Culture / «Inch’Allah», le livre qui vient du mauvais côté
Le plus intéressant, le plus préoccupant, aussi, dans Inch’Allah, est moins la description du fait religieux, pour ainsi dire du déjà entendu, que le rapport de force politique qui s’y rattache. © Flickr
Cornaqués par deux stars françaises du journalisme d’enquête, cinq apprentis reporters se sont attaqués à un sujet ultra-sensible, l’«islamisation» du fantasmatique «9-3», la Seine-Saint-Denis. Leur livre, titré gros «INCH’ALLAH» en lettres capitales, confirme une évolution observée ces dernières décennies et suscitent de vives réactions côté musulman.
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Jeudi, comme souvent dans ce rendez-vous formaté pour le buzz, il s’est passé <a href="https://twitter.com/LeDevBreton/status/1590817814059044864?s=20&t=4TWr6vsi3CFKbFwoMHZdVw" target="_blank" rel="noopener">quelque chose de fort</a> sur le plateau de «Touche pas à mon poste!», l’émission animée par Cyril Hanouna sur la chaîne C8 du groupe Bolloré – le nom à l’origine du clash de jeudi soir. Pour La France insoumise (LFI), ce parti de la gauche radicale siégeant à l’Assemblée nationale, un dilemme à présent se pose: faut-il encore aller à TPMP, là où bat le cœur de la France antisystème, où les électorats lepénistes et mélenchonistes s’invectivent, mais surtout, se parlent comme nulle part ailleurs?</p> <p>Que s’est-il passé de si grave ou plutôt de si révélateur? Alors que le débat portait sur l’accueil par la France de 234 migrants se trouvant à bord du bateau Ocean Viking, le jeune député LFI Louis Boyard, qui fut autrefois chroniqueur rétribué à TPMP, a mis les pieds dans son ancienne gamelle en parlant d’un procès menaçant «Bolloré» pour déforestation au Cameroun. 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Qui, d’Hanouna ou de la gauche radicale, a-t-il le plus besoin de l’autre? Sans LFI, formation aux accents populistes, TPMP perdrait sa caution de gauche, risquant alors de ne plus réunir que des «anti-tout», souvent l’antichambre d’un parti de l’ordre. Mais en renonçant à ce forum, La France insoumise se priverait d’un lieu où elle peut porter des coups à «Macron», ce qui lui rapporte des voix. Ne plus se montrer dans «Touche pas à mon poste!» pourrait être interprété comme l’aveu qu’on appartient au «système», à cette «élite» qu’on prétend combattre.</p> <p>Dans le même temps, en participant à cette émission, LFI sait qu’elle contribue à saper la confiance dans les institutions démocratiques, dont on a vu jeudi soir le peu de cas qu’en faisait Cyril Hanouna en insultant le député Boyard. Il y a deux semaines, toujours à la barre de TPMP, Hanouna appelait à la tenue d’un procès expéditif, assortie d’une «perpétuité immédiate» pour la meurtrière présumée de la petite Lola. 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Né en 1950 à Constantine, issu de la communauté juive algérienne, partie avec les pieds-noirs à l’indépendance en 1962, Stora était investi d’une mission réconciliatrice par le président de la République. A la fin de son travail, l’historien émet une série de préconisations. Et l’on entre alors dans le vif du sujet: l’action.</p> <p>La première de ces préconisations, qui rappelle la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud, l’Instance Vérité et Dignité en Tunisie, est la constitution d’une «Commission "Mémoires et vérité" chargée d’impulser des initiatives communes entre la France et l’Algérie sur les questions de mémoires». La <em>vérité</em>. Pas de réconciliation sans vérité sur les exactions passées, croit-on.</p> <p>Mais la vérité n’est pas seulement question de faits, elle intéresse aussi le sens. Or deux sens ne peuvent cohabiter. Pas d’en-même-temps possible: la douleur d’un camp ne peut valoir celle de l’autre. Celle de l’Allemand de la Seconde Guerre mondiale ne vaut pas celle de l’Allié. On touche probablement ici à la limite du rapport Stora: le colon ne peut pas faire valoir sa douleur au même titre que le colonisé. Sinon, toute la hiérarchie, établie selon une échelle de valeurs qui accorde au colonisé la légitimité de sa révolte, est rebattue. Et pourtant, se dit-on, il faut tendre vers la reconnaissance des souffrances de part et d’autre, pour pouvoir la faire, cette réconciliation. Comme c’est compliqué…</p> <h3>Les choses ont un sens que la paix peut ignorer</h3> <p>Seul le sens permet d’y voir clair. Mais le problème du sens, qui dit qui avait raison, qui avait tort, c’est qu’il ne permet pas toujours de refermer les plaies, puisque personne ne veut être en tort, ou avoir tous les torts. Le cas franco-algérien renvoie à la spécificité de la guerre d’Algérie, plus sensible sur un plan mémoriel que les guerres franco-allemandes.</p> <p>La guerre d’Algérie, combat décolonial, lutte pour la libération, fut probablement moins une guerre classique entre deux nations qu’une guerre civile à l’intérieur d’un même territoire. Opposant deux populations d’inégal statut, certes, et ce n’est pas rien, mais ayant toute deux un caractère civil. De là, sans doute, le refus, longtemps, de nommer par le terme de guerre ce qui était appelé sous le nom d’événements.</p> <p>C’est pourquoi la vérité (qui la dit? selon quels critères?) peut être, aussi, parfois, l’ennemi de la réconciliation, celle-ci étant par nature toujours un peu artificielle. Disons que l’intérêt de la paix l’emporte à un moment donné sur l’intérêt de la guerre, surtout dans une configuration de conflit civil.</p> <h3>Les pieds dans le plat</h3> <p>Très vite apparaît la nécessité de l’amnistie, pour étouffer des braises dont chacun a cependant conscience qu’elle ne seront jamais tout à fait éteintes. Ce fut vrai après une relative brève période d’épuration en France en 1944-45. Vrai entre la France et l’Algérie à l’indépendance en 1962. Vrai encore en 1999, lorsque le président algérien Abdelaziz Bouteflika fit voter la loi dite de concorde civile, qui mit fin par un plébiscite à la guerre civile.</p> <p>Cela nous amène à la France d’aujourd’hui, celle, d’après, espérons-le, les attentats islamistes. Attentats? Islamistes? D’emblée, les pieds dans le plat. La somme de «ce qui est arrivé en France ces dernières années» pèse son poids de non-dits. Cette situation présente des similitudes avec les conflits évoqués plus haut. Mais elle a comme quelque chose d’inextricable. Ce n’est pas encourageant.</p> <h3>Quand le bourreau redevient l'égal de la victime</h3> <p>Alors, quelles similitudes entre l’après-attentats et ces précédents après-guerres? La première de toutes, la plus importante: la nécessité de l’amnistie, avons-nous vu, par quoi on cesse de juger ceux qu’on sait coupables, par quoi on passe à autre chose. Comme la victime, le bourreau doit pouvoir reprendre une vie normale. Sauf que toute amnistie suppose un vainqueur reconnu comme tel, autrement dit un juste faisant offrande de son pardon au vaincu. L’amnistie, qui comporte une part d’amnésie volontaire, permet le retour à la paix dans des sociétés qui se sont entredéchirées.</p> <p>Toute la difficulté en France – on le voit avec les polémiques entourant l’adoption en cours de la loi confortant le respect des principes républicains, initialement intitulée contre le séparatisme islamiste – tient dans l’énoncé et dans le sens attribué à des faits qui ont ensanglanté la métropole comme jamais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.</p> <h3>Déni de réalité</h3> <p>Dire ce qui s’est passé contient un enjeu de pouvoir politique et culturel pour le présent et pour l’avenir. Il y a là un rapport de force, d’autant plus à l’œuvre que la qualification de ces attentats n’est pas claire pour tous, ou doit rester équivoque, manière de manœuvre dilatoire. On est alors proche du déni de réalité. Laquelle? Oui, on peut jouer longtemps sur les mots.</p> <p>La meilleure façon de tirer un trait sur cette période serait effectivement de dire que l’islamisme n’existe pas et que par conséquent il n’y a pas eu d’attentats, tout attentat ayant une motivation idéologique. Il y aurait eu une sorte d’explosion de violence spontanée.</p> <h3>Désigner une idéologie, c'est désigner des idéologues</h3> <p>Retenir la qualification d’attentats, qui plus est islamistes, ce qu’ils ont bel et bien été, c’est désigner une idéologie. L’idéologie islamiste, donc: soit un projet de conquête civilisationnelle dirigé contre l’Occident jugé décadent et en bout de course. Toute la littérature djihadiste, s’inspirant de l’islamisme, est faite de cela.</p> <p>Désigner une idéologie potentiellement violente, c’est désigner des idéologues et des compagnons de route. C’est vouloir occuper le pouvoir à leur place, là où on pense qu’ils l’occupent, dans certaines parties de l’université, par exemple. C’est désigner un problème: «l’islamo-gauchisme», soit une convergence plus ou moins solide entre matérialisme et religion en vue de renverser l’ordre bourgeois, lequel s’oppose à la fois à l’égalité et à une saine vision de l’existence – notons que le fidèle musulman n’érigeant pas sa religion en cause politique, et cela fait du monde, n’a que faire de ces sollicitations révolutionnaires.</p> <h3>La France insoumise visée et visant à son tour</h3> <p>Sur la défensive, se sentant visée par une entreprise épuratrice post-islamiste, par quoi il s’agit d’empêcher, du moins de s’opposer frontalement aux conditions de production de l’islamisme, la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon refuse de faire la différence entre islamisme et islam, accuse le gouvernement de persécution envers les musulmans. Comme si l’islamisme n’existait pas ou n’avait pas existé, en France et ailleurs, comme si – autre façon de hiérarchiser la donne historique – les coupables de ce qu’il faut quand même bien appeler des attentats, n’étaient pas à chercher parmi des musulmans, population opprimée, mais chez leurs oppresseurs, autrement dit dans l’Occident capitaliste, colon un jour, colon toujours…</p> <h3>La poursuite de la guerre d'Algérie</h3> <p>On retrouve ici la matière du rapport Stora sur les conséquences de la guerre d’Algérie. En quoi on pourrait affirmer que les attentats islamistes qui ont frappé la France ces dernières années sont en partie, en partie seulement, la poursuite d’une guerre d’Algérie qui n’a pas réellement pris fin. Tout comme la guerre civile algérienne des années 90 fut avant cela la poursuite, déjà, de cette même guerre, dont le terme fut sanctionné davantage par une forme d’armistice que par une paix durable.</p> <p>Les morts de Samuel Paty, le professeur égorgé l’an dernier, celle du commandant de gendarmerie Beltrame, en 2018, sont des morts encombrantes. Les maires, plutôt de droite, qui veulent donner leurs noms à des places et des rues, en inscrivant sous leurs patronymes: «Victimes du terrorisme islamiste», désignent implicitement une idéologie ennemie. Non pas extérieure à la France mais présente en France.</p> <p>Cette désignation un peu lourde de sens, c’est le cas de le dire, ne contribue pas à la recherche de la paix, dont l’oubli est l’une des composantes, pourrait-on penser. Mais «en face», là où tout est social et colonial, on ne baisse pas pavillon. La déconstruction du modèle occidental et capitaliste – visé par l’islamisme revanchard – doit se poursuivre. 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Qu’est-ce que cela révèle de ce vote, à cet endroit bien précis, celui des limites géographiques et politiques d’un pays, en sa partie francophone?</p> <p>A Courgenay, dans cette Ajoie s’enfonçant tel un saillant dans les départements français du Doubs et du Territoire de Belfort, 65,4% des habitants ont voté en faveur de l’initiative soutenue par l’UDC et une partie de la gauche (<a href="https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/votations/20210307/initiative-populaire-oui-a-l-interdiction-de-se-dissimuler-le-visage.html" target="_blank" rel="noopener">cliquez ici</a> pour avoir accès à la carte interactive). 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Un <i>mansplaining</i> en mode solidaire, bien sûr. Je serais même tenté d’y voir un peu plus que cela: un <i>manembracing</i> virant au <i>manembarrassing</i>. Autrement dit: une défense à ce point appuyée qu’elle en devient gênante.</p> <p>Gabriel Bender a le zèle du converti. Du converti au féminisme. C’est l’impression qu’il donne. Comme s’il devait montrer, à lui-même et au monde, qu’il est du bon côté. Celui des dominés, en l’occurrence des dominées. Militantisme et sociologie – sa discipline – ne font plus qu’un dans un certain nombre de domaines de recherche. En première année de «socio», on apprenait pourtant à distinguer le discours de l’acteur de celui de l’observateur.</p> <p>Ce précieux conseil, qui permet d’entretenir la veille démocratique, ne semble plus partagé par tous les observateurs des phénomènes de société. La prose «féministe» de Gabriel Bender rend compte d’une confusion des statuts certainement volontaire. Chez lui, les termes du combat paraissent ne pas devoir être discutés, celui de patriarcat, par exemple. Or ce n’est pas parce que le patriarcat existe en tant que phénomène historique que le mot n’est pas utilisé dans la période actuelle comme une ressource discursive mise au service d’un intérêt.</p> <p>Contrairement à quelques-uns éprouvant le besoin d’exposer leur vertu, je n’ai pas pour habitude de dire dans un texte ce que je pense profondément. Parce que je me dis qu’un individu, au hasard, un lecteur, une lectrice, peut parfaitement faire crédit à un autre individu de son appartenance à la bonne part de l’humanité même si ce dernier dévie, autrement dit s’accorde le droit de questionner des tendances. Le fait de dévier, de pouvoir le faire, est gage de bonne santé démocratique. Cela ne veut pas dire qu’on est en droit d’imposer son point de vue aux autres. 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Ne serait-ce pas là jouer sur les «deux tableaux», celui de la victime à qui réparation est due et celui du citoyen à qui tout revient une fois la victoire acquise? Aussi je propose qu’on laisse la démocratie trancher sur les reformes sociétales voulues par le «collectif du 14 juin». Et que le droit remplisse son office pour les cas de harcèlement et mobbing présumés.</p> <p>Il y a de la mauvaise foi dans le texte de Gabriel Bender. A tout le moins des imprécisions. J’en veux pour preuve ce passage où il comprend de travers ce qui est pourtant clair: personne, parmi les salariés de la RTS, ne pousse, contrairement à ce qu’il affirme, la femme que je cite anonymement à produire un «faux témoignage», soit des accusations de harcèlement qu’elle n’aurait pas subi. 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L’enquête proprement dite a été réalisée pendant huit mois par cinq étudiants, deux jeunes femmes et trois jeunes gens du Centre de formation des journalistes de Paris. Si la plupart des «lanceurs d’alerte» ayant attiré l’attention depuis vingt ans sur un phénomène d’emprise islamiste ici ou là trouvent confirmation à leurs travaux, si Eric Zemmour, le chantre d’une identité française anti-islam, applaudit et remet une couche, le livre, c’était à attendre, provoque un tollé chez les partisans d’un religion qui n’aurait à rendre compte de rien, dès lors que tout ce qui s’y rapporte est légal.
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Le livre aborde vingt-et-un cas en autant de chapitres, tous «sourcés» et sans anonymat (à l’exception d’une anecdote spectaculaire dans la préface relative à un barbecue «halal» au sein de la police, information démentie par un syndicaliste policier). On y constate donc la large diffusion d’une littérature vantant la soumission de la femme à son mari; la profusion des voiles très couvrants; des comportements clairement contraires à la laïcité dans le cadre scolaire public; l’entrisme religieux à l’hôpital ou dans un dépôt de la régie de transport RATP; le succès de la «médecine prophétique» pratiquant des saignées superficielles; etc.
«Une mosquée, c’est trois mandats»
Le plus intéressant, le plus préoccupant, aussi, dans Inch’Allah, est moins la description du fait religieux, pour ainsi dire du déjà entendu, que le rapport de force politique qui s’y rattache. Comme dans le cas de ce père bataillant pour empêcher la construction d’une mosquée en face de chez lui (son fils converti à l’islam est mort après avoir rejoint Daech). Un chapitre est très éclairant sur le clientélisme municipal, qui montre l’importance du lobbyisme d’entrepreneurs identitaires auprès des maires ou futurs maires – «une mosquée, c’est trois mandats», dit un adage. On retiendra encore le chapitre sur le fiasco du renseignement intérieur, avant 2015, en Seine-Saint-Denis.
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Un chapitre est très éclairant sur le clientélisme municipal, qui montre l’importance du lobbyisme d’entrepreneurs identitaires auprès des maires ou futurs maires – «une mosquée, c’est trois mandats», dit un adage. On retiendra encore le chapitre sur le fiasco du renseignement intérieur, avant 2015, en Seine-Saint-Denis. </p><p>La riposte à ce livre a commencé. Deux journalistes femmes du Bondy Blog, créé par <em>L’Hebdo</em> en 2005, ont rendu un avis on ne peut plus critique dans un article reprochant notamment aux auteurs l’« [application] encore et toujours [d’]un traitement différencié à la religion musulmane». Mais c’est du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), une association représentative d’un islam militant, qu’est venue la réplique la plus cinglante. 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Né en 1950 à Constantine, issu de la communauté juive algérienne, partie avec les pieds-noirs à l’indépendance en 1962, Stora était investi d’une mission réconciliatrice par le président de la République. A la fin de son travail, l’historien émet une série de préconisations. Et l’on entre alors dans le vif du sujet: l’action.</p> <p>La première de ces préconisations, qui rappelle la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud, l’Instance Vérité et Dignité en Tunisie, est la constitution d’une «Commission "Mémoires et vérité" chargée d’impulser des initiatives communes entre la France et l’Algérie sur les questions de mémoires». La <em>vérité</em>. Pas de réconciliation sans vérité sur les exactions passées, croit-on.</p> <p>Mais la vérité n’est pas seulement question de faits, elle intéresse aussi le sens. Or deux sens ne peuvent cohabiter. Pas d’en-même-temps possible: la douleur d’un camp ne peut valoir celle de l’autre. Celle de l’Allemand de la Seconde Guerre mondiale ne vaut pas celle de l’Allié. On touche probablement ici à la limite du rapport Stora: le colon ne peut pas faire valoir sa douleur au même titre que le colonisé. Sinon, toute la hiérarchie, établie selon une échelle de valeurs qui accorde au colonisé la légitimité de sa révolte, est rebattue. Et pourtant, se dit-on, il faut tendre vers la reconnaissance des souffrances de part et d’autre, pour pouvoir la faire, cette réconciliation. Comme c’est compliqué…</p> <h3>Les choses ont un sens que la paix peut ignorer</h3> <p>Seul le sens permet d’y voir clair. Mais le problème du sens, qui dit qui avait raison, qui avait tort, c’est qu’il ne permet pas toujours de refermer les plaies, puisque personne ne veut être en tort, ou avoir tous les torts. Le cas franco-algérien renvoie à la spécificité de la guerre d’Algérie, plus sensible sur un plan mémoriel que les guerres franco-allemandes.</p> <p>La guerre d’Algérie, combat décolonial, lutte pour la libération, fut probablement moins une guerre classique entre deux nations qu’une guerre civile à l’intérieur d’un même territoire. Opposant deux populations d’inégal statut, certes, et ce n’est pas rien, mais ayant toute deux un caractère civil. De là, sans doute, le refus, longtemps, de nommer par le terme de guerre ce qui était appelé sous le nom d’événements.</p> <p>C’est pourquoi la vérité (qui la dit? selon quels critères?) peut être, aussi, parfois, l’ennemi de la réconciliation, celle-ci étant par nature toujours un peu artificielle. 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L’amnistie, qui comporte une part d’amnésie volontaire, permet le retour à la paix dans des sociétés qui se sont entredéchirées.</p> <p>Toute la difficulté en France – on le voit avec les polémiques entourant l’adoption en cours de la loi confortant le respect des principes républicains, initialement intitulée contre le séparatisme islamiste – tient dans l’énoncé et dans le sens attribué à des faits qui ont ensanglanté la métropole comme jamais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.</p> <h3>Déni de réalité</h3> <p>Dire ce qui s’est passé contient un enjeu de pouvoir politique et culturel pour le présent et pour l’avenir. Il y a là un rapport de force, d’autant plus à l’œuvre que la qualification de ces attentats n’est pas claire pour tous, ou doit rester équivoque, manière de manœuvre dilatoire. On est alors proche du déni de réalité. Laquelle? Oui, on peut jouer longtemps sur les mots.</p> <p>La meilleure façon de tirer un trait sur cette période serait effectivement de dire que l’islamisme n’existe pas et que par conséquent il n’y a pas eu d’attentats, tout attentat ayant une motivation idéologique. Il y aurait eu une sorte d’explosion de violence spontanée.</p> <h3>Désigner une idéologie, c'est désigner des idéologues</h3> <p>Retenir la qualification d’attentats, qui plus est islamistes, ce qu’ils ont bel et bien été, c’est désigner une idéologie. L’idéologie islamiste, donc: soit un projet de conquête civilisationnelle dirigé contre l’Occident jugé décadent et en bout de course. Toute la littérature djihadiste, s’inspirant de l’islamisme, est faite de cela.</p> <p>Désigner une idéologie potentiellement violente, c’est désigner des idéologues et des compagnons de route. C’est vouloir occuper le pouvoir à leur place, là où on pense qu’ils l’occupent, dans certaines parties de l’université, par exemple. 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Qu’est-ce que cela révèle de ce vote, à cet endroit bien précis, celui des limites géographiques et politiques d’un pays, en sa partie francophone?</p> <p>A Courgenay, dans cette Ajoie s’enfonçant tel un saillant dans les départements français du Doubs et du Territoire de Belfort, 65,4% des habitants ont voté en faveur de l’initiative soutenue par l’UDC et une partie de la gauche (<a href="https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/votations/20210307/initiative-populaire-oui-a-l-interdiction-de-se-dissimuler-le-visage.html" target="_blank" rel="noopener">cliquez ici</a> pour avoir accès à la carte interactive). 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Ce terme, dont l’islam politique est féru, a plusieurs acceptions. C’est son problème comme sa force. Il englobe et confond la critique, la crainte et le rejet de l’islam. Mais on peut penser que le «vote des frontières» à l’initiative qui nous occupe renferme une part de crainte, voire de rejet de la religion musulmane, en tous les cas de ses formes apparaissant comme radicales ou intolérantes.</p> <p>Notre hypothèse, elle, est qu’il faut envisager ce vote frontalier romand comme le résultat d’une association d’idées: niqab=islam, islam=danger, danger=France. Cet enchaînement peut certainement valoir aussi, selon des modalités propres, avec d’autres pays limitrophes de la Suisse – la chose est frappante dans le canton de Saint-Gall, qui fait face à l’Autriche, visée le 12 novembre par un attentat djihadiste à Vienne.</p> <p>Ne nous cachons pas la réalité: nombreux sont les Suisses à avoir de la France une image cauchemardesque, ou du moins dégradée. Pour rien au monde, ils ne voudraient être français, ni connaître ce que la France, singulièrement cette «France voisine» – proche mais tenue à distance comme tout voisin – connaît: le chômage, la délinquance, un rapport exacerbé à l’islam, globalement, des problèmes paraissant insolubles.</p> <hr /> <p style="text-align: center;"><strong>Lire aussi</strong>: <em><a href="https://bonpourlatete.com/analyses/islamisme-france-suisse-le-vrai-sujet-qui-fache" target="_blank" rel="noopener">Islamisme France-Suisse: le vrai sujet qui fâche</a></em></p> <hr /> <p>Les communes romandes frontalières, spécialement celles de fort passage, spécialement celles situées en zones rurales, spécialement enfin celles qui n’ont pas avec la France de «barrière naturelle» – une rivière, un fort dénivelé forestier ou montagneux –, s’estiment aux premières loges d’un danger réel, exagéré ou fantasmé dont elles entendent se prémunir. Les habitants de ces localités se considèrent vulnérables, ils voient dans la frontière une protection contre des périls, le rôle même d’une frontière.</p> <p>Deux épisodes de délinquance remontant à l’été dernier renforcent cette hypothèse: l’un a touché la «<a href="https://bonpourlatete.com/actuel/la-suisse-c-est-un-autre-monde-faut-dire-la-verite" target="_blank" rel="noopener">piscine de Porrentruy</a>», en Ajoie, lorsque des «racailles» (terme chargé de sous-entendus) venues de quartiers sensibles de France voisine ont commis des incivilités dans l’enceinte du bassin bruntrutain; <a href="https://bonpourlatete.com/actuel/neuchatel-veut-que-l-algerie-reprenne-ses-delinquants-sans-papiers" target="_blank" rel="noopener">un autre</a> a fait grimper les chiffres de la délinquance semble-t-il comme rarement sur le littoral neuchâtelois, lorsque des mineurs ou jeunes majeurs isolés essentiellement originaires du Maghreb, certains d’entre eux étant en réalité originaires de France, ont commis des rapines.</p> <p>Les urnes électorales sont en quelque sorte nos lieux d’aisance démocratiques. 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Un <i>mansplaining</i> en mode solidaire, bien sûr. Je serais même tenté d’y voir un peu plus que cela: un <i>manembracing</i> virant au <i>manembarrassing</i>. Autrement dit: une défense à ce point appuyée qu’elle en devient gênante.</p> <p>Gabriel Bender a le zèle du converti. Du converti au féminisme. C’est l’impression qu’il donne. Comme s’il devait montrer, à lui-même et au monde, qu’il est du bon côté. Celui des dominés, en l’occurrence des dominées. Militantisme et sociologie – sa discipline – ne font plus qu’un dans un certain nombre de domaines de recherche. En première année de «socio», on apprenait pourtant à distinguer le discours de l’acteur de celui de l’observateur.</p> <p>Ce précieux conseil, qui permet d’entretenir la veille démocratique, ne semble plus partagé par tous les observateurs des phénomènes de société. La prose «féministe» de Gabriel Bender rend compte d’une confusion des statuts certainement volontaire. Chez lui, les termes du combat paraissent ne pas devoir être discutés, celui de patriarcat, par exemple. Or ce n’est pas parce que le patriarcat existe en tant que phénomène historique que le mot n’est pas utilisé dans la période actuelle comme une ressource discursive mise au service d’un intérêt.</p> <p>Contrairement à quelques-uns éprouvant le besoin d’exposer leur vertu, je n’ai pas pour habitude de dire dans un texte ce que je pense profondément. Parce que je me dis qu’un individu, au hasard, un lecteur, une lectrice, peut parfaitement faire crédit à un autre individu de son appartenance à la bonne part de l’humanité même si ce dernier dévie, autrement dit s’accorde le droit de questionner des tendances. Le fait de dévier, de pouvoir le faire, est gage de bonne santé démocratique. Cela ne veut pas dire qu’on est en droit d’imposer son point de vue aux autres. 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