Actuel / 1933: une interview de Trotski par Georges Simenon
L'ancien dirigent bolchevik Léon Trotski (au centre) lors de son procès à Mexico, 1937. @ Gallica-BnF
En 1933, l'écrivain Georges Simenon se rend pour Paris-Soir à Istanbul afin d'interviewer Léon Trotski qui y est exilé. Répondant à l'inventeur de Maigret, l'ex-leader de la Révolution russe analyse la montée des fascismes en Europe.
Pierre Ancery
Nous vous proposons cet article en partenariat avec RetroNews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France.
Quel rapport entre le père du célèbre commissaire Maigret et la Révolution russe? Aucun. Si ce n'est que Georges Simenon (1903-1989), écrivain et reporter prolifique, fut l'un des rares journalistes francophones à interviewer Léon Trotski (1879-1940) après son départ forcé d'URSS.Le lieu de la rencontre est presque aussi insolite que ses protagonistes. Elle prend place le 7 juin 1933 à Prinkipo, «l'île des Princes», située dans la mer de Marmara, au large d'Istanbul (encore nommée officiellement Constantinople trois ans plus tôt).
Simenon, envoyé spécial du quotidien à grand tirage Paris-Soir, y retrouve l'ex-leader bolchevik, qui y est placé en résidence surveillée depuis 1929. Exclu du Parti communiste par Staline en 1927, l'ancien compagnon de Lénine vit en exil depuis quatre ans. Inlassablement, le fondateur de l'Armée rouge continue d'écrire et d'animer «l'Opposition de gauche» (future Quatrième Internationale) depuis sa retraite en Turquie. L'interview paraît en deux temps, les 15 et 16 juin 1933. Simenon, conscient qu'à seulement trente ans il est sur le point de rencontrer un des acteurs politiques les plus importants du début du XXe siècle, commence son article:
«Constantinople, le 7 juin 1933.
J'ai rencontré dix fois Hitler, au Kaiserhof, alors que, tendu et fébrile, déjà chancelier, il menait sa campagne électorale. J'ai vu Mussolini contempler sans lassitude le défilé de milliers de jeunes hommes. Et à Montparnasse, un soir, j'ai reconnu Gandhi dans une silhouette blanche qui rasait les maisons, suivie par de jeunes femmes fanatiques.
Pour avoir une entrevue avec Trotsky, me voilà sur le pont plus grouillant que le Pont-Neuf de Paris qui relie le vieux et l'ancien Constantinople, Stamboul et Galata [...]. Ici, une rive s'appelle l'Europe et l'autre l'Asie.»
L'interview a lieu dans des conditions un peu particulières. Trotski accepte de répondre par écrit aux questions soumises par l'écrivain belge, puis de le rencontrer pour en discuter librement.
Lorsque Simenon arrive dans la grande maison de Prinkipo, il note la présence de plusieurs gardes du corps qui sont aussi, à n'en pas douter, les geôliers de son hôte. Son œil avisé remarque aussi le livre que Trotski est alors en train de lire Voyage au bout de la nuit, d'un certain... Louis-Ferdinand Céline.
« Dans les pièces, les murs sont nus, tout blancs, et il n'y a que des rayonnages et des livres pour apporter quelque diversion. Les livres sont en toutes langues et je distingue le “Voyage au bout de la Nuit” dont la couverture est bien fatiguée.
– M. Trotsky vient de le lire et il en a été profondément troublé. En matière de littérature, d'ailleurs, c'est la française qu'il connaît le mieux.
Trotsky se lève pour me tendre la main, puis se rassied à son bureau, en laissant doucement peser son regard sur ma personne [...]. Sur le bureau, il y a, épars, des journaux du monde entier et Paris-soir est tout au-dessus de la pile. Sans doute Trotsky l'a-t-il parcouru avant mon arrivée? […]
– Je n'ai, malheureusement, les journaux qu'avec plusieurs jours de retard.
Il sourit. Il a un visage reposé, le regard tranquille. Mais n'est-ce pas au prix d'un effort? N'est-il pas obligé de ménager ses forces? Pour poursuivre son œuvre, ne s'astreint-il pas à cette vie prudente qui fait un peu penser aux gestes hésitants d'un convalescent? Mais, peut-être, n'est-ce que sagesse?
– Vous pouvez me questionner.»
Le contenu de l'interview ne porte pas sur la Révolution russe, mais sur l'actualité la plus brûlante. En janvier 1933, Hitler, devenu chancelier, a accédé au pouvoir suprême. Son parti, le NSDAP, ayant remporté les élections de mars, les nazis sont désormais hégémoniques en Allemagne. C'est donc sur la montée des fascismes en Europe que Simenon interroge Trotsky.
«J'ai demandé à Trotsky: Croyez-vous que la question des races sera prédominante dans l'évolution qui suivra la fermentation actuelle? Ou bien sera-ce la question sociale? Ou la question économique? Ou la question militaire?
Trotsky répond:
– Non, je suis loin de penser que la race soit un facteur décisif dans l'évolution de l'époque prochaine [...]. Je ne nie évidemment pas la signification des qualités et des traits distinctifs des races; mais dans le processus de l'évolution, devant la technique du travail et devant la technique de la pensée, elles passent à l'arrière-plan. La race est un élément statique et passif, l'histoire est la dynamique [...].
Si, aujourd'hui, au vingtième siècle, les nazis proposent de tourner le dos à l'histoire, à la dynamique sociale, à la civilisation, pour revenir à la “race”, alors pourquoi ne pas revenir encore plus en arrière: l'anthropologie – n'est-il pas vrai? – n'est qu'une partie de la zoologie. Qui sait? C'est peut-être dans le royaume des anthropopithèques que les racistes trouveraient les inspirations les plus élevées et les plus indiscutables pour leur activité créatrice? »
Comment l'ex-camarade de Lénine définirait-il le fascisme, demande Simenon? Réponse développée de Trotski:
«Le fascisme est provoqué non par une psychose ou par une “histérie” (c'est ainsi que se consolent les théoriciens de salon, dans le genre du comte Sforza), mais par une profonde crise économique et sociale qui, impitoyablement, ronge plus que tout le corps de l'Europe [...].
Le fait que le vieux continent, dans son ensemble, perd la situation privilégiée qu'il avait dans le passé, mène à une exacerbation démesurée des antagonismes entre les États européens et entre les classes au sein de ces États [...].
Au dix-neuvième siècle, on considérait comme une loi que les pays arriérés gravissent les degrés de la démocratie. Pourquoi donc le vingtième siècle les poussent-il dans la voie de la dictature? […] Par analogie avec l'électro-technique, la démocratie peut être définie comme un système de commutateurs et d'isolants contre les courants trop forts de la lutte nationale ou sociale. Aucune époque, dans l'histoire humaine, ne fut saturée d'autant d'antagonismes que la nôtre. Une surtension du courant se fait de plus en plus sentir en différents points du réseau européen. Sous une trop grande tension des contradictions de classes et internationales, les commutateurs de la démocratie fondent ou volent en éclats.
Tels sont les courts-circuits de la dictature. Les interrupteurs les plus faibles se rendent évidemment les premiers.»
La question finale est celle qui préoccupe toute la presse française en 1933: l'arrivée de Hitler au pouvoir et son entente avec l'Italie fasciste de Mussolini constituent-elles une menace pour les démocraties européennes? Bref, une guerre est-elle inévitable?
«Question. – Croyez-vous l'évolution possible par glissement ou considérez-vous une secousse violente comme nécessaire? Combien de temps pensez-vous que puisse se prolonger le flottement actuel?
Réponse. – Le fascisme, particulièrement le national-socialisme allemand, apporte à l'Europe un danger indiscutable de secousses guerrières. Étant à l'écart, je me trompe peut-être, mais il me semble qu'on ne se rend pas suffisamment compte de toute l'étendue de ce danger. A-t-on en vue une perspective non de mois mais d'années – pas de dizaines d'années en tout cas – je considère comme absolument inévitable une explosion guerrière du côté de l'Allemagne fasciste. C'est précisément cette question qui peut devenir décisive pour le sort de l'Europe [...].
Mais je ne doute pas que, finalement, l'humanité trouvera son chemin. Tout le passé en est une garantie.»
Lorsque leur entrevue s'achève, Simenon s'autorise une dernière question qui touche plus directement au sort personnel de Trotski.
« – Vous avez encore des questions à me poser? demande Trotsky avec patience.
– Une seule, mais je crains qu'elle soit indiscrète.
Il sourit et, d'un signe de la main, m'encourage à poursuivre.
– Des journaux ont prétendu que vous avez reçu récemment des émissaires de Moscou chargés de vous demander votre retour en Russie?
Le sourire s'accentue:
– C'est faux, mais je connais l'origine de la nouvelle. C'est un article de moi paru voilà deux mois dans la presse américaine. J'y disais, entre autres, qu'étant donné la politique russe actuelle, je serais prêt à servir à nouveau si un danger quelconque menaçait le pays.
Il est calme et quiet.
– Vous reprendriez du service actif?
Il dit oui d'un mouvement de tête.»
Mais Trotski ne reverra jamais son pays. Après avoir fondé la Quatrième Internationale, il sera assassiné à Mexico par un agent du NKVD, sur ordre de Staline, le 21 août 1940.
Entre-temps, son pronostic pessimiste sur les conséquences de l'arrivée au pouvoir de Hitler se sera révélé exact.
Pour en savoir plus:
Michel Renouard, Trotsky, Folio Biographies, Gallimard, 2017
Jean-Jacques Marie, Trotsky: révolutionnaire sans frontières, Payot, 2006
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Je ne nie évidemment pas la signification des qualités et des traits distinctifs des races; mais dans le processus de l'évolution, devant la technique du travail et devant la technique de la pensée, elles passent à l'arrière-plan. La race est un élément statique et passif, l'histoire est la dynamique [...]. <br><br> Si, aujourd'hui, au vingtième siècle, les nazis proposent de tourner le dos à l'histoire, à la dynamique sociale, à la civilisation, pour revenir à la “race”, alors pourquoi ne pas revenir encore plus en arrière: l'anthropologie – n'est-il pas vrai? – n'est qu'une partie de la zoologie. Qui sait? C'est peut-être dans le royaume des anthropopithèques que les racistes trouveraient les inspirations les plus élevées et les plus indiscutables pour leur activité créatrice? »</blockquote><br><p>Comment l'ex-camarade de Lénine définirait-il le fascisme, demande Simenon? Réponse développée de Trotski:</p><br><blockquote>«Le fascisme est provoqué non par une psychose ou par une “histérie” (c'est ainsi que se consolent les théoriciens de salon, dans le genre du comte Sforza), mais par une profonde crise économique et sociale qui, impitoyablement, ronge plus que tout le corps de l'Europe [...]. <br><br> Le fait que le vieux continent, dans son ensemble, perd la situation privilégiée qu'il avait dans le passé, mène à une exacerbation démesurée des antagonismes entre les États européens et entre les classes au sein de ces États [...]. <br><br> Au dix-neuvième siècle, on considérait comme une loi que les pays arriérés gravissent les degrés de la démocratie. Pourquoi donc le vingtième siècle les poussent-il dans la voie de la dictature? […] Par analogie avec l'électro-technique, la démocratie peut être définie comme un système de commutateurs et d'isolants contre les courants trop forts de la lutte nationale ou sociale. 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J'y disais, entre autres, qu'étant donné la politique russe actuelle, je serais prêt à servir à nouveau si un danger quelconque menaçait le pays. <br><br> Il est calme et quiet. <br><br> – Vous reprendriez du service actif? <br><br> Il dit oui d'un mouvement de tête.»</blockquote><p>Mais Trotski ne reverra jamais son pays. Après avoir fondé la Quatrième Internationale, il sera <a href="https://www.retronews.fr/politique-communisme/echo-de-presse/2018/01/08/lassassinat-de-trotski-mexico">assassiné à Mexico</a> par un agent du NKVD, sur ordre de Staline, le 21 août 1940. </p><p>Entre-temps, son pronostic pessimiste sur les conséquences de l'arrivée au pouvoir de Hitler se sera révélé exact. </p><p></p><hr><p></p><h4>Pour en savoir plus: <br>Michel Renouard, <em>Trotsky</em>, Folio Biographies, Gallimard, 2017 <br>Jean-Jacques Marie, <em>Trotsky: révolutionnaire sans frontières</em>, Payot, 2006</h4>', 'content_edition' => null, 'slug' => '1933-une-interview-de-trotski-par-georges-simenon', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-6', 'like' => (int) 733, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1373, 'homepage_order' => (int) 1597, 'original_url' => null, 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5302, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Un bien cruel conte de Noël (2)', 'subtitle' => 'Catherine et Pierre forment un couple épanoui. 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Depuis plusieurs semaines, Pierre correspondait avec une dizaine de personnes et toutes leurs conversations avaient pour sujet la critique du virilisme, la chasse au masculinisme, la volonté d’abattre le patriarcat «d’abord en nous». Rien que d’y penser, ça me donne envie de vomir. Je sais bien qu’une épidémie wokiste s’est abattue sur l’Occident mais je me pensais à l’abri. Eh bien, non! Cette épidémie a envahi mon salon, elle couche même dans mon lit! J’ai également découvert que Pierre me mentait. Alors qu’il prétendait aller jouer au badminton avec des copains, il participait à des <em>workshops</em> de déconstruction de virilité. «Je ne suis plus sûr de rien, écrivait-il sur le forum To-be-is-not-to-be-a-man. Suis-je un homme, une femme, un être mixte, double? Suis-je? 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Je l’ai tout de suite trouvé à mon goût mais je n’étais pas là pour ça. Nous nous étions donnés rendez-vous dans un tea-room du centre-ville, j’avais pris avec moi l’ordinateur portable de Pierre. Pierre qui prétendait être parti en séminaire professionnel à Zurich mais, je l’avais découvert sans peine, se trouvait en fait à Tolochenaz où avait lieu une rencontre avec un guru de la déconstruction masculine: «De viril à viriel».</p> <p>- Vous avez donc des doutes concernant votre mari? Expliquez-moi ce qui vous inquiète...</p> <p>Ce vouvoiement a sonné très agréablement à mes oreilles. Avec son col roulé, son blaser et sa coupe de cheveux tout à la fois stricte et décontractée, Emmanuel me fit me rendre compte qu’autour de moi, les hommes avaient depuis longtemps renoncé à leur élégance, privilégiant des tenues décontractées ne mettant plus du tout leurs atouts masculins en valeur.</p> <p>Oui, je dois l’avouer, à moi aussi les jeunes réactionnaires faisaient de l’effet. 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La fidélité absolue est un concept éculé et hypocrite qui a pour but principal que les hommes soient certains que les enfants qui sortent des ventres de leur épouse soient bien le produit de leurs spermatozoïdes à eux. Transmettre ses gènes est un réflexe très animal, si Sapiens est vraiment un être supérieur, il devrait se détendre sur cette question. En plus, Pierre et moi n’avons pas fait d’enfants, trop concentrés sur nous-mêmes et nos vies à réussir. Marie, ma sœur, prétend que pour les femmes, l’importance de la fidélité n’a pas pour but la perpétuation de l’espèce mais plutôt la conservation à leur côté du mâle qui assure leur protection. Elle se trompe. Si Pierre et moi sommes toujours ensemble après trente-cinq ans de mariage, c’est justement parce que nous nous laissons la liberté d’aller de temps en temps voir ailleurs. Marie, elle, ne souhaitait plus de rapports sexuels tout en menaçant son mari de le quitter s’il la trompait. C’est lui qui est parti avec la première maîtresse qu’il s’est autorisée.</p> <p>Mais Pierre a changé.</p> <p>Nous nous sommes connus dans une manifestation contre le racisme alors que nous avions vingt-sept ans. Il était graphiste tandis que moi j’enseignais le français à des réfugiés dans un centre géré par l’Eglise protestante. Je l’avais déjà remarqué à d’autres occasions au fil des ans – Lausanne est une petite ville – notamment lors d’une soirée chez Jean-Luc, lequel a été mon amant lorsque j’avais vingt ans et que j’hésitais entre le trotskisme et l’écologie politique. Lorsque Jean-Luc, figure de proue des trotskistes locaux, m’avait quittée pour une camarade d’origine kurde plus valorisante pour lui, j’avais renoncé aux principes de la Quatrième Internationale et milité pour la sauvegarde de la planète, jusqu’à ma rencontre avec un zapatiste belge avec qui je suis partie au Mexique où j’ai attrapé une infection sexuellement transmissible. De retour en Suisse, j’ai soigné ma salpingite et terminé mes études de lettres. Entre deux amants de passage, je traversais de longues périodes d’abstinence sexuelle sans que cela me coûte. A la manif, j’ai trouvé Pierre très beau avec sa moustache et sa barbe de cinq jours. Et je l’ai trouvé irrésistible lorsqu’il a jeté une bouteille vide en direction des forces de l’ordre qui voulaient nous empêcher d’accéder à la salle où se déroulait une assemblée de l’UDC, ce parti d’extrême droite honni par nous. Pierre s’est fait réprimander par les camarades communistes qui assuraient le service d’ordre et il a fini par en venir aux mains avec eux. J’ai spontanément pris sa défense, nous nous sommes faits bousculer et avons quitté la manifestation, lui avec une arcade sourcilière fendue, moi avec un fort désir pour lui. Je l’ai emmené chez moi pour soigner sa blessure et nous avons fait l’amour toute la nuit. 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Pierre est devenu agressif avec Mireille lorsque celle-ci a déclaré que les néo-féministes exagéraient et que #MeToo décourageait toute tentative de séduction de la part des hommes. «Je n’ai pas peur de le dire, j’aime bien que l’on me tienne la porte et que les hommes me fassent sentir qu’ils me désirent…» Pierre lui a rétorqué que le patriarcat était une forme de fascisme et qu’en tant que progressiste nous devions tout faire pour l’abattre. J’ai essayé de dévier la conversation sur la nourriture bio mais très vite c’est l’écriture inclusive qui a fait s’échauffer les esprits. Serge, qui se pique d’aimer la littérature, a déclaré que le français était en danger, qu’il fallait le sauver des points médians et des réformes de l’orthographe. 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En jeu, rien de moins que les causes de la crise de la pollution plastique et les solutions appropriées pour y remédier.</p> <ul> <li> <p>D’un côté, la <a href="https://hactoendplasticpollution.org/fr/">Coalition de haute ambition</a> (HAC), les activistes du «zéro déchet» et de <a href="https://theconversation.com/traite-mondial-contre-la-pollution-plastique-en-coulisses-le-regard-des-scientifiques-francais-presents-234046">nombreux scientifiques</a> insistent sur la nécessité d’une <a href="https://hactoendplasticpollution.org/hac-member-states-ministerial-joint-statement-for-inc-5/">approche globale portant sur l’ensemble du cycle de vie des plastiques</a>, y compris leur production.</p> </li> <li> <p>De l’autre côté, une <a href="https://medium.com/points-of-order/spoiler-alert-f737a24292e6">petite minorité d’Etats</a> ainsi que l’industrie pétrochimique ont à de nombreuses reprises détourné l’attention de cette question de la production des plastiques. 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Ils réduisent de manière significative la quantité de plastique qui se retrouve dans les océans.</p> <p>Malgré cela, et parce qu’ils font un travail salissant et vivent dans des endroits sales, ils sont souvent tenus pour responsables du problème de la pollution plastique. Dans les discours politiques des villes et des Etats, leur travail a longtemps été <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0956247816657302">tourné en dérision, considéré comme non qualifié et inefficace</a>. <a href="https://www.undp.org/blog/unsung-heroes-four-things-policymakers-can-do-empower-informal-waste-workers">L’absence de reconnaissance officielle</a> de leur travail rend leurs revenus particulièrement instables et précaires. Les réglementations environnementales peuvent <a href="https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/ac6b49">aggraver ces menaces</a> en accélérant la privatisation du traitement des déchets.</p> <p>Alors que les efforts de lutte contre la pollution plastique gagnent du terrain, les ramasseurs informels sont soumis à une double pression:</p> <ul> <li> <p>Ils doivent protéger leur accès aux déchets, car c’est l’un des rares moyens de subsistance dont ils disposent.</p> </li> <li> <p>En même temps, ils cherchent à améliorer leurs conditions de vie et de travail.</p> </li> </ul> <p>Un groupe de ramasseurs de déchets a donc profité de l’ouverture des négociations pour <a href="https://globalrec.org/document/just-transition-waste-pickers-un-plastics-treaty/">plaider en faveur de la reconnaissance de leur travail</a>. Il a été demandé que leurs contributions historiques à la réduction de la pollution plastique soient explicitement reconnues, et qu’un objectif explicite de transition juste soit intégré au traité sur les plastiques.</p> <h3>Avec l’économie circulaire, tout le monde est gagnant?</h3> <p>La <a href="https://theconversation.com/quatre-idees-recues-sur-la-transition-juste-227569">transition juste</a> est un principe défendu par les groupes de travailleurs et les défenseurs de la justice sociale afin de garantir que les politiques de transition écologique protègent, améliorent et compensent équitablement les moyens de subsistance des travailleurs et des communautés affectés par l’environnement.</p> <p>Les ramasseurs de déchets ont utilisé ce terme pour réclamer que le traité comprenne des dispositions pour améliorer leurs conditions de travail et de sécurité. Mais également pour que le traité intègre davantage les travailleurs informels aux systèmes de gestion des déchets, et pour exiger que les systèmes de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-elargie-du-producteur-67766">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP) soutiennent aussi les travailleurs du secteur des déchets, en particulier les <a href="https://www.wiego.org/gender-waste-project">femmes et d’autres groupes vulnérables</a>.</p> <p>Etonnamment, ces demandes ont obtenu le soutien d’un large éventail de parties prenantes puissantes. Par exemple la <a href="https://www.businessforplasticstreaty.org/vision-statement#Key-elements">Business Coalition for a Plastics Treaty</a>, les <a href="https://news.un.org/en/story/2024/10/1156301">dirigeants des Nations unies</a> et même <a href="https://resolutions.unep.org/resolutions/uploads/american_chemistry_council.pdf">l’industrie pétrochimique</a>.</p> <p>Certaines de ces demandes ont été intégrées aux projets de traité sur les plastiques discutés au cours des négociations, ce qui représente une victoire majeure pour les travailleurs du secteur informel des déchets.</p> <p>Un consensus se dégage sur le fait qu’une économie circulaire inclusive peut être bénéfique à la fois pour l’environnement, l’économie et les travailleurs en améliorant la gestion de la pollution, les moyens de subsistance et les opportunités de croissance économique pour les entreprises.</p> <p>Ces promesses demandent toutefois à être vérifiées sur le terrain. Et c’est là que les choses se compliquent.</p> <h3>« Gagnant-gagnant », mais la victoire de qui ?</h3> <p>Dans mon livre <a href="https://mitpress.mit.edu/9780262546973/recycling-class/"><em>Recycling Class</em></a>, j’examine comment les efforts de recyclage inclusif ont été mis en œuvre à Bengaluru, l’une des plus grandes villes de l’Inde.</p> <figure><a href="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img src="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" alt="" /></a> <figcaption><span></span></figcaption> </figure> <p>Dans cet ouvrage, je défends que l’intégration dans des programmes d’économie circulaire basés sur le marché n’est pas une solution miracle aux injustices ancrées dans les systèmes de production, de consommation et de production des déchets.</p> <p>La plupart des politiques d’économie circulaire et de recyclage inclusif reposent sur des mécanismes de marché, partant du principe que la création de marchés pour les déchets incitera les acteurs du marché à récupérer efficacement les déchets et à les convertir en ressources.</p> <p>Pour remplir leurs obligations en matière de <a href="https://theconversation.com/faire-payer-plus-les-entreprises-pour-quelles-reduisent-les-emballages-130073">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP), les marques peuvent alors s’engager à acheter des plastiques recyclés et à financer la collecte des déchets en achetant des <a href="https://www.worldbank.org/en/programs/problue/publication/unlocking-financing-to-combat-the-plastics-crisis">crédits plastique</a>.</p> <p>Cette approche vise à améliorer le prix des déchets, à augmenter les salaires et à encourager les efforts de collecte, tout en attirant des investissements pour financer l’amélioration des infrastructures et des technologies.</p> <p>Cependant, les mécanismes fondés sur le marché aggravent les inégalités existantes en matière d’accès au marché. 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Souvent issus de milieux éduqués et privilégiés, les employés de ces firmes <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S001671852300057X">concurrencent les travailleurs informels existants, les subordonnant au passage</a>.</p> <p>A l’inverse, les femmes et les membres des minorités ethno-raciales et religieuses, qui constituent la majorité des travailleurs des économies informelles des déchets, sont confrontés à des obstacles supplémentaires. Notamment des <a href="https://mouvements.info/recuperateurs-de-dechets/">stigmates sociaux bien ancrés</a> qui limitent leur capacité à participer sur un pied d’égalité à ces marchés émergents. Ils restent toujours relégués aux mêmes tâches manuelles et difficiles, même si leurs conditions de travail en ressortent légèrement améliorées.</p> <h3>L’industrie du plastique maintient le <em>statu quo</em></h3> <p>Malgré les bonnes intentions de départ, des termes tels que «économie circulaire inclusive» sont donc trop souvent utilisés à des fins de <em>green washing</em> et même de <em>justice washing</em>, tandis que les travailleurs continuent à endurer des conditions difficiles. Une étude de <a href="https://www.circle-economy.com/resources/decent-work-in-the-circular-economy">Circle Economy</a> souligne que la plupart des emplois du secteur de l’économie circulaire restent ad-hoc et informels et ne bénéficient pas des garanties d’un emploi décent.</p> <p>En fin de compte, les travailleurs informels sont confrontés à un choix difficile: soit ils acceptent d’être exploités au sein des circuits de traitements des déchets en tant que simples ressources, soit ils risquent de perdre complètement leurs moyens de subsistance.</p> <p>Les systèmes actuels de production et de consommation du plastique déplacent donc la charge des déchets sur des communautés autochtones ou ethniques marginalisées, créant ainsi des <a href="https://www.dukeupress.edu/pollution-is-colonialism">zones sacrifiées</a>. Ce déplacement permet de maintenir la rentabilité, tout en perpétuant les atteintes à l’environnement et les inégalités sociales.</p> <p>En promouvant des technologies de <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-57087908">recyclage chimique</a> non éprouvées et en étendant les marchés du plastique, les entreprises <a href="https://theconversation.com/comment-lindustrie-fossile-influence-les-negociations-mondiales-sur-le-plastique-222112">pétrochimiques</a> et de matières plastiques <a href="https://direct.mit.edu/glep/article/21/2/121/97367/Future-Proofing-Capitalism-The-Paradox-of-the">s’approprient le langage de l’économie circulaire</a>. Cela leur permet de donner un vernis écologique à leurs propositions, tout en maintenant le <em>statu quo</em> sur les inégalités.</p> <p>Pendant ce temps, la HAC, plusieurs ONG et même certains ramasseurs de déchets invoquent également l’économie circulaire comme solution à la crise du plastique, en mettant l’accent sur le réemploi et le recyclage inclusif.</p> <h3>Demander des comptes aux pollueurs plutôt que compter sur l’efficacité du marché</h3> <p>Pour que l’économie circulaire aille au-delà de la simple protection du capitalisme fossile, elle doit prendre en compte les collecteurs de déchets et recycleurs informels dans le Sud et reconnaître les limites des mécanismes basés sur le marché. C’est vrai aussi bien pour le traité international sur la pollution plastique que pour d’autres démarches régionales comme le <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/ATAG/2021/679066/EPRS_ATA(2021)679066_FR.pdf">plan d’action de l’UE pour l’économie circulaire</a>.</p> <p>En effet, toute stratégie de lutte contre la pollution plastique basée sur le marché et axée sur le profit est susceptible de reproduire ces schémas d’inégalité. Et par la même occasion, de pérenniser les injustices systémiques qui soutiennent le statu quo. Pour une transition vraiment juste, la lutte contre la pollution plastique ne doit donc pas devenir une opportunité de croissance économique ou de profit.</p> <p>Au contraire, nous avons besoin d’une approche centrée sur la réparation. Il faut d’abord, pour cela, reconnaître les contributions historiques des collecteurs informels du plastique ainsi que les préjudices qu’ils subissent. Puis redistribuer les ressources aux personnes les plus touchées et créer des systèmes qui donnent la priorité à la restauration de l’environnement et à la justice sociale plutôt qu’au profit des entreprises.</p> <p>Une économie circulaire bien financée devrait d’abord renforcer le pouvoir des travailleurs, puis améliorer les capacités des infrastructures et réduire la concentration de ces déchets en produits chimiques toxiques, plutôt que de s’appuyer sur des solutions basées sur le marché qui aggravent les inégalités.</p> <p>Les vraies solutions consistent à demander des comptes aux pollueurs et à adopter des approches circulaires fondées sur la sobriété et la réparation, et non sur l’efficacité du marché.<img src="https://counter.theconversation.com/content/244065/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p> <hr /> <h4><span><a href="https://theconversation.com/profiles/manisha-anantharaman-1526162">Manisha Anantharaman</a>, Assistant Professor, Center for the Sociology of Organisations, CNRS/Sciences Po, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/sciences-po-2196">Sciences Po </a></em></span></h4> <h4>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. 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Gasche</strong>, article publié sur <a href="https://www.infosperber.ch/medien/medienkritik/die-usa-finanzieren-internationales-journalisten-kollektiv/" target="_blank" rel="noopener"><em>Infosperber</em></a> le 5 décembre 2024, traduit par <em>Bon Pour La Tête</em></p> <hr /> <p>Parmi de nombreux autres médias, la <em>NZZ</em> et le <em>Tages-Anzeiger</em> ont diffusé à plusieurs reprises des révélations du réseau international de journalistes Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP). Ce faisant, ils n'ont pas rendu transparent le fait que les services gouvernementaux américains paient la moitié du budget de l'OCCRP. 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Selon Mediapart, Sullivan a reçu pour cela, en 2008, un financement de départ de 1,7 million de dollars du <a href="https://www.state.gov/bureaus-offices/under-secretary-for-civilian-security-democracy-and-human-rights/bureau-of-international-narcotics-and-law-enforcement-affairs/">Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs</a>(INL). Il s'agit d'une agence d'application de la loi du Département d'Etat américain.</p> <p>L'OCCRP s'appuie souvent sur des documents divulgués provenant de sources non identifiées. La qualité des recherches et des révélations de l'OCCRP n'est pas mise en doute. L'orientation unilatérale des recherches et le manque de transparence des informations sur le financement donnent lieu à des critiques.</p> <p>L'ampleur des liens personnels et financiers de l'OCCRP avec le gouvernement américain va à l'encontre de «tous les principes de l'éthique journalistique». 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[...] Je suis très reconnaissant au gouvernement américain.»</p> <p>Par écrit, Sullivan a renchéri: «Nous avons dû décider si nous voulions accepter de l'argent du gouvernement ou ne pas exister.» Sur le site web de l'OCCRP, les montants des sponsors ne sont pas indiqués.</p> <h3><strong>Conditions posées</strong></h3> <p>Sullivan a confirmé à la NDR le pouvoir d'influence des autorités américaines: «Dans le cadre d'accords de coopération que nous n'aimons pas conclure, ils ont un droit de regard sur le choix des personnes [...] Ils peuvent mettre leur veto sur quelqu'un [...] Ils n'ont jamais mis leur veto sur quelqu'un.»</p> <p>L'OCCRP ne peut pas enquêter sur des affaires américaines avec l'argent fourni par Washington. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Sullivan à la NDR. «Je pense que le gouvernement américain ne le permet pas. 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Des faits presque incroyables sur le travail de relations publiques du Pentagone.</p> <p><strong>20 avril 2008</strong> <a href="https://www.spiegel.de/kultur/gesellschaft/gekaufte-meinung-pentagon-beschaeftigt-pr-armee-fuer-us-tv-a-548519.html">Le Pentagone emploie une armée de RP pour la télévision américaine</a>. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@stef 23.12.2018 | 19h49
«Très très inspirant.
Un grand bonhomme, qui aurait mérité mieux.
La Russie aurait aussi mérité mieux que ce boucher de Staline...»