© Image par Aelred K de Pixabay
La gale, la tuberculose ou encore la rougeole… Depuis une dizaine d’années, ces maladies, tenues pour disparues, qui évoquent saleté et misère liées à un passé archaïque révolu dans l’imaginaire collectif, ont réapparu en France. En 2017, les médecins ont aussi détecté plusieurs cas de scorbut. Longtemps craint des équipages de marins, qu’il décimait, ce mal trouve son origine dans une alimentation dépourvue de vitamine C. Comment expliquer le retour d’une telle maladie, si facile à prévenir, dans la France du XXIe siècle?
Cet article de Vanessa Moley a été originellement publié dans Herodote.net le 17 janvier 2020.
Comment se manifeste le scorbut?
Chez les personnes privées de fruits et de légumes pendant une longue période, le scorbut apparaît et se signale par un cortège de symptômes: anémie, fièvre, hémorragies multiples, notamment au niveau des gencives, douleurs musculo-squelettiques, infections ORL à répétition, troubles gastro-intestinaux et par une cachexie1 progressive pouvant entraîner la mort.
Une longue histoire…
Cette affection est connue depuis la plus haute Antiquité même s’il a fallu attendre de nombreux siècles pour l’identifier avec précision.
Si quelques textes antiques évoquent ainsi des manifestations d’hémorragies buccales, de plaies gingivales et d’ulcères aux jambes (Hippocrate) ou encore une mystérieuse maladie «à la bouche puante» déclarée dans une armée romaine errant dans le désert d’Arabie (Pline l’ancien, Histoire naturelle), aucun de ces savants n’a cependant relié tous ces symptômes à une maladie spécifique. Et jusqu’à présent la paléopathologie n’a pas confirmé la présence de scorbut dans l’Antiquité.
En revanche, l’ostéologie (étude anatomique des os) a permis de certifier la présence du scorbut au Moyen-Âge. Des traces ont ainsi été relevées en Scandinavie, mais aussi à Anvers sur les corps inhumés après le siège de 1584 ou sur des squelettes trouvés en Croatie. Des découvertes logiques puisque cette maladie sévit particulièrement lors des grandes famines et des guerres. Ses symptômes seront d'ailleurs décrits par l’historien et futur cardinal Jacques de Vitry lors du siège de Damiette (1218-1219), ville d'Égypte convoitée par saint Louis lors de la septième croisade.
Le scorbut fait aussi des ravages au XVIIe siècle pendant le blocus de la Rochelle (1628) exercé par Louis XIII puis au XIXe siècle durant la Grande Famine d’Irlande (1845-1846), ou encore quelques années plus tard, lors de la ruée vers l’or en Californie (1848) qui exige des aventuriers la périlleuse traversée des Rocheuses. Elle décime également les camps de prisonniers de la guerre de Sécession (1861-1865) et se propage pendant le siège de Paris lors de la guerre franco-prussienne de 1870.
Sa présence est de même attestée dans les voyages d’exploration, comme ceux de René Caillié à Tombouctou en 1828 ou celui de l’explorateur Robert Falcon Scott avec son équipe au pôle Sud en 1901.
Scorbut: latin, néerlandais, suédois ou norrois?
Le mot latin «scorbutus» est attesté pour la première fois en 1557, dans le vocabulaire médical, probablement emprunté au moyen néerlandais scôrbut (en néerlandais, scheurbuik), par l’intermédiaire de l’ancien suédois skörbjug, du vieux norrois skyrbjúgr (scorbut), composé de skyr (lait caillé) et de bjúgr (œdème). Dans leurs longues courses sur mer, les anciens Normands emportaient souvent des provisions de lait caillé; la consommation de grandes quantités de celui-ci passait pour créer facilement des œdèmes. Le sens premier du mot était donc «œdème dû à la consommation de grandes quantités de lait caillé». Le mot «scurbut» se rencontre aussi en 1604 dans la Description du premier voyage faict aux Indes Orientales par les François de François (de Vitré) Martin et en 1610 dans l’Histoire de la navigation de Jean Hugues de Linscot Hollandois.
La «peste marine»
Entre la fin du XVe siècle et le début du XXe siècle, les récits d’équipages décimés par le scorbut sont légion. C’est au cours des grandes expéditions maritimes des XVe et XVIe siècles que la maladie est associée au monde marin. Paradoxalement, ce sont les avancées technologiques qui ont amené le scorbut parmi les équipages en permettant aux vaisseaux de naviguer sur de plus grandes distances et d’augmenter la durée entre les escales.
Les épopées des grands navigateurs seront endeuillées par ce mal qui emportera parfois la quasi-totalité des équipages. En 1497, Vasco de Gama voit apparaître le scorbut parmi son équipage au bout de 12 à 15 semaines de navigation. En 11 mois, ce mal va causer la perte de 120 de ses 160 marins.
En 1519, le premier tour du monde, réalisé par Ferdinand de Magellan, sera tout aussi funèbre. Des 265 marins réunis pour le voyage, 18 seulement parviendront au bout, la plupart ayant péri là encore à cause du scorbut. Antonio Pigafetta, l’historiographe de Magellan, décrit les symptômes avec une rare acuité: «Les gencives commencent à enfler, des abcès se forment dans la bouche, les dents se déchaussent puis tombent. Le palais devient si enflé qu’ils ne peuvent plus rien avaler et périssent misérablement…».
La maladie fera aussi des ravages parmi les équipages français: Jacques Cartier perdra 25 de ses 110 hommes lors de son expédition au Canada en 1535. Et le commerce dit «triangulaire» se trouvera tout autant vulnérable: le scorbut affectera les Africains transportés sur les bateaux pour devenir esclaves dans les Amériques.
C’est à la fin du XVIe siècle que le capitaine anglais Richard Hawkins forge l’expression «la peste des marins» pour évoquer le caractère irrémédiablement contagieux et épidémique de ce fléau qui semble incurable et poursuit ses ravages en mer durant le XVIIIe siècle.
Le tragique tour du monde du commodore George Anson
Réalisé entre 1740 et 1744, ce voyage au long cours est resté comme l’une des pires tragédies en mer. A cette époque, l’Angleterre dispute à l’Espagne le contrôle des Caraïbes et des Amériques. L’amirauté britannique confie au capitaine Anson la mission de piller la côte pacifique de l’Amérique du Sud qui est alors une importante zone de commerce espagnol.
George Anson appareille en septembre 1740 avec 6 vaisseaux dotés d’un équipage de 2 000 marins, qu’il a d’ailleurs eu beaucoup de mal à recruter: plus encore que les Espagnols, c’est le scorbut que redoutent les hommes d’équipage anglais! Certes, la Royal Navy leur avait fourni plusieurs traitements parmi les plus populaires d’alors, mais en réalité tous inefficaces, tels que le vinaigre, l’élixir de vitriol (un mélange d’acide sulfurique et d’alcool) et un médicament laxatif appelé «Ward’s drop and pill».
Au pire moment de l’expédition, après le franchissement du Cap Horn, à l’extrémité de l’Amérique du Sud, alors que de violentes tempêtes se succèdent, la maladie se déclare et terrasse les marins. Le commodore Anson perd alors 3 de ses vaisseaux.
Avec la flotte restante, il va réussir à rallier l’île Juan Fernandez dans le Pacifique, riche en fruits et végétaux. L'efficacité des vivres frais sur les marins ne fait aucun doute, sans qu’ils en comprennent les raisons proprement scientifiques. L’équipage peut ainsi se reposer et guérir pendant les 3 mois que dure l’escale.
Toutefois leur mission les contraint à traverser le Pacifique pour gagner Canton. Le scorbut ressurgit durant l’été 1742 avec des conséquences tragiques: un seul bateau arrivera à Canton! De l’équipage initial de 2 000 hommes ne subsistent plus que 227 marins. Par un coup de chance incroyable, le 20 juin 1743, Anson capture un riche galion espagnol venant des Philippines après un bref combat au cours duquel il ne perd que quelques hommes.
George Anson conservera toujours en mémoire que, parti avec un équipage de 2 000 hommes, il en a ramené à peine 200. En dépit des pertes en vies humaines très élevées, l’Amirauté a considéré cette mission comme un succès, notamment du fait de la capture du vaisseau espagnol. Devenu riche et célèbre, le commodore Anson sera nommé Premier Lord de l’Amirauté en 1751.
La recherche d’un traitement efficace
Pour enrayer le scorbut, différents traitements furent testés mais il fallut attendre l'Écossais James Lind et son Traité du Scorbut en 1754 pour que le rôle des citrons et oranges soit clairement identifié. Il réalise en effet une expérience en administrant plusieurs traitements différents à 6 groupes de marins, ayant par ailleurs une alimentation identique.
Pourtant, d'autres hommes, bien avant lui, avaient appris à prévenir et à traiter la maladie. On peut citer le corsaire Richard Hawkins, qui recommande le citron dès 1593; James Lancaster qui en 1601 fit une remarquable observation en constatant que des 4 bateaux qu'il commandait, un seul fut épargné par le scorbut, à savoir son propre vaisseau, sur lequel était distribué du jus de citron; et Woodal qui en 1617 souligne dans son livre sur la santé des marins marchands, la nécessité, pour prévenir le scorbut à bord des vaisseaux, d'absorber du jus de citron chaque matin.
En dépit des travaux de Lind et de ses devanciers, le scorbut décimera encore les équipages durant de longues années. La publication du traité ne produit aucun résultat immédiat sur la politique sanitaire de la Navy. Le capitaine James Cook ne fera jamais l'éloge du jus de citron, mais bien celui du moût de bière.
42 ans s'écouleront avant que deux médecins - Gilbert Blane et Thomas Trotter - obtiennent de l'Amirauté que le jus de citron soit ajouté à la ration des matelots à partir de 1796. Pour certains historiens, cette prise de conscience précoce de la Royal Navy serait une des raisons de sa supériorité sur les mers à cette époque.
En France, le livre de Lind a été traduit dès 1761 mais la prévention du scorbut sur les bateaux français ne sera instaurée qu'un siècle plus tard, en 1856, après une dramatique épidémie de scorbut pendant la guerre de Crimée. De nombreux médecins français connaissent le Traité du scorbut, mais qu'en ont-ils retenu?
Dans une thèse de 1815, «Dissertation sommaire sur le scorbut», l'auteur résume l'ouvrage de Lind, à l'exception de la fameuse expérience. Le mot citron n’est jamais mentionné. Ce n’est qu’en 1931 que la structure chimique de la vitamine C est identifiée par Albert Szent-Gyorgyi, ce qui lui valut le prix Nobel de médecine en 1937. La même année, Walter Norman Haworth reçut le prix Nobel de chimie pour avoir réussi à synthétiser cette vitamine.
Le retour du scorbut au XXIe siècle
Si le scorbut sévit encore durant le XXe siècle, causant la perte du cap-hornier français Bidart aux Açores, l’amélioration du niveau de vie et de l’alimentation va le reléguer au rang des maladies oubliées. Il n’a pas disparu pour autant.
En France, de nouveaux cas sont détectés dès 2011. 4 ans plus tard, en 2015, un médecin du CHU de Limoges mène une étude sur 63 patients carencés en vitamine C et découvre que 10 sont atteints du scorbut. En 2017, des praticiens du même CHU sonnent l’alerte et concluent que cette maladie «est aujourd’hui sous-diagnostiquée».
A Nice, entre août 2017 et janvier 2018, des médecins d’un service de rhumatologie identifient des cas de scorbut chez deux femmes de 41 et 74 ans ainsi que chez un homme de 61 ans. Un quatrième cas a été détecté à Grenoble chez un patient de 60 ans. En décembre 2019, un garçon de 14 ans qui pleure des larmes sanglantes est reçu en consultation au CHU de Rouen. L'adolescent ne consommant ni fruits ni légumes a un taux de vitamine C effroyablement bas. Le diagnostic de scorbut est donc avéré.
Comment expliquer le retour de cette maladie? Le scorbut survient dans les situations de précarité, de pauvreté, ou chez des personnes isolées, «qui mangent des plats tout préparés, une seule fois par jour», a alors expliqué un interne en médecine. Les personnes marginalisées du fait d'une addiction, l'alcool par exemple, peuvent également être touchées.
La royale victime du scorbut
En juin 2019, le scorbut va faire une nouvelle victime, tout à fait inattendue celle-là. C’est Philippe Charlier qui va l’identifier. Ce médecin légiste, également anatomo-pathologiste, archéo-anthropologue et paléopathologiste, est réputé, entre autres, pour ses autopsies du crâne d’Henri IV ou du cœur embaumé de Richard Cœur de Lion.
Après plusieurs années de recherche menées par des médecins et des historiens autour de la mandibule de saint Louis conservée à Notre-Dame de Paris, ses conclusions sont formelles: «L'étude approfondie de cette relique a montré que le monarque était mort du scorbut – l’aspect grignoté de la mandibule est caractéristique de la maladie - peut-être surinfecté, mais pas de la peste comme on le disait jusque-là». C’est une véritable petite révolution pour l’histoire du Moyen-Âge: le roi Louis IX, futur saint Louis, ne serait donc pas mort devant Tunis en 1270, à l’âge de 56 ans, des suites du typhus ou de la peste, mais bien à cause d’un grave déficit en vitamine C!
Bibliographie
Pr. Patrick Berche, L’histoire du scorbut in Revue de Biologie Médicale, N° 347, mars 2019; Marc Gozlan, «Le retour du scorbut, une maladie que l’on croyait disparue» in Réalités biomédicales, Le Monde.fr, 9 septembre 2018.
1cachexie: affaiblissement profond de l’organisme (perte de poids, fatigue, atrophie musculaire, etc.) lié à une dénutrition très importante.
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Dans leurs longues courses sur mer, les anciens Normands emportaient souvent des provisions de lait caillé; la consommation de grandes quantités de celui-ci passait pour créer facilement des œdèmes. Le sens premier du mot était donc <em>«œdème dû à la consommation de grandes quantités de lait caillé»</em>. Le mot <em>«scurbut»</em> se rencontre aussi en 1604 dans la <em>Description du premier voyage faict aux Indes Orientales par les François</em> de François (de Vitré) Martin et en 1610 dans l’<em>Histoire de la navigation</em> de Jean Hugues de Linscot Hollandois.</p> <hr /> <h3>La <em>«peste marine»</em></h3> <p>Entre la fin du XVe siècle et le début du XXe siècle, les récits d’équipages décimés par le scorbut sont légion. C’est au cours <a href="https://www.herodote.net/1415_1524-synthese-18.php">des grandes expéditions maritimes des XVe et XVIe siècles</a> que la maladie est associée au monde marin. 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Antonio Pigafetta, l’historiographe de Magellan, décrit les symptômes avec une rare acuité: <em>«Les gencives commencent à enfler, des abcès se forment dans la bouche, les dents se déchaussent puis tombent. Le palais devient si enflé qu’ils ne peuvent plus rien avaler et périssent misérablement…».</em></p> <p>La maladie fera aussi des ravages parmi les équipages français: <a href="https://www.herodote.net/histoire/synthese.php?ID=466&ID_dossier=11">Jacques Cartier</a> perdra 25 de ses 110 hommes lors de son expédition au Canada en 1535. Et le commerce dit <em>«triangulaire»</em> se trouvera tout autant vulnérable: le scorbut affectera les Africains transportés sur les bateaux pour devenir esclaves dans les Amériques.</p> <p>C’est à la fin du XVIe siècle que le capitaine anglais Richard Hawkins forge l’expression <em>«la peste des marins»</em> pour évoquer le caractère irrémédiablement contagieux et épidémique de ce fléau qui semble incurable et poursuit ses ravages en mer durant le XVIIIe siècle.</p> <h3>Le tragique tour du monde du commodore George Anson</h3> <p>Réalisé entre 1740 et 1744, ce voyage au long cours est resté comme l’une des pires tragédies en mer. A cette époque, l’Angleterre dispute à l’Espagne le contrôle des Caraïbes et des Amériques. L’amirauté britannique confie au capitaine Anson la mission de piller la côte pacifique de l’Amérique du Sud qui est alors une importante zone de commerce espagnol.</p> <p>George Anson appareille en septembre 1740 avec 6 vaisseaux dotés d’un équipage de 2 000 marins, qu’il a d’ailleurs eu beaucoup de mal à recruter: plus encore que les Espagnols, c’est le scorbut que redoutent les hommes d’équipage anglais! Certes, la <em>Royal Navy</em> leur avait fourni plusieurs traitements parmi les plus populaires d’alors, mais en réalité tous inefficaces, tels que le vinaigre, l’élixir de vitriol (un mélange d’acide sulfurique et d’alcool) et un médicament laxatif appelé <em>«Ward’s drop and pill»</em>.</p> <p>Au pire moment de l’expédition, après le franchissement du Cap Horn, à l’extrémité de l’Amérique du Sud, alors que de violentes tempêtes se succèdent, la maladie se déclare et terrasse les marins. Le commodore Anson perd alors 3 de ses vaisseaux.</p> <p>Avec la flotte restante, il va réussir à rallier l’île Juan Fernandez dans le Pacifique, riche en fruits et végétaux. L'efficacité des vivres frais sur les marins ne fait aucun doute, sans qu’ils en comprennent les raisons proprement scientifiques. L’équipage peut ainsi se reposer et guérir pendant les 3 mois que dure l’escale.</p> <p>Toutefois leur mission les contraint à traverser le Pacifique pour gagner Canton. Le scorbut ressurgit durant l’été 1742 avec des conséquences tragiques: un seul bateau arrivera à Canton! De l’équipage initial de 2 000 hommes ne subsistent plus que 227 marins. Par un coup de chance incroyable, le 20 juin 1743, Anson capture un riche galion espagnol venant des Philippines après un bref combat au cours duquel il ne perd que quelques hommes.</p> <p>George Anson conservera toujours en mémoire que, parti avec un équipage de 2 000 hommes, il en a ramené à peine 200. En dépit des pertes en vies humaines très élevées, l’Amirauté a considéré cette mission comme un succès, notamment du fait de la capture du vaisseau espagnol. Devenu riche et célèbre, le commodore Anson sera nommé Premier Lord de l’Amirauté en 1751.</p> <h3>La recherche d’un traitement efficace</h3> <p>Pour enrayer le scorbut, différents traitements furent testés mais il fallut attendre l'Écossais <a href="https://www.herodote.net/histoire/synthese.php?ID=2655&ID_dossier=135">James Lind</a> et son <em>Traité du Scorbut</em> en 1754 pour que le rôle des citrons et oranges soit clairement identifié. Il réalise en effet une expérience en administrant plusieurs traitements différents à 6 groupes de marins, ayant par ailleurs une alimentation identique.</p> <p>Pourtant, d'autres hommes, bien avant lui, avaient appris à prévenir et à traiter la maladie. On peut citer le corsaire Richard Hawkins, qui recommande le citron dès 1593; James Lancaster qui en 1601 fit une remarquable observation en constatant que des 4 bateaux qu'il commandait, un seul fut épargné par le scorbut, à savoir son propre vaisseau, sur lequel était distribué du jus de citron; et Woodal qui en 1617 souligne dans son livre sur la santé des marins marchands, la nécessité, pour prévenir le scorbut à bord des vaisseaux, d'absorber du jus de citron chaque matin.</p> <p>En dépit des travaux de Lind et de ses devanciers, le scorbut décimera encore les équipages durant de longues années. La publication du traité ne produit aucun résultat immédiat sur la politique sanitaire de la <em>Navy</em>. Le capitaine <a href="https://www.herodote.net/James_Cook_1728_1779_-synthese-284.php">James Cook</a> ne fera jamais l'éloge du jus de citron, mais bien celui du moût de bière.</p> <p>42 ans s'écouleront avant que deux médecins - Gilbert Blane et Thomas Trotter - obtiennent de l'Amirauté que le jus de citron soit ajouté à la ration des matelots à partir de 1796. Pour certains historiens, cette prise de conscience précoce de la <em>Royal Navy</em> serait une des raisons de sa supériorité sur les mers à cette époque.</p> <p>En France, le livre de Lind a été traduit dès 1761 mais la prévention du scorbut sur les bateaux français ne sera instaurée qu'un siècle plus tard, en 1856, après une dramatique épidémie de scorbut pendant la <a href="https://www.herodote.net/Francais_et_anglais_cote_cote-synthese-154-64.php">guerre de Crimée</a>. 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Il n’a pas disparu pour autant.</p> <p>En France, de nouveaux cas sont détectés dès 2011. 4 ans plus tard, en 2015, un médecin du CHU de Limoges mène une étude sur 63 patients carencés en vitamine C et découvre que 10 sont atteints du scorbut. En 2017, des praticiens du même CHU sonnent l’alerte et concluent que cette maladie <em>«est aujourd’hui sous-diagnostiquée»</em>.</p> <p>A Nice, entre août 2017 et janvier 2018, des médecins d’un service de rhumatologie identifient des cas de scorbut chez deux femmes de 41 et 74 ans ainsi que chez un homme de 61 ans. Un quatrième cas a été détecté à Grenoble chez un patient de 60 ans. En décembre 2019, un garçon de 14 ans qui pleure des larmes sanglantes est reçu en consultation au CHU de Rouen. L'adolescent ne consommant ni fruits ni légumes a un taux de vitamine C effroyablement bas. Le diagnostic de scorbut est donc avéré.</p> <p>Comment expliquer le retour de cette maladie? Le scorbut survient dans les situations de précarité, de pauvreté, ou chez des personnes isolées, <em>«qui mangent des plats tout préparés, une seule fois par jour»</em>, a alors expliqué un interne en médecine. Les personnes marginalisées du fait d'une addiction, l'alcool par exemple, peuvent également être touchées. </p> <hr /> <p><strong>La royale victime du scorbut</strong></p> <p>En juin 2019, le scorbut va faire une nouvelle victime, tout à fait inattendue celle-là. C’est Philippe Charlier qui va l’identifier. Ce médecin légiste, également anatomo-pathologiste, archéo-anthropologue et paléopathologiste, est réputé, entre autres, pour ses autopsies du crâne d’Henri IV ou du cœur embaumé de Richard Cœur de Lion.<br />Après plusieurs années de recherche menées par des médecins et des historiens autour de la mandibule de saint Louis conservée à Notre-Dame de Paris, ses conclusions sont formelles: <em>«L'étude approfondie de cette relique a montré que le monarque était mort du scorbut – l’aspect grignoté de la mandibule est caractéristique de la maladie - peut-être surinfecté, mais pas de la peste comme on le disait jusque-là». </em>C’est une véritable petite révolution pour l’histoire du Moyen-Âge: le roi Louis IX, futur saint Louis, ne serait donc pas mort devant Tunis en 1270, à l’âge de 56 ans, des suites du typhus ou de la peste, mais bien à cause d’un grave déficit en vitamine C!</p> <hr /> <h3>Bibliographie</h3> <p>Pr. 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Comment expliquer le retour d’une telle maladie, si facile à prévenir, dans la France du XXIe siècle?', 'subtitle_edition' => null, 'content' => '<hr /> <p style="text-align: center;">Cet article de <strong>Vanessa Moley</strong> a été originellement publié dans <a href="https://www.herodote.net/Le_retour_du_scorbut_au_XXie_si_cle-synthese-2640.php" target="_blank" rel="noopener">Herodote.net</a> le 17 janvier 2020.</p> <hr /> <blockquote> <p><strong>Comment se manifeste le scorbut?</strong></p> <p>Chez les personnes privées de fruits et de légumes pendant une longue période, le scorbut apparaît et se signale par un cortège de symptômes: anémie, fièvre, hémorragies multiples, notamment au niveau des gencives, douleurs musculo-squelettiques, infections ORL à répétition, troubles gastro-intestinaux et par une cachexie<strong><sup>1</sup></strong> progressive pouvant entraîner la mort.</p> <hr /></blockquote> <h3>Une longue histoire…</h3> <p>Cette affection est connue depuis la plus haute Antiquité même s’il a fallu attendre de nombreux siècles pour l’identifier avec précision.</p> <p>Si quelques textes antiques évoquent ainsi des manifestations d’hémorragies buccales, de plaies gingivales et d’ulcères aux jambes (Hippocrate) ou encore une mystérieuse maladie <em>«à la bouche puante»</em> déclarée dans une armée romaine errant dans le désert d’Arabie (Pline l’ancien, <em>Histoire naturelle</em>), aucun de ces savants n’a cependant relié tous ces symptômes à une maladie spécifique. Et jusqu’à présent la paléopathologie n’a pas confirmé la présence de scorbut dans l’Antiquité.</p> <p>En revanche, l’ostéologie (étude anatomique des os) a permis de certifier la présence du scorbut au Moyen-Âge. Des traces ont ainsi été relevées en Scandinavie, mais aussi à Anvers sur les corps inhumés après le siège de 1584 ou sur des squelettes trouvés en Croatie. Des découvertes logiques puisque cette maladie sévit particulièrement lors des grandes famines et des guerres. Ses symptômes seront d'ailleurs décrits par l’historien et futur cardinal Jacques de Vitry lors du siège de Damiette (1218-1219), ville d'Égypte convoitée par <a href="https://www.herodote.net/histoire/synthese.php?ID=145&ID_dossier=169">saint Louis</a> lors de la septième croisade.</p> <p>Le scorbut fait aussi des ravages au XVIIe siècle pendant le blocus de la Rochelle (1628) exercé par Louis XIII puis au XIXe siècle durant la Grande Famine d’Irlande (1845-1846), ou encore quelques années plus tard, lors de la <a href="https://www.herodote.net/24_janvier_1848-evenement-18480124.php">ruée vers l’or en Californie</a> (1848) qui exige des aventuriers la périlleuse traversée des Rocheuses. 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Dans leurs longues courses sur mer, les anciens Normands emportaient souvent des provisions de lait caillé; la consommation de grandes quantités de celui-ci passait pour créer facilement des œdèmes. Le sens premier du mot était donc <em>«œdème dû à la consommation de grandes quantités de lait caillé»</em>. Le mot <em>«scurbut»</em> se rencontre aussi en 1604 dans la <em>Description du premier voyage faict aux Indes Orientales par les François</em> de François (de Vitré) Martin et en 1610 dans l’<em>Histoire de la navigation</em> de Jean Hugues de Linscot Hollandois.</p> <hr /> <h3>La <em>«peste marine»</em></h3> <p>Entre la fin du XVe siècle et le début du XXe siècle, les récits d’équipages décimés par le scorbut sont légion. C’est au cours <a href="https://www.herodote.net/1415_1524-synthese-18.php">des grandes expéditions maritimes des XVe et XVIe siècles</a> que la maladie est associée au monde marin. Paradoxalement, ce sont les avancées technologiques qui ont amené le scorbut parmi les équipages en permettant aux vaisseaux de naviguer sur de plus grandes distances et d’augmenter la durée entre les escales.</p> <p>Les épopées des grands navigateurs seront endeuillées par ce mal qui emportera parfois la quasi-totalité des équipages. En 1497, <a href="https://www.herodote.net/20_mai_1498-evenement-14980520.php">Vasco de Gama</a> voit apparaître le scorbut parmi son équipage au bout de 12 à 15 semaines de navigation. En 11 mois, ce mal va causer la perte de 120 de ses 160 marins.</p> <p>En 1519, le premier tour du monde, réalisé par <a href="https://www.herodote.net/10_ao_t_1519_6_septembre_1522-evenement-15220906.php">Ferdinand de Magellan</a>, sera tout aussi funèbre. Des 265 marins réunis pour le voyage, 18 seulement parviendront au bout, la plupart ayant péri là encore à cause du scorbut. Antonio Pigafetta, l’historiographe de Magellan, décrit les symptômes avec une rare acuité: <em>«Les gencives commencent à enfler, des abcès se forment dans la bouche, les dents se déchaussent puis tombent. Le palais devient si enflé qu’ils ne peuvent plus rien avaler et périssent misérablement…».</em></p> <p>La maladie fera aussi des ravages parmi les équipages français: <a href="https://www.herodote.net/histoire/synthese.php?ID=466&ID_dossier=11">Jacques Cartier</a> perdra 25 de ses 110 hommes lors de son expédition au Canada en 1535. Et le commerce dit <em>«triangulaire»</em> se trouvera tout autant vulnérable: le scorbut affectera les Africains transportés sur les bateaux pour devenir esclaves dans les Amériques.</p> <p>C’est à la fin du XVIe siècle que le capitaine anglais Richard Hawkins forge l’expression <em>«la peste des marins»</em> pour évoquer le caractère irrémédiablement contagieux et épidémique de ce fléau qui semble incurable et poursuit ses ravages en mer durant le XVIIIe siècle.</p> <h3>Le tragique tour du monde du commodore George Anson</h3> <p>Réalisé entre 1740 et 1744, ce voyage au long cours est resté comme l’une des pires tragédies en mer. A cette époque, l’Angleterre dispute à l’Espagne le contrôle des Caraïbes et des Amériques. L’amirauté britannique confie au capitaine Anson la mission de piller la côte pacifique de l’Amérique du Sud qui est alors une importante zone de commerce espagnol.</p> <p>George Anson appareille en septembre 1740 avec 6 vaisseaux dotés d’un équipage de 2 000 marins, qu’il a d’ailleurs eu beaucoup de mal à recruter: plus encore que les Espagnols, c’est le scorbut que redoutent les hommes d’équipage anglais! Certes, la <em>Royal Navy</em> leur avait fourni plusieurs traitements parmi les plus populaires d’alors, mais en réalité tous inefficaces, tels que le vinaigre, l’élixir de vitriol (un mélange d’acide sulfurique et d’alcool) et un médicament laxatif appelé <em>«Ward’s drop and pill»</em>.</p> <p>Au pire moment de l’expédition, après le franchissement du Cap Horn, à l’extrémité de l’Amérique du Sud, alors que de violentes tempêtes se succèdent, la maladie se déclare et terrasse les marins. Le commodore Anson perd alors 3 de ses vaisseaux.</p> <p>Avec la flotte restante, il va réussir à rallier l’île Juan Fernandez dans le Pacifique, riche en fruits et végétaux. L'efficacité des vivres frais sur les marins ne fait aucun doute, sans qu’ils en comprennent les raisons proprement scientifiques. L’équipage peut ainsi se reposer et guérir pendant les 3 mois que dure l’escale.</p> <p>Toutefois leur mission les contraint à traverser le Pacifique pour gagner Canton. Le scorbut ressurgit durant l’été 1742 avec des conséquences tragiques: un seul bateau arrivera à Canton! De l’équipage initial de 2 000 hommes ne subsistent plus que 227 marins. Par un coup de chance incroyable, le 20 juin 1743, Anson capture un riche galion espagnol venant des Philippines après un bref combat au cours duquel il ne perd que quelques hommes.</p> <p>George Anson conservera toujours en mémoire que, parti avec un équipage de 2 000 hommes, il en a ramené à peine 200. 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On peut citer le corsaire Richard Hawkins, qui recommande le citron dès 1593; James Lancaster qui en 1601 fit une remarquable observation en constatant que des 4 bateaux qu'il commandait, un seul fut épargné par le scorbut, à savoir son propre vaisseau, sur lequel était distribué du jus de citron; et Woodal qui en 1617 souligne dans son livre sur la santé des marins marchands, la nécessité, pour prévenir le scorbut à bord des vaisseaux, d'absorber du jus de citron chaque matin.</p> <p>En dépit des travaux de Lind et de ses devanciers, le scorbut décimera encore les équipages durant de longues années. La publication du traité ne produit aucun résultat immédiat sur la politique sanitaire de la <em>Navy</em>. Le capitaine <a href="https://www.herodote.net/James_Cook_1728_1779_-synthese-284.php">James Cook</a> ne fera jamais l'éloge du jus de citron, mais bien celui du moût de bière.</p> <p>42 ans s'écouleront avant que deux médecins - Gilbert Blane et Thomas Trotter - obtiennent de l'Amirauté que le jus de citron soit ajouté à la ration des matelots à partir de 1796. Pour certains historiens, cette prise de conscience précoce de la <em>Royal Navy</em> serait une des raisons de sa supériorité sur les mers à cette époque.</p> <p>En France, le livre de Lind a été traduit dès 1761 mais la prévention du scorbut sur les bateaux français ne sera instaurée qu'un siècle plus tard, en 1856, après une dramatique épidémie de scorbut pendant la <a href="https://www.herodote.net/Francais_et_anglais_cote_cote-synthese-154-64.php">guerre de Crimée</a>. De nombreux médecins français connaissent le <em>Traité du scorbut</em>, mais qu'en ont-ils retenu?</p> <p>Dans une thèse de 1815, <em>«<a href="https://www.herodote.net/Le_retour_du_scorbut_au_XXie_si_cle-synthese-2640.php" target="_blank" rel="noopener">Dissertation sommaire sur le scorbut</a>»</em>, l'auteur résume l'ouvrage de Lind, à l'exception de la fameuse expérience. Le mot <em>citron</em> n’est jamais mentionné. Ce n’est qu’en 1931 que la structure chimique de la vitamine C est identifiée par Albert Szent-Gyorgyi, ce qui lui valut le prix Nobel de médecine en 1937. La même année, Walter Norman Haworth reçut le prix Nobel de chimie pour avoir réussi à synthétiser cette vitamine.</p> <h3>Le retour du scorbut au XXIe siècle</h3> <p>Si le scorbut sévit encore durant le XXe siècle, causant la perte du cap-hornier français Bidart aux Açores, l’amélioration du niveau de vie et de l’alimentation va le reléguer au rang des maladies oubliées. Il n’a pas disparu pour autant.</p> <p>En France, de nouveaux cas sont détectés dès 2011. 4 ans plus tard, en 2015, un médecin du CHU de Limoges mène une étude sur 63 patients carencés en vitamine C et découvre que 10 sont atteints du scorbut. En 2017, des praticiens du même CHU sonnent l’alerte et concluent que cette maladie <em>«est aujourd’hui sous-diagnostiquée»</em>.</p> <p>A Nice, entre août 2017 et janvier 2018, des médecins d’un service de rhumatologie identifient des cas de scorbut chez deux femmes de 41 et 74 ans ainsi que chez un homme de 61 ans. Un quatrième cas a été détecté à Grenoble chez un patient de 60 ans. En décembre 2019, un garçon de 14 ans qui pleure des larmes sanglantes est reçu en consultation au CHU de Rouen. L'adolescent ne consommant ni fruits ni légumes a un taux de vitamine C effroyablement bas. Le diagnostic de scorbut est donc avéré.</p> <p>Comment expliquer le retour de cette maladie? Le scorbut survient dans les situations de précarité, de pauvreté, ou chez des personnes isolées, <em>«qui mangent des plats tout préparés, une seule fois par jour»</em>, a alors expliqué un interne en médecine. Les personnes marginalisées du fait d'une addiction, l'alcool par exemple, peuvent également être touchées. </p> <hr /> <p><strong>La royale victime du scorbut</strong></p> <p>En juin 2019, le scorbut va faire une nouvelle victime, tout à fait inattendue celle-là. C’est Philippe Charlier qui va l’identifier. Ce médecin légiste, également anatomo-pathologiste, archéo-anthropologue et paléopathologiste, est réputé, entre autres, pour ses autopsies du crâne d’Henri IV ou du cœur embaumé de Richard Cœur de Lion.<br />Après plusieurs années de recherche menées par des médecins et des historiens autour de la mandibule de saint Louis conservée à Notre-Dame de Paris, ses conclusions sont formelles: <em>«L'étude approfondie de cette relique a montré que le monarque était mort du scorbut – l’aspect grignoté de la mandibule est caractéristique de la maladie - peut-être surinfecté, mais pas de la peste comme on le disait jusque-là». </em>C’est une véritable petite révolution pour l’histoire du Moyen-Âge: le roi Louis IX, futur saint Louis, ne serait donc pas mort devant Tunis en 1270, à l’âge de 56 ans, des suites du typhus ou de la peste, mais bien à cause d’un grave déficit en vitamine C!</p> <hr /> <h3>Bibliographie</h3> <p>Pr. 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Je l’ai tout de suite trouvé à mon goût mais je n’étais pas là pour ça. Nous nous étions donnés rendez-vous dans un tea-room du centre-ville, j’avais pris avec moi l’ordinateur portable de Pierre. Pierre qui prétendait être parti en séminaire professionnel à Zurich mais, je l’avais découvert sans peine, se trouvait en fait à Tolochenaz où avait lieu une rencontre avec un guru de la déconstruction masculine: «De viril à viriel».</p> <p>- Vous avez donc des doutes concernant votre mari? Expliquez-moi ce qui vous inquiète...</p> <p>Ce vouvoiement a sonné très agréablement à mes oreilles. Avec son col roulé, son blaser et sa coupe de cheveux tout à la fois stricte et décontractée, Emmanuel me fit me rendre compte qu’autour de moi, les hommes avaient depuis longtemps renoncé à leur élégance, privilégiant des tenues décontractées ne mettant plus du tout leurs atouts masculins en valeur.</p> <p>Oui, je dois l’avouer, à moi aussi les jeunes réactionnaires faisaient de l’effet. 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Pierre est déjà très perverti. Vous l’avez remarqué, dans ses messages il emploie l’écriture inclusive avec aisance. C’est la preuve que le mal a déjà atteint des couches profondes de sa conscience. De plus, il remet systématiquement en question les bienfaits de la civilisation occidentale dans le monde. Il milite pour la restitution des antiquités découvertes chez les peuples non-civilisés, il a participé au souillage de la statue de David de Pury à Neuchâtel, sous prétexte que celui-ci a participé à la traite d’esclaves…</p> <p>- Oui, je sais, c’est horrible. Tout ça alors que je le croyais occupé avec des clients. Les comptes de notre agence de communication sont dans le rouge. Cela fait des mois que Pierre ne prospecte plus de nouveaux clients et qu'il refuse les commandes au prétexte que la publicité est une aliénation capitalisto-patriarcale.</p> <p>- Et ça, Catherine, c’est très grave! S’attaquer à l’économie, c’est s’attaquer à nos valeurs premières. </p> <p>- Que faire? Mon Dieu, que faire?</p> <p>-Noël arrive, et je vois là une bonne occasion pour tenter quelque chose qui pourrait faire revenir votre mari à la raison. Il s’agit d’une thérapie de choc que je n’ai encore jamais utilisée mais que des camarades anti-wokes ont mise au point. Me faites-vous confiance, Catherine?</p> <p>Oui, bien sûr que je lui fais confiance à ce preux chevalier, à ce Lancelot des temps modernes, à ce nouveau croisé de la civilisation chrétienne. Même si, je le sais, ce qui va se passer à Noël chez nous va être excessivement éprouvant, et pas seulement pour Pierre…</p> <p style="text-align: right;"><em>Suite la semaine prochaine</em></p> <hr /> <h4>Pierre Ronpipal est l’auteur de<br /><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1734002707_damned01.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="133" height="184" /><br />«A moi de choisir ceux qui vont mourir»<br /> et de <br /><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1734002742_cover20242.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="130" height="175" /><br />«Le vert était rouge à l’intérieur»<br />aux <a href="https://nouvelleseditionshumus.ch/" target="_blank" rel="noopener">Nouvelles Editions Humus</a> </h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'un-bien-cruel-conte-de-noel-2', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 19, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5295, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Un bien cruel conte de Noël (1)', 'subtitle' => 'Catherine et Pierre forment un couple épanoui. 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La fidélité absolue est un concept éculé et hypocrite qui a pour but principal que les hommes soient certains que les enfants qui sortent des ventres de leur épouse soient bien le produit de leurs spermatozoïdes à eux. Transmettre ses gènes est un réflexe très animal, si Sapiens est vraiment un être supérieur, il devrait se détendre sur cette question. En plus, Pierre et moi n’avons pas fait d’enfants, trop concentrés sur nous-mêmes et nos vies à réussir. Marie, ma sœur, prétend que pour les femmes, l’importance de la fidélité n’a pas pour but la perpétuation de l’espèce mais plutôt la conservation à leur côté du mâle qui assure leur protection. Elle se trompe. Si Pierre et moi sommes toujours ensemble après trente-cinq ans de mariage, c’est justement parce que nous nous laissons la liberté d’aller de temps en temps voir ailleurs. Marie, elle, ne souhaitait plus de rapports sexuels tout en menaçant son mari de le quitter s’il la trompait. 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De retour en Suisse, j’ai soigné ma salpingite et terminé mes études de lettres. Entre deux amants de passage, je traversais de longues périodes d’abstinence sexuelle sans que cela me coûte. A la manif, j’ai trouvé Pierre très beau avec sa moustache et sa barbe de cinq jours. Et je l’ai trouvé irrésistible lorsqu’il a jeté une bouteille vide en direction des forces de l’ordre qui voulaient nous empêcher d’accéder à la salle où se déroulait une assemblée de l’UDC, ce parti d’extrême droite honni par nous. Pierre s’est fait réprimander par les camarades communistes qui assuraient le service d’ordre et il a fini par en venir aux mains avec eux. J’ai spontanément pris sa défense, nous nous sommes faits bousculer et avons quitté la manifestation, lui avec une arcade sourcilière fendue, moi avec un fort désir pour lui. Je l’ai emmené chez moi pour soigner sa blessure et nous avons fait l’amour toute la nuit. Deux semaines plus tard nous emménagions ensemble; nous ne nous sommes plus quittés.</p> <p>L’autre soir, alors que nous avions des invités à la maison, il m’a semblé reconnaître chez Pierre les signes d’une tension extrême. Depuis le temps, je le connais bien. Serge et Mireille, nos invités, l’ont eux aussi sentie, cette tension. Ce sont tout à la fois des amis et des clients. Des amis parce que comme nous ils sont de centre gauche, des clients car ils font appel à notre agence de communication pour promouvoir leur commerce. Après avoir été de grands voyageurs, Serge et Mireille vendent aujourd’hui des produits venus d’Asie, principalement d’Inde mais aussi de Birmanie et du Cambodge. Ils sélectionnent avec soins les artisans, privilégiant les structures coopératives respectueuses de l’environnement et du bien-être des populations locales. Nous gérons leur site internet et leur publicité, et tournons même pour eux des clips promotionnels. Pierre est devenu agressif avec Mireille lorsque celle-ci a déclaré que les néo-féministes exagéraient et que #MeToo décourageait toute tentative de séduction de la part des hommes. «Je n’ai pas peur de le dire, j’aime bien que l’on me tienne la porte et que les hommes me fassent sentir qu’ils me désirent…» Pierre lui a rétorqué que le patriarcat était une forme de fascisme et qu’en tant que progressiste nous devions tout faire pour l’abattre. J’ai essayé de dévier la conversation sur la nourriture bio mais très vite c’est l’écriture inclusive qui a fait s’échauffer les esprits. Serge, qui se pique d’aimer la littérature, a déclaré que le français était en danger, qu’il fallait le sauver des points médians et des réformes de l’orthographe. 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Ils réduisent de manière significative la quantité de plastique qui se retrouve dans les océans.</p> <p>Malgré cela, et parce qu’ils font un travail salissant et vivent dans des endroits sales, ils sont souvent tenus pour responsables du problème de la pollution plastique. Dans les discours politiques des villes et des Etats, leur travail a longtemps été <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0956247816657302">tourné en dérision, considéré comme non qualifié et inefficace</a>. <a href="https://www.undp.org/blog/unsung-heroes-four-things-policymakers-can-do-empower-informal-waste-workers">L’absence de reconnaissance officielle</a> de leur travail rend leurs revenus particulièrement instables et précaires. 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Il a été demandé que leurs contributions historiques à la réduction de la pollution plastique soient explicitement reconnues, et qu’un objectif explicite de transition juste soit intégré au traité sur les plastiques.</p> <h3>Avec l’économie circulaire, tout le monde est gagnant?</h3> <p>La <a href="https://theconversation.com/quatre-idees-recues-sur-la-transition-juste-227569">transition juste</a> est un principe défendu par les groupes de travailleurs et les défenseurs de la justice sociale afin de garantir que les politiques de transition écologique protègent, améliorent et compensent équitablement les moyens de subsistance des travailleurs et des communautés affectés par l’environnement.</p> <p>Les ramasseurs de déchets ont utilisé ce terme pour réclamer que le traité comprenne des dispositions pour améliorer leurs conditions de travail et de sécurité. Mais également pour que le traité intègre davantage les travailleurs informels aux systèmes de gestion des déchets, et pour exiger que les systèmes de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-elargie-du-producteur-67766">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP) soutiennent aussi les travailleurs du secteur des déchets, en particulier les <a href="https://www.wiego.org/gender-waste-project">femmes et d’autres groupes vulnérables</a>.</p> <p>Etonnamment, ces demandes ont obtenu le soutien d’un large éventail de parties prenantes puissantes. Par exemple la <a href="https://www.businessforplasticstreaty.org/vision-statement#Key-elements">Business Coalition for a Plastics Treaty</a>, les <a href="https://news.un.org/en/story/2024/10/1156301">dirigeants des Nations unies</a> et même <a href="https://resolutions.unep.org/resolutions/uploads/american_chemistry_council.pdf">l’industrie pétrochimique</a>.</p> <p>Certaines de ces demandes ont été intégrées aux projets de traité sur les plastiques discutés au cours des négociations, ce qui représente une victoire majeure pour les travailleurs du secteur informel des déchets.</p> <p>Un consensus se dégage sur le fait qu’une économie circulaire inclusive peut être bénéfique à la fois pour l’environnement, l’économie et les travailleurs en améliorant la gestion de la pollution, les moyens de subsistance et les opportunités de croissance économique pour les entreprises.</p> <p>Ces promesses demandent toutefois à être vérifiées sur le terrain. Et c’est là que les choses se compliquent.</p> <h3>« Gagnant-gagnant », mais la victoire de qui ?</h3> <p>Dans mon livre <a href="https://mitpress.mit.edu/9780262546973/recycling-class/"><em>Recycling Class</em></a>, j’examine comment les efforts de recyclage inclusif ont été mis en œuvre à Bengaluru, l’une des plus grandes villes de l’Inde.</p> <figure><a href="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img src="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" alt="" /></a> <figcaption><span></span></figcaption> </figure> <p>Dans cet ouvrage, je défends que l’intégration dans des programmes d’économie circulaire basés sur le marché n’est pas une solution miracle aux injustices ancrées dans les systèmes de production, de consommation et de production des déchets.</p> <p>La plupart des politiques d’économie circulaire et de recyclage inclusif reposent sur des mécanismes de marché, partant du principe que la création de marchés pour les déchets incitera les acteurs du marché à récupérer efficacement les déchets et à les convertir en ressources.</p> <p>Pour remplir leurs obligations en matière de <a href="https://theconversation.com/faire-payer-plus-les-entreprises-pour-quelles-reduisent-les-emballages-130073">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP), les marques peuvent alors s’engager à acheter des plastiques recyclés et à financer la collecte des déchets en achetant des <a href="https://www.worldbank.org/en/programs/problue/publication/unlocking-financing-to-combat-the-plastics-crisis">crédits plastique</a>.</p> <p>Cette approche vise à améliorer le prix des déchets, à augmenter les salaires et à encourager les efforts de collecte, tout en attirant des investissements pour financer l’amélioration des infrastructures et des technologies.</p> <p>Cependant, les mécanismes fondés sur le marché aggravent les inégalités existantes en matière d’accès au marché. Les efforts visant à donner la priorité à la traçabilité et à la transparence – dans le but d’améliorer l’efficacité du marché et le respect de la réglementation – désavantagent souvent les travailleurs informels.</p> <p>Ces derniers ne disposent pas des ressources et des capacités techniques nécessaires pour adopter des systèmes de suivi complexes basés sur les SIG ou la blockchain, et se retrouvent exclus des processus formalisés. Les start-up financées par le capital-risque et les grandes entreprises s’emparent alors du secteur du recyclage.</p> <p>Les multinationales préfèrent d’ailleurs les partenariats avec des start-up technologiques qui offrent des services à «valeur ajoutée» tels que des indicateurs et des tableaux de bord environnementaux, permettant aux entreprises de mettre en scène leur propre récit sur le développement durable. Souvent issus de milieux éduqués et privilégiés, les employés de ces firmes <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S001671852300057X">concurrencent les travailleurs informels existants, les subordonnant au passage</a>.</p> <p>A l’inverse, les femmes et les membres des minorités ethno-raciales et religieuses, qui constituent la majorité des travailleurs des économies informelles des déchets, sont confrontés à des obstacles supplémentaires. Notamment des <a href="https://mouvements.info/recuperateurs-de-dechets/">stigmates sociaux bien ancrés</a> qui limitent leur capacité à participer sur un pied d’égalité à ces marchés émergents. 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Une étude de <a href="https://www.circle-economy.com/resources/decent-work-in-the-circular-economy">Circle Economy</a> souligne que la plupart des emplois du secteur de l’économie circulaire restent ad-hoc et informels et ne bénéficient pas des garanties d’un emploi décent.</p> <p>En fin de compte, les travailleurs informels sont confrontés à un choix difficile: soit ils acceptent d’être exploités au sein des circuits de traitements des déchets en tant que simples ressources, soit ils risquent de perdre complètement leurs moyens de subsistance.</p> <p>Les systèmes actuels de production et de consommation du plastique déplacent donc la charge des déchets sur des communautés autochtones ou ethniques marginalisées, créant ainsi des <a href="https://www.dukeupress.edu/pollution-is-colonialism">zones sacrifiées</a>. 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Cela leur permet de donner un vernis écologique à leurs propositions, tout en maintenant le <em>statu quo</em> sur les inégalités.</p> <p>Pendant ce temps, la HAC, plusieurs ONG et même certains ramasseurs de déchets invoquent également l’économie circulaire comme solution à la crise du plastique, en mettant l’accent sur le réemploi et le recyclage inclusif.</p> <h3>Demander des comptes aux pollueurs plutôt que compter sur l’efficacité du marché</h3> <p>Pour que l’économie circulaire aille au-delà de la simple protection du capitalisme fossile, elle doit prendre en compte les collecteurs de déchets et recycleurs informels dans le Sud et reconnaître les limites des mécanismes basés sur le marché. C’est vrai aussi bien pour le traité international sur la pollution plastique que pour d’autres démarches régionales comme le <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/ATAG/2021/679066/EPRS_ATA(2021)679066_FR.pdf">plan d’action de l’UE pour l’économie circulaire</a>.</p> <p>En effet, toute stratégie de lutte contre la pollution plastique basée sur le marché et axée sur le profit est susceptible de reproduire ces schémas d’inégalité. Et par la même occasion, de pérenniser les injustices systémiques qui soutiennent le statu quo. Pour une transition vraiment juste, la lutte contre la pollution plastique ne doit donc pas devenir une opportunité de croissance économique ou de profit.</p> <p>Au contraire, nous avons besoin d’une approche centrée sur la réparation. Il faut d’abord, pour cela, reconnaître les contributions historiques des collecteurs informels du plastique ainsi que les préjudices qu’ils subissent. Puis redistribuer les ressources aux personnes les plus touchées et créer des systèmes qui donnent la priorité à la restauration de l’environnement et à la justice sociale plutôt qu’au profit des entreprises.</p> <p>Une économie circulaire bien financée devrait d’abord renforcer le pouvoir des travailleurs, puis améliorer les capacités des infrastructures et réduire la concentration de ces déchets en produits chimiques toxiques, plutôt que de s’appuyer sur des solutions basées sur le marché qui aggravent les inégalités.</p> <p>Les vraies solutions consistent à demander des comptes aux pollueurs et à adopter des approches circulaires fondées sur la sobriété et la réparation, et non sur l’efficacité du marché.<img src="https://counter.theconversation.com/content/244065/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p> <hr /> <h4><span><a href="https://theconversation.com/profiles/manisha-anantharaman-1526162">Manisha Anantharaman</a>, Assistant Professor, Center for the Sociology of Organisations, CNRS/Sciences Po, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/sciences-po-2196">Sciences Po </a></em></span></h4> <h4>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. 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Gasche</strong>, article publié sur <a href="https://www.infosperber.ch/medien/medienkritik/die-usa-finanzieren-internationales-journalisten-kollektiv/" target="_blank" rel="noopener"><em>Infosperber</em></a> le 5 décembre 2024, traduit par <em>Bon Pour La Tête</em></p> <hr /> <p>Parmi de nombreux autres médias, la <em>NZZ</em> et le <em>Tages-Anzeiger</em> ont diffusé à plusieurs reprises des révélations du réseau international de journalistes Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP). Ce faisant, ils n'ont pas rendu transparent le fait que les services gouvernementaux américains paient la moitié du budget de l'OCCRP. 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De plus, l'agence gouvernementale américaine interdit d'utiliser son argent pour mettre au jour la corruption aux Etats-Unis.</p> <p>Certaines subventions étaient même affectées à un but précis: le Department of State, par exemple, a versé 173 000 dollars à l'OCCRP pour «détecter et combattre la corruption au Venezuela». Ou l'<a href="https://www.usaid.gov/">Agence pour le développement international (USAID)</a> a versé plus de deux millions de dollars dans le but de «mettre au jour la criminalité et la corruption à Malte et à Chypre».</p> <p>Le journal en ligne français indépendant <a href="https://www.mediapart.fr/en/journal/international/021224/hidden-links-between-giant-investigative-journalism-and-us-government">« Mediapart »</a> en a parlé le 2 décembre 2024 <a href="https://www.mediapart.fr/en/journal/international/021224/hidden-links-between-giant-investigative-journalism-and-us-government">.</a></p> <p>Le fondateur de l'OCCRP est un ancien employé <a href="https://www.rockwellautomation.com/de-ch.html">de Rockwell</a> devenu journaliste: <a href="https://www.occrp.org/en/staff/drew-sullivan">Drew Sullivan</a>. L'OCCRP a été créé à l'instigation de fonctionnaires du gouvernement américain. Selon Mediapart, Sullivan a reçu pour cela, en 2008, un financement de départ de 1,7 million de dollars du <a href="https://www.state.gov/bureaus-offices/under-secretary-for-civilian-security-democracy-and-human-rights/bureau-of-international-narcotics-and-law-enforcement-affairs/">Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs</a>(INL). Il s'agit d'une agence d'application de la loi du Département d'Etat américain.</p> <p>L'OCCRP s'appuie souvent sur des documents divulgués provenant de sources non identifiées. La qualité des recherches et des révélations de l'OCCRP n'est pas mise en doute. L'orientation unilatérale des recherches et le manque de transparence des informations sur le financement donnent lieu à des critiques.</p> <p>L'ampleur des liens personnels et financiers de l'OCCRP avec le gouvernement américain va à l'encontre de «tous les principes de l'éthique journalistique». C'est ce qu'a déclaré Leonard Novy, directeur de l'Institut allemand des médias et de la politique de communication, à la chaîne NDR. Cela laisse supposer que les journalistes peuvent être utilisés ou instrumentalisés à des fins politiques.</p> <p>Sullivan et l'OCCRP ont également laissé les médias partenaires et leurs lecteurs dans l'ignorance de leur proximité avec le gouvernement américain. Selon Leonard Novy, l'organisation a ainsi dépassé les limites.</p> <h3><strong>Sullivan n'a pas voulu parler clairement aujourd'hui encore</strong></h3> <p>Sullivan a d'abord affirmé à la chaîne NDR que l'OCCRP avait «un groupe de donateurs largement répandu», parmi lesquels «aucun donateur individuel ne domine». Il a ajouté que «le gouvernement américain [...] est l'un des plus grands donateurs, mais ce n'est pas un pourcentage énorme». 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Mais même dans d'autres pays où ces dispositions n'existent pas, nous ne le faisons pas parce que cela vous place dans une situation de conflit d'intérêts et que vous préférez rester à l'écart de telles situations.»</p> <p>Ainsi, le paradis fiscal américain du Delaware n'a jamais fait l'objet de toutes les recherches sur l'évasion fiscale et l'argent de la corruption.</p> <p>L'OCCRP a tout de même effectué des recherches isolées aux Etats-Unis: par exemple sur les <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/meet-the-florida-duo-helping-giuliani-investigate-for-trump-in-ukraine">hommes d'affaires</a> qui avaient soutenu l'avocat de Donald Trump pour nuire à Joe Biden, ou sur la manière dont le Pentagone a dépensé des sommes énormes pour <a href="https://www.occrp.org/en/project/making-a-killing/revealed-the-pentagon-is-spending-up-to-22-billion-on-soviet-style-arms-for-syrian-rebels">fournir des armes</a> à des groupes rebelles en Syrie, ou encore sur un <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/flight-of-the-monarch-us-govt-contracted-airline-once-owned-by-criminals-with-ties-to-russian-mob">contrat</a> entre le gouvernement américain et une compagnie aérienne dont les propriétaires sont liés au crime organisé en Russie.</p> <p>Ces recherches ont manifestement respecté une autre condition imposée par les autorités américaines à l'OCCRP: l'activité doit être «en accord avec la politique étrangère et les intérêts économiques des Etats-Unis et les promouvoir.» (<a href="https://www.govinfo.gov/content/pkg/COMPS-1071/pdf/COMPS-1071.pdf">US Foreign Assistance Act</a>).</p> <h3><strong>Voici comment la «NZZ» et Tamedia ont présenté la source OCCRP</strong></h3> <p><strong>«NZZ» du 19 juillet 2023</strong></p> <p>«L'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) est un réseau d'organisations journalistiques fondé en 2006, basé dans de nombreux pays différents et fonctionnant sous cette forme en tant que filiale du Journalism Development Network à but non lucratif, dont le siège est dans le Maryland.»</p> <p><strong>«Tages-Anzeiger» du 21 juin 2023</strong></p> <p>«Grâce à l'organisation OCCRP, des journalistes femmes de plusieurs pays ont pu étudier ces données, dont <em>Der Standard</em> en Autriche et <em>Der Spiegel</em> en Allemagne. Pour la Suisse, le bureau de recherche de Tamedia et Paper Trail Media était de la partie.»</p> <h3><strong>Informations complémentaires</strong></h3> <p><strong>22 décembre 2022</strong> <a href="https://www.infosperber.ch/politik/welt/twitter-diente-jahrelang-als-gehilfe-des-pentagons/">Twitter a servi pendant des années d'auxiliaire au Pentagone</a>. Elon Musk a partiellement révélé les outils internes de Twitter. Ils prouvent des services d'hommes de main pour la propagande de l'armée américaine à l'étranger.</p> <p><strong>12 février 2009</strong> <a href="https://www.tagesanzeiger.ch/27-000-pr-berater-polieren-image-der-usa-631302390683">27 000 conseillers en relations publiques polissent l'image des Etats-Unis</a>. 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