle commun</strong>, ils sont un maillon essentiel des émotions positives.</p> <p>C’est justement cette mythologie fondatrice que les décoloniaux, mais aussi tout ou partie des <strong>intersectionnels</strong> influencés par le modèle des minorités importé des campus américains, veulent hacher menue, parce qu’elle reproduirait des <strong>modèles de domination</strong>, parce qu’elle induit, surtout, dans le cas présent, d’être redevable à une histoire forçant à reconnaître en soi une <strong>part française</strong>, celle, pas que, du bourreau faisant du mal aux aïeux autrefois colonisés. Or nous contenons tous en nous un legs de cruauté dont nous aurions dû à souffrir à certaines époques. Cela ne nous empêche pas de le faire nôtre.</p> <h3>L'islamisme? Quel islamisme?</h3> <p>A ce stade, le rapport avec le <strong>terrorisme d’inspiration islamiste</strong> semble tout de même très éloigné. Oui, si l’on s’en tient aux strictes spécificités des différents parcours idéologiques, même si la notion de «révolte légitime» en réponse aux «injustices» fait plus qu’affleurer chez certains militants et peut engendrer des comportements débordant du cadre «social». Mais non, si l’on s’interroge sur les raisons du passage de certaines personnes à l’islamisme radical et, plus radical encore et sans trop d’espoir de retour, au djihadisme.</p> <p>Généralement, il ne s’agit pas d’une <strong>conversion spontanée</strong> à la violence verbale ou physique, mais du résultat d’un processus de <strong>désaffiliation</strong> à ce que les Français nomment la <strong>République</strong>, cette matrice supposée commune à tous. Si l’islamisme, idéologie de <strong>reconquête</strong> apparue au début du XXe siècle pour en remontrer à l’Occident colonisateur, est nécessaire à l’accomplissement de l’acte meurtrier, lui donne un sens, une armature, il n’est pas cause suffisante. Il y a un <strong>autre élément</strong>: le ressentiment, la rancœur, l’amertume, le fait de se sentir rejeté, humilié, au besoin de s’en convaincre, de ne pas s’estimer légitime, la compensation religieuse faisant alors son travail de rétablissement <strong>narcissique</strong> vis-à-vis d’une société décrétée «<em>mécréante</em>». Alors, avec Daech, ils sont allés voir ailleurs avant de revenir en France pour se venger de leur ancienne condition de losers et de proscrits en tirant dans le tas. C’est la logique des attentats du 13 novembre 2015, ceux du Bataclan, des terrasses et de Saint-Denis.</p> <p>On se souvient de l’absurde <strong>déni</strong> opposé par certains, sociologues ou militants, souvent les deux à la fois, aux avertissements du journaliste David Thomson sur le plateau de l’émission «Ce soir (ou jamais!)», en avril 2014 sur France 2. Ce spécialiste du djihadisme annonçait le retour un jour prochain en France, pour y commettre des attentats, de terroristes enrôlés dans l’Etat islamique en Irak et en Syrie.</p> <p>Pour le camp décolonial, qui était dans ce déni ou feignait de ne pas comprendre des enjeux l’obligeant à revoir son argumentaire, le problème premier n’a jamais été l’«islamisme», un terme communément dépréciatif, qu’il a tendance à récuser lorsqu’il vise des militants associatifs d’obédience «Frères musulmans», qui peuvent être des copains ou des connaissances. Toute forme, même contestataire, de l’islam, est en soi <strong>légitime</strong>, pourvu qu’elle ne verse pas dans la violence manifeste – les décoloniaux, qui donnent le «la» idéologique dans certaines facs de sciences sociales, ne s’intéressent guère aux discours islamistes radicaux, qui marqueraient l’échec des politiques d’intégration et de leurs responsables. </p> <p>L’expression diverse de l’islam, parfois <strong>rétrograde</strong>, essentiellement sur le plan des mœurs, est, aux yeux de ces <strong>progressistes autoproclamés</strong>, somme toute un juste soulagement à la dure vie en France, à l’«injustice» de ce pays envers les musulmans, toutes générations confondues. 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Durant la crise sanitaire, on s’est rendu compte, mais beaucoup le savaient déjà, qu’une partie importante des immigrés ou leurs descendants vivant en banlieue, ont fourni une bonne part des «emplois essentiels», sans lesquels le pays n’aurait pas pu fonctionner. Il y a ici de bonnes raisons d’être moins suspicieux, plus reconnaissant envers une population trop souvent ignorée et devant être considérée comme l’égale de toute autre, sans distinction.</p> <p>Mais il y a aussi des lectures <strong>clivantes</strong>. Celle de Français profondément <strong>méfiants</strong>, quand ils ne sont pas <strong>racistes</strong> et pleins de mépris envers les habitants des banlieues, prompts à les juger indignes d’appartenir à la grande famille française. On trouve ici la droite extrême ainsi que des électeurs de partis dits républicains. Celle, ensuite, du camp décolonial, encore lui, qui cherchera avantage politique à l’abnégation des «<em>siens</em>» lors de l’épidémie de Covid-19. La séquence «coronavirus» s’inscrira dans le récit des événements épiques et traumatiques de l’histoire de la France – la Première Guerre mondiale, la Seconde, la reconstruction – qui doit une fière chandelle aux «invisibles», les tirailleurs, les immigrés, aujourd’hui le personnel soignant, les éboueurs, les livreurs, ce «petit personnel» qui fait les victoires.</p> <p>Cette approche exclusive de <strong>l’héroïsme</strong>, à l’avantage des «racisés», a pour inconvénient d’irriter ceux qui ne s’y retrouvent logiquement pas et qui n’ont pas pour autant l’impression d’avoir démérité. Les décoloniaux associés à la gauche radicale n’ont toutefois pas intérêt à classer les efforts consentis par origines ou «races». Depuis plus d’un an, ils entendent faire <strong>cause commune</strong> avec les gilets jaunes, faire <strong>peuple</strong> avec la France dite périphérique, celle du coup de rouge et du saucisson, contre l’élite incarnée par Emmanuel Macron. La star marseillaise de la lutte contre le coronavirus, le professeur Raoult, est populaire auprès des Français, d’où qu’ils viennent, qui n’aiment pas le «système».</p> <h3>Identité Panini</h3> <p>L’exaltation des «origines», au détriment de la France, cette «grosse nulle donneuse de leçons», existe pourtant. Magyd Cherfi, ancien membre de Zebda, un groupe de musique mythique pour la deuxième génération de l’immigration maghrébine, celle qui a aujourd’hui 40 ans et plus, a couché sur son compte Twitter ce que pourrait être le ressenti d’Algériens vivant en Algérie en rapport avec la gestion de la crise sanitaire, la France apparaissant à la traîne des pays maghrébins qui comptent beaucoup moins de morts. Mais ce ressenti pourrait être aussi bien celui de jeunes Français d’origine maghrébine <strong>fantasmant</strong> le pays des aînés à coups de «Maghreb United» et de figurines composant sur les réseaux sociaux une «identité Panini» emmaillotée d’islam.</p> <p>«<em>Enfin les "Blancs" vont payer l’addition du ciel</em>, fait dire le chanteur et écrivain toulousain à ses cousins du bled. <em>La comptabilité céleste va étaler son compte de résultat séculaire. Enfin, les riches, les pervers, les mécréants, les grands colonisateurs du monde (…) vont rembourser avec force intérêt le prix de la "grande nuit des parias". (…) Y’a longtemps qu’on en pouvait plus de ces dégénérés qui nous narguent de leur toute puissance, de leurs mœurs outrageantes et corrompues. Longtemps qu’on bavait de se payer l’Occident et ses femmes trop belles et si faciles à défroquer, qui d’un claquement de doigts divorcent et redivorcent jusqu’à trouver le toutou docile qui acceptera qu’elles sortent, boivent et baisent. Ouais c’est vrai leur Zemmour avait raison, les Blancs n’ont plus de couilles et paradent en culottes échancrée. Z’ont même un jour à eux tous ces pédés.</em>»</p> <p>Revenu d’un militantisme à <strong>grosses œillères</strong>, Magyd Cherfi livre là un regard désenchanté sur cette fierté maghrébine empreinte d’une profonde <strong>amertume</strong>. Le détour par Zemmour sonne juste, tant l’auteur du <em>Suicide français</em>, condamné pour incitation à la haine raciale mais continuant d’officier dans les colonnes du <i>Figaro </i>et sur l’antenne de CNews, est devenu le symbole d’un deux poids, deux mesures, dont n’a pas bénéficié Dieudonné par exemple, mais incarne aussi ce «juif cultivé», à vous foutre des <strong>complexes</strong>, qui prend tout de la France sans exiger d’elle le moindre inventaire, quand eux s’y refusent, ne peuvent s’y résoudre, entretenant avec l’histoire de France un rapport <strong>conflictuel</strong> sans lendemain.</p> <p>C’est l’ensemble de ces <strong>représentations</strong>, ces motifs de colère, ces refus, cette résistance, ces cuves de ressentiment, cette lassitude, cette énergie que contenait en elle l’expression «repli communautaire» figurant dans la fiche de l’Education nationale avant d’en être retirée. 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Jeudi, comme souvent dans ce rendez-vous formaté pour le buzz, il s’est passé <a href="https://twitter.com/LeDevBreton/status/1590817814059044864?s=20&t=4TWr6vsi3CFKbFwoMHZdVw" target="_blank" rel="noopener">quelque chose de fort</a> sur le plateau de «Touche pas à mon poste!», l’émission animée par Cyril Hanouna sur la chaîne C8 du groupe Bolloré – le nom à l’origine du clash de jeudi soir. Pour La France insoumise (LFI), ce parti de la gauche radicale siégeant à l’Assemblée nationale, un dilemme à présent se pose: faut-il encore aller à TPMP, là où bat le cœur de la France antisystème, où les électorats lepénistes et mélenchonistes s’invectivent, mais surtout, se parlent comme nulle part ailleurs?</p> <p>Que s’est-il passé de si grave ou plutôt de si révélateur? Alors que le débat portait sur l’accueil par la France de 234 migrants se trouvant à bord du bateau Ocean Viking, le jeune député LFI Louis Boyard, qui fut autrefois chroniqueur rétribué à TPMP, a mis les pieds dans son ancienne gamelle en parlant d’un procès menaçant «Bolloré» pour déforestation au Cameroun. Vincent Bolloré est ce milliardaire français propriétaire du groupe Canal, un catholique breton qu’on dit hanté par la crainte du «grand remplacement», ce concept d’extrême droite repris par son poulain Eric Zemmour lors de la dernière campagne présidentielle.</p> <p>Fidèle à son style «wesh-embrouille», où les différends se règlent en <em>battles</em> de tchatche, Cyril Hanouna a aussitôt mis un coup de pression au député Boyard, façon «qu’est-ce t’as dit?»: «Tu sais que t’es dans le groupe Bolloré, ici?», lui a-t-il lâché quand apparaissaient au même moment les résultats d’un sondage-téléspectateurs indiquant une proportion de 80% se prononçant contre l’accueil des 234 migrants et de 20% se disant pour.</p> <p>En sweat-capuche, Hanouna, tout à son personnage de caïd de la street chic rappelant au p’tit merdeux le respect dû au patron, le vrai, insiste alors: «Tu sais que t’es dans le groupe Bolloré?... Qu’est-ce que tu viens foutre ici, alors?... Bolloré t’a donné de l’argent, t’étais chroniqueur ici…»</p> <p>Boyard, qui avait visiblement préparé son coup, la joue grands principes: «Attends, Cyril, est-ce que tu es en train de me dire que je n’ai pas le droit de dire que Bolloré, il a un procès avec cent cinquante Camerounais parce qu’il a déforesté?» La suite: le député-LFI-ex-chroniqueur-TPMP, ne s’énervant pas, devant pressentir qu’il sortira gagnant de la <em>battle</em>, se prévaut de sa qualité de député. Hanouna piétine l’argument, estimant que Boyard, comme d’autres de son parti, doit son élection à TPMP. Après avoir donné du «mon chéri» à Boyard, il le traite d’«abruti» et de «merde», chacun accusant l’autre d’avoir fait monter l’extrême droite – le grand tabou de la politique française.</p> <p>Quelle suite LFI, plus largement la Nupes, la coalition de gauche à l’Assemblée nationale, donnera-t-elle à cet incident? Continuera-t-elle d’aller sur le plateau de TPMP? Qui, d’Hanouna ou de la gauche radicale, a-t-il le plus besoin de l’autre? Sans LFI, formation aux accents populistes, TPMP perdrait sa caution de gauche, risquant alors de ne plus réunir que des «anti-tout», souvent l’antichambre d’un parti de l’ordre. Mais en renonçant à ce forum, La France insoumise se priverait d’un lieu où elle peut porter des coups à «Macron», ce qui lui rapporte des voix. Ne plus se montrer dans «Touche pas à mon poste!» pourrait être interprété comme l’aveu qu’on appartient au «système», à cette «élite» qu’on prétend combattre.</p> <p>Dans le même temps, en participant à cette émission, LFI sait qu’elle contribue à saper la confiance dans les institutions démocratiques, dont on a vu jeudi soir le peu de cas qu’en faisait Cyril Hanouna en insultant le député Boyard. Il y a deux semaines, toujours à la barre de TPMP, Hanouna appelait à la tenue d’un procès expéditif, assortie d’une «perpétuité immédiate» pour la meurtrière présumée de la petite Lola. Tartuffe dans l’affaire, LFI est bel et bien confrontée à un dilemme, à moins que l’ambiguïté ne lui siée davantage que la clarté.</p> <p>Mais surtout, TPMP, qui remplit, quoi qu’on en pense, une fonction tribunitienne en offrant un exutoire aux passions de toutes sortes, peut-elle être supprimée? Sa disparition provoquerait-elle des troubles? Bolloré et sa créature Hanouna disposent là d’un certain pouvoir et d’une certaine responsabilité.</p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'en-finir-avec-hanouna-mais-apres', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 550, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 2, 'person_id' => (int) 830, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 2892, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => 'ANALYSE / France', 'title' => 'L’islamisme n’existe pas, il n’y a pas eu d’attentats', 'subtitle' => 'Loi confortant les principes républicains, actuellement débattue en France; rapport Stora sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie: quand la qualification des actes est enjeu de pouvoir, accessoirement de paix.', 'subtitle_edition' => 'Loi confortant les principes républicains, actuellement débattue en France; rapport Stora sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie: quand la qualification des actes est enjeu de pouvoir, accessoirement de paix.', 'content' => '<p>Le 20 janvier, l’historien français Benjamin Stora a remis au président Emmanuel Macron un rapport sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie. Né en 1950 à Constantine, issu de la communauté juive algérienne, partie avec les pieds-noirs à l’indépendance en 1962, Stora était investi d’une mission réconciliatrice par le président de la République. A la fin de son travail, l’historien émet une série de préconisations. Et l’on entre alors dans le vif du sujet: l’action.</p> <p>La première de ces préconisations, qui rappelle la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud, l’Instance Vérité et Dignité en Tunisie, est la constitution d’une «Commission "Mémoires et vérité" chargée d’impulser des initiatives communes entre la France et l’Algérie sur les questions de mémoires». La <em>vérité</em>. Pas de réconciliation sans vérité sur les exactions passées, croit-on.</p> <p>Mais la vérité n’est pas seulement question de faits, elle intéresse aussi le sens. Or deux sens ne peuvent cohabiter. Pas d’en-même-temps possible: la douleur d’un camp ne peut valoir celle de l’autre. Celle de l’Allemand de la Seconde Guerre mondiale ne vaut pas celle de l’Allié. On touche probablement ici à la limite du rapport Stora: le colon ne peut pas faire valoir sa douleur au même titre que le colonisé. Sinon, toute la hiérarchie, établie selon une échelle de valeurs qui accorde au colonisé la légitimité de sa révolte, est rebattue. Et pourtant, se dit-on, il faut tendre vers la reconnaissance des souffrances de part et d’autre, pour pouvoir la faire, cette réconciliation. Comme c’est compliqué…</p> <h3>Les choses ont un sens que la paix peut ignorer</h3> <p>Seul le sens permet d’y voir clair. Mais le problème du sens, qui dit qui avait raison, qui avait tort, c’est qu’il ne permet pas toujours de refermer les plaies, puisque personne ne veut être en tort, ou avoir tous les torts. Le cas franco-algérien renvoie à la spécificité de la guerre d’Algérie, plus sensible sur un plan mémoriel que les guerres franco-allemandes.</p> <p>La guerre d’Algérie, combat décolonial, lutte pour la libération, fut probablement moins une guerre classique entre deux nations qu’une guerre civile à l’intérieur d’un même territoire. Opposant deux populations d’inégal statut, certes, et ce n’est pas rien, mais ayant toute deux un caractère civil. De là, sans doute, le refus, longtemps, de nommer par le terme de guerre ce qui était appelé sous le nom d’événements.</p> <p>C’est pourquoi la vérité (qui la dit? selon quels critères?) peut être, aussi, parfois, l’ennemi de la réconciliation, celle-ci étant par nature toujours un peu artificielle. Disons que l’intérêt de la paix l’emporte à un moment donné sur l’intérêt de la guerre, surtout dans une configuration de conflit civil.</p> <h3>Les pieds dans le plat</h3> <p>Très vite apparaît la nécessité de l’amnistie, pour étouffer des braises dont chacun a cependant conscience qu’elle ne seront jamais tout à fait éteintes. Ce fut vrai après une relative brève période d’épuration en France en 1944-45. Vrai entre la France et l’Algérie à l’indépendance en 1962. Vrai encore en 1999, lorsque le président algérien Abdelaziz Bouteflika fit voter la loi dite de concorde civile, qui mit fin par un plébiscite à la guerre civile.</p> <p>Cela nous amène à la France d’aujourd’hui, celle, d’après, espérons-le, les attentats islamistes. Attentats? Islamistes? D’emblée, les pieds dans le plat. La somme de «ce qui est arrivé en France ces dernières années» pèse son poids de non-dits. Cette situation présente des similitudes avec les conflits évoqués plus haut. Mais elle a comme quelque chose d’inextricable. Ce n’est pas encourageant.</p> <h3>Quand le bourreau redevient l'égal de la victime</h3> <p>Alors, quelles similitudes entre l’après-attentats et ces précédents après-guerres? La première de toutes, la plus importante: la nécessité de l’amnistie, avons-nous vu, par quoi on cesse de juger ceux qu’on sait coupables, par quoi on passe à autre chose. Comme la victime, le bourreau doit pouvoir reprendre une vie normale. Sauf que toute amnistie suppose un vainqueur reconnu comme tel, autrement dit un juste faisant offrande de son pardon au vaincu. L’amnistie, qui comporte une part d’amnésie volontaire, permet le retour à la paix dans des sociétés qui se sont entredéchirées.</p> <p>Toute la difficulté en France – on le voit avec les polémiques entourant l’adoption en cours de la loi confortant le respect des principes républicains, initialement intitulée contre le séparatisme islamiste – tient dans l’énoncé et dans le sens attribué à des faits qui ont ensanglanté la métropole comme jamais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.</p> <h3>Déni de réalité</h3> <p>Dire ce qui s’est passé contient un enjeu de pouvoir politique et culturel pour le présent et pour l’avenir. Il y a là un rapport de force, d’autant plus à l’œuvre que la qualification de ces attentats n’est pas claire pour tous, ou doit rester équivoque, manière de manœuvre dilatoire. On est alors proche du déni de réalité. Laquelle? Oui, on peut jouer longtemps sur les mots.</p> <p>La meilleure façon de tirer un trait sur cette période serait effectivement de dire que l’islamisme n’existe pas et que par conséquent il n’y a pas eu d’attentats, tout attentat ayant une motivation idéologique. Il y aurait eu une sorte d’explosion de violence spontanée.</p> <h3>Désigner une idéologie, c'est désigner des idéologues</h3> <p>Retenir la qualification d’attentats, qui plus est islamistes, ce qu’ils ont bel et bien été, c’est désigner une idéologie. L’idéologie islamiste, donc: soit un projet de conquête civilisationnelle dirigé contre l’Occident jugé décadent et en bout de course. Toute la littérature djihadiste, s’inspirant de l’islamisme, est faite de cela.</p> <p>Désigner une idéologie potentiellement violente, c’est désigner des idéologues et des compagnons de route. C’est vouloir occuper le pouvoir à leur place, là où on pense qu’ils l’occupent, dans certaines parties de l’université, par exemple. C’est désigner un problème: «l’islamo-gauchisme», soit une convergence plus ou moins solide entre matérialisme et religion en vue de renverser l’ordre bourgeois, lequel s’oppose à la fois à l’égalité et à une saine vision de l’existence – notons que le fidèle musulman n’érigeant pas sa religion en cause politique, et cela fait du monde, n’a que faire de ces sollicitations révolutionnaires.</p> <h3>La France insoumise visée et visant à son tour</h3> <p>Sur la défensive, se sentant visée par une entreprise épuratrice post-islamiste, par quoi il s’agit d’empêcher, du moins de s’opposer frontalement aux conditions de production de l’islamisme, la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon refuse de faire la différence entre islamisme et islam, accuse le gouvernement de persécution envers les musulmans. Comme si l’islamisme n’existait pas ou n’avait pas existé, en France et ailleurs, comme si – autre façon de hiérarchiser la donne historique – les coupables de ce qu’il faut quand même bien appeler des attentats, n’étaient pas à chercher parmi des musulmans, population opprimée, mais chez leurs oppresseurs, autrement dit dans l’Occident capitaliste, colon un jour, colon toujours…</p> <h3>La poursuite de la guerre d'Algérie</h3> <p>On retrouve ici la matière du rapport Stora sur les conséquences de la guerre d’Algérie. En quoi on pourrait affirmer que les attentats islamistes qui ont frappé la France ces dernières années sont en partie, en partie seulement, la poursuite d’une guerre d’Algérie qui n’a pas réellement pris fin. Tout comme la guerre civile algérienne des années 90 fut avant cela la poursuite, déjà, de cette même guerre, dont le terme fut sanctionné davantage par une forme d’armistice que par une paix durable.</p> <p>Les morts de Samuel Paty, le professeur égorgé l’an dernier, celle du commandant de gendarmerie Beltrame, en 2018, sont des morts encombrantes. Les maires, plutôt de droite, qui veulent donner leurs noms à des places et des rues, en inscrivant sous leurs patronymes: «Victimes du terrorisme islamiste», désignent implicitement une idéologie ennemie. Non pas extérieure à la France mais présente en France.</p> <p>Cette désignation un peu lourde de sens, c’est le cas de le dire, ne contribue pas à la recherche de la paix, dont l’oubli est l’une des composantes, pourrait-on penser. Mais «en face», là où tout est social et colonial, on ne baisse pas pavillon. La déconstruction du modèle occidental et capitaliste – visé par l’islamisme revanchard – doit se poursuivre. 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Pourquoi? On a tenté de répondre à cette question. Indice: l’image, pas terrible, du «voisin français». ', 'subtitle_edition' => null, 'content' => '<p>«C’est la petite Gilberte, Gilberte de Courgenay…» La Mob, c’était mieux avant. Il y avait alors de vraies frontières. Pas comme aujourd’hui avec Schengen qui les a toutes effacées, ce qui est bien pratique aussi, il faut le dire. Mais parfois une votation – ou une pandémie – suffit à les rétablir. C’est ce qui s’est passé dimanche avec la «burqa», l’initiative interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, acceptée à 51,2% par le peuple. Un score relativement modeste qui cache de fortes disparités. Sans le vote des métropoles, favorables au non, le texte aurait été approuvé bien plus largement. En Suisse romande, les communes frontalières de la France ont plébiscité le oui. Qu’est-ce que cela révèle de ce vote, à cet endroit bien précis, celui des limites géographiques et politiques d’un pays, en sa partie francophone?</p> <p>A Courgenay, dans cette Ajoie s’enfonçant tel un saillant dans les départements français du Doubs et du Territoire de Belfort, 65,4% des habitants ont voté en faveur de l’initiative soutenue par l’UDC et une partie de la gauche (<a href="https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/votations/20210307/initiative-populaire-oui-a-l-interdiction-de-se-dissimuler-le-visage.html" target="_blank" rel="noopener">cliquez ici</a> pour avoir accès à la carte interactive). Un score de cinq points supérieur à la moyenne cantonale jurassienne, 60,7% de oui, la plus élevée des dix-neuf cantons qui ont approuvé le texte.</p> <p>Des trois districts du canton du Jura, celui de Porrentruy, qui épouse la carte de l’Ajoie, dont la particularité est d’avoir avec la France le double de frontière qu’il n’en a avec la Suisse, affiche le plus haut taux d’acceptation, 64,7%. A la pointe du saillant, Bure, la commune qui héberge la place d’armes du même nom, se hisse à la première place du district avec 76% de oui. 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Bardonnex, localité munie d’un important poste-frontière, détient semble-t-il le record cantonal avec 57% de oui. A part la commune de Genève proprement dite (44,8% de oui) et de certaines localités en direction du canton de Vaud, peut-être un peu plus bourgeoises que le reste du canton de Genève, toutes les autres ou presque acceptent l’initiative.</p> <p>Le Valais, en partie frontalier avec la France, a voté oui à 58,3%, deuxième taux le plus élevé en Suisse romande derrière le Jura. La commune limitrophe de Saint-Gingolph, à la pointe sud-est du lac Léman, détient avec 70,5% des voix l’un des plus hauts scores du canton.</p> <p>Alors, pourquoi ce oui franc et souvent massif des communes frontalières à l’initiative dite anti-«burqa»? Notons au passage que de nombreuses localités de l’«intérieur» de la Suisse romande, spécialement dans la Broye, l’ont également fortement approuvée.</p> <p>Alors, est-ce par «islamophobie»? 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Un <i>mansplaining</i> en mode solidaire, bien sûr. Je serais même tenté d’y voir un peu plus que cela: un <i>manembracing</i> virant au <i>manembarrassing</i>. Autrement dit: une défense à ce point appuyée qu’elle en devient gênante.</p> <p>Gabriel Bender a le zèle du converti. Du converti au féminisme. C’est l’impression qu’il donne. Comme s’il devait montrer, à lui-même et au monde, qu’il est du bon côté. Celui des dominés, en l’occurrence des dominées. Militantisme et sociologie – sa discipline – ne font plus qu’un dans un certain nombre de domaines de recherche. En première année de «socio», on apprenait pourtant à distinguer le discours de l’acteur de celui de l’observateur.</p> <p>Ce précieux conseil, qui permet d’entretenir la veille démocratique, ne semble plus partagé par tous les observateurs des phénomènes de société. La prose «féministe» de Gabriel Bender rend compte d’une confusion des statuts certainement volontaire. 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Bref, le débat est un acquis précieux, et cette réponse à Gabriel Bender y participe.</p> <hr /> <p style="text-align: center;"><strong>Lire aussi</strong>: <em><a href="https://bonpourlatete.com/analyses/mise-au-pas-du-patriarcat-a-la-rts" target="_blank" rel="noopener">Mise au pas du patriarcat à la RTS</a></em></p> <hr /> <p>Alors, qu’est-ce que je pense du harcèlement? Comme la plupart des gens, je pense que c’est intolérable. Je pense aussi que la «drague» en entreprise, lourde ou légère, est une mauvaise chose. Je dénonce le machisme et la beauferie. Je me souviens, mais là on part sur #metoogay, de trois journalistes causant politique avant une échéance électorale: l’un d’eux avait usé du mot «pédoque» pour évoquer un élu romand. C’était moche, j’avais envie de l’insulter. Tout ça pour dire que je suis heureux qu’une certaine tenue comportementale et verbale – «un homme ça s’empêche», merci Albert Camus – devienne la règle. Ce changement, on le doit aux féministes. Voilà pour ce que je pense.</p> <p>Maintenant, ce que je comprends. C’est plus pudique et de mon point de vue, plus intéressant, même si je peux parfaitement concevoir la nécessité et l’intérêt de récits à la première personne. Mon article sur le site de <i>Marianne</i> ne porte pas sur les faits présumés de harcèlement révélés par <i>Le Temps</i>. Je renvoie d’ailleurs dès le premier paragraphe à l’enquête du quotidien romand datée du 29 octobre. Il me semble que beaucoup, en France aussi, savent de quoi il retourne avec cette «Tour».</p> <p>Non, l’angle de mon article porte sur une action politique, menée essentiellement par des femmes, lesquelles exercent une pression dans un rapport de force en vue de l’obtention d’un résultat. On dirait que cette approche universelle a rendu Gabriel Bender tout drôle. Que comprendre en creux de ses arguments à lui? 1) Qu’un combat mené par des femmes se doit d’être protégé, parce que tout combat féminin serait empreint de fragilité. 2) Que des femmes sont au fond incapables de tactique, qu’elles sont toujours «entières», comme si parler de manœuvre à leur sujet, c’était implicitement en référer aux vieux schémas de ruse, de rouerie, voire de sorcellerie associés aux femmes durant des siècles.</p> <p>Mais on est de son temps ou on ne l’est pas. Il s’agit bien pour des femmes de la RTS, et pour des hommes avec elles, de tirer parti, c’est-à-dire avantage d’une situation à l’origine défavorable. C’est ce qui s’appelle faire de la politique. Mais encore une fois, tout combat politique conduit par des femmes devrait-il être assimilé seulement à du «militantisme», notion contenant en elle un statut de dominé, et par-là échapper à la critique ordinaire? Ne serait-ce pas là jouer sur les «deux tableaux», celui de la victime à qui réparation est due et celui du citoyen à qui tout revient une fois la victoire acquise? Aussi je propose qu’on laisse la démocratie trancher sur les reformes sociétales voulues par le «collectif du 14 juin». Et que le droit remplisse son office pour les cas de harcèlement et mobbing présumés.</p> <p>Il y a de la mauvaise foi dans le texte de Gabriel Bender. A tout le moins des imprécisions. J’en veux pour preuve ce passage où il comprend de travers ce qui est pourtant clair: personne, parmi les salariés de la RTS, ne pousse, contrairement à ce qu’il affirme, la femme que je cite anonymement à produire un «faux témoignage», soit des accusations de harcèlement qu’elle n’aurait pas subi. J’écris qu’elle n’a pas suivi des collègues qui l’incitaient à témoigner, non de quelque chose dont ils auraient été convaincus de l’existence la concernant, mais de faits dont ils pouvaient penser qu’elle avait été victime, comme d’autres. La personne citée ne dénie d’ailleurs aucunement le droit aux femmes ayant vécu un traumatisme d’en avoir fait part à la «ligne d’écoute» mise en place par la direction de la RTS.</p> <p>A l’avenir, débattons d’idées.</p>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'les-femmes-aussi-font-de-la-politique-vous-savez', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-12', 'like' => (int) 582, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 24480, 'homepage_order' => (int) 3087, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => '', 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 830, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' } ] $embeds = [] $images = [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) { 'id' => (int) 6922, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'IMG_1122.JPG', 'type' => 'image', 'subtype' => 'jpeg', 'size' => (int) 233103, 'md5' => '10814a0ef372f9004ee4a22c0c8506d5', 'width' => (int) 1280, 'height' => (int) 853, 'date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'title' => '', 'description' => 'Parmi les recommandations faites aux enseignants français pour le retour en classe, une vigilance particulière envers les discours et attitudes de "repli communautaire". 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