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Actuel / Yves Yersin, grand réalisateur d'un seul film?


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Claude Champion, cinéaste


La disparation en novembre dernier du cinéaste vaudois Yves Yersin a surpris non seulement ses amis et connaissances, mais aussi les chroniqueurs qui n’ont pas bien su que dire ou écrire à son propos. A part citer Les petites fugues, un très beau long métrage de fiction qui a fait date dans le cinéma des années 80 et obtenu un incroyable succès au box office helvétique (plus de 400'000 entrées), les évocations ont été laconiques, partielles et au fond peu reconnaissantes du travail culturel essentiel mené par Yves Yersin tout au long de son existence.

Cette légèreté d’information révèle une triste ignorance des formes que prit la renaissance de la création cinématographique en Suisse dès les années 60. Yves Yersin en fut un des artisans les plus dynamiques et les plus pertinents. Sa ténacité fut déterminante, même et surtout pour permettre aux générations suivantes et à celles d’aujourd’hui de réaliser des films en Suisse, alors que les milieux politiques ne se sont guère préoccupés culturellement du cinéma. Considéré comme un commerce ou une industrie, il n’était pas de leur ressort…

Bilingue, Yves Yersin avait appris une part de son métier de cinéaste au Lichtenstein et il œuvra très tôt dans un esprit helvétique pluriculturel. A cette époque, la cinématographie suisse était un désert, les soutiens financiers aussi inexistants que les producteurs et la diffusion d’un éventuel film autochtone dans les salles du pays extrêmement problématique, à cause de l’obstruction du cartel des distributeurs de films et des exploitants de cinémas.


La bande annonce des Petites fugues



Yves Yersin, comme les autres jeunes passionnés de cinéma d’alors, mise sur le développement de fronts communs dans tout le pays. Il s’investit dans la nouvelle Association suisse des réalisateurs de films (créée entre autres par Alain Tanner), dont il devient un temps le président. Cette association sera à l’origine de Film Pool, un distributeur associatif, puis du Centre suisse du cinéma, devenu Swiss Films, chargé de représenter le nouveau cinéma suisse dans les festivals. Plus tard, Yves Yersin fonde Focal, un organisme de formation continue pour la profession. Il participe encore activement à l’Association romande pour le cinéma (ARC), qui deviendra Cinéforom, une institution aujourd’hui essentielle à la production cinématographique en Suisse romande.

Yves Yersin réalise de nombreux films ethnographiques pour la Société suisse des traditions populaires, jusqu’en 1973, où il tournera en Suisse alémanique le remarquable long métrage documentaire Les derniers passementiers.

Angèle, son premier court métrage de fiction entrepris en 1966, il le produit dans le cadre de Milos Films, avec le producteur neuchâtelois Freddy Landry et ses amis cinéastes Francis Reusser, Jaques Sandoz et Claude Champion. Quatre d'entre elles, la réunion de leurs films en un long métrage en 1967, obtient le prix du jury du Festival de Mannheim en 1968. La même année Angèle est sélectionné à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes. Quatre d'entre elles sort sur les écrans de plusieurs villes suisses en 1969, il est montré au Festival d’Avignon, à Paris et Montréal. Milos Films est aussi une forme de coopérative qui se dote d’une caméra 16 mm insonorisée et d’une table de montage film, installée grâce à Freddy Buache dans des locaux de la Cinémathèque suisse à Lausanne. Ces synergies marquent le vrai début de la réalisation de films indépendants en Suisse romande. En 1968, Yves Yersin réalise Der Neinsager pour SWISS MADE, un long métrage de fiction constitué de trois épisodes, avec Fredi M. Murer et Fritz Maeder. En 1972, il fait partie des fondateurs de Nemo Film, une entreprise de production zurichoise, avec entre autres Alexander J. Seiler, Georg Radanovicz, Markus Imhoof…

Conscient que l’absence d’infrastructures et une maîtrise insuffisante des outils techniques rend difficile la production de films d’envergure, Yves Yersin est à l’initiative du rachat en 1976 d’un studio de sonorisation de films à Ecublens et de la création de la société de production Film & Vidéo Collectif SA. On compte parmi les fondateurs de cette société Miguel Stucki, Claude Champion, Jean-François Amiguet, Frédéric Gonseth et d’autres, qui réalisent leurs films dans cette structure. Montage et sonorisation peuvent y être menés intégralement dans des conditions idéales. Produite avec des moyens dérisoires par rapport aux longs métrages d’aujourd’hui, c’est dans le cadre de ce collectif que la réalisation des Petites fugues a pu être conduite par Yves Yersin au cours de très nombreux mois, aboutissant à un montage et un univers sonore d’une finesse accomplie.


Interview d'Yves Yersin au Festival de Locarno, pour Tableau noir



Film & Vidéo Collectif SA a initié aussi en Suisse romande la possibilité de postsynchronisation sonore et de doublage de films en langues étrangères dans des conditions professionnelles. Luc Yersin, le frère d’Yves, fut l’ingénieur du son inventif et acharné de ce studio. Après son retour en Suisse en 1977, Jean-Luc Godard, son équipe et le producteur Robert Boner s’installèrent dans les locaux de Film & Vidéo Collectif SA pour la réalisation de Sauve qui peut (La vie).

Dès 1988, en parvenant à développer le Département audiovisuel et informatique (DAVI) de l’Ecole cantonale d’art de Lausanne (ECAL) dans des espaces industriels aménagés à Bussigny, avec un grand studio de prises de vues et des équipements performants, Yves Yersin mène à bien un projet audacieux : instituer pour les jeunes gens de ce pays (et d’ailleurs) un apprentissage exigeant des savoirs et pratiques du cinéma. Depuis ses débuts, la question de la formation faisait gamberger Yves Yersin. Il était mécontent d’avoir dû passer beaucoup trop de temps en recherches empiriques pour apprendre son métier, compte tenu du fait que les grandes écoles étrangères étaient rarement accessibles, aussi bien pour des raisons financières que d’éligibilité. Il a voulu, conçu et dirigé une école de cinéma adaptée à notre pays, poids plume en terme de production cinématographique: à la fois forte quant à la stimulation de la création et de la compréhension de ses langages et performante quant aux acquis technologiques. Les possibilités de réalisation en Suisse étant très réduites, chaque étudiant devait être capable, le cas échéant, de s’accomplir dans l’un des métiers techniques de la cinématographie, selon des exigences universelles. Pour ce faire, Yves Yersin privilégia une formation au cours d’ateliers approfondis et de longue durée sous la conduite de professionnels internationaux de haut niveau, plutôt que de brefs séminaires avec quelques artistes médiatiques.

Cette vision «politique et humaniste» de son métier de créateur et la part importante de sa vie qu’il y consacra l’ont souvent distrait d’une œuvre à mener… mais c’était Yves Yersin: artisan perfectionniste, actif et impliqué auprès de ses pairs et dans la société de son époque, la deuxième moitié du XXe siècle. Son dernier long métrage documentaire sorti en 2013, Le tableau noir, confirme dans son langage cinématographique le regard à la fois minutieux et poétique d’un grand cinéaste.


Vernissage du livre: Gestes d’artisans. Les films de la Société suisse des traditions populaires 1960-1990 de Pierrine Saini et Thomas Schärer (Editions Waxmann/SGV) et hommage à Yves Yersin – Festival international de cinéma Visions du Réel Nyon – samedi 6 avril 2019
Hommage à Yves Yersin – Cinémathèque suisse Lausanne – mardi 28 mai 2019


L'entretien Plan Fixe d'Yves Yersin:

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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@Marianne W. 08.04.2019 | 04h00

«Merci, Claude Champion, pour ce très bon rappel de l'homme de cinéma important que fut Yves Yersin. Heureusement que cet hommage à son esprit novateur est paru ! J'ai tant aimé LES PETITES FUGUES, et aussi le TABLEAU NOIR, que j'étais triste de le voir tomber si rapidement (bien trop vite) dans la fosse commune de l'oubli.
Honneur à lui, qui existe dans bien des mémoires sous la forme de Pipe !»


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