Chronique / La proportionnelle est-elle un tue-l’amour?
Affiche de propagande en faveur de la proportionnelle. © Bibliothèque nationale suisse
Introduit en 1919, le vote au système proportionnel assure à toutes les forces vives de la politique suisse de se faire entendre sous la Coupole fédérale. Du coup, en période électorale, les partis calculent comment obtenir un maximum de sièges plus qu’ils ne séduisent par leurs idées. Sur le long terme, cela explique la platitude des débats pendant la campagne. Une chronique historique un brin critique.
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Dans la première assemblée du nouvel état fédéral, les radicaux détiennent 79 des 111 sièges du Conseil national, et 30 des 44 sièges du Conseil des Etats. Lors des élections de 1917, ils décrochent encore la majorité absolue dans les deux chambres, 103 sièges sur 189 au National, 24 sur 44 aux Etats.</p> <p>Par deux fois, les autres partis ont essayé en vain d’obtenir une représentation plus juste via deux initiatives populaires en 1900 (59% de non) et en 1910 (52%). 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Les lobbies économiques ont mobilisé les entrepreneurs, les syndicats ont parlé à leurs adhérents, les milieux académiques et scientifiques sont sortis de leur tour d’ivoire, Opération libero et le Nouveau Mouvement européen suisse ont mené des campagnes de conviction.</p> <p>Vingt ans après le scrutin qui l’a intronisée, la voie des accords bilatéraux avec l’Union européenne est confirmée, alors qu’elle a été l’objet d’un pilonnage continu de la part des blochériens. Tout et son contraire ont été reproché à ce système pragmatique de gestion de nos relations avec les 27 membres de l’Union. 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Que ce mésusage de la démocratie directe perturbe notre agenda diplomatique et comprime la réflexion des autres partis sur les objectifs et les moyens de notre politique étrangère, le premier parti de Suisse, nanti de deux conseillers fédéraux, s’en fiche éperdument. 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Au lieu de considérer avec sérénité la prochaine étape, les présidents de partis et les partenaires sociaux rivalisent de mots graves et accablants pour enterrer la ratification de l’accord-cadre négocié pendant 5 ans et en attente de paraphe depuis décembre 2018. Ces gens-là se sont battus comme des lions pour empêcher l’UDC de dynamiter le pont bilatéral, et maintenant ce sont eux qui vont poser leurs propres mines.</span></p> <h3><strong>Jalousie, arrogance et fatalisme</strong></h3> <p>Comment en est-on arrivé à une telle absurdité? Depuis la fin des années 1990, la Suisse appréhende le dossier de ses relations avec une communauté européenne en constant développement par un mélange de jalousie, d’arrogance et de fatalisme.</p> <p>La jalousie se manifeste dans l’obsession, qui détermine toute sa stratégie de politique économique extérieure, de ne pas être discriminée par rapport à ses principaux concurrents, de mieux en mieux organisés sur le plan économique. 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Les bénéfices d’une adhésion ne sont même plus analysés dans les rapports du Département fédéral des affaires étrangères, alors que l’Union a aimanté presque tous les pays de notre continent. L’adhésion fut pourtant «l’objectif» de notre politique d’intégration, puis reléguée sous l’influence de l’UDC au rang d’option, puis plus rien du tout. Même pas un souvenir dans la tête des conseillers fédéraux en place. Pour parler de la solution de l’adhésion de la Suisse à l’UE, nos ministres attendent d’être à la retraite. Tout comme la plupart des diplomates qui se sont occupés du dossier.</p> <h3><strong>La surenchère étonnée </strong></h3> <p>À la lumière de ce non-dit, face à ce trou noir, l’accord-cadre, dotant les accords bilatéraux d’un mécanisme de règlement des différences d’interprétation du droit européen repris par la Suisse, devrait être considéré comme la solution miracle, épargnant aux partis politiques et au gouvernement toute réflexion sur une solution plus ambitieuse. Mais non. Le président du PDC, Gerhard Pfister, fait mine de découvrir que le Conseil fédéral injecte du droit européen dans les lois suisses chaque semaine, et que la Cour de justice de l’Union européenne étant <em>in fine</em> la garante de l’application du droit européen, la Suisse ne peut prétendre à l’interpréter pour elle-même.</p> <p>A gauche, la surenchère étonnée est également surjouée. On fait mine de croire que la lutte contre le dumping salarial ne peut être réalisée que par Bruxelles, alors que partenaires sociaux, cantons et Confédération peuvent demain matin décider ensemble de mieux contrôler les chantiers et les conditions des travailleurs détachés. 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Accueillant avec satisfaction le vote du 27 septembre, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, a ainsi pris soin d’indiquer qu’elle était disponible pour des éclaircissements sur la portée de l’accord-cadre négocié, mais qu’elle s’attendait à ce que le Conseil fédéral entame sa ratification «rapidement».</p> <h3><strong>Expliciter le contenu</strong></h3> <p>Notre gouvernement devrait donc sans tarder présenter et expliciter le contenu de l’accord-cadre. On ose espérer qu’il a utilisé les derniers mois pour obtenir de Bruxelles les clarifications sur les points litigieux, tout en les gardant secrètes afin de ne pas perturber la campagne de votation du 27 septembre.</p> <p>Les trois autres options qui s’offrent au Conseil fédéral ne sont guère réalistes. Laisser tomber l’accord-cadre est une option idiote. Cela reviendrait à enterrer la voie bilatérale alors qu’elle vient d’être sauvée par le peuple et les cantons. Laisser pourrir la mise à jour des accords actuels, bloquée par la non ratification de l’accord-cadre, ne serait pas très intelligent au moment où l’économie suisse a besoin des meilleures conditions possibles pour faire face aux conséquences de la pandémie. Demander à renégocier représente une option hautement improbable, maintes fois exclue par la Commission. Mais entre renégociation formelle et éclaircissements politiques, il y a peut-être une petite marge pour permettre à tous les interlocuteurs de sauver la face.</p> <p>Comme souvent quand une crise semble insurmontable, il faut envisager une sortie par le haut, ambitieuse et courageuse. 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Or, chaque fois que nous votons sur une problématique européenne, ce sont les partisans des accords bilatéraux qui sont acculés à défendre la situation actuelle, alors que les auteurs de l’initiative sont traités comme de doux contestataires, dont les agissements seraient sans conséquences.</p> <p>Par exemple, l’UDC ne nous dit pas comment elle entend que le gouvernement agisse diplomatiquement avec nos partenaires européens. Bien que disposant de deux élus au Conseil fédéral, elle s’est bien gardée de revendiquer la direction du Département fédéral des affaires étrangères, lors des récentes rocades. 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Là encore, leur trou de mémoire est béant. La Suisse a vécu dans les années 1990 sans accords bilatéraux avec l’UE, sous le toit du seul accord de libre-échange signé en 1972 avec les Communautés européennes (et que l’UDC cite aussi beaucoup). Mais la situation a été jugée insatisfaisante par les milieux économiques, car depuis 1972, les flux économiques se sont beaucoup modifiés. Les accords bilatéraux ont été voulus par la Suisse et négociés pour nous mettre sur un pied d’égalité avec nos concurrents européens. Ils sont le plan B, imaginé après le refus de l'EEE. </p> <h3>S'infliger une double peine?</h3> <p>Les partisans de l’initiative ne prennent pas non plus en compte les chaînes de valeur qui se sont créées <a href="https://bonpourlatete.com/actuel/quand-guy-parmelin-voudra-bien-nous-parler-de-notre-principal-marche" target="_blank" rel="noopener">au sein du marché européen</a>, c’est-à-dire la part et le rôle des sous-traitants. Une automobile allemande comprend des pièces usinées en Italie, en Suisse,... et dans cette chaîne, il est crucial que les produits puissent passer les frontières sans obstacles. Sinon, l’entreprise en bout de chaîne se choisira d’autres sous-traitants. L’industrie suisse d’exportation subit déjà le poids du franc fort, pas sûr qu’il soit malin de lui infliger une «double peine» en faisant sauter l’accord sur la reconnaissance mutuelle des produits et en lui infligeant des complications et de la paperasserie supplémentaire.</p> <p>Un des gros problèmes des partisans du texte de l’UDC est que la Suisse jouit en comparaison internationale d’une prospérité inouïe (en tout cas jusqu’à la pandémie du COVID19). Pourquoi changer les paramètres d’une économie qui gagne, placée dans le peloton des nations les plus innovantes?</p> <p>Les initiants nous racontent donc que cette prospérité n’est pas partagée par tous, que la libre-circulation des personnes ne bénéficie pas aux catégories les plus précaires de la population. Il est vrai que la croissance du PIB par habitant n’est pas au mieux de sa forme depuis 2007, mais cela est dû aux effets de la crise financière de 2008 pas à la LCP ou à l’UE.</p> <p>Surtout, si l’UDC veut se focaliser sur le pouvoir d’achat des plus faibles, beaucoup d’autres leviers existent, plus efficaces, que le bouleversement des conditions-cadre qui nous lient à nos principaux partenaires commerciaux. On pourrait agir sur les primes d’assurance-maladie, la politique salariale, la fiscalité,… Autant de domaines où le premier parti de Suisse se distingue par son refus de toute mesure sociale.</p> <h3>La neutralité économique? Du vent</h3> <p>Pour convaincre, nos isolationnistes essayent également d’élargir la focale et de nous abstraire d’un continent dont nous sommes le centre géographique: la Suisse devrait, selon eux, privilégier le multilatéralisme et viser la neutralité économique. Ils font semblant d’ignorer que le système multilatéral est en panne, grippé par un Donald Trump qu’ils trouvent par ailleurs formidable. Il convient de leur rappeler que même quand le système multilatéral fonctionnait bien, dans les années qui ont suivi la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1994, la Suisse a éprouvé le besoin d’avoir des accords bilatéraux privilégiés avec l’UE.</p> <p>Quant à la neutralité économique, ça n’existe pas, ça n’a jamais existé, même pendant les guerres (chaudes ou froides) où la Suisse la proclamait haut et fort. Au surplus, cette posture fait fi de toute préoccupation éthique (ce qui compterait, c’est de commercer et pour le reste, <a href="https://bonpourlatete.com/actuel/les-bons-amis-suisses-d-alexandre-loukachenko" target="_blank" rel="noopener">on fermerait les yeux</a>), une posture qui ne cadre guère avec notre rôle traditionnel de garant du droit humanitaire.</p> <p>Dans le déboulonnage de l’UE, certains partisans de l’initiative de l’UDC enjoignent la Confédération de prendre ses distances avec une Union sous la coupe du couple franco-allemand. D’abord, il ne faut pas confondre pouvoir d'impulsion du couple franco-allemand avec domination. Les décisions sur le récent plan de relance européen montrent que parmi les 27, chaque pays compte et possède une sorte de droit de veto. Une UE où seuls les Allemands et les Français dirigeraient ne connaîtrait pas les débats et les tensions actuelles. 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La réduction d’un tiers des effectifs ne garantit absolument pas que le parlement sera à l’avenir plus efficace.</p> <h3><strong>Choc entre démocratie participative et démocratie représentative</strong></h3> <p>Cette réforme de la constitution entérine une défiance envers les institutions au moment où les populistes du Mouvement 5 étoiles, ayant mieux compris leur fonctionnement, s’y fondent avec l’application de béotiens, et où l’autre camp populiste emmené par Matteo Salvini rêve de les dompter en sa faveur. Elle contient une ambiguïté peu discutée: à la démocratie représentative classique, avec ses mécanismes de contrôle et ses contre-pouvoirs, les 5 étoiles privilégient de fait une démocratie participative instantanée et permanente, sans le moindre mécanisme de contrôle. Le Mouvement procède en effet régulièrement à des consultations des membres cotisant du Mouvement par sondages en ligne, dont la fiabilité des résultats n’est absolument pas garantie. Ce conflit de légitimité entre le vote du plus grand nombre et celui de quelques privilégiés témoigne de l’extraordinaire aberration des propositions populistes. </p> <p>Traumatisés par la crise du COVID19 et ses cortèges de cercueil, inquiets des perspectives économiques sombres qu’on leur prédit pour les prochains mois, les Italiens sauront-ils résister au mirage populiste? Pour ne rien arranger à cette difficile prise de conscience de l’enjeu démocratique et représentatif du scrutin de septembre, un nouveau scandale vient d’alimenter la perplexité ambiante: la presse a révélé que cinq parlementaires, tout à fait correctement payés durant la pandémie, ont sollicité le bonus de 600 euros destinés par le gouvernement aux Italiens en situation précaire. 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Mettez le champagne au frais pour ce 20 octobre, dimanche d’élections fédérales. Il y a un anniversaire à fêter. Cela fait un siècle que les Suisses élisent leurs conseillers nationaux au système proportionnel.
La proportionnelle est ce système merveilleux qui répartit mathématiquement le nombre de sièges à disposition en fonction du poids des partis. Il n’y a pas de prime au gagnant arrivé en tête. Cela a l’air tout bête, une évidence démocratique, mais ce n’est de loin pas le cas partout. En Grande-Bretagne, mère de toutes les démocraties parlementaires, c’est toujours la majoritaire qui prévaut. Les Italiens ne cessent de revoir leur loi électorale, et mixent actuellement majoritaire et proportionnelle sans avoir vraiment résolu leur problème de gouvernabilité. Le régime présidentiel français ne saurait, lui, se passer des avantages du système majoritaire.
Un coup d’œil sur les autres pays, et les aléas de leur vie politique soumise aux vents violents de l’alternance, devrait nous en convaincre, la formidable stabilité de la Confédération helvétique vient de là, de cette proportionnelle qui régit notre représentation nationale depuis un siècle: tout mouvement un tant soit peu constitué et présent dans l’un ou l’autre des grands cantons qui envoient plus de dix députés à Berne (ZH, BE, VD, AG, SG et GE) peut se faire entendre sous la Coupole fédérale. La proportionnelle est un formidable outil d’intégration institutionnelle, qui canalise les poussées de fièvre.
Fin de règne pour les radicaux
Auparavant, avant 1919 régnait le parti radical, fondateur de la Suisse moderne en 1848. Dans la première assemblée du nouvel état fédéral, les radicaux détiennent 79 des 111 sièges du Conseil national, et 30 des 44 sièges du Conseil des Etats. Lors des élections de 1917, ils décrochent encore la majorité absolue dans les deux chambres, 103 sièges sur 189 au National, 24 sur 44 aux Etats.
Par deux fois, les autres partis ont essayé en vain d’obtenir une représentation plus juste via deux initiatives populaires en 1900 (59% de non) et en 1910 (52%). La troisième tentative est la bonne: en octobre 1918, dans les dernières semaines de la guerre marquées par le climat tendu qui précède la grève générale, le souverain accepte à 66% de passer au système proportionnel, qui semble promettre des lendemains meilleurs.
Le scrutin se tient le 26 octobre 1919: les radicaux perdent leur hégémonie passant de 103 à 60 élus sur les 189 que compte alors la chambre basse, les socialistes doublent leur représentation de 20 à 41 élus, ce qui les met à égalité en nombre de sièges avec les conservateurs. Ancêtre de l’UDC actuelle, le parti des paysans, artisans et indépendants, apparu dans certains cantons mais pas encore constitué au plan national, fait un bond de 4 à 29 sièges.
Il vaut la peine de traduire ces premiers résultats à la proportionnelle en pourcentages: la part des radicaux ascende à 28,8 %, celle des socialistes à 23,5%, celle du PDC à 21% et celle du PAI à 15,3%. Seule l’UDC en 2007 et 2015 a surpassé ce socle initial de 28,8% des suffrages. Les socialistes ont, eux, réussi leur meilleur score de 28,7% en 1931.
Les élections de 1919 affichent un autre record, celui de le participation: ce 26 octobre 80% des électeurs se déplacent au bureau de vote, soit 750 000 hommes – les femmes ne pourront le faire qu’en 1971. On n’a plus jamais atteint une telle affluence lors d’élections. Comme si le fait de découper le gâteau électoral en assurant à chacun sa part avait progressivement démobilisé les citoyens.
L'obsession du compromis
Avec les droits d’initiative et de référendum, et le principe de collégialité, la proportionnelle a pour effet de pousser encore plus les forces politiques au compromis: aucun parti ne peut avoir raison tout seul, il faut bâtir des coalitions au parlement ou pour obtenir dans les urnes la double majorité du peuple et des cantons. La recherche obsessionnelle d’un consensus va devenir le moteur et la finalité de la politique fédérale.
Cette équité dans la représentativité met toutefois 40 ans à être traduite dans la composition du gouvernement. C’est en 1959 qu’est inventée la «formule magique» qui accorde 2 conseillers fédéraux aux trois premiers partis et 1 au quatrième. L’élection d’un premier socialiste avait eu lieu en 1943, dans l’esprit d’union sacrée dû la deuxième guerre mondiale, alors que le PS était depuis douze ans déjà le premier parti du pays en termes de suffrages au Conseil national.
Inspirée par la proportionnelle, la «formule magique» de 1959 va durer 44 ans, assurant jusqu’en 2003 aux radicaux, aux démocrates-chrétiens et aux socialistes deux conseillers fédéraux, et 1 à l’UDC. La droite reste majoritaire, mais la gauche n’est pas marginalisée, elle contribue directement à l’édification de notre système d’assurances sociales.
En associant 4 partis au gouvernement, la «formule magique» installe la Suisse dans le culte de la stabilité politique (même si le système connaît quelques difficultés lorsqu’il s’agit d’accorder aux femmes une juste représentation). Les conseillers fédéraux sont mécaniquement choisis en fonction de leurs origines linguistique et partisane, souvent en cours de législature, et leur réélection après les élections fédérales relève de l’aimable formalité. Longtemps, le poids réel de leurs partis n’est pas discuté. Cette routine est peu à peu cassée par l’UDC qui est devenue en 1999, alors à égalité avec le PS, le premier parti au Conseil national.
La révolution souverainiste
La proportionnelle, qui convoque les principaux partis autour de la table et les oblige à avancer par petits pas, est une méthode pragmatique qui s’accommode mal des revendications trop idéologiques. Or la quête d’hégémonie de l’UDC depuis 20 ans est profondément idéologique: c’est une révolution conservatrice, nationaliste, souverainiste et néolibérale qui flirte avec la xénophobie. Sous l’impulsion de Christoph Blocher, le parti entame une course à la visibilité à coup de propositions tranchées. Il s’inscrit en nette rupture avec la tradition politique suisse en cherchant à imposer ses solutions là où les autres, même à gauche, sont d’emblée plus enclins à négocier une voie médiane, qui puisse trouver des majorités. Les subtiles arbitrages pratiqués par les autres partis gouvernementaux résistent mal aux prétentions brutales de l’UDC.
Il y a quatre ans, avec 29,4% des voix, l’UDC engrange le meilleur score de l’histoire de la proportionnelle au Conseil national. Avec le Vaudois Guy Parmelin, elle obtient le deuxième siège derrière lequel elle courrait depuis 1999 (elle n’avait pas reconnu comme légitime l’élection de Eveline Widmer Schlumpf en 2007 à la place de Christoph Blocher). L’UDC a ainsi cru pouvoir imposer au parlement un virage à droite grâce au renfort du PLR. Mais cette majorité de 101 voix au Conseil national est restée un tigre de papier. Les compromis qui ont marqué la législature 2015-2019 sur les retraites, la fiscalité ou les relations avec l’Union européenne, se sont réalisés sans elle, et surtout sous l’influence du Conseil des Etats. Celui-ci, dotant chaque canton de deux représentants, contre-balance les effets de la proportionnelle. Longtemps perçu comme un verrou conservateur, la chambre haute est devenue un rempart contre les propositions les plus extrêmes de l’UDC, qui n’y compte qu’une poignée d’élus.
Attentisme et paralysie
En place depuis 2015, la nouvelle «formule magique» de 2 UDC, 2 PS, 2 PLR et 1 PDC marche beaucoup moins bien que la précédente. À partir des années 1980, le Conseil fédéral avait fini par être perçu comme le conseil d’administration de Schweiz AG, gérant les affaires et ne s’autorisant que rarement l’audace d’une forte impulsion. Avec le recul, force est d’admettre qu’en termes d’atonie, l’actuel collège est tombé encore plus bas. Désormais, il est à peine capable d’expédier les affaires courantes. Il reste paralysé sur les principaux enjeux et ne parvient pas à imposer des réformes.
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Dans ce contexte figé et attentiste, la campagne des élections fédérales 2019 se caractérise par une course aux sièges afin de changer le rapport de forces quasi paralysé tant au niveau gouvernemental que parlementaire. Les partis rivalisent d’ingéniosité tactique pour grappiller quelques sièges supplémentaires. Jamais il n’y a eu autant de candidats au Conseil national: 4645 pour 200 places! Jamais il n’y a eu autant de listes: 511. A lui tout seul, le PDC, le plus menacé des partis gouvernementaux par la vague verte annoncée, en a déposé 77.
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Le soin mis à ne pas perdre le moindre petit suffrage contraste avec le vide programmatique sidéral observé durant la campagne. Certes, la préoccupation climatique, ô combien légitime, s’est imposée, mais la confrontation des solutions n’a pas vraiment eu lieu. Idem sur l’assurance-maladie, les retraites, les accords bilatéraux avec l’UE, et tant d’autres sujets à peine évoqués comme les impacts de la révolution numérique. Tels des consommateurs errant dans un supermarché bien fourni, les électeurs sont sommés d’acheter les produits en têtes de gondole, pas de soutenir un programme précis, qu’ils seraient sûrs de voir à l’œuvre.
Les risques de la dissociation
En Suisse, après un siècle de proportionnelle donnant aux citoyens qui participent aux élections l’assurance d’être un tant soit peu représentés, tout se passe comme si les empoignades idéologiques étaient désormais exclusivement réservées aux campagnes de votation, les élus ne devant l’être que pour faire nombre. Pour la robustesse de notre démocratie, cette dissociation n’est pas très heureuse. Elle nourrit une incohérence toujours plus forte entre les résultats des votations et ceux des élections.
Se compter d’abord, et ensuite seulement réfléchir à ce que l’on pourra réaliser ensemble, c’est programmer les désillusions, les incapacités, et finalement l’épuisement du système politique qui est le nôtre, faute de résultats concrets. Pour le débat d’idées, propre aux élections nationales et qui devrait précéder toute action législative déterminée aboutissant à un changement réel, la proportionnelle est devenue un tue-l’amour.
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Les Italiens ne cessent de revoir leur loi électorale, et mixent actuellement majoritaire et proportionnelle sans avoir vraiment résolu leur problème de gouvernabilité. Le régime présidentiel français ne saurait, lui, se passer des avantages du système majoritaire.</p> <p>Un coup d’œil sur les autres pays, et les aléas de leur vie politique soumise aux vents violents de l’alternance, devrait nous en convaincre, la formidable stabilité de la Confédération helvétique vient de là, de cette proportionnelle qui régit notre représentation nationale depuis un siècle: tout mouvement un tant soit peu constitué et présent dans l’un ou l’autre des grands cantons qui envoient plus de dix députés à Berne (ZH, BE, VD, AG, SG et GE) peut se faire entendre sous la Coupole fédérale. La proportionnelle est un formidable outil d’intégration institutionnelle, qui canalise les poussées de fièvre.</p> <h3>Fin de règne pour les radicaux</h3> <p>Auparavant, avant 1919 régnait le parti radical, fondateur de la Suisse moderne en 1848. Dans la première assemblée du nouvel état fédéral, les radicaux détiennent 79 des 111 sièges du Conseil national, et 30 des 44 sièges du Conseil des Etats. Lors des élections de 1917, ils décrochent encore la majorité absolue dans les deux chambres, 103 sièges sur 189 au National, 24 sur 44 aux Etats.</p> <p>Par deux fois, les autres partis ont essayé en vain d’obtenir une représentation plus juste via deux initiatives populaires en 1900 (59% de non) et en 1910 (52%). La troisième tentative est la bonne: en octobre 1918, dans les dernières semaines de la guerre marquées par le climat tendu qui précède la grève générale, le souverain accepte à 66% de passer au système proportionnel, qui semble promettre des lendemains meilleurs.</p> <p>Le scrutin se tient le 26 octobre 1919: les radicaux perdent leur hégémonie passant de 103 à 60 élus sur les 189 que compte alors la chambre basse, les socialistes doublent leur représentation de 20 à 41 élus, ce qui les met à égalité en nombre de sièges avec les conservateurs. Ancêtre de l’UDC actuelle, le parti des paysans, artisans et indépendants, apparu dans certains cantons mais pas encore constitué au plan national, fait un bond de 4 à 29 sièges.</p> <p>Il vaut la peine de traduire ces premiers résultats à la proportionnelle en pourcentages: la part des radicaux ascende à 28,8 %, celle des socialistes à 23,5%, celle du PDC à 21% et celle du PAI à 15,3%. 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La recherche obsessionnelle d’un consensus va devenir le moteur et la finalité de la politique fédérale.</p> <p>Cette équité dans la représentativité met toutefois 40 ans à être traduite dans la composition du gouvernement. C’est en 1959 qu’est inventée la «formule magique» qui accorde 2 conseillers fédéraux aux trois premiers partis et 1 au quatrième. L’élection d’un premier socialiste avait eu lieu en 1943, dans l’esprit d’union sacrée dû la deuxième guerre mondiale, alors que le PS était depuis douze ans déjà le premier parti du pays en termes de suffrages au Conseil national.</p> <p>Inspirée par la proportionnelle, la «formule magique» de 1959 va durer 44 ans, assurant jusqu’en 2003 aux radicaux, aux démocrates-chrétiens et aux socialistes deux conseillers fédéraux, et 1 à l’UDC. La droite reste majoritaire, mais la gauche n’est pas marginalisée, elle contribue directement à l’édification de notre système d’assurances sociales.</p> <p>En associant 4 partis au gouvernement, la «formule magique» installe la Suisse dans le culte de la stabilité politique (même si le système connaît quelques difficultés lorsqu’il s’agit d’accorder aux femmes une juste représentation). Les conseillers fédéraux sont mécaniquement choisis en fonction de leurs origines linguistique et partisane, souvent en cours de législature, et leur réélection après les élections fédérales relève de l’aimable formalité. Longtemps, le poids réel de leurs partis n’est pas discuté. Cette routine est peu à peu cassée par l’UDC qui est devenue en 1999, alors à égalité avec le PS, le premier parti au Conseil national.</p> <h3>La révolution souverainiste</h3> <p>La proportionnelle, qui convoque les principaux partis autour de la table et les oblige à avancer par petits pas, est une méthode pragmatique qui s’accommode mal des revendications trop idéologiques. Or la quête d’hégémonie de l’UDC depuis 20 ans est profondément idéologique: c’est une révolution conservatrice, nationaliste, souverainiste et néolibérale qui flirte avec la xénophobie. Sous l’impulsion de Christoph Blocher, le parti entame une course à la visibilité à coup de propositions tranchées. Il s’inscrit en nette rupture avec la tradition politique suisse en cherchant à imposer ses solutions là où les autres, même à gauche, sont d’emblée plus enclins à négocier une voie médiane, qui puisse trouver des majorités. Les subtiles arbitrages pratiqués par les autres partis gouvernementaux résistent mal aux prétentions brutales de l’UDC.</p> <p>Il y a quatre ans, avec 29,4% des voix, l’UDC engrange le meilleur score de l’histoire de la proportionnelle au Conseil national. Avec le Vaudois Guy Parmelin, elle obtient le deuxième siège derrière lequel elle courrait depuis 1999 (elle n’avait pas reconnu comme légitime l’élection de Eveline Widmer Schlumpf en 2007 à la place de Christoph Blocher). L’UDC a ainsi cru pouvoir imposer au parlement un virage à droite grâce au renfort du PLR. Mais cette majorité de 101 voix au Conseil national est restée un tigre de papier. Les compromis qui ont marqué la législature 2015-2019 sur les retraites, la fiscalité ou les relations avec l’Union européenne, se sont réalisés sans elle, et surtout sous l’influence du Conseil des Etats. Celui-ci, dotant chaque canton de deux représentants, contre-balance les effets de la proportionnelle. Longtemps perçu comme un verrou conservateur, la chambre haute est devenue un rempart contre les propositions les plus extrêmes de l’UDC, qui n’y compte qu’une poignée d’élus.</p> <h3>Attentisme et paralysie</h3> <p>En place depuis 2015, la nouvelle «formule magique» de 2 UDC, 2 PS, 2 PLR et 1 PDC marche beaucoup moins bien que la précédente. À partir des années 1980, le Conseil fédéral avait fini par être perçu comme le conseil d’administration de Schweiz AG, gérant les affaires et ne s’autorisant que rarement l’audace d’une forte impulsion. Avec le recul, force est d’admettre qu’en termes d’atonie, l’actuel collège est tombé encore plus bas. Désormais, il est à peine capable d’expédier les affaires courantes. Il reste paralysé sur les principaux enjeux et ne parvient pas à imposer des réformes.</p> <p>Sur une question majeure de sa compétence, la politique extérieure vis-à-vis de nos voisins les plus immédiats, à savoir les Européens, le Conseil fédéral se donne des airs de fin stratège, mais il n’a pas d’objectifs. Il slalome entre les obstacles des votations populaires (déclenchées par l’UDC) et les engagements internationaux qu’il a lui-même pris. Il se demande dans quel ordre affronter les échéances, plutôt que de dire clairement ce qu’il souhaite atteindre.</p> <p>Dans ce contexte figé et attentiste, la campagne des élections fédérales 2019 se caractérise par une course aux sièges afin de changer le rapport de forces quasi paralysé tant au niveau gouvernemental que parlementaire. Les partis rivalisent d’ingéniosité tactique pour grappiller quelques sièges supplémentaires. Jamais il n’y a eu autant de candidats au Conseil national: 4645 pour 200 places! Jamais il n’y a eu autant de listes: 511. A lui tout seul, le PDC, le plus menacé des partis gouvernementaux par la vague verte annoncée, en a déposé 77.</p> <p>Les petits ruisseaux font les grandes rivières: l’inflation de candidatures, de listes (de jeunes, d’aînés ou de femmes, à côté de la liste principale), d’apparentements et de sous-apparentements est une façon de maximiser les chances d’obtenir plus d’élus pour son parti ou pour son camp, de ne pas laisser perdre de précieuses voix au profit des adversaires. Elle dit la difficulté de faire bouger les lignes partisanes dans un pays qui non seulement pratique la proportionnelle, mais aussi un découpage fédéraliste, caractérisé par des circonscriptions de tailles fort disparates.</p> <p>Le soin mis à ne pas perdre le moindre petit suffrage contraste avec le vide programmatique sidéral observé durant la campagne. Certes, la préoccupation climatique, ô combien légitime, s’est imposée, mais la confrontation des solutions n’a pas vraiment eu lieu. Idem sur l’assurance-maladie, les retraites, les accords bilatéraux avec l’UE, et tant d’autres sujets à peine évoqués comme les impacts de la révolution numérique. Tels des consommateurs errant dans un supermarché bien fourni, les électeurs sont sommés d’acheter les produits en têtes de gondole, pas de soutenir un programme précis, qu’ils seraient sûrs de voir à l’œuvre.</p> <h3>Les risques de la dissociation</h3> <p>En Suisse, après un siècle de proportionnelle donnant aux citoyens qui participent aux élections l’assurance d’être un tant soit peu représentés, tout se passe comme si les empoignades idéologiques étaient désormais exclusivement réservées aux campagnes de votation, les élus ne devant l’être que pour faire nombre. Pour la robustesse de notre démocratie, cette dissociation n’est pas très heureuse. 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Pour le débat d’idées, propre aux élections nationales et qui devrait précéder toute action législative déterminée aboutissant à un changement réel, la proportionnelle est devenue un tue-l’amour. </p>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'la-proportionnelle-est-elle-un-tue-l-amour', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-12', 'like' => (int) 722, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1947, 'homepage_order' => (int) 2207, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 3, 'person_id' => (int) 52, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 2609, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => 'NORMAL', 'readed' => null, 'subhead' => 'ACTUEL / Suisse-UE accord-cadre', 'title' => 'Quand les «bilatéralistes» font une crise de masochisme…', 'subtitle' => 'Ils ont gagné contre l’UDC, mais sont prêts à torpiller leur résultat, faute de comprendre l’enjeu de l’accord-cadre avec l'Union européenne, un rapprochement politique plus que juridique avec nos principaux partenaires. 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Les lobbies économiques ont mobilisé les entrepreneurs, les syndicats ont parlé à leurs adhérents, les milieux académiques et scientifiques sont sortis de leur tour d’ivoire, Opération libero et le Nouveau Mouvement européen suisse ont mené des campagnes de conviction.</p> <p>Vingt ans après le scrutin qui l’a intronisée, la voie des accords bilatéraux avec l’Union européenne est confirmée, alors qu’elle a été l’objet d’un pilonnage continu de la part des blochériens. Tout et son contraire ont été reproché à ce système pragmatique de gestion de nos relations avec les 27 membres de l’Union. Pas un petit problème helvétique en matière de transports, de criminalité, d’aménagement du territoire, de gestion de la main d’œuvre ou de financement des assurances sociales dont la responsabilité n’ait été attribuée aux « méchants Européens ».</p> <h3><strong>Un message limpide</strong></h3> <p>Le message délivré le 27 septembre par six citoyens sur dix est pourtant limpide comme de l’eau de roche: les accords bilatéraux avec l’UE valent bien plus que les éventuels inconvénients qu’ils génèrent. Certains espèrent que l’UDC se le tiendra pour dit, et ne récidivera pas avec une énième initiative visant à abattre l'édifice.</p> <p>C’est bien mal connaître les Blochériens. Pour nos «nationalistes», l’instrument de l’initiative populaire est avant tout un outil marketing, à déployer quelques mois avant les élections fédérales, histoire de galvaniser les troupes. Que ce mésusage de la démocratie directe perturbe notre agenda diplomatique et comprime la réflexion des autres partis sur les objectifs et les moyens de notre politique étrangère, le premier parti de Suisse, nanti de deux conseillers fédéraux, s’en fiche éperdument. 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Au lieu de considérer avec sérénité la prochaine étape, les présidents de partis et les partenaires sociaux rivalisent de mots graves et accablants pour enterrer la ratification de l’accord-cadre négocié pendant 5 ans et en attente de paraphe depuis décembre 2018. Ces gens-là se sont battus comme des lions pour empêcher l’UDC de dynamiter le pont bilatéral, et maintenant ce sont eux qui vont poser leurs propres mines.</span></p> <h3><strong>Jalousie, arrogance et fatalisme</strong></h3> <p>Comment en est-on arrivé à une telle absurdité? Depuis la fin des années 1990, la Suisse appréhende le dossier de ses relations avec une communauté européenne en constant développement par un mélange de jalousie, d’arrogance et de fatalisme.</p> <p>La jalousie se manifeste dans l’obsession, qui détermine toute sa stratégie de politique économique extérieure, de ne pas être discriminée par rapport à ses principaux concurrents, de mieux en mieux organisés sur le plan économique. 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Nombre de bilatéralistes aimeraient pouvoir appuyer sur le bouton pause, alors que l’UE ne cesse d’agrandir ses domaines d’activités.</p> <h3><strong>Le bon élève muet</strong></h3> <p>Notre culture politique étant également empreinte d’une solide dose de pragmatisme la doctrine de notre attitude face aux Européens fut ainsi résumée par Franz Blankart, alors Secrétaire d’Etat chargé de négocier l’accord sur l’Espace économique européen: «être en position d’adhérer pour ne pas avoir à le faire». Le masochisme du bon élève, en quelques sortes: être prêt à répondre, mais ne jamais prendre la parole pour donner son point de vue.</p> <h3><strong>Un objectif, une option et puis plus rien du tout...</strong></h3> <p>Justement, la discussion sur les avantages d’une adhésion à l’Union européenne a été liquidée par les partis politiques, dès les bilatérales lancées au tournant des années 2000. Les bénéfices d’une adhésion ne sont même plus analysés dans les rapports du Département fédéral des affaires étrangères, alors que l’Union a aimanté presque tous les pays de notre continent. L’adhésion fut pourtant «l’objectif» de notre politique d’intégration, puis reléguée sous l’influence de l’UDC au rang d’option, puis plus rien du tout. Même pas un souvenir dans la tête des conseillers fédéraux en place. Pour parler de la solution de l’adhésion de la Suisse à l’UE, nos ministres attendent d’être à la retraite. Tout comme la plupart des diplomates qui se sont occupés du dossier.</p> <h3><strong>La surenchère étonnée </strong></h3> <p>À la lumière de ce non-dit, face à ce trou noir, l’accord-cadre, dotant les accords bilatéraux d’un mécanisme de règlement des différences d’interprétation du droit européen repris par la Suisse, devrait être considéré comme la solution miracle, épargnant aux partis politiques et au gouvernement toute réflexion sur une solution plus ambitieuse. Mais non. Le président du PDC, Gerhard Pfister, fait mine de découvrir que le Conseil fédéral injecte du droit européen dans les lois suisses chaque semaine, et que la Cour de justice de l’Union européenne étant <em>in fine</em> la garante de l’application du droit européen, la Suisse ne peut prétendre à l’interpréter pour elle-même.</p> <p>A gauche, la surenchère étonnée est également surjouée. On fait mine de croire que la lutte contre le dumping salarial ne peut être réalisée que par Bruxelles, alors que partenaires sociaux, cantons et Confédération peuvent demain matin décider ensemble de mieux contrôler les chantiers et les conditions des travailleurs détachés. 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La panoplie juridico-commerciale de l’UE prévoit pour les non-membres un partenariat rapproché au sein de l’Espace économique européen (refusé par nous en 1992), ou le statut d’état tiers, bien moins avantageux économiquement que nos accords bilatéraux. Renoncer à l’accord-cadre, c’est renoncer à ce statut d’exception. La probabilité que l’UE nous en concède un meilleur relève de l’utopie, surtout dans le contexte du Brexit. </p> <p>Dans la définition de sa politique européenne, le Conseil fédéral a toujours un peu peur de son ombre. Il a tendance à jouer la montre. Accueillant avec satisfaction le vote du 27 septembre, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, a ainsi pris soin d’indiquer qu’elle était disponible pour des éclaircissements sur la portée de l’accord-cadre négocié, mais qu’elle s’attendait à ce que le Conseil fédéral entame sa ratification «rapidement».</p> <h3><strong>Expliciter le contenu</strong></h3> <p>Notre gouvernement devrait donc sans tarder présenter et expliciter le contenu de l’accord-cadre. On ose espérer qu’il a utilisé les derniers mois pour obtenir de Bruxelles les clarifications sur les points litigieux, tout en les gardant secrètes afin de ne pas perturber la campagne de votation du 27 septembre.</p> <p>Les trois autres options qui s’offrent au Conseil fédéral ne sont guère réalistes. Laisser tomber l’accord-cadre est une option idiote. Cela reviendrait à enterrer la voie bilatérale alors qu’elle vient d’être sauvée par le peuple et les cantons. Laisser pourrir la mise à jour des accords actuels, bloquée par la non ratification de l’accord-cadre, ne serait pas très intelligent au moment où l’économie suisse a besoin des meilleures conditions possibles pour faire face aux conséquences de la pandémie. Demander à renégocier représente une option hautement improbable, maintes fois exclue par la Commission. Mais entre renégociation formelle et éclaircissements politiques, il y a peut-être une petite marge pour permettre à tous les interlocuteurs de sauver la face.</p> <p>Comme souvent quand une crise semble insurmontable, il faut envisager une sortie par le haut, ambitieuse et courageuse. Simonetta Sommaruga, la présidente de la Confédération, doit aller à Bruxelles obtenir des clarifications sur la portée de l’accord-cadre, et sceller un deal politique.</p> <p>Sur le front interne, Karin Keller-Sutter et Ignazio Cassis doivent aligner les partenaires sociaux et sceller une entente sur de nouvelles mesures d’accompagnement de cette étape additionnelle de notre politique d’intégration européenne.</p> <h3><strong>Empoigner le débat sur la souveraineté </strong></h3> <p>Quant aux partis gouvernementaux et aux Verts, ils doivent empoigner une discussion sérieuse et scientifiquement documentée sur les avantages et les inconvénients en termes de souveraineté de la voie bilatérale, de l’accord-cadre et de l’adhésion à l’UE. Ils ne doivent plus laisser l’UDC confisquer le débat sur ce thème, mais oser l’affronter avec leurs propres valeurs. 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Or, chaque fois que nous votons sur une problématique européenne, ce sont les partisans des accords bilatéraux qui sont acculés à défendre la situation actuelle, alors que les auteurs de l’initiative sont traités comme de doux contestataires, dont les agissements seraient sans conséquences.</p> <p>Par exemple, l’UDC ne nous dit pas comment elle entend que le gouvernement agisse diplomatiquement avec nos partenaires européens. Bien que disposant de deux élus au Conseil fédéral, elle s’est bien gardée de revendiquer la direction du Département fédéral des affaires étrangères, lors des récentes rocades. 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Là encore, leur trou de mémoire est béant. La Suisse a vécu dans les années 1990 sans accords bilatéraux avec l’UE, sous le toit du seul accord de libre-échange signé en 1972 avec les Communautés européennes (et que l’UDC cite aussi beaucoup). Mais la situation a été jugée insatisfaisante par les milieux économiques, car depuis 1972, les flux économiques se sont beaucoup modifiés. Les accords bilatéraux ont été voulus par la Suisse et négociés pour nous mettre sur un pied d’égalité avec nos concurrents européens. Ils sont le plan B, imaginé après le refus de l'EEE. </p> <h3>S'infliger une double peine?</h3> <p>Les partisans de l’initiative ne prennent pas non plus en compte les chaînes de valeur qui se sont créées <a href="https://bonpourlatete.com/actuel/quand-guy-parmelin-voudra-bien-nous-parler-de-notre-principal-marche" target="_blank" rel="noopener">au sein du marché européen</a>, c’est-à-dire la part et le rôle des sous-traitants. 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Pourquoi changer les paramètres d’une économie qui gagne, placée dans le peloton des nations les plus innovantes?</p> <p>Les initiants nous racontent donc que cette prospérité n’est pas partagée par tous, que la libre-circulation des personnes ne bénéficie pas aux catégories les plus précaires de la population. Il est vrai que la croissance du PIB par habitant n’est pas au mieux de sa forme depuis 2007, mais cela est dû aux effets de la crise financière de 2008 pas à la LCP ou à l’UE.</p> <p>Surtout, si l’UDC veut se focaliser sur le pouvoir d’achat des plus faibles, beaucoup d’autres leviers existent, plus efficaces, que le bouleversement des conditions-cadre qui nous lient à nos principaux partenaires commerciaux. On pourrait agir sur les primes d’assurance-maladie, la politique salariale, la fiscalité,… Autant de domaines où le premier parti de Suisse se distingue par son refus de toute mesure sociale.</p> <h3>La neutralité économique? Du vent</h3> <p>Pour convaincre, nos isolationnistes essayent également d’élargir la focale et de nous abstraire d’un continent dont nous sommes le centre géographique: la Suisse devrait, selon eux, privilégier le multilatéralisme et viser la neutralité économique. Ils font semblant d’ignorer que le système multilatéral est en panne, grippé par un Donald Trump qu’ils trouvent par ailleurs formidable. Il convient de leur rappeler que même quand le système multilatéral fonctionnait bien, dans les années qui ont suivi la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1994, la Suisse a éprouvé le besoin d’avoir des accords bilatéraux privilégiés avec l’UE.</p> <p>Quant à la neutralité économique, ça n’existe pas, ça n’a jamais existé, même pendant les guerres (chaudes ou froides) où la Suisse la proclamait haut et fort. Au surplus, cette posture fait fi de toute préoccupation éthique (ce qui compterait, c’est de commercer et pour le reste, <a href="https://bonpourlatete.com/actuel/les-bons-amis-suisses-d-alexandre-loukachenko" target="_blank" rel="noopener">on fermerait les yeux</a>), une posture qui ne cadre guère avec notre rôle traditionnel de garant du droit humanitaire.</p> <p>Dans le déboulonnage de l’UE, certains partisans de l’initiative de l’UDC enjoignent la Confédération de prendre ses distances avec une Union sous la coupe du couple franco-allemand. D’abord, il ne faut pas confondre pouvoir d'impulsion du couple franco-allemand avec domination. Les décisions sur le récent plan de relance européen montrent que parmi les 27, chaque pays compte et possède une sorte de droit de veto. Une UE où seuls les Allemands et les Français dirigeraient ne connaîtrait pas les débats et les tensions actuelles. 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Le Tessinois, qui devrait être désigné à la présidence de l'UDC le 22 août prochain, va très vite connaître son baptême du feu, avec la votation du 27 septembre sur la libre-circulation des personnes. Avec la crise climatique et le COVID19, le camp souverainiste ne peut plus se contenter de ses slogans habituels. Analyse. ', 'subtitle_edition' => null, 'content' => '<p>Pour les Latins, il n’est pas anodin que Marco Chiesa entre dans le club des présidents de partis gouvernementaux. Petra Gössi et Gerhard Pfister n’ont pas une grande sensibilité pour les minorités linguistiques. Il est inédit que l’UDC confie les rênes à un non-alémanique. Le parti veut-il <strong>prouver son assise aux quatre coins du territoire</strong>, comme lorsqu’il a projeté Guy Parmelin au Conseil fédéral? 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
3 Commentaires
@willoft 18.10.2019 | 11h58
«Excellent historique.
Toutefois, il me semble que le "tue l'amour" réside plus dans l'opacité du financement des partis, des politiques et autres lobbyistes.
Tout ce petit monde de "miliciens" se rejoint dans le profit d'intérêts personnels, à de rares exceptions près.
(l'intérêt déjà d'avoir un poste bien payé, car c'est bien payé, même sans jetons de CA)»
@pa.nemitz 28.10.2019 | 11h11
«La représentation proportionnelle n'est pas le "tue l'amour" que vous tentez de défendre. Evidemment, la rechercher de compromis peut paraître fastidieuse et débouche souvent sur des solutions insatisfaisantes. Mais en regard du fonctionnement de nos voisins européens, notre système sans éclat est garant d'un consensus au niveau fédéral. Mieux vaut une campagne terne que l'affrontement sur des propositions irréalisables ou carrément dommageables.
J'admets que le système n'est pas forcément bon au niveau de l'élection des conseillers fédéraux. Mais je n'ai encore jamais entendu de proposition susceptible d'apporter une véritable alternative susceptible de fonctionner sans créer de nouvelle divisions à travers le pays. L'histoire de notre Confédération démontre que la stabilité de notre société repose sur de subtiles mécanismes. Cela nuit au débat du parlement. Alors ne faudrait-il pas chercher une autre sphère de réflexion susceptible d'insuffler des dynamiques que l'opinion publique pourrait imposer à nos parlementaires plutôt que de casser la baraque.
Les pauvres débats menés en France dans le mouvement des gilets jaunes étaient démonstratifs de ce à quoi la démagogie sans limite peut conduire.
Un Orvalien retraité
»
@Kinet 31.10.2019 | 16h53
«Très bien vu !! J.-F. Christinet. Ecublens»