Culture / Christophe: «Je vis dans l’instant depuis que j’ai quinze ans»
Christophe après son concert au théâtre de Beausobre (Morges), novembre 2019. © Indra Crittin / Le Regard Libre
Christophe est une légende de la chanson française. Dans mon panthéon personnel de la variété francophone, il se situe dans la cour des plus grands, quelque part entre William Sheller et Michel Polnareff. Les Mots bleus, Aline, Les Paradis perdus, autant de chefs-d’œuvre qui ont marqué à jamais les 50 dernières années et qui marqueront encore les suivantes. Mais Christophe ne s’est pas satisfait de ses anciens succès. Désireux de se renouveler sans cesse sur le plan musical tout en restant dans le même style vestimentaire, l’éternel dandy assume une démarche expérimentale. En 2015, il a signé un magnifique album, Les Vestiges du chaos, renfermant des pépites telles que Drone, Océan d’amour, Lou ou Dangereuse. Impossible de ne pas solliciter une discussion avec cet artiste total lors de son passage à Morges pour un concert en solo au Théâtre de Beausobre. Il me reçoit dans sa loge après un concert de 2h45 au lieu de 1h30. L’entretien sera également plus long que prévu, et irréel.
Jonas Follonier: Pourquoi le piano-voix? Est-ce plutôt un défi ou un répit?
Christophe: Je ne suis pas spécialement du genre à me lancer des défis. Un concert piano-voix, pour moi, c’est une répétition. Mais c’est aussi un défi au sens où cela faisait depuis 1971 que j’étais dans les synthés, alors même que j’ai toujours aimé le piano. J’ai été attiré très tôt par certains pianistes – je suis assez difficile. En 2013, comme je souhaitais être seul sur scène, j’ai trouvé un moyen: le piano-voix. Comme je ne fais pas de la musique électronique, c’est la seule issue possible. Une manière pour moi de faire quelque chose qui me plaise et qui, en même temps, me fasse grandir.
Vous avez dit sur scène que vous ne touchiez jamais à votre piano chez vous. C'est vrai?
Oui, je m’entraîne devant mon public. Disons qu’il y a eu une phase où j’ai beaucoup joué de piano, pour apprendre la mécanique de cet instrument. Je suis un autodidacte, je ne connais pas la musique. Mais maintenant, je ne touche presque plus à mon piano – c’est pourtant un très bon instrument que je possède dans mon appartement. Ce sont les machines que j’ai chez moi qui m’intéressent pour créer du son. Avec mes synthés et mes machines, je fais de la recherche sonore.
Mais vous interprétez aussi quelques chansons en vous accompagnant d’une guitare électrique, au tiers du concert. La guitare, est-ce également une idée venue naturellement? J’ai beaucoup apprécié par exemple la version que vous avez offerte de Petite fille du soleil, une chanson que j’ai totalement redécouverte.
La guitare, j’en joue de plus en plus mal. Mais je suis ravi que ça vous ait plu alors. C’est effectivement quelque chose qui s’est prêté pour le concert, mais je joue beaucoup de guitare moins chez moi. Cela dit, il m’arrive de créer des choses électro avec mes guitares, quand je trafique du son. En concert, c’est différent, il faut que je bouge simplement mes doigts. Je ne suis pas dans la recherche sonore.
Vous gardez tout de même un son qui vous est propre.
Oui, j’ai une façon de jouer très spéciale et je sais qu’elle est loin d’être bonne. Mais de toute manière, je viens du blues et je crois bien que les joueurs et chanteurs de blues que j’ai adorés, ce sont les mauvais. Ceux qui ont ce qu’on appelle le feeling.
Vous aimez donc le fait de ne pas avoir un jeu de guitare «comme il faut».
Voilà, je suis conscient de mes nombreuses failles et je les aime. C’est bien d’aimer ses failles, c’est déjà pas mal. Sinon on ne fait pas ce genre de métiers.
Le blues se caractérise notamment par la blue note, cette note qui fait toute la différence dans une gamme et qui a ensuite enfanté le jazz. D’où le bleu de vos mots, de vos lunettes et même des lumières?
Le blues est à la base de tout chez moi, donc oui, si vous voulez. C’est ce qui m’a plu en premier, c’est la première de mes influences.
En quoi consiste votre recherche sonore – qui est votre kiff comme on peut le lire à longueur d’entretiens?
J’aime beaucoup mélanger des tas de sons, des tas d’instruments, des tas d’effets. Je suis dans de l’expérimental. Aujourd’hui, on en a entendu des sons! On en entend tous les jours, dans tous les domaines. Il faut créer du neuf. Je passe tellement de nuits chez moi à chercher de nouveaux sons.
Vous vivez donc bel et bien la nuit.
Oui. Quand j’ai des interviews ou des rendez-vous, il est 20h00. Je vais ensuite dîner vers 23h00 et je commence à travailler quand je rentre, jusqu’à huit ou neuf heures du matin. Ma recherche sonore, c’est comme de la peinture. J’en ai d’ailleurs fait aussi. D’où mon disque avec le plasticien suisse Olivier Mosset.
Un très bel instrumental de 10 minutes, où l’on entend sur fond de vos nappes synthétiques les propos d’Olivier Mosset tenus lors d’une exposition en 2017.
Merci. Il faut dire que je l’adore aussi. C’est un disque qui pourtant est parfois passé inaperçu en Suisse, alors qu’Olivier Mosset est de chez vous. Il est venu chez moi le mois dernier. C’est un gars formidable. Normalement, je n’aime pas me bouger de chez moi et faire de longs trajets en avion, mais dans le cas précis je ferai peut-être exception à la règle en allant le voir chez lui en Arizona.
Votre actualité discographique, c’est aussi votre album de duos développé en deux volumes, où vous reprenez vos plus grands titres accompagné d’artistes fort divers tels qu’Eddy Mitchell, Chrysta Bell ou encore Raphael. Vous avez, je trouve, une façon singulière de concevoir le duo: il n’y a pas de division égale du chant entre vos invités et vous.
Totalement. Dans le second volume qui est sorti en novembre, j’ai surtout laissé chanter mes invités, personnellement je n’ai pas beaucoup chanté. A part sur Aline, une chanson où je chante avec Philippe Katerine et qui devient humoristique à mort. En réalité, j’ai horreur des duos.
Vous détestez les duos, et pourtant vous sortez un double album de duos.
Il faut dire que j’ai été viré de chez Universal au début des années 2000 parce que je ne voulais pas faire d’album de duos. Pascal Nègre m’avait donné un rendez-vous dans son bureau après un Olympia pour me proposer de faire un album de duos, ce que j’ai refusé. C’était la deuxième fois seulement que je me suis déplacé dans ma maison de disques. (Rires) Nous nous sommes quittés en très bons amis, en buvant des coups. C’était parfait de se séparer comme ça. J’adore la liberté: j’ai dit «au revoir», je suis rentré chez moi et j’ai fait de la musique. Et plus tard, j’ai resigné avec eux quand ils ont écouté les musiques des Vestiges du chaos. Nous avons signé pour deux albums originaux et un album de duos. Qui sort finalement en deux volumes!
Vous parlez de votre relation avec Universal. Il y a eu également un tournant important au moment où vous êtes passé de Motors à Epic (ndlr: une division de Sony) en 1995. Peut-on parler de deux grandes époques de votre carrière avec le Christophe avant 1995 et le Christophe après 1995?
Je n’en sais rien. En réalité, je ne connais pas bien ma route. Comme je pense toujours au moment présent, je suis en changement perpétuel, en évolution de tous les instants. Seul le futur m’intéresse, ou plutôt le présent. C’est la même chose, de toute manière. Bref, le passé, je m’en tape. Tout ce qui compte, c’est de savoir que j’ai encore des cadeaux qui m’arrivent dans la tête. Des mélodies et des tas d’autres choses, différentes de ce que j’ai pu faire avec mon précédent album.
Vous préparez donc un nouvel opus?
Oui. Je suis sur des nouveaux trucs qui, comment dire, ne sont pas trop dégueu’. Et surtout, qui sont radicalement différents de ce que j’ai pu sortir avec Les Vestiges du chaos. J’aime vraiment, vraiment mon prochain album, et je crois que ça, c’est bien. De toute façon, j’ai toujours aimé mes albums.
Concrètement, où en êtes-vous? Avez-vous déjà des chansons qui sont prêtes?
Je veux sortir un album de dix chansons au maximum, et j’en ai déjà six qui sont en création et qui sont plutôt pas mal!
Est-ce toujours la nuit que vous êtes inspiré?
On ne peut pas dire ça. Je vis sur un voilier deux mois par an, en septembre-octobre. Durant cette période, je vis davantage le jour que la nuit et j’écris aussi dans ces moments-là. En fait, c’est mon esprit qui m’envoie très régulièrement des images, et je les note sur mon téléphone portable. Tout ça est peut-être possible grâce à la passion que j’ai pour le son. J’ai beau la quitter, elle revient toujours sous une autre forme. C’est comme ça que je crée.
Les mélodies et les harmonies vous viennent-elles d’abord, ou les mots apparaissent-ils avant?
Difficile à dire, tant les deux viennent de manière non-ordonnée. Je suis très inspiré en mots. Et, effectivement, le reproche que je pourrais me faire, c’est de passer tellement de temps sur le traitement de la musique que je ne ressors pas tout ce que j’ai écrit, tout ce que j’ai envie de raconter. Ce que je fais, c’est que je commence à écrire une chanson sur ce que j’appelle du yop (ndlr: une sorte de yaourt français, composé d’onomatopées ou de syllabes inventées) dès que j’ai des accords ou une mélodie en tête. Il faut que je chante n’importe quoi dessus, sans support écrit! Et c’est dans un deuxième temps que du texte sera ajouté, souvent à l’aide de paroliers, en leur donnant des thèmes. C’est ma faille: tous les textes que j’ai écrits dans les notes de mon smartphone et que j’envoie ensuite sur mon ordinateur, je n’ai pas envie d’y retourner et de chercher. Je fais le choix de la facilité, en somme, mais ça peut déboucher ensuite sur des choses en or. Cela fait une décennie que je trouve le statut d’auteur-compositeur-interprète totalement has been. J’estime que ce n’est plus comme ça qu’il faut travailler. Je regarde beaucoup du côté du hip-hop ou du rap: ces artistes ont une façon de travailler que je comprends, même si elle est différente de ce que je fais.
Vous aimez beaucoup travailler avec des filles, non?
Oui, j’adore ça. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est comme ça. J’ai collaboré avec Laurie Darmon, typiquement, pour Océan d’amour, entre autres chansons des Vestiges du Chaos. Cela dit, je travaille aussi avec des mecs extraordinaires. Prenez par exemple quelqu’un comme Daniel Bélanger. Il a écrit le titre Drone, du même album. Je n’aurais jamais pu l’écrire aussi bien que lui. C’est ça que j’aime bien aussi dans ma démarche: les trouvailles, les rencontres. Je vis dans l’instant depuis que j’ai quinze ans. C’est peut-être ce qui est difficile dans les personnes qui m’accompagnent dans ma vie.
Et à part vos chansons, vous dites sur scène être sur le projet d’une «audio-biographie». Est-ce que vous vous foutez de nous ou s’agit-il d’un projet sérieux? Si oui, pouvez-vous nous en dire un peu plus?
C’est totalement sérieux. Pour vous dire, j’ai déjà écrit presque trois cents pages d’anecdotes sur ma vie. Tôt ou tard, ça sortira en produit fini, mais je sais que je ne le ferai pas tout seul. Comme vous l’avez compris, mon truc à moi, c’est quand même le son. C’est la palette sonore qui compte le plus pour moi. Je suis en perpétuelle recherche musicale. Puisqu’il s’agit ici de texte, je préfèrerai m’accompagner d’une bonne plume pour finaliser ce projet. Cependant, en jetant un regard sur mes albums, je ne peux pas dire que je sois toujours content du résultat au niveau thématique. Quand on passe le bébé à quelqu’un à un moment donné, ça devient leurs mots, ce ne sont plus les miens. Je reviens souvent dessus, certes, mais le texte n’est plus à moi. Même si tout est parti de moi. En résumé, j’aime m’amuser avec moi-même.
Si bien que vous vous amusez même avec vous-même et avec le public jusqu’à la durée de vos concerts. Celui de ce soir a duré deux heures et quarante-cinq minutes, alors que le site internet du Théâtre de Beausobre annonçait une heure trente. Que s’est-il passé?
J’avais oublié mon téléphone portable ici, dans ma loge. Du coup, je n’avais pas l’heure. Donc j’avais le temps. (Rires)
Cet entretien a paru en premier dans l’édition de décembre du magazine mensuel Le Regard Libre, en commande ici.
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Disons qu’il y a eu une phase où j’ai beaucoup joué de piano, pour apprendre la mécanique de cet instrument. Je suis un autodidacte, je ne connais pas la musique. Mais maintenant, je ne touche presque plus à mon piano – c’est pourtant un très bon instrument que je possède dans mon appartement. Ce sont les machines que j’ai chez moi qui m’intéressent pour créer du son. Avec mes synthés et mes machines, je fais de la recherche sonore.</p> <p><strong>Mais vous interprétez aussi quelques chansons en vous accompagnant d’une guitare électrique, au tiers du concert. La guitare, est-ce également une idée venue naturellement? J’ai beaucoup apprécié par exemple la version que vous avez offerte de Petite fille du soleil, une chanson que j’ai totalement redécouverte.</strong></p> <p>La guitare, j’en joue de plus en plus mal. Mais je suis ravi que ça vous ait plu alors. C’est effectivement quelque chose qui s’est prêté pour le concert, mais je joue beaucoup de guitare moins chez moi. Cela dit, il m’arrive de créer des choses électro avec mes guitares, quand je trafique du son. En concert, c’est différent, il faut que je bouge simplement mes doigts. Je ne suis pas dans la recherche sonore.</p> <p><strong>Vous gardez tout de même un son qui vous est propre.</strong></p> <p>Oui, j’ai une façon de jouer très spéciale et je sais qu’elle est loin d’être bonne. Mais de toute manière, je viens du blues et je crois bien que les joueurs et chanteurs de blues que j’ai adorés, ce sont les mauvais. Ceux qui ont ce qu’on appelle le <i>feeling</i>.</p> <p><strong>Vous aimez donc le fait de ne pas avoir un jeu de guitare «comme il faut».</strong></p> <p>Voilà, je suis conscient de mes nombreuses failles et je les aime. C’est bien d’aimer ses failles, c’est déjà pas mal. Sinon on ne fait pas ce genre de métiers.</p> <p><strong>Le blues se caractérise notamment par la blue note, cette note qui fait toute la différence dans une gamme et qui a ensuite enfanté le jazz. 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D’où mon disque avec le plasticien suisse Olivier Mosset.</p> <p><strong>Un très bel instrumental de 10 minutes, où l’on entend sur fond de vos nappes synthétiques les propos d’Olivier Mosset tenus lors d’une exposition en 2017.</strong></p> <p>Merci. Il faut dire que je l’adore aussi. C’est un disque qui pourtant est parfois passé inaperçu en Suisse, alors qu’Olivier Mosset est de chez vous. Il est venu chez moi le mois dernier. C’est un gars formidable. Normalement, je n’aime pas me bouger de chez moi et faire de longs trajets en avion, mais dans le cas précis je ferai peut-être exception à la règle en allant le voir chez lui en Arizona.</p> <p><strong>Votre actualité discographique, c’est aussi votre album de duos développé en deux volumes, où vous reprenez vos plus grands titres accompagné d’artistes fort divers tels qu’Eddy Mitchell, Chrysta Bell ou encore Raphael. 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C’était parfait de se séparer comme ça. J’adore la liberté: j’ai dit «au revoir», je suis rentré chez moi et j’ai fait de la musique. Et plus tard, j’ai resigné avec eux quand ils ont écouté les musiques des <i>Vestiges du chaos</i>. Nous avons signé pour deux albums originaux et un album de duos. Qui sort finalement en deux volumes!</p> <p><strong>Vous parlez de votre relation avec Universal. Il y a eu également un tournant important au moment où vous êtes passé de Motors à Epic (ndlr: une division de Sony) en 1995. Peut-on parler de deux grandes époques de votre carrière avec le Christophe avant 1995 et le Christophe après 1995?</strong></p> <p>Je n’en sais rien. En réalité, je ne connais pas bien ma route. Comme je pense toujours au moment présent, je suis en changement perpétuel, en évolution de tous les instants. Seul le futur m’intéresse, ou plutôt le présent. C’est la même chose, de toute manière. Bref, le passé, je m’en tape. Tout ce qui compte, c’est de savoir que j’ai encore des cadeaux qui m’arrivent dans la tête. Des mélodies et des tas d’autres choses, différentes de ce que j’ai pu faire avec mon précédent album.</p> <p><strong>Vous préparez donc un nouvel opus?</strong></p> <p>Oui. Je suis sur des nouveaux trucs qui, comment dire, ne sont pas trop dégueu’. Et surtout, qui sont radicalement différents de ce que j’ai pu sortir avec <i>Les Vestiges du chaos</i>. J’aime vraiment, vraiment mon prochain album, et je crois que ça, c’est bien. De toute façon, j’ai toujours aimé mes albums.</p> <p><strong>Concrètement, où en êtes-vous? Avez-vous déjà des chansons qui sont prêtes?</strong></p> <p>Je veux sortir un album de dix chansons au maximum, et j’en ai déjà six qui sont en création et qui sont plutôt pas mal!</p> <p><strong>Est-ce toujours la nuit que vous êtes inspiré?</strong></p> <p>On ne peut pas dire ça. Je vis sur un voilier deux mois par an, en septembre-octobre. Durant cette période, je vis davantage le jour que la nuit et j’écris aussi dans ces moments-là. En fait, c’est mon esprit qui m’envoie très régulièrement des images, et je les note sur mon téléphone portable. Tout ça est peut-être possible grâce à la passion que j’ai pour le son. J’ai beau la quitter, elle revient toujours sous une autre forme. C’est comme ça que je crée.</p> <p><strong>Les mélodies et les harmonies vous viennent-elles d’abord, ou les mots apparaissent-ils avant?</strong></p> <p>Difficile à dire, tant les deux viennent de manière non-ordonnée. Je suis très inspiré en mots. Et, effectivement, le reproche que je pourrais me faire, c’est de passer tellement de temps sur le traitement de la musique que je ne ressors pas tout ce que j’ai écrit, tout ce que j’ai envie de raconter. 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Nous parlons de la censure d’opinions et de crachats au visage d’intellectuels français venus simplement présenter leur livre à un petit public curieux de se confronter à un avis nuancé sur les débats qui secouent actuellement la notion de genre. Les psychanalystes Céline Masson et Caroline Elliachef étaient venues le 29 avril parler de leurs critiques à l’égard de la médicalisation précoce des enfants qui désirent changer de sexe; le philosophe Eric Marty était quant à lui venu le 17 mai parler de la différence entre l’approche anglo-saxonne et l’approche européenne du genre dans l’histoire des idées. 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Le rectorat a négocié avec la faîtière d’étudiants un accord commun – incluant tous les étudiants et collaborateurs de l’université – portant sur la défense de valeurs fondamentales telles que la liberté académique, la liberté d’expression, le refus de la violence, etc. Mais le <a href="https://www.unige.ch/communication/communiques/2022/luniversite-et-ses-etudiant-es-reaffirment-les-valeurs-de-linstitution">communiqué de l’université</a> souffre d’une certaine ambiguïté:</p> <p>«Par cette déclaration commune, le rectorat et les étudiant-es replacent (…) le débat dans son contexte académique et souhaitent rappeler des principes essentiels: le respect dû aux personnes passant par la lutte contre toute forme de discrimination, notamment de genre, d’origine ou de classe; le refus de la violence sous toutes ses formes; le respect de la liberté académique dans la recherche et l’enseignement, <em>encadrée par les valeurs précitées</em><sup><strong>1</strong></sup>. Ces convictions partagées permettent au Rectorat de renoncer au dépôt de plainte pénale initialement envisagé (…)»</p> <p>Faut-il en déduire que les conférences empêchées par les activistes LGBTQI+ n’auraient pas dû être organisées? Autrement dit, l’université donne-t-elle raison aux manifestants – au-delà de la violence dont ils ont fait usage – sur le bien-fondé de leur indignation? On pourrait le croire en lisant également ce passage: «Indépendamment de sa forme, l’action menée par les manifestant-es le 17 mai est révélatrice de la souffrance qui affecte certains groupes vulnérables – dont les personnes trans – et qui implique pour l’institution un devoir particulier de protection.»</p> <h3>Cotisations obligatoires et fonctionnement démocratique</h3> <p>Il ne sera pas question ici d’établir qui a gagné ce «match» (comme si on ne le savait pas, du reste), mais de livrer quelques informations sur cette faîtière d’étudiants et ses équivalents romands. Qui sont ces groupes désormais puissants dans les rapports de force idéologiques qui parcourent l’université et la société de manière générale (pour vous en convaincre, songez au fait qu’à Neuchâtel, les représentants des étudiants avaient réussi à ne faire comptabiliser que les réussites d’examens, et pas les échecs, en période de Covid)? Nous n’avons malheureusement pas réussi à contacter la CUAE, mais les informations à disposition de tous et les contacts pris auprès d’autres faîtières suffisent à répondre aux besoins de cet article.</p> <p>De manière générale, toutes les faîtières d’associations étudiantes nichées dans les universités romandes poursuivent les mêmes objectifs: mettre en réseau la communauté estudiantine, défendre ses intérêts auprès du rectorat et auprès du canton, favoriser l’égalité des chances, financer des événements ou des activités d’associations d’étudiants, etc. Bref, soutenir les étudiants.</p> <p>Pour être membre de la CUAE, il suffit de s’affilier à l’une des associations étudiantes de l’Université de Genève, qui elles-mêmes composent la CUAE. Une contribution de 5 CHF est alors prélevée dans les taxes universitaires que paient de toute manière les étudiants. Mais il est aussi possible de s’engager pour la CUAE à titre individuel. Par comparaison, «l’Association Générale des Etudiant·e·s de l’Université de Fribourg» (AGEF) vit grâce à une cotisation obligatoire de 20 CHF pour tout étudiant, dont une bonne partie repart dans les sections de la faîtière (une section par département ou faculté). C’est à peu près la même chose à Neuchâtel, où tous les étudiants sont <em>de facto</em> membres de la «Fédération des étudiant·e·s neuchâtelois·e·s» (FEN) et paient ainsi une cotisation de 15 CHF, comprise dans la taxe d’étude. Si quelqu’un ne souhaite pas la payer, il doit démissionner par écrit de la faîtière.</p> <p>On part alors du principe que les faîtières en question doivent se sentir responsables de leur caractère représentatif vis-à-vis des étudiants qu’elles fédèrent. Mais pas besoin de trop gratter pour se rendre compte qu’il ne s’agit pas vraiment du genre de la maison. La CUAE se définit sur son site comme «association faîtière et syndicat des étudiant.e.x.s de l’Université de Genève, et leur porte-parole auprès des autorités universitaires et politiques». Déjà, même s’il s’agit d’une volonté des individus qui composent la CUAE, son statut de syndicat pose question, dans la mesure où il reflète une certaine culture politique: n’y a-t-il pas incompatibilité entre cette nature de syndicat (unique en Suisse parmi les universités) et le fait de devoir représenter les étudiants dans leur diversité (y compris politique, diversité qu’on oublie souvent)?</p> <h3>Revendications politiques «si ça concerne les étudiants»</h3> <p>En partant de cette interrogation, on peut tirer un fil logique pour questionner les types de revendications portées par la CUAE et par leurs émules romandes. Si les représentants de toutes les autres faîtières estudiantines nous ont déclaré qu’ils condamnaient les moyens violents utilisés par les manifestants genevois pour faire entendre leur cause, ils sont également unanimes sur la limite que leurs associations se fixent concernant leurs revendications politiques. En effet, toutes les faîtières se donnent la compétence de prendre publiquement position «quand le sujet concerne les étudiants». Voici comment par exemple Guillaume Haas détaille le cas de l’AGEF, qu’il co-préside:</p> <p>«Notre grande différence avec la CUAE (Genève) est que l’AGEF (Fribourg) est représentée à tous les niveaux de l’université de Fribourg. Et quand je dis à tous les niveaux, c’est à tous les niveaux: au Sénat, qui est l’organe suprême de l’université, mais aussi dans la moindre des petites commissions. L’UniFR est l’une des universités les plus démocratiques d’Europe. C’est ce qui explique que l’AGEF ait peu de coups d’éclat, contrairement à nos camarades de la CUAE. Je ne leur en fait pas le reproche: c’est leur seul moyen de se faire entendre. Sur le plan des idées politiques, j’observe qu’il y a des personnes de tous bords à l’AGEF. Il y a des sensibilités différentes qui s’expriment lors de discussions sur les budgets et l’allocation des fonds, par exemple. Mais l’AGEF est apolitique: nous ne fonctionnons pas avec un système de représentants par partis. On ne parle que de politique quand le sujet concerne les étudiants.»</p> <p>Or, cela devient plus difficile à appliquer dans des exemples concrets. C’est que cette ligne de conduite a priori juste et inoffensive est on ne peut plus floue. A partir de combien d’étudiants concernés une affaire est censée «concerner les étudiants»? Outre l’intégration des étudiants transgenres dans la forme des statuts de l’Union des étudiant-e-s de Suisse (UNES), les délégués de cette «faîtière des faîtières» ont par exemple traité d’une initiative populaire en assemblées des délégués, parce que la votation faisait courir un risque au programme ERASMUS, même si les étudiants n’étaient pas cités dans le texte. Rebelote avec la question de l’accord-cadre et HORIZON2020. Un ancien responsable de la FEN, la faîtière neuchâteloise, confie:</p> <p>«Peu de personnes s’engagent dans ces structures. Il y a eu des assemblées générales de la FEN où nous étions dix. 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Et il est vrai que si des étudiants ne se sentent pas représentés, ils ont intérêt à s’y engager.</p> <h3>Effet d'entre-soi</h3> <p>Mais d’un autre point de vue, comment en vouloir à des étudiants, qui n’adhèrent pas à la tendance «woke» ou «intersectionnelle» souvent représentée par ces associations qui raffolent d’écriture inclusive, de ne pas venir s’y impliquer? Un fait psychologique simple: quand la Fédération des Associations d’Etudiant-e-s-x (Lausanne) convoque une assemblée «ouverte à tou-x-te-s», un étudiant qui trouve cette graphie laide, contestable sur le fond, ridicule ou les trois à la fois se dira peut-être que le comité n’est sans doute pas si ouvert que cela à tout le monde, du moins pas aux idées qu’il défendrait s’il venait y parler en toute honnêteté.</p> <p>C’est un fait et non un commentaire, ni même une analyse: une idéologie radicale de gauche identitaire suinte du vocabulaire, du propos et des actions de la CUAE, comme de bien d’autres associations, y compris, mais dans une moindre mesure, les faîtières d’étudiants des autres universités. 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Mais il est parfois utile de jeter un coup d’œil plus affuté sur les représentants que nous avons encore actuellement à Berne. Car la composition d’un législatif dit quelque chose de la sociologie politique d’un pays. Deux prismes sont choisis ici: la diversité d’idées parmi les élus de chaque parti ainsi que leur profil socio-professionnel. Deux entrées a priori indépendantes mais qui touchent néanmoins à un thème commun: le pluralisme, garant, selon beaucoup de théories, d’une certaine représentativité de la société dans sa diversité.</p> <h3>Le pluralisme des idées, un gros mot à gauche?</h3> <p>On parle toujours de «l’avis des partis» sur tel ou tel sujet. Certes, les diverses formations politiques, par les votes de leurs délégués lors des assemblées, adoptent des résolutions, des prises de position, etc. Mais on oublie souvent que les partis sont composés de personnes, dont les plus importantes politiquement, dans une démocratie représentative, sont les élus. 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Les Mots bleus, Aline, Les Paradis perdus, autant de chefs-d’œuvre qui ont marqué à jamais les 50 dernières années et qui marqueront encore les suivantes. Mais Christophe ne s’est pas satisfait de ses anciens succès. Désireux de se renouveler sans cesse sur le plan musical tout en restant dans le même style vestimentaire, l’éternel dandy assume une démarche expérimentale. En 2015, il a signé un magnifique album, Les Vestiges du chaos, renfermant des pépites telles que Drone, Océan d’amour, Lou ou Dangereuse. Impossible de ne pas solliciter une discussion avec cet artiste total lors de son passage à Morges pour un concert en solo au Théâtre de Beausobre. Il me reçoit dans sa loge après un concert de 2h45 au lieu de 1h30. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@gwperrin 17.01.2020 | 20h21
«"Depuis que j'ai quinze ans", en l’occurrence ça colle avec un personnage qui prétend vivre dans le présent, mais je saisi l'occasion pour interroger monsieur Follonier et autres prestigieuses plumes qui m'impressionnent chez BPLT sur l'abus (à mon humble avis) de cette formulation: "depuis que je suis tout petit" alors qu'elles ou ils sont au contraire devenu-es de très grandes plumes ou de grands rédacteurs? Je la lis et l'entends partout depuis des années... Peut-être depuis la première fois qu'elle a paru ou que je l'ai remarquée ? Les lecteurs lettrés peuvent aussi aviser, merci! Georges Perrin»