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Actuel / Le plus grand procès contre la corruption de l’histoire du Brésil

Bon pour la tête

8 novembre 2018

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En acceptant de devenir le ministre de la Justice du futur gouvernement Bolsonaro, le petit juge Sergio Moro, comme on le surnomme, laisse derrière lui un chantier pénal gigantesque. Depuis mars 2015, 200 enquêtes préliminaires ont été diligentées, 36 ont abouti à des dénonciations criminelles, 8 d’entre elles, concernant 100 inculpés, sont en attente de procès susceptibles de déboucher sur des peines de prison et 163 accords de délation à la justice, permettant à leurs auteurs de bénéficier de réduction de peine ont été conclus.



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Jean-Jacques Fontaine, journaliste et auteur du blog Vision Brésil, Rio de Janeiro


L’opération Lava Jato, de loin la plus vaste investigation contre la corruption politique de l’histoire du Brésil concerne 14 partis politiques, incarnant pratiquement tout le spectre politique du pays, du Parti des Travailleurs (gauche) au PSDB de l’ex-président Fernando Henrique Cardoso (centre droit). Un ex-président, Luis Iniacio Lula da Silva (2003-2010) est sous les verrous et le président en exercice jusqu’à fin 2018, Michel Temer est sous enquête. L’ex-présidente Dilma Rousseff (2010-2016) a été destituée.

Un ex-président, Luis Iniacio Lula da Silva (2003-2010) est sous les verrous. © DR


Jaïr Bolsonaro, qui vient d’être élu, semble, lui, avoir les mains propres. Il n’est en tout cas jamais cité jusqu’ici dans les enquêtes Lava-Jato. Il l’explique lui-même en avouant que, durant les 28 ans où il a siégé au Congrès, il n’a jamais occupé de fonction déterminante. Si cela en avait été autrement, a-t-il confessé à mi-voix au cours de la campagne électorale, il se serait peut-être lui aussi laisser séduire par les sirènes de la corruption.

Jaïr Bolsonaro a changé sept fois de parti politique durant sa carrière parlementaire. La formation à laquelle il a appartenu le plus longtemps, de 2005 à 2016, le PP, Parti progressiste est un de ceux contre lequel court le plus d’enquêtes: 31 de ses 56 députés fédéraux ont été mis en examen par le Tribunal suprême fédéral. Le président qui vient d’être désigné par les urnes assure n’avoir rien su des pratiques délictueuses de ses coreligionnaires à l’époque.

À l’origine de Lava-Jato, le mensalão

Remontons dans le temps. Nous sommes le 14 mai 2005. Lula est président depuis 2 ans, c’est son premier mandat. Il est adulé par les foules. Ce jour-là, l’hebdomadaire Veja publie la confession de l’ancien directeur des Postes brésiliennes, lequel avoue qu’il a participé au versement de «mensualités» à des politiciens, ponctionnées sur le budget de son administration publique. En déroulant le fil de l’histoire, le procureur général de la République, Antonio Fernando de Souza met à jour un système de financement des députés au parlement pour acheter leurs votes lors de décisions concernant des propositions de loi soumises au Congrès par l’exécutif.

À la manœuvre, le PTB, un des partis de la coalition majoritaire formée autour du Parti des Travailleurs et à la barre, José Dirceu, un des principaux dirigeants du PT. Il est alors ministre de la Casa Civil, qui tient lieu de Premier ministre au Brésil et surtout, sert de courroie de transmission entre l’Exécutif et le Législatif.

À la manœuvre, le PTB, un des partis de la coalition majoritaire formée autour du Parti des Travailleurs et à la barre, José Dirceu, un des principaux dirigeants du PT. © DR

Une série de têtes tombent, le scandale frôle le président Lula, dont on dit qu’il pouvait difficilement ne pas savoir, mais il échappe aux soupçons. Le mensalão donnera lieu en 2011 à un rapport final de 332 pages, rédigé par la Police fédérale qui détaille le schéma de ce détournement d’argent public pour acheter des soutiens politiques.

Curieusement, tout au long des investigations, cette affaire est traitée comme un cas ponctuel et exceptionnel. De la même manière que l’ont été les précédentes enquêtes sur d’autres affaires de corruption publique: le scandale dit du Bingo (la loterie) en 2004, celui de la Poste en 2005 ou la mystérieuse disparition du préfet de Santo André, Celso Daniel en 2002. On ne fait pas encore le lien entre ces différentes affaires et des pratiques politiques obscures qui pourraient s’avérer systématiques.

Il faut dire que les deux mandats présidentiels de Lula (2003-2006 et 2007-2010) ont été marqués par la bonne conjoncture internationale. Le Brésil surfe sur de juteuses rentrées grâce à la flambée des cours des matières premières, le gouvernement redistribue en bonne partie les bénéfices sous forme de programmes d’aide sociale qui font accéder une proportion respectable des plus pauvres à la consommation intérieure et stimula la croissance. Plus 9% d’augmentation du PIB en 2009. Lula est perçu comme un bienfaiteur à l’intérieur du pays et une idole sur le plan international.

Lava Jato, c’est une autre histoire dans un autre contexte

Lorsqu’en 2014, les premières rumeurs se font jour, à propos du versement de pots-de-vin à des politiciens, par l’entreprise publique Petrobras, pour favoriser l’octroi de contrats de travaux publics, l’ambiance générale a changé. La crise de 2008 des subprimes aux États-Unis a fini par atteindre le Brésil en 2010, Dilma Roussef, qui a succédé à Lula met en place une stratégie sans lendemain de privilèges aux champions nationaux, ces entreprises géantes du génie civil et de l’agrobusiness pour, dit-elle, relancer la machine économique, et surtout, de grands travaux sont en cours pour construire les infrastructures nécessaires à accueillir la Coupe du monde de football en 2014 et les Jeux olympiques de Rio de Janeiro en 2016.

Dilma Roussef, qui a succédé à Lula en 2010. © DR

Le contexte économique est donc tendu, la présidente peine à s’imposer et le Parti des Travailleurs est en perte de vitesse. Au Congrès, il est contraint de passer, de plus en plus souvent, des alliances avec des formations opportunistes du marais parlementaire. Le versement de dessous-de-table à des politiciens, pour emporter des contrats, dans le domaine de l’infrastructure, mais aussi de la santé, de l’éducation ou des politiques sociales, devient la norme. La corruption est devenue systémique. Les scandales qui se succèdent ne peuvent plus être considérés, comme à l’époque du mensalão, comme des cas isolés.

Et surtout, les premières enquêtes sont confiées à un juge d’instruction, jusque-là inconnu, dont la compétence et la ténacité vont démonter le système Lava Jato et en faire l’emblème d’une lutte pour la propreté en politique au Brésil. Ces investigations vont tout emporter sur leur passage et déclencher une crise politique majeure dont le pays subit le contrecoup aujourd’hui.

Un petit juge inspiré par «Mani Puliti»

Ce n’est pas tout à fait par hasard que le juge Sergio Moro a réussi à provoquer ce séisme. En 2014, il est encore jeune — il est né en 1972. Il a décroché peu de temps avant son doctorat en consacrant sa thèse à l’opération «Mani Puliti» en Italie: une vaste enquête au début des années 1990, qui, comme dans l’affaire Lava-Jato au Brésil a réduit en miettes les partis qui dominaient la Péninsule depuis la fin de la guerre, la Démocratie chrétienne, le Parti communiste et le Parti socialiste.

C’est à partir d’une petite enquête sur une affaire presque secondaire de corruption politique à Curitiba (Parana) où il est en poste que Sergio Moro va mettre à jour tout le scandale de corruption du Lava Jato, qui touche les plus grandes entreprises de la construction du pays et une large partie de la classe politique nationale.

C’est à partir d’une petite enquête sur une affaire presque secondaire de corruption politique à Curitiba (Parana) où il est en poste que Sergio Moro va mettre à jour tout le scandale de corruption du Lava Jato. © DR

Sergio Moro applique les méthodes de «Mani Puliti»: prison préventive des suspects jusqu’à ce qu’ils craquent, quitte à prendre certaines libertés avec le code, recours systématique à la délation contre des remises de peine pour faire avancer les enquêtes et condamnation sur la base de témoignages concordants, sans trop s’embarrasser de l’absence éventuelle de preuves concrètes.

Cette stratégie à l’emporte-pièce du juge fédéral de Curitiba lui vaudra des critiques parfois virulentes, non seulement des formations politiques impliquées dans les scandales comme le Parti des Travailleurs, mais aussi parfois du Tribunal suprême, qui le désavouera dans un certain nombre d’affaires en annulent certaines des condamnations qu’il a peut-être prononcées un peu trop rapidement. Sergio Moro deviendra cependant l’icône médiatique de la lutte contre la corruption, il sera gratifié d’une aura populaire immense, qui explique la raison pour laquelle Jaïr Bolsonaro, à peine élu, a cru bon d’en faire son futur super-ministre de la justice.

En quittant ses quartiers de Curitiba, Sergio Moro laisse derrière lui un vaste chantier, des centaines de procès en attente, des dizaines d’investigations en cours et de négociations de délation inachevées. Pour l’instant, son successeur n’a pas encore été désigné. C’est sa substitute, Gabriela Hardt qui assure l’intérim. D’elle en tout cas, on ne peut pas espérer de fléchissement dans la rigueur des investigations. Ni non plus, sans doute, de la personne qui sera nommée définitivement au poste de Sergio Moro, vu l’ambiance politique générale et l’importance du symbole que représente ce bureau d’enquête fédéral de Curitiba.

La prison de Lula et les auditions qui attendent encore l’ancien président.

Sergio Moro, avant d’être invité par Jaïr Bolsonaro à d’autres fonctions, avait un nouveau rendez-vous avec Luis Iniacio Lula da Silva. Ce devait être le 14 novembre et c’était pour l’entendre à propos d’une autre affaire que celle du triplex de Guaruja qui lui a déjà valu une condamnation — confirmée en seconde instance — à 12 ans de prison. Il s’agissait cette fois du sitio de Atibaia, une maison de campagne qu’un éleveur de bétail aurait mise gracieusement à sa disposition contre «services rendus», l’enquête doit encore déterminer lesquels. L’audience sera sans doute reportée.

Ce n’est qu’une des sept instructions auxquels Lula doit encore s’attendre, 7 autres affaires pour lesquelles la justice, qui l’estime mêlé, le poursuit. Dans le détail, il s’agit:

  • D’une tentative d’obstruction de l’opération Lava-Jato en tentant d’acheter le silence de l’ex-directeur de Petrobras, Nestor Cervero

  • De trafic d’influence, organisation criminelle et blanchiment dans le cadre d’opérations de soutien de la BNDS (Banque Nationale de développement économique et social) à l’entreprise de construction Odebrecht en Angola

  • De deux accusations de corruption passive pour acceptation d’avantages durant sa présidence et de favoritisme dans l’affaire du sitio de Atibaia.

  • De blanchiment et corruption passive pour acceptation de pots-de-vin d’une valeur de 12,4 millions de R $ (356 000 CHF) de la part de l’entreprise Odebrecht dans le cadre de l’achat du terrain pour la construction de l’Institut Lula à São Paulo

  • Trafic d’influence dans le cadre d’achat d’avions de chasse suédois par les Forces aériennes brésiliennes.


À quand le solde final des comptes?

Quant au reste de l’opération Lava-Jato, ce sont 188 condamnations dont une bonne partie fait l’objet de recours, 11,5 milliards de R $ (3,10 milliards de CHF) d’argent détourné à recouvrer, dont 1,9 milliard déjà récupéré, 39 enquêtes en cours auprès de tribunaux spéciaux, 103 mandats de prison préventive, 954 mandats d’amené, 72 accusations criminelles contre 289 suspects, 163 accords de délation négociée et 395 demandes d’entraide judiciaire auprès de 50 pays.

Des chiffres à donner le tournis, qui laissent présumer qu’on entendra encore parler de l’opération Lava-Jato bien au-delà du mandat de 4 ans qui vient d’être confié à Jaïr Bolsonaro et à son nouveau ministre de la justice Sergio Moro.



Deux liens plus de détails sur les personnes impliquées et/ou condamnées dans l’affaire Lava-Jato (et pour ceux qui parlent portugais!):

Le premier, le deuxième


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