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Actuel / Qatar? Ah! La vache!!!

Michael Wyler

18 juillet 2017

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Willkommen! Welcome! Bienvenue! 165 vaches Holstein viennent de débarquer au Qatar après un vol qui les amené de l'Allemagne sur Doha, via Budapest. Elles devraient être suivies de 3835 autres, importées par M. Moutaz al-Khayyat. Son but? Satisfaire à 30% des besoins en lait et produits laitiers de l'Emirat. Le coût du transport? Environ 2000 francs par vache.



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C'est que depuis le 5 juin, l'Arabie Saoudite – principal fournisseur de denrées alimentaires du Qatar – a cessé toutes relations avec ce dernier, tout comme l'Egypte et les Emirats Arabes Unis notamment.

Et si naguère un fameux slogan français disait «on n'a pas de pétrole, mais on a des idées», le Qatar est riche en gaz naturel et en idées. Et construire des étables air-conditionnées ne fait pas peur à M. Moutaz al-Khayyat, qui rappelle que le Qatar dépense actuellement 500 millions de francs par semaine pour diverses constructions en rapport avec la Coupe du Monde de football de 2022, y compris un métro et que donc, 20 millions pour des vaches, ce n'est pas grand-chose.

La grenouille et le bœuf

Pour mieux comprendre le différend qui oppose le Qatar à des voisins, plus ou moins éloignés, rien de tel qu'un petit cocktail! Dans un grand désert, mettez un déci de politique, un déci d'énergie, quelques gros sous, une cuillère à soupe de religion, une pincée d'égos mal placés et une pichenette d'épais brouillard. Secouez le tout et buvez frais!

Prétextes officiels de la rupture: le Qatar finance des organisations terroristes, flirte avec l'ennemi iranien et nous casse les pieds avec sa chaîne TV Al-Jazeera. Mais pourquoi cette rupture maintenant, alors que tout cela est connu de longue date?

Deux raisons sont évoquées: la visite de M. Trump en Arabie Saoudite, au cours de laquelle il a fustigé l'Iran et son terrorisme d'Etat et la solide rumeur qui veut que suite au récent enlèvement dans le sud de l'Irak de membres de la famille royale partis chasser, le Qatar a payé une rançon d'un milliard de dollars à l'Iran et à quelques groupes jihadistes. Mais les véritables raisons sont probablement à chercher ailleurs, ce d'autant plus que ce n'est pas la première fois que ses voisins rompent avec le Qatar.

C'est que jusqu'en 1995, ce petit Etat de la taille de Vaud et des Grisons réunis (2,5 millions d'habitants, dont 2 millions d'étrangers) était perçu comme un gentil vassal de son voisin Saoudien. La découverte du plus grand réservoir de gaz naturel (que le Qatar et l'Iran exploitent conjointement) a tout changé. L'argent s'est mis à couler à flots et aujourd'hui, le Qatar a le revenu par habitant le plus élevé du monde, gère un fonds souverain qui pèse 350 milliards de francs et, comme on le sait, achète tout ce qui lui plait, hôtellerie suisse incluse.

Richesse rimant avec pouvoir, la grenouille qatari a donc décidé de se faire aussi grosse que le bœuf saoudien et a mené sa propre politique étrangère, ce qui n'a pas été du goût de tout le monde. Sa chaîne TV Al-Jazzera soutient notamment les Frères Musulmans, honnis par le président égyptien et les Saoudiens; les dirigeants du Hamas sont les bienvenus, tout comme les soldats américains (le Qatar accueillant la plus grande base aérienne américaine en dehors des USA) et pour couronner le tout, l'Emirat maintient aussi des bonnes relations avec l'Iran.

Or, Iran et Arabie Saoudite, c'est comme chien et chat en pire. Non seulement Chiites (majoritaires en Iran, en Irak, à Bahreïn) et Sunnites (majoritaires en Arabie Saoudite, Emirats, Jordanie, Syrie, Koweït, etc.) se massacrent parmi, mais de plus, l'Iran a des prétentions hégémoniques qui paniquent les monarchies de la région, saoudienne notamment.

Une affaire de gros sous

Jusqu'à peu, le Qatar a généreusement financé les rebelles anti-Assad (on parle de 3 milliards). Pourquoi? Dans l'espoir qu'une fois Bachar el-Assad parti, le Qatar pourrait construire son propre oléoduc à travers la Syrie pour livrer son gaz en Europe. Or, la Russie dispose d'un monopole sur le gaz livré en Europe et ne tient pas à avoir une concurrence. Une des raisons pour laquelle ce pays, tout comme l'Iran, soutient Assad des pieds, des mains, des soldats et de son aviation.

De guerre lasse, le Qatar vient de changer son fusil d'épaule et a investi 2,7 milliards de dollars dans l'entreprise d'Etat russe Rosneft Oil, histoire de confirmer que «si tu ne peux pas combattre ton ennemi, embrasse-le». Mais embrasser la Russie, qui elle, embrasse l'Iran, qui embrasse le Hezbollah, qui embrasse Bachar el-Assad, ça a un prix. D'autant plus élevé que le Qatar refuse d'offrir son gaz à prix d'ami à ses voisins.

Or, ces derniers, qui viennent de rompre, dépendent du Qatar pour le gaz naturel dont ils sont très friands. Un beau bordel auquel vient s'ajouter la Turquie, proche commercialement de l'Iran et fâchée que l'on embête ainsi le bon émir du Qatar, avec lequel elle a signé il y a trois ans un accord pour l'ouverture d'une base militaire près de Doha.

En résumé simpliste: l'Arabie Saoudite, l'Egypte, les Emirats, Bahreïn, etc. considèrent l'Iran comme la pire des menaces et se sentent soutenus (peut-être plus à tort qu'à raison) par les Etats-Unis. Quant à la Turquie et Qatar, ils tiennent à ménager la chèvre, le chou et leurs juteux commerces.

Nous sommes Qatar, nous soutenons Tamim

Vu de Qatar, on ne peut pas dire que ce boycott pose des problèmes majeurs. Certes, Qatar Airways (sacrée meilleure compagnie mondiale en 2017) doit faire quelques détours, ne pouvant plus survoler l'Arabie Saoudite, mais bof…

Suisse, vivant depuis plusieurs années au Qatar, Edouard, joint par téléphone, raconte: «Le Qatar a vite appris à vivre avec ce boycott et, comme souvent, l'adversité est source de créativité. Le gouvernement a fixé des priorités en matière de constructions et les importations d'Arabie Saoudite et des Emirats ont été remplacées par des importations de Turquie, d'Arménie, de Géorgie, d'Iran, du Maroc et d'ailleurs».

«Depuis le blocus, le Qatar a ouvert de nouvelles routes maritimes sur Oman, l'Inde et la Turquie et le nouveau port, au sud de la capitale, fonctionne à 100% de sa capacité. Donc, pour nous, pas de grands changements dans le quotidien. Le prix de certaines denrées alimentaires a augmenté, ce qui à terme, peut poser problème pour les très nombreux travailleurs immigrés. Mais si cela devait arriver, le gouvernement subventionnera très probablement les denrées de base».

Populaire, Cheikh Tamim, l'émir, l'est sans aucun doute. «Enfin un jeune qui a du poil au c…», semble penser la population si l'on en croit le nombre de voitures circulant avec un portrait de l'émir sur le pare-brise. 

La suite? Alliances, mésalliances, guerres économiques et de religion ont marqué les Etats arabes depuis bien longtemps. Pour Edouard, la situation est relativement claire: l'émir du Qatar, 37 ans, ne vas pas baster. Il est jeune, fougueux et veut faire ses preuves. Il en a les moyens. Financiers en tout cas. Du côté saoudien, le nouveau prince héritier Mohammed ben Salmane, est âgé de 31 ans. Tout aussi jeune, tout aussi fougueux et ayant lui aussi, envie de faire ses preuves. Du côté américain, on ménage la chèvre saoudienne (qui a très peur de l'Iran et achète beaucoup beaucoup d'armes aux Etats-Unis) et le chou qatari (qui abrite une grande base militaire US, et achète aussi beaucoup beaucoup d'armes aux Etats-Unis).

Conclusion: chacun campe sur ses positions et donc, le Qatar va devoir trouver quelque chose à offrir au quarteron de pays qui le boycotte afin que ces derniers puissent y renoncer sans perdre la face. Un petit jeu diplomatique qui peut durer quelques mois, certes, mais qui n'intéressera plus grand monde, hormis les quelques pays directement concernés. Et encore…


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