Actuel / Retour à Ilmenau
Une rue piétonne de nuit à Ilmenau. © Antoine Menusier
Le 9 novembre 1989, la chute du mur de Berlin fut l’événement majeur en Europe depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Prélude à la réunification allemande, elle annonçait l'effondrement des sociétés communistes sur le continent. En 1983, Antoine Menusier avait 18 ans. Avec des amis jurassiens, la crise des missiles battant son plein, il s’était rendu en Allemagne de l’Est, dans une petite ville de Thuringe qui organisait en été un cours d’allemand ouvert aux Occidentaux. 36 ans après, il y est retourné, dans un paysage politique marqué par l'ascension spectaculaire du parti d'extrême droite AfD. Premier volet de son reportage.
C’était un Etat, pas vraiment un pays. Un produit de la guerre froide et du désastre nazi. C’était la RDA, la République démocratique allemande. Ses athlètes portaient la couleur des bleus de chauffe. Immanquablement médaillés d’or, ils plaçaient haut le mérite ouvrier. En 1983, 6 ans avant qu’il ne s’écroule, au point culminant de la crise des missiles en Europe, le mur de Berlin était encore debout et droit, comme indestructible, attirant tel un petit danger des Oui-Oui de la classe moyenne occidentale.
Nous étions ces Oui-Oui, adolescents jurassiens en partance chez l’«ennemi». Au fond de nos gorges, au sommet de nos combes, des remparts en forme de Toblerone devaient stopper la progression des forces du Pacte de Varsovie. Mais en juillet 1983 le pire pouvait attendre. Des vacances, certes studieuses, se profilaient à l’horizon. Le choix de l’Allemagne de l’Est était avant tout d’ordre pécuniaire. Nous avions entendu parler d’un séjour linguistique 3 à 4 fois moins cher que les offres en vigueur en Allemagne fédérale.
Confetti de la géopolitique, la République et canton du Jura était souveraine depuis 4 ans seulement. En partie construite sur le refus de la «germanisation» en certaines vallées d’un Sud demeuré bernois, ni elle ni ses fondateurs n’avaient jamais témoigné d’hostilité envers la langue allemande proprement dite. Sauf qu’à l’école, elle n’était pas notre copine. La méthode «Vorwärts», avec ses diapositives projetées de bon matin, rideaux tirés dans la classe, avait un côté ludique qui ne parvenait pas à nous extraire d’un demi-sommeil. Sur les images, Monsieur fumait sa pipe au salon, Madame préparait à manger dans la cuisine.
Plus tard, un professeur d’allemand, M. Heinrich, un Alsacien, provoqua chez moi et sûrement chez d’autres une sorte de déclic. Il nous fit lire et travailler des textes d’un genre prenant, la «Nachkriegsliteratur», la littérature allemande d’après-guerre. L’un d’eux m’avait particulièrement marqué, Die Rote Katze, de Luise Rinser, une parabole sur le partage dans un pays où les ventres avaient faim. Avec la RDA, l’après-guerre et ses fantasmes nous tendaient les bras.
Parti de Delémont, le train serpenta dans l’étroite vallée de la Birse en direction de Bâle. Le premier village traversé était le mien, Soyhières, situé à la «frontière des langues», ligne de démarcation garante de la paix confédérale. Arrivés dans la cité rhénane, changement effectué, le vrai voyage pouvait commencer. Francfort serait notre prochaine étape. Là, aux alentours de minuit, nous prîmes un autre train encore. Ensuite il n’était plus possible de descendre avant franchissement du rideau de fer – et non pas du mur – à Gerstungen, premier contact et premier arrêt à l’Est.
Gare d'Ilmenau, 36 ans après. © Antoine Menusier
Nous étions chez les «rouges» et ils parlaient allemand. Des voix crachotaient dans les haut-parleurs du quai faiblement éclairé. Des GrePo, fonctionnaires en uniformes de la police des frontières, dont la coupe impeccable évoquait la tenue des soldats de la Wehrmacht, ouvraient la porte du compartiment, nous dévisageaient longuement. Papiers vérifiés – tout avait été formalisé en amont du trajet –, ils apposèrent d’un grand couic métallique le visa d’entrée en «DDR».
Etudiants palestiniens en treillis militaire
De nuit, nous n’avions pas vu grand-chose de la mythique frontière érigée à partir de 1952, de ses rangées de barbelés et naturellement rien de ses mines. Avant midi nous avions atteint Ilmenau, une petite ville industrielle enfouie dans les forêts de Thuringe, très loin au sud-ouest de Berlin. Venant en voisin de Weimar, remontant la rivière Ilm en direction de sa source, le grand Goethe s’amouracha de ce lieu, s’assurant d’une reconnaissance éternelle déclinée en musée, pavillon de chasse et randonnées à thèmes.
Musée Goethe à Ilmenau. © Antoine Menusier
Sur place, nous étions hébergés par la structure invitante, la Technische Hochschule. Cette haute école technique abritait à l’année, en plus d’étudiants est-allemands, des matheux en provenance de «pays frères» et non alignés, africains, asiatiques, moyen-orientaux. De jeunes Palestiniens en pantalons de treillis militaire marchaient le matin au pas de gymnastique sur une allée du campus. Nous avions passé là 3 semaines en été, sous le patronage omniprésent de Karl Marx: la RDA célébrait le centenaire de la mort de son saint-patron.
Le séjour alternait entre cours d’allemand et excursions, à Weimar, Leipzig, Dresde, ainsi qu’au camp de concentration de Buchenwald. Nos guides insistaient sur le fascisme, moins ethnique, moins culpabilisant que le nazisme, comme si, de deux poids bien réels, le passé hitlérien et le présent communiste, l’un était de trop. Voir la RDA à 18 ans, c’était un peu plombant mais ça valait le coup.
Deux mille millards d'euros
36 ans après, derniers jours de septembre, à quelque deux mois du trentième anniversaire de la chute du mur de Berlin (le 9 novembre 1989). La 4G fonctionne à merveille, les barbelés et les mines ont fait place à la nature. L’ICE, le train blanc à grande vitesse allemand fonce en direction d’Erfurt, chef-lieu de Thuringe. Il y a aujourd’hui moins de contraste entre les deux côtés de l’ancienne ligne de démarcation interallemande qu’entre la Suisse prospère et la France en difficulté. Qu’en sera-t-il à Ilmenau?
Depuis Erfurt, la ligne de chemin de fer qui y mène est toujours à voie unique et toujours pas électrifiée. Les paysages sont beaux: champs labourés avant l’hiver, villages tuilées de rouge, douces parties forestières. Un matériel neuf de la Deutsche Bahn a remplacé les vieux wagons à deux niveaux floqués du sigle de la Deutsche Reichsbahn, «DR», la compagnie est-allemande créée en 1949, du même nom que celle fondée en 1920 par la République de Weimar, inchangé sous le Troisième Reich.
Anciens wagons de la RDA. © Antoine Menusier
Terminus du train. Est-ce possible? Je reconnais Ilmenau sans la reconnaître. Là, au pied des monts pentus de Thuringe, tout m’apparaît net et coloré, quand en 1983 tout était terne et poussiéreux. «Ein ganz neues Ostdeutschland», une toute nouvelle Allemagne de l’Est, dirai-je, content de ma petite formule, à Ralf Ehrlich, journaliste à la Thüringer Allgemeine, anciennement Das Volk, l’un des organes du SED, le parti communiste est-allemand dissous en décembre 1989.
Ilmenau, 25 000 habitants, a été rhabillée de neuf: la gare, la mairie, l’église protestante, les maisons et les rues, dont beaucoup sont piétonnes et élégamment dallées. Désormais, une autoroute de pays riche relie la ville à la normalité allemande. Une passerelle Nelson-Mandela la met au diapason de l’antiracisme planétaire. Des concessionnaires BMW et Audi, un Lidl et un MacDo complètent la mise à jour. L’air qui toute l’année sentait la lignite, ce charbon extrait à ciel ouvert, n’a plus cette odeur piquante, sauf ici ou là, bribes olfactives d’un passé comme effacé. Deux mille milliards d’euros ont été investis dans la réunification des deux Allemagnes. Pas un Pfennig, pas un centime n’ont été perdus dans l’aventure après 41 ans de séparation forcée.
Passerelle (ici appelée "pont") Nelson Mandela enjambant les voies ferrées, Ilmenau. © Antoine Menusier
L'AfD en force
Si Ilmenau frôle le plein emploi, et l’on se dit qu’on rêve, le taux de chômage y caracola pendant 15 ans à 17% suite à la Wende, le changement de régime consécutif à la réunification, le 3 octobre 1990. La porcelaine et le verre, industries patrimoniales formant combinats sous la RDA, ont disparu. La belle vaisselle Graf von Henneberg, du nom de son fondateur au XVIIIe siècle, ne s’écoule plus que sur EBay. 5000 emplois sont passés à la trappe. Ils sont progressivement réapparus avec la création de dizaines de PME. Dans l’intervalle, la casse sociale fut massive. Elle a laissé des traces. Des «nouveaux Länder», dénomination plus légère que celle d’ex-RDA, la Thuringe, 2 millions d’âmes, a les plus bas salaires, de 19% inférieurs à la moyenne nationale. Les prix sont en rapport avec les revenus moins fournis qu’ailleurs. Un café place assise vaut 1,60 euro.
En mai à Ilmenau, le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) est entré pour la première fois au conseil municipal, 6 sièges d’un coup, deuxième force derrière la rombière CDU, en constant recul dans la ville depuis la réunification. Dimanche 27 octobre, le scénario s’est comme répété lors des élections régionales en Thuringe. L’AfD a enregistré un gain spectaculaire en doublant ses voix, seulement battue par Die Linke, l’héritier de l’ex-SED, leader de la majorité rouge-verte sortante. La CDU, jusqu’alors premier parti du Land, chute dramatiquement, perdant ce qu’engrange le parti nationaliste. L’attentat commis par un néonazi, visant notamment une synagogue, le 9 octobre à Halle, en Saxe-Anhalt, n’aura donc pas été préjudiciable à ce dernier. En 2017, son chef en Thuringe, Björn Höcke, tête de liste aux régionales, avait qualifié le mémorial de l’Holocauste de Berlin de «mémorial de la honte», déclaration dont le sens avait été mal compris, s’était-il défendu.
Intérieur d'une pension à Ilmenau, table du petit-déjeuner. © Antoine Menusier
«Ostalgie»
Que s’est-il passé dans la tête de ces 17 millions d’Allemands de l’Est auxquels le père Kohl avait offert le droit au bonheur en instaurant la parité des deux marks? Parmi eux, un quart se retranche dans le vote nationaliste, invoquant les «étrangers», les «musulmans». Mais nous verrons que ces mots-là sont aussi des alibis à des motifs plus personnels. L’«Ostalgie», la nostalgie de l’Allemagne de l’Est, n’est pas qu’un terme paresseux pour décrire un méchant bourdon. Les «Ossis», terme dépréciatif désignant les ex-Allemands de l’Est, ont eu une vie avant la chute du mur, des repères déclarés caducs du jour au lendemain. Freud n’était peut-être pas casher chez les marxistes, mais il revient les hanter.
Ralf Gohritz et Frank König siègent au conseil municipal d’Ilmenau sous les couleurs de l’AfD. Tous deux travaillaient dans les industries parties en fumée avec la Wende. Ils ont aujourd’hui la cinquantaine, une femme, des enfants. Autre point commun: ils ont tenté la fuite à l’Ouest dans les années 80. Le premier a échoué, le second a réussi (est revenu après la réunification), à une époque où la frontière interallemande avait été nettoyée de ses mines suite à de gros chèques remis par le «taureau de Bavière» Franz Josef Strauss au dirigeant de la RDA, le glaçant Erich Honecker.
Le conseiller municipal AfD Frank König, montrant des photos de l'endroit où il a fui avec succès la RDA en 1986. © Antoine Menusier
Fan de Trump
«Je suis fan de Trump, déclare Ralf Gohritz, populiste assumé, bouille ronde, crâne chauve. Quand il dit "America first", je pense "Allemagne d’abord". Où est passée l’identité de l’Allemagne?» Je rencontre l’élu de l’AfD à la tombée de la nuit, près de la gare, au Bistro Eger, tableau de Hopper dans le couchant. L’établissement tenu par son épouse a subi une «attaque» en août, des jets de couleurs, un coup d’opposants à l’AfD.
Avant la réunification, la femme et les beaux-parents de Ralf Gohritz géraient le buffet de la gare d’Ilmenau, le Mitropa, nom de la restauration ferroviaire sous la RDA. La Wende les en a chassés. Ils ont repris une affaire semblable dans les parages, empruntant 100 000 deutsche Mark, avant de devoir à nouveau plier bagages, perdant une bonne part de la mise initiale. «Jamais au chômage», ayant enchaîné les formations, il enseigne dans une école professionnelle d’Arnstadt, à côté d’Ilmenau, mais son salaire n’est pas au niveau qu’il estime être le sien.
Ralf Gohritz, élu AfD d'Ilmenau. © Antoine Menusier
«Ils rigolent de l'Allemagne»
Frank König a rejoint l’AfD en février seulement. Il a décidé de se donner «à fond» pour le parti. S’il reconnaît que la RDA, «ce n’était plus possible», il soutient que «c’est pire maintenant». Il revient d’un voyage à Blue Ashe dans l’Ohio, localité américaine jumelée avec Ilmenau, effectué en compagnie d’élus de la mairie. «Là-bas, ils rigolent de l’Allemagne», prétend-il. Le conseiller municipal König, visage comme délavé par un torrent d’épreuves, sur lui le combo sweat à capuche et blouson noir, affirme que son pays a «les mains liées». L’Allemagne n’occuperait plus son rang. Mais lequel?
«Je ne veux pas qu’une de mes trois filles porte un jour le voile», embraie-t-il, changeant de registre. Ce samedi de campagne électorale, avec d’autres membres de l’AfD, il tient un stand dans la rue piétonnière centrale d’Ilmenau.
Un stand du parti marxiste-léniniste d'Allemagne, Ilmenau. © Antoine Menusier
A deux pas, des militants du MLPD, le Parti marxiste-léniniste d’Allemagne, un groupuscule révolutionnaire, alertent à tue-tête contre le retour du «fascisme» et du «nazisme». Sujet embarrassant. «Le nazisme, c’est ce que nous avons connu de pire dans notre histoire, mais ça a duré douze ans, c’est fini!», évacue Frank König. Quelques plaques commémoratives avec les noms des juifs d’Ilmenau déportés ont fait leur apparition dans la ville après la réunification, tantôt à l’initiative de descendants vivant à l’étranger.
Monument aux victimes du national-socialisme, Ilmenau. © Antoine Menusier
Amputation
La question des réfugiés – comprendre : des «musulmans» – est autrement plus sensible parmi la population. Commentaire de Ralf Ehrlich, le correspondant local de la Thüringer Allgemeine: «Angela Merkel a eu raison d’ouvrir la frontière aux réfugiés en 2015, mais elle a fait grimper l’AfD.» L’église protestante veille au grain. En ouverture d’un concert nocturne donné dans le temple luthérien Sankt Jakobus, le chef de chœur, qui s’apprête à diriger des cantates de Bach, illustrissime thuringien, prie l’assistance d’avoir une pensée pour les réfugiés.
Publicité d'une église protestante, arrêt de bus, quartier de l'ancienne usine de porcelaine, hauteur d'Ilmenau. © Antoine Menusier
Travailleur social à temps partiel, Rolf Geishendorf, la cinquantaine entamée, assiste les requérants d’asile. Beaucoup d’Afghans. «Les jeunes filles arrivent voilées comme leur mère mais la plupart finissent par ôter leur fichu», assure-t-il, exposant le cas d’une écolière passée par tous les stades de l’acculturation à la piscine, du burkini au maillot standard. La plupart des migrants veulent rejoindre les grandes villes, se sentant seuls à Ilmenau.
Rolf Geishendorf, travailleur social auprès des demandeurs d'asile. © Antoine Menusier
Un autre jour, je croiserai Rolf Geishendorf, un sac de courses à la main, sur une hauteur d’Ilmenau où les mastodontes industriels de l’ex-RDA ne sont plus, mais où demeurent les barres d’immeubles dédiées aux ouvriers qui y travaillaient. Ce patrimoine évanoui agit tel un membre fantôme après amputation. C’était peut-être laid mais il y avait là du savoir-faire et de la fierté quand même.
Demain, deuxième et dernière partie: «L'Allemagne de l'Ouest a annexé l'Allemagne de l'Est.»
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En partie construite sur le refus de la «germanisation» en certaines vallées d’un Sud demeuré bernois, ni elle ni ses fondateurs n’avaient jamais témoigné d’hostilité envers la langue allemande proprement dite. Sauf qu’à l’école, elle n’était pas notre copine. La méthode «<em>Vorwärts</em>», avec ses diapositives projetées de bon matin, rideaux tirés dans la classe, avait un côté ludique qui ne parvenait pas à nous extraire d’un demi-sommeil. Sur les images, Monsieur fumait sa pipe au salon, Madame préparait à manger dans la cuisine.</p> <p>Plus tard, un professeur d’allemand, M. Heinrich, un Alsacien, provoqua chez moi et sûrement chez d’autres une sorte de déclic. Il nous fit lire et travailler des textes d’un genre prenant, la «<em>Nachkriegsliteratur</em>», la littérature allemande d’après-guerre. L’un d’eux m’avait particulièrement marqué, <i>Die Rote Katze</i>, de Luise Rinser, une parabole sur le partage dans un pays où les ventres avaient faim. Avec la RDA, l’après-guerre et ses fantasmes nous tendaient les bras. </p> <p>Parti de Delémont, le train serpenta dans l’étroite vallée de la Birse en direction de Bâle. Le premier village traversé était le mien, Soyhières, situé à la «frontière des langues», ligne de démarcation garante de la paix confédérale. Arrivés dans la cité rhénane, changement effectué, le vrai voyage pouvait commencer. Francfort serait notre prochaine étape. Là, aux alentours de minuit, nous prîmes un autre train encore. Ensuite il n’était plus possible de descendre avant franchissement du rideau de fer – et non pas du mur – à Gerstungen, premier contact et premier arrêt à l’Est.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1572804816_img4278.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;">Gare d'Ilmenau, 36 ans après. © Antoine Menusier</h4> <p>Nous étions chez les «rouges» et ils parlaient allemand. Des voix crachotaient dans les haut-parleurs du quai faiblement éclairé. Des GrePo, fonctionnaires en uniformes de la police des frontières, dont la coupe impeccable évoquait la tenue des soldats de la Wehrmacht, ouvraient la porte du compartiment, nous dévisageaient longuement. Papiers vérifiés – tout avait été formalisé en amont du trajet –, ils apposèrent d’un grand couic métallique le visa d’entrée en «DDR».</p> <h3>Etudiants palestiniens en treillis militaire</h3> <p>De nuit, nous n’avions pas vu grand-chose de la mythique frontière érigée à partir de 1952, de ses rangées de barbelés et naturellement rien de ses mines. Avant midi nous avions atteint Ilmenau, une petite ville industrielle enfouie dans les forêts de Thuringe, très loin au sud-ouest de Berlin. Venant en voisin de Weimar, remontant la rivière Ilm en direction de sa source, le grand Goethe s’amouracha de ce lieu, s’assurant d’une reconnaissance éternelle déclinée en musée, pavillon de chasse et randonnées à thèmes.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1572804911_img4126.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;">Musée Goethe à Ilmenau. © Antoine Menusier</h4> <p>Sur place, nous étions hébergés par la structure invitante, la Technische Hochschule. Cette haute école technique abritait à l’année, en plus d’étudiants est-allemands, des matheux en provenance de «pays frères» et non alignés, africains, asiatiques, moyen-orientaux. De jeunes Palestiniens en pantalons de treillis militaire marchaient le matin au pas de gymnastique sur une allée du campus. Nous avions passé là 3 semaines en été, sous le patronage omniprésent de Karl Marx: la RDA célébrait le centenaire de la mort de son saint-patron.</p> <p>Le séjour alternait entre cours d’allemand et excursions, à Weimar, Leipzig, Dresde, ainsi qu’au camp de concentration de Buchenwald. Nos guides insistaient sur le fascisme, moins ethnique, moins culpabilisant que le nazisme, comme si, de deux poids bien réels, le passé hitlérien et le présent communiste, l’un était de trop. Voir la RDA à 18 ans, c’était un peu plombant mais ça valait le coup.</p> <h3>Deux mille millards d'euros</h3> <p>36 ans après, derniers jours de septembre, à quelque deux mois du trentième anniversaire de la chute du mur de Berlin (le 9 novembre 1989). La 4G fonctionne à merveille, les barbelés et les mines ont fait place à la nature. L’ICE, le train blanc à grande vitesse allemand fonce en direction d’Erfurt, chef-lieu de Thuringe. Il y a aujourd’hui moins de contraste entre les deux côtés de l’ancienne ligne de démarcation interallemande qu’entre la Suisse prospère et la France en difficulté. Qu’en sera-t-il à Ilmenau?</p> <p>Depuis Erfurt, la ligne de chemin de fer qui y mène est toujours à voie unique et toujours pas électrifiée. Les paysages sont beaux: champs labourés avant l’hiver, villages tuilées de rouge, douces parties forestières. Un matériel neuf de la Deutsche Bahn a remplacé les vieux wagons à deux niveaux floqués du sigle de la Deutsche Reichsbahn, «DR», la compagnie est-allemande créée en 1949, du même nom que celle fondée en 1920 par la République de Weimar, inchangé sous le Troisième Reich. </p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1572805336_img4296.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;">Anciens wagons de la RDA. © Antoine Menusier</h4> <p>Terminus du train. Est-ce possible? Je reconnais Ilmenau sans la reconnaître. Là, au pied des monts pentus de Thuringe, tout m’apparaît net et coloré, quand en 1983 tout était terne et poussiéreux. «<em>Ein ganz neues Ostdeutschland</em>», une toute nouvelle Allemagne de l’Est, dirai-je, content de ma petite formule, à Ralf Ehrlich, journaliste à la <i>Thüringer Allgemeine</i>, anciennement <i>Das Volk</i>, l’un des organes du SED, le parti communiste est-allemand dissous en décembre 1989.</p> <p>Ilmenau, 25 000 habitants, a été rhabillée de neuf: la gare, la mairie, l’église protestante, les maisons et les rues, dont beaucoup sont piétonnes et élégamment dallées. Désormais, une autoroute de pays riche relie la ville à la normalité allemande. Une passerelle Nelson-Mandela la met au diapason de l’antiracisme planétaire. Des concessionnaires BMW et Audi, un Lidl et un MacDo complètent la mise à jour. L’air qui toute l’année sentait la lignite, ce charbon extrait à ciel ouvert, n’a plus cette odeur piquante, sauf ici ou là, bribes olfactives d’un passé comme effacé. Deux mille milliards d’euros ont été investis dans la réunification des deux Allemagnes. Pas un Pfennig, pas un centime n’ont été perdus dans l’aventure après 41 ans de séparation forcée.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1572805439_img4281.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;">Passerelle (ici appelée "pont") Nelson Mandela enjambant les voies ferrées, Ilmenau. © Antoine Menusier</h4> <h3>L'AfD en force</h3> <p>Si Ilmenau frôle le plein emploi, et l’on se dit qu’on rêve, le taux de chômage y caracola pendant 15 ans à 17% suite à la <i>Wende</i>, le changement de régime consécutif à la réunification, le 3 octobre 1990. La porcelaine et le verre, industries patrimoniales formant combinats sous la RDA, ont disparu. La belle vaisselle Graf von Henneberg, du nom de son fondateur au XVIIIe siècle, ne s’écoule plus que sur EBay. 5000 emplois sont passés à la trappe. Ils sont progressivement réapparus avec la création de dizaines de PME. Dans l’intervalle, la casse sociale fut massive. Elle a laissé des traces. Des «nouveaux Länder», dénomination plus légère que celle d’ex-RDA, la Thuringe, 2 millions d’âmes, a les plus bas salaires, de 19% inférieurs à la moyenne nationale. Les prix sont en rapport avec les revenus moins fournis qu’ailleurs. Un café place assise vaut 1,60 euro.</p> <p>En mai à Ilmenau, le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) est entré pour la première fois au conseil municipal, 6 sièges d’un coup, deuxième force derrière la rombière CDU, en constant recul dans la ville depuis la réunification. Dimanche 27 octobre, le scénario s’est comme répété lors des élections régionales en Thuringe. L’AfD a enregistré un gain spectaculaire en doublant ses voix, seulement battue par Die Linke, l’héritier de l’ex-SED, leader de la majorité rouge-verte sortante. La CDU, jusqu’alors premier parti du Land, chute dramatiquement, perdant ce qu’engrange le parti nationaliste. L’attentat commis par un néonazi, visant notamment une synagogue, le 9 octobre à Halle, en Saxe-Anhalt, n’aura donc pas été préjudiciable à ce dernier. En 2017, son chef en Thuringe, Björn Höcke, tête de liste aux régionales, avait qualifié le mémorial de l’Holocauste de Berlin de «mémorial de la honte», déclaration dont le sens avait été mal compris, s’était-il défendu.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1572804985_img4004.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;">Intérieur d'une pension à Ilmenau, table du petit-déjeuner. © Antoine Menusier</h4> <h3>«Ostalgie»</h3> <p>Que s’est-il passé dans la tête de ces 17 millions d’Allemands de l’Est auxquels le père Kohl avait offert le droit au bonheur en instaurant la parité des deux marks? Parmi eux, un quart se retranche dans le vote nationaliste, invoquant les «étrangers», les «musulmans». Mais nous verrons que ces mots-là sont aussi des alibis à des motifs plus personnels. L’«<em>Ostalgie</em>», la nostalgie de l’Allemagne de l’Est, n’est pas qu’un terme paresseux pour décrire un méchant bourdon. Les «<em>Ossis</em>», terme dépréciatif désignant les ex-Allemands de l’Est, ont eu une vie avant la chute du mur, des repères déclarés caducs du jour au lendemain. Freud n’était peut-être pas casher chez les marxistes, mais il revient les hanter.</p> <p>Ralf Gohritz et Frank König siègent au conseil municipal d’Ilmenau sous les couleurs de l’AfD. Tous deux travaillaient dans les industries parties en fumée avec la <i>Wende</i>. Ils ont aujourd’hui la cinquantaine, une femme, des enfants. Autre point commun: ils ont tenté la fuite à l’Ouest dans les années 80. Le premier a échoué, le second a réussi (est revenu après la réunification), à une époque où la frontière interallemande avait été nettoyée de ses mines suite à de gros chèques remis par le «taureau de Bavière» Franz Josef Strauss au dirigeant de la RDA, le glaçant Erich Honecker.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1572805144_img4361.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;">Le conseiller municipal AfD Frank König, montrant des photos de l'endroit où il a fui avec succès la RDA en 1986. © Antoine Menusier</h4> <h3>Fan de Trump</h3> <p>«Je suis fan de Trump, déclare Ralf Gohritz, populiste assumé, bouille ronde, crâne chauve. Quand il dit "America first", je pense "Allemagne d’abord". Où est passée l’identité de l’Allemagne?» Je rencontre l’élu de l’AfD à la tombée de la nuit, près de la gare, au Bistro Eger, tableau de Hopper dans le couchant. 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En 1983, 6 ans avant qu’il ne s’écroule, au point culminant de la crise des missiles en Europe, le mur de Berlin était encore debout et droit, comme indestructible, attirant tel un petit danger des Oui-Oui de la classe moyenne occidentale.</p> <p>Nous étions ces Oui-Oui, adolescents jurassiens en partance chez l’«ennemi». Au fond de nos gorges, au sommet de nos combes, des remparts en forme de Toblerone devaient stopper la progression des forces du Pacte de Varsovie. Mais en juillet 1983 le pire pouvait attendre. Des vacances, certes studieuses, se profilaient à l’horizon. Le choix de l’Allemagne de l’Est était avant tout d’ordre pécuniaire. Nous avions entendu parler d’un séjour linguistique 3 à 4 fois moins cher que les offres en vigueur en Allemagne fédérale.</p> <p>Confetti de la géopolitique, la République et canton du Jura était souveraine depuis 4 ans seulement. En partie construite sur le refus de la «germanisation» en certaines vallées d’un Sud demeuré bernois, ni elle ni ses fondateurs n’avaient jamais témoigné d’hostilité envers la langue allemande proprement dite. Sauf qu’à l’école, elle n’était pas notre copine. La méthode «<em>Vorwärts</em>», avec ses diapositives projetées de bon matin, rideaux tirés dans la classe, avait un côté ludique qui ne parvenait pas à nous extraire d’un demi-sommeil. Sur les images, Monsieur fumait sa pipe au salon, Madame préparait à manger dans la cuisine.</p> <p>Plus tard, un professeur d’allemand, M. Heinrich, un Alsacien, provoqua chez moi et sûrement chez d’autres une sorte de déclic. Il nous fit lire et travailler des textes d’un genre prenant, la «<em>Nachkriegsliteratur</em>», la littérature allemande d’après-guerre. L’un d’eux m’avait particulièrement marqué, <i>Die Rote Katze</i>, de Luise Rinser, une parabole sur le partage dans un pays où les ventres avaient faim. Avec la RDA, l’après-guerre et ses fantasmes nous tendaient les bras. </p> <p>Parti de Delémont, le train serpenta dans l’étroite vallée de la Birse en direction de Bâle. Le premier village traversé était le mien, Soyhières, situé à la «frontière des langues», ligne de démarcation garante de la paix confédérale. Arrivés dans la cité rhénane, changement effectué, le vrai voyage pouvait commencer. Francfort serait notre prochaine étape. Là, aux alentours de minuit, nous prîmes un autre train encore. Ensuite il n’était plus possible de descendre avant franchissement du rideau de fer – et non pas du mur – à Gerstungen, premier contact et premier arrêt à l’Est.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1572804816_img4278.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;">Gare d'Ilmenau, 36 ans après. © Antoine Menusier</h4> <p>Nous étions chez les «rouges» et ils parlaient allemand. Des voix crachotaient dans les haut-parleurs du quai faiblement éclairé. Des GrePo, fonctionnaires en uniformes de la police des frontières, dont la coupe impeccable évoquait la tenue des soldats de la Wehrmacht, ouvraient la porte du compartiment, nous dévisageaient longuement. Papiers vérifiés – tout avait été formalisé en amont du trajet –, ils apposèrent d’un grand couic métallique le visa d’entrée en «DDR».</p> <h3>Etudiants palestiniens en treillis militaire</h3> <p>De nuit, nous n’avions pas vu grand-chose de la mythique frontière érigée à partir de 1952, de ses rangées de barbelés et naturellement rien de ses mines. Avant midi nous avions atteint Ilmenau, une petite ville industrielle enfouie dans les forêts de Thuringe, très loin au sud-ouest de Berlin. Venant en voisin de Weimar, remontant la rivière Ilm en direction de sa source, le grand Goethe s’amouracha de ce lieu, s’assurant d’une reconnaissance éternelle déclinée en musée, pavillon de chasse et randonnées à thèmes.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1572804911_img4126.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;">Musée Goethe à Ilmenau. © Antoine Menusier</h4> <p>Sur place, nous étions hébergés par la structure invitante, la Technische Hochschule. Cette haute école technique abritait à l’année, en plus d’étudiants est-allemands, des matheux en provenance de «pays frères» et non alignés, africains, asiatiques, moyen-orientaux. De jeunes Palestiniens en pantalons de treillis militaire marchaient le matin au pas de gymnastique sur une allée du campus. Nous avions passé là 3 semaines en été, sous le patronage omniprésent de Karl Marx: la RDA célébrait le centenaire de la mort de son saint-patron.</p> <p>Le séjour alternait entre cours d’allemand et excursions, à Weimar, Leipzig, Dresde, ainsi qu’au camp de concentration de Buchenwald. Nos guides insistaient sur le fascisme, moins ethnique, moins culpabilisant que le nazisme, comme si, de deux poids bien réels, le passé hitlérien et le présent communiste, l’un était de trop. Voir la RDA à 18 ans, c’était un peu plombant mais ça valait le coup.</p> <h3>Deux mille millards d'euros</h3> <p>36 ans après, derniers jours de septembre, à quelque deux mois du trentième anniversaire de la chute du mur de Berlin (le 9 novembre 1989). La 4G fonctionne à merveille, les barbelés et les mines ont fait place à la nature. L’ICE, le train blanc à grande vitesse allemand fonce en direction d’Erfurt, chef-lieu de Thuringe. Il y a aujourd’hui moins de contraste entre les deux côtés de l’ancienne ligne de démarcation interallemande qu’entre la Suisse prospère et la France en difficulté. Qu’en sera-t-il à Ilmenau?</p> <p>Depuis Erfurt, la ligne de chemin de fer qui y mène est toujours à voie unique et toujours pas électrifiée. Les paysages sont beaux: champs labourés avant l’hiver, villages tuilées de rouge, douces parties forestières. Un matériel neuf de la Deutsche Bahn a remplacé les vieux wagons à deux niveaux floqués du sigle de la Deutsche Reichsbahn, «DR», la compagnie est-allemande créée en 1949, du même nom que celle fondée en 1920 par la République de Weimar, inchangé sous le Troisième Reich. </p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1572805336_img4296.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;">Anciens wagons de la RDA. © Antoine Menusier</h4> <p>Terminus du train. Est-ce possible? Je reconnais Ilmenau sans la reconnaître. Là, au pied des monts pentus de Thuringe, tout m’apparaît net et coloré, quand en 1983 tout était terne et poussiéreux. «<em>Ein ganz neues Ostdeutschland</em>», une toute nouvelle Allemagne de l’Est, dirai-je, content de ma petite formule, à Ralf Ehrlich, journaliste à la <i>Thüringer Allgemeine</i>, anciennement <i>Das Volk</i>, l’un des organes du SED, le parti communiste est-allemand dissous en décembre 1989.</p> <p>Ilmenau, 25 000 habitants, a été rhabillée de neuf: la gare, la mairie, l’église protestante, les maisons et les rues, dont beaucoup sont piétonnes et élégamment dallées. Désormais, une autoroute de pays riche relie la ville à la normalité allemande. Une passerelle Nelson-Mandela la met au diapason de l’antiracisme planétaire. Des concessionnaires BMW et Audi, un Lidl et un MacDo complètent la mise à jour. L’air qui toute l’année sentait la lignite, ce charbon extrait à ciel ouvert, n’a plus cette odeur piquante, sauf ici ou là, bribes olfactives d’un passé comme effacé. Deux mille milliards d’euros ont été investis dans la réunification des deux Allemagnes. Pas un Pfennig, pas un centime n’ont été perdus dans l’aventure après 41 ans de séparation forcée.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1572805439_img4281.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;">Passerelle (ici appelée "pont") Nelson Mandela enjambant les voies ferrées, Ilmenau. © Antoine Menusier</h4> <h3>L'AfD en force</h3> <p>Si Ilmenau frôle le plein emploi, et l’on se dit qu’on rêve, le taux de chômage y caracola pendant 15 ans à 17% suite à la <i>Wende</i>, le changement de régime consécutif à la réunification, le 3 octobre 1990. La porcelaine et le verre, industries patrimoniales formant combinats sous la RDA, ont disparu. La belle vaisselle Graf von Henneberg, du nom de son fondateur au XVIIIe siècle, ne s’écoule plus que sur EBay. 5000 emplois sont passés à la trappe. Ils sont progressivement réapparus avec la création de dizaines de PME. Dans l’intervalle, la casse sociale fut massive. Elle a laissé des traces. Des «nouveaux Länder», dénomination plus légère que celle d’ex-RDA, la Thuringe, 2 millions d’âmes, a les plus bas salaires, de 19% inférieurs à la moyenne nationale. Les prix sont en rapport avec les revenus moins fournis qu’ailleurs. Un café place assise vaut 1,60 euro.</p> <p>En mai à Ilmenau, le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) est entré pour la première fois au conseil municipal, 6 sièges d’un coup, deuxième force derrière la rombière CDU, en constant recul dans la ville depuis la réunification. Dimanche 27 octobre, le scénario s’est comme répété lors des élections régionales en Thuringe. 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En 2017, son chef en Thuringe, Björn Höcke, tête de liste aux régionales, avait qualifié le mémorial de l’Holocauste de Berlin de «mémorial de la honte», déclaration dont le sens avait été mal compris, s’était-il défendu.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1572804985_img4004.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;">Intérieur d'une pension à Ilmenau, table du petit-déjeuner. © Antoine Menusier</h4> <h3>«Ostalgie»</h3> <p>Que s’est-il passé dans la tête de ces 17 millions d’Allemands de l’Est auxquels le père Kohl avait offert le droit au bonheur en instaurant la parité des deux marks? Parmi eux, un quart se retranche dans le vote nationaliste, invoquant les «étrangers», les «musulmans». Mais nous verrons que ces mots-là sont aussi des alibis à des motifs plus personnels. L’«<em>Ostalgie</em>», la nostalgie de l’Allemagne de l’Est, n’est pas qu’un terme paresseux pour décrire un méchant bourdon. Les «<em>Ossis</em>», terme dépréciatif désignant les ex-Allemands de l’Est, ont eu une vie avant la chute du mur, des repères déclarés caducs du jour au lendemain. Freud n’était peut-être pas casher chez les marxistes, mais il revient les hanter.</p> <p>Ralf Gohritz et Frank König siègent au conseil municipal d’Ilmenau sous les couleurs de l’AfD. Tous deux travaillaient dans les industries parties en fumée avec la <i>Wende</i>. Ils ont aujourd’hui la cinquantaine, une femme, des enfants. Autre point commun: ils ont tenté la fuite à l’Ouest dans les années 80. Le premier a échoué, le second a réussi (est revenu après la réunification), à une époque où la frontière interallemande avait été nettoyée de ses mines suite à de gros chèques remis par le «taureau de Bavière» Franz Josef Strauss au dirigeant de la RDA, le glaçant Erich Honecker.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1572805144_img4361.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;">Le conseiller municipal AfD Frank König, montrant des photos de l'endroit où il a fui avec succès la RDA en 1986. © Antoine Menusier</h4> <h3>Fan de Trump</h3> <p>«Je suis fan de Trump, déclare Ralf Gohritz, populiste assumé, bouille ronde, crâne chauve. Quand il dit "America first", je pense "Allemagne d’abord". Où est passée l’identité de l’Allemagne?» Je rencontre l’élu de l’AfD à la tombée de la nuit, près de la gare, au Bistro Eger, tableau de Hopper dans le couchant. L’établissement tenu par son épouse a subi une «attaque» en août, des jets de couleurs, un coup d’opposants à l’AfD.</p> <p>Avant la réunification, la femme et les beaux-parents de Ralf Gohritz géraient le buffet de la gare d’Ilmenau, le Mitropa, nom de la restauration ferroviaire sous la RDA. La <i>Wende</i> les en a chassés. Ils ont repris une affaire semblable dans les parages, empruntant 100 000 deutsche Mark, avant de devoir à nouveau plier bagages, perdant une bonne part de la mise initiale. «Jamais au chômage», ayant enchaîné les formations, il enseigne dans une école professionnelle d’Arnstadt, à côté d’Ilmenau, mais son salaire n’est pas au niveau qu’il estime être le sien.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1572804309_img3997.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;">Ralf Gohritz, élu AfD d'Ilmenau. © Antoine Menusier</h4> <h3>«Ils rigolent de l'Allemagne»</h3> <p>Frank König a rejoint l’AfD en février seulement. Il a décidé de se donner «à fond» pour le parti. S’il reconnaît que la RDA, «ce n’était plus possible», il soutient que «c’est pire maintenant». Il revient d’un voyage à Blue Ashe dans l’Ohio, localité américaine jumelée avec Ilmenau, effectué en compagnie d’élus de la mairie. «Là-bas, ils rigolent de l’Allemagne», prétend-il. Le conseiller municipal König, visage comme délavé par un torrent d’épreuves, sur lui le combo sweat à capuche et blouson noir, affirme que son pays a «les mains liées». L’Allemagne n’occuperait plus son rang. Mais lequel? </p> <p>«Je ne veux pas qu’une de mes trois filles porte un jour le voile», embraie-t-il, changeant de registre. Ce samedi de campagne électorale, avec d’autres membres de l’AfD, il tient un stand dans la rue piétonnière centrale d’Ilmenau.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1572806248_ilmenaustand.png" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;">Un stand du parti marxiste-léniniste d'Allemagne, Ilmenau. © Antoine Menusier</h4> <p>A deux pas, des militants du MLPD, le Parti marxiste-léniniste d’Allemagne, un groupuscule révolutionnaire, alertent à tue-tête contre le retour du «fascisme» et du «nazisme». Sujet embarrassant. «Le nazisme, c’est ce que nous avons connu de pire dans notre histoire, mais ça a duré douze ans, c’est fini!», évacue Frank König. Quelques plaques commémoratives avec les noms des juifs d’Ilmenau déportés ont fait leur apparition dans la ville après la réunification, tantôt à l’initiative de descendants vivant à l’étranger.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1572806363_monumentddr.png" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;">Monument aux victimes du national-socialisme, Ilmenau. © Antoine Menusier</h4> <h3>Amputation</h3> <p>La question des réfugiés – comprendre : des «musulmans» – est autrement plus sensible parmi la population. Commentaire de Ralf Ehrlich, le correspondant local de la <i>Thüringer Allgemeine</i>: «Angela Merkel a eu raison d’ouvrir la frontière aux réfugiés en 2015, mais elle a fait grimper l’AfD.» L’église protestante veille au grain. 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Jeudi, comme souvent dans ce rendez-vous formaté pour le buzz, il s’est passé <a href="https://twitter.com/LeDevBreton/status/1590817814059044864?s=20&t=4TWr6vsi3CFKbFwoMHZdVw" target="_blank" rel="noopener">quelque chose de fort</a> sur le plateau de «Touche pas à mon poste!», l’émission animée par Cyril Hanouna sur la chaîne C8 du groupe Bolloré – le nom à l’origine du clash de jeudi soir. Pour La France insoumise (LFI), ce parti de la gauche radicale siégeant à l’Assemblée nationale, un dilemme à présent se pose: faut-il encore aller à TPMP, là où bat le cœur de la France antisystème, où les électorats lepénistes et mélenchonistes s’invectivent, mais surtout, se parlent comme nulle part ailleurs?</p> <p>Que s’est-il passé de si grave ou plutôt de si révélateur? Alors que le débat portait sur l’accueil par la France de 234 migrants se trouvant à bord du bateau Ocean Viking, le jeune député LFI Louis Boyard, qui fut autrefois chroniqueur rétribué à TPMP, a mis les pieds dans son ancienne gamelle en parlant d’un procès menaçant «Bolloré» pour déforestation au Cameroun. Vincent Bolloré est ce milliardaire français propriétaire du groupe Canal, un catholique breton qu’on dit hanté par la crainte du «grand remplacement», ce concept d’extrême droite repris par son poulain Eric Zemmour lors de la dernière campagne présidentielle.</p> <p>Fidèle à son style «wesh-embrouille», où les différends se règlent en <em>battles</em> de tchatche, Cyril Hanouna a aussitôt mis un coup de pression au député Boyard, façon «qu’est-ce t’as dit?»: «Tu sais que t’es dans le groupe Bolloré, ici?», lui a-t-il lâché quand apparaissaient au même moment les résultats d’un sondage-téléspectateurs indiquant une proportion de 80% se prononçant contre l’accueil des 234 migrants et de 20% se disant pour.</p> <p>En sweat-capuche, Hanouna, tout à son personnage de caïd de la street chic rappelant au p’tit merdeux le respect dû au patron, le vrai, insiste alors: «Tu sais que t’es dans le groupe Bolloré?... Qu’est-ce que tu viens foutre ici, alors?... Bolloré t’a donné de l’argent, t’étais chroniqueur ici…»</p> <p>Boyard, qui avait visiblement préparé son coup, la joue grands principes: «Attends, Cyril, est-ce que tu es en train de me dire que je n’ai pas le droit de dire que Bolloré, il a un procès avec cent cinquante Camerounais parce qu’il a déforesté?» La suite: le député-LFI-ex-chroniqueur-TPMP, ne s’énervant pas, devant pressentir qu’il sortira gagnant de la <em>battle</em>, se prévaut de sa qualité de député. Hanouna piétine l’argument, estimant que Boyard, comme d’autres de son parti, doit son élection à TPMP. Après avoir donné du «mon chéri» à Boyard, il le traite d’«abruti» et de «merde», chacun accusant l’autre d’avoir fait monter l’extrême droite – le grand tabou de la politique française.</p> <p>Quelle suite LFI, plus largement la Nupes, la coalition de gauche à l’Assemblée nationale, donnera-t-elle à cet incident? Continuera-t-elle d’aller sur le plateau de TPMP? Qui, d’Hanouna ou de la gauche radicale, a-t-il le plus besoin de l’autre? Sans LFI, formation aux accents populistes, TPMP perdrait sa caution de gauche, risquant alors de ne plus réunir que des «anti-tout», souvent l’antichambre d’un parti de l’ordre. Mais en renonçant à ce forum, La France insoumise se priverait d’un lieu où elle peut porter des coups à «Macron», ce qui lui rapporte des voix. Ne plus se montrer dans «Touche pas à mon poste!» pourrait être interprété comme l’aveu qu’on appartient au «système», à cette «élite» qu’on prétend combattre.</p> <p>Dans le même temps, en participant à cette émission, LFI sait qu’elle contribue à saper la confiance dans les institutions démocratiques, dont on a vu jeudi soir le peu de cas qu’en faisait Cyril Hanouna en insultant le député Boyard. Il y a deux semaines, toujours à la barre de TPMP, Hanouna appelait à la tenue d’un procès expéditif, assortie d’une «perpétuité immédiate» pour la meurtrière présumée de la petite Lola. 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Né en 1950 à Constantine, issu de la communauté juive algérienne, partie avec les pieds-noirs à l’indépendance en 1962, Stora était investi d’une mission réconciliatrice par le président de la République. A la fin de son travail, l’historien émet une série de préconisations. Et l’on entre alors dans le vif du sujet: l’action.</p> <p>La première de ces préconisations, qui rappelle la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud, l’Instance Vérité et Dignité en Tunisie, est la constitution d’une «Commission "Mémoires et vérité" chargée d’impulser des initiatives communes entre la France et l’Algérie sur les questions de mémoires». La <em>vérité</em>. Pas de réconciliation sans vérité sur les exactions passées, croit-on.</p> <p>Mais la vérité n’est pas seulement question de faits, elle intéresse aussi le sens. Or deux sens ne peuvent cohabiter. Pas d’en-même-temps possible: la douleur d’un camp ne peut valoir celle de l’autre. Celle de l’Allemand de la Seconde Guerre mondiale ne vaut pas celle de l’Allié. On touche probablement ici à la limite du rapport Stora: le colon ne peut pas faire valoir sa douleur au même titre que le colonisé. Sinon, toute la hiérarchie, établie selon une échelle de valeurs qui accorde au colonisé la légitimité de sa révolte, est rebattue. Et pourtant, se dit-on, il faut tendre vers la reconnaissance des souffrances de part et d’autre, pour pouvoir la faire, cette réconciliation. Comme c’est compliqué…</p> <h3>Les choses ont un sens que la paix peut ignorer</h3> <p>Seul le sens permet d’y voir clair. Mais le problème du sens, qui dit qui avait raison, qui avait tort, c’est qu’il ne permet pas toujours de refermer les plaies, puisque personne ne veut être en tort, ou avoir tous les torts. Le cas franco-algérien renvoie à la spécificité de la guerre d’Algérie, plus sensible sur un plan mémoriel que les guerres franco-allemandes.</p> <p>La guerre d’Algérie, combat décolonial, lutte pour la libération, fut probablement moins une guerre classique entre deux nations qu’une guerre civile à l’intérieur d’un même territoire. Opposant deux populations d’inégal statut, certes, et ce n’est pas rien, mais ayant toute deux un caractère civil. De là, sans doute, le refus, longtemps, de nommer par le terme de guerre ce qui était appelé sous le nom d’événements.</p> <p>C’est pourquoi la vérité (qui la dit? selon quels critères?) peut être, aussi, parfois, l’ennemi de la réconciliation, celle-ci étant par nature toujours un peu artificielle. Disons que l’intérêt de la paix l’emporte à un moment donné sur l’intérêt de la guerre, surtout dans une configuration de conflit civil.</p> <h3>Les pieds dans le plat</h3> <p>Très vite apparaît la nécessité de l’amnistie, pour étouffer des braises dont chacun a cependant conscience qu’elle ne seront jamais tout à fait éteintes. Ce fut vrai après une relative brève période d’épuration en France en 1944-45. Vrai entre la France et l’Algérie à l’indépendance en 1962. Vrai encore en 1999, lorsque le président algérien Abdelaziz Bouteflika fit voter la loi dite de concorde civile, qui mit fin par un plébiscite à la guerre civile.</p> <p>Cela nous amène à la France d’aujourd’hui, celle, d’après, espérons-le, les attentats islamistes. Attentats? Islamistes? D’emblée, les pieds dans le plat. La somme de «ce qui est arrivé en France ces dernières années» pèse son poids de non-dits. Cette situation présente des similitudes avec les conflits évoqués plus haut. Mais elle a comme quelque chose d’inextricable. Ce n’est pas encourageant.</p> <h3>Quand le bourreau redevient l'égal de la victime</h3> <p>Alors, quelles similitudes entre l’après-attentats et ces précédents après-guerres? La première de toutes, la plus importante: la nécessité de l’amnistie, avons-nous vu, par quoi on cesse de juger ceux qu’on sait coupables, par quoi on passe à autre chose. Comme la victime, le bourreau doit pouvoir reprendre une vie normale. Sauf que toute amnistie suppose un vainqueur reconnu comme tel, autrement dit un juste faisant offrande de son pardon au vaincu. 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Pourquoi? On a tenté de répondre à cette question. Indice: l’image, pas terrible, du «voisin français». ', 'subtitle_edition' => null, 'content' => '<p>«C’est la petite Gilberte, Gilberte de Courgenay…» La Mob, c’était mieux avant. Il y avait alors de vraies frontières. Pas comme aujourd’hui avec Schengen qui les a toutes effacées, ce qui est bien pratique aussi, il faut le dire. Mais parfois une votation – ou une pandémie – suffit à les rétablir. C’est ce qui s’est passé dimanche avec la «burqa», l’initiative interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, acceptée à 51,2% par le peuple. Un score relativement modeste qui cache de fortes disparités. Sans le vote des métropoles, favorables au non, le texte aurait été approuvé bien plus largement. En Suisse romande, les communes frontalières de la France ont plébiscité le oui. Qu’est-ce que cela révèle de ce vote, à cet endroit bien précis, celui des limites géographiques et politiques d’un pays, en sa partie francophone?</p> <p>A Courgenay, dans cette Ajoie s’enfonçant tel un saillant dans les départements français du Doubs et du Territoire de Belfort, 65,4% des habitants ont voté en faveur de l’initiative soutenue par l’UDC et une partie de la gauche (<a href="https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/votations/20210307/initiative-populaire-oui-a-l-interdiction-de-se-dissimuler-le-visage.html" target="_blank" rel="noopener">cliquez ici</a> pour avoir accès à la carte interactive). Un score de cinq points supérieur à la moyenne cantonale jurassienne, 60,7% de oui, la plus élevée des dix-neuf cantons qui ont approuvé le texte.</p> <p>Des trois districts du canton du Jura, celui de Porrentruy, qui épouse la carte de l’Ajoie, dont la particularité est d’avoir avec la France le double de frontière qu’il n’en a avec la Suisse, affiche le plus haut taux d’acceptation, 64,7%. A la pointe du saillant, Bure, la commune qui héberge la place d’armes du même nom, se hisse à la première place du district avec 76% de oui. 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Un <i>mansplaining</i> en mode solidaire, bien sûr. Je serais même tenté d’y voir un peu plus que cela: un <i>manembracing</i> virant au <i>manembarrassing</i>. Autrement dit: une défense à ce point appuyée qu’elle en devient gênante.</p> <p>Gabriel Bender a le zèle du converti. Du converti au féminisme. C’est l’impression qu’il donne. Comme s’il devait montrer, à lui-même et au monde, qu’il est du bon côté. Celui des dominés, en l’occurrence des dominées. Militantisme et sociologie – sa discipline – ne font plus qu’un dans un certain nombre de domaines de recherche. En première année de «socio», on apprenait pourtant à distinguer le discours de l’acteur de celui de l’observateur.</p> <p>Ce précieux conseil, qui permet d’entretenir la veille démocratique, ne semble plus partagé par tous les observateurs des phénomènes de société. La prose «féministe» de Gabriel Bender rend compte d’une confusion des statuts certainement volontaire. Chez lui, les termes du combat paraissent ne pas devoir être discutés, celui de patriarcat, par exemple. Or ce n’est pas parce que le patriarcat existe en tant que phénomène historique que le mot n’est pas utilisé dans la période actuelle comme une ressource discursive mise au service d’un intérêt.</p> <p>Contrairement à quelques-uns éprouvant le besoin d’exposer leur vertu, je n’ai pas pour habitude de dire dans un texte ce que je pense profondément. Parce que je me dis qu’un individu, au hasard, un lecteur, une lectrice, peut parfaitement faire crédit à un autre individu de son appartenance à la bonne part de l’humanité même si ce dernier dévie, autrement dit s’accorde le droit de questionner des tendances. Le fait de dévier, de pouvoir le faire, est gage de bonne santé démocratique. Cela ne veut pas dire qu’on est en droit d’imposer son point de vue aux autres. 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J’écris qu’elle n’a pas suivi des collègues qui l’incitaient à témoigner, non de quelque chose dont ils auraient été convaincus de l’existence la concernant, mais de faits dont ils pouvaient penser qu’elle avait été victime, comme d’autres. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
2 Commentaires
@Ph.L. 04.11.2019 | 10h09
«L'Allemagne ne parvient pas à s'aimer elle-même - ou si peu. Et, à travers elle, c'est l'Europe entière qui ne trouve plus en elle le désir de vivre. Il faut donc que nous aimions l'Allemagne, celle des régions, celle de la multiplicité, l'Allemagne toujours fédérale (avant l'unification et l'uniformisation forcée sous la tutelle de la Prusse bismarkienne), que nous l'aidions donc à se retrouver, à "retrouver terre". Votre article peut aussi aller dans ce sens, à mon avis.»
@Eggi 07.11.2019 | 18h32
«En Allemagne, notamment dans les Länder de l'Est, mais pas seulement, on retrouve le même terreau favorable au populisme que partout ailleurs dans les pays dits développés: inégalités sociales, incompréhension du monde nouveau, déficit culturel. Donc là aussi, une part importante de la politique doit se préoccuper du "social" et de l'éducation; cela se fait, notamment en Allemagne, mais ça prend du temps (là aussi, on trouve une majorité de la nouvelle génération "responsabilisée").»