Actuel / Briançon: journal de bord avec les migrants
Refuge Solidaire de Briançon. © Yves Magat
© Google earth
Une demi-heure après notre arrivée au Refuge Solidaire pour migrants de Briançon, nous nous retrouvons le couteau-éplucheur en main. Le bâtiment fait partie d’une ancienne caserne des CRS en face de la gare. Il est mis à disposition par la Communauté de commune qui règle aussi les factures d’eau et d’électricité. «La Mairie nous a dit: le lieu est à votre disposition mais c’est à vous de le gérer», explique Pauline Rey, la seule personne ayant une fonction institutionnelle dans le Refuge. Elle est aussi jeune qu’efficace: «C’est un accueil d’urgence de quelques jours. On reçoit tout le monde et on ne pose pas de questions.»
La cuisine est l’ancien garage des véhicules. Il sert de réfectoire et la nuit, on plie les tables pour ajouter des matelas, car le bâtiment n’était prévu que pour quinze personnes. Pour le premier repas que nous préparons nous sommes quatre bénévoles et quatre migrants: ce n’est pas de trop car il y a 104 convives à table! Au menu, deux fois par jour le riz est l’aliment de base. Cela correspond au goût des migrants dont les 90% viennent d’Afrique de l’Ouest: Côte d’Ivoire, Sénégal (souvent de Casamance), Mali, Nigéria, Sierra Leone, Gambie.
Le plus grand nombre vient de Guinée Conakry. Comme Ousmane qui arbore en permanence un large sourire. Lui aussi est passé par le cauchemar libyen. Il y est resté trois ans, dont 8 mois en prison: «On était 8 à 9000 détenus. C’était diabolique, on n’avait rien. On m’obligeait à travailler comme maçon. Je ne croyais pas que j’arriverais un jour en France. Et encore maintenant je me réveille la nuit en croyant que je suis toujours dans la prison.» Finalement, son frère déjà en France lui fait parvenir de l’argent pour payer sa libération et sa place sur un zodiac. Ousmane est sauvé de justesse du naufrage par un bateau espagnol puis amené en Sicile. Il me montre des photos prises par les secouristes en pleine mer: «je suis juste derrière cette rangée».
Dans le groupe, Ousmane est photographié par ses sauveteurs espagnols. © Yves Magat
Chaque jour des habitants de Briançon amènent de la nourriture. Un couple de maraîchers passe en coup de vent et dépose des caisses de légumes invendus. Une heure plus tard, un vieux monsieur amène trois plaques de beurre: «C’est pour le petit déjeuner!» Denis, le plombier du quartier, tente de réparer l’autocuiseur pour le riz.
Marie-Odile, infirmière retraitée est un pilier du Refuge: elle gère les stocks, ce qui n’est pas une mince affaire car on ne sait jamais à l’avance ce qu’il y aura le lendemain. «Si c’était mes enfants, je serais bien contente que des gens s’en occupent. Et sans nous, les migrants seraient à la rue; on ne sait pas ce qui pourrait se passer.» Les autorités locales l’ont d’ailleurs bien compris; il faut garder une bonne image de Briançon qui vit en partie grâce à la station de ski de Serre-Chevalier où on peut accéder directement en télécabine. Le Refuge permet de gérer le flux des migrants, une vingtaine par jour, qui arrivent et qui partent. Et un accord tacite avec les forces de police: le bâtiment est un sanctuaire où on ne vient pas chercher les migrants pour les expulser vers l’Italie. Une règle qui se limite à quelques mètres carrés. Tous les jours, comme d’autres bénévoles, je fais donc la navette jusqu’à la gare voisine afin d’acheter des billets de train pour ceux qui partent. S’ils le font eux-mêmes, ils risquent l’arrestation.
Coiffeur improvisé devant le Refuge. © Yves Magat
Un Malien me demande: «Je n’ai que 9 euros, est-ce que ça suffit pour Marseille?... » Il a de la chance, le lendemain c’est la Journée du Patrimoine et on peut voyager dans toute la région Provence-Côte d’Azur pour 5 euros! Le Refuge ne finance jamais les billets. C’est aux migrants de se faire envoyer de l’argent. C’est d’ailleurs une autre de mes tâches: aller réceptionner pour eux au centre-ville la maigre somme envoyée par des proches.
Ce matin un couple de vacanciers vient aider en cuisine. C'est en allant à la messe qu'ils ont entendu parler du Refuge. Ici collaborent une centaine de bénévoles de tous âges et tous milieux sans engagement politique apparent: étudiants, stagiaires, chômeurs, actifs, retraités, etc. Des compagnons d'Emmaüs rejoignent régulièrement l'équipe pour quelques jours. En fonction des envies et des compétences, chacun a un ou plusieurs rôles. Les bénévoles sont naturellement aidés par les migrants. Depuis l’ouverture du Refuge il y a un an, 40'000 repas ont été servis. Près de 6000 personnes sont passées par ici.
Au réfectoire 60 à 100 repas sont préparés deux fois par jour. © Yves Magat
Nouvelle journée, nouveau menu. Et en cette saison un sacré cadeau: les cagettes de radis! Progress, un Nigérian filiforme avec une patience infinie, nous aide à les couper en rondelles. Il a fait le tour de l’Europe et est passé par tous les pays scandinaves ainsi que la Suisse. A chaque fois c’est «back to Italy» au nom des accords de Dublin qui assignent un demandeur d’asile dans le premier pays où il a mis les pieds en débarquant du bateau.
Comme chaque soir nous amenons des migrants au train de Paris. Cette fois ils sont une vingtaine et sur le quai de Briançon certains ont les larmes aux yeux. Comme Maryan lorsqu’elle monte avec sa fille de dix ans. Partie du Mali, elle est sur les chemins de l'exil depuis 11 ans. Sa fille est née en Libye où elle a pu se séparer de son mari qui lui avait été imposé avant son départ. On apprend le lendemain qu’à la gare de Paris Austerlitz la police a pincé six d’entre eux pour les renvoyer en Italie. Heureusement Maryan et sa fille y ont échappé.
Nathalie est une enseignante dynamique qui fonce au Refuge à la sortie de sa classe: «Un jour je ramenais des jeunes et j’ai été traquée par la police comme si j’avais commis un délit. J’ai eu super peur et je me suis dit que mon cœur allait lâcher! Mais maintenant si je me fais arrêter, je suis capable d’assumer, je sais que je suis dans mon droit. En montagne on doit le secours aux gens.»
A travers la frontière, des habits ou des marques indiquent les chemins aux migrants. © Yves Magat
Un jour je vais rechercher aux urgences un jeune Ivoirien soigné pour une entorse. Il a 16 ou 17 ans et dans la voiture il se confie. Il est parti car il était maltraité par son beau-père et s’est retrouvé à la rue. Au Refuge, une permanence médicale est aussi assurée le matin par des bénévoles ou par Médecins du Monde. Le médecin de garde confirme que les blessures articulaires sont le problème le plus fréquent. Lorsqu’un policier surprend des migrants au passage de la frontière la nuit dans la forêt, il dégaine et les somme de s’arrêter. Pris de panique, ces migrants qui ont entre 16 et 30 ans s’enfuient en courant dans le noir sur des chemins escarpés. Les chutes sont fréquentes; il y a déjà eu quatre morts en une année.
Ibrahim n’est pas originaire d’Afrique de l’Ouest: il a fui le Yémen en guerre. Lors de son passage en Libye il a contracté une infection à la jambe et marche depuis avec une canne. La course poursuite à travers le col de Montgenèvre était donc exclue. Alors il a fait du stop du côté italien et s’est fait prendre par un couple français de la région. Ibrahim explique qu’il a fondu en larmes lorsqu’il a appris que le conducteur risquait la prison et une lourde amende s’il se faisait arrêter. «Et il ne m’a même pas demandé d’argent», ajoute-t-il… Deux jours plus tard, lorsque nous l’amenons au train de Paris et qu’il trottine avec sa canne sur le quai de la gare, il explique que son séjour en Italie était très dur. Il a même téléphoné à la maison pour dire qu'il voulait rentrer au pays. Mais son père l'a encouragé à continuer. Ibrahim monte dans le wagon en route vers l’inconnu… et c’est nous qui avons le blues!
«Si j’ai une fille je ne veux pas qu’elle soit comme moi excisée»,
jeune ivoirienne.
Un couple est arrivé. Ce n’est pas fréquent. Ils sont ivoiriens et éperdument amoureux! Je les surnomme Roméo et Juliette, ce qui les arrange car ils ne veulent pas que leur famille sache où ils se trouvent. La jeune femme de 22 ans est enceinte de huit mois. C’est un miracle qu’elle n’ait pas accouché en montagne, car elle a fait une chute sur son ventre en courant. Ses parents voulaient qu’elle épouse un vieux bonhomme qui avait déjà deux femmes. Son compagnon me montre une blessure au bras infligée par le patriarche en question. Dans un français parfait les tourtereaux expliquent que «à notre époque, on épouse quelqu’un qu’on aime et pas qu’on nous oblige». En plus, ajoute la Juliette ivoirienne, «si j’ai une fille je ne veux pas qu’elle soit comme moi excisée».
Ce soir c’est la fête. Le propriétaire d’un camion-pizza finit sa saison. Il a proposé de venir au refuge servir 80 repas. A la file indienne chacun compose sa pizza avec les ingrédients proposés et les passe au pizzaiolo.
Un pizzaiolo est venu cuire 80 pizzas pour les migrants. © Yves Magat
Autre jour, autre tâche. Nous amenons quinze migrants s’enregistrer au commissariat de police. Ce sont des jeunes qui se déclarent mineurs et seront transférés à Gap où, en l’absence de papiers d’identité, on déterminera leur âge. Certains ont un visage de poupons, mais en général à peine 20% seront reconnus comme mineurs. Les autres risqueront le renvoi vers l’Italie.
Branle-bas de combat. Coulibaly le Malien a jeté son sac dans un buisson la veille au-dessus de Briançon pour échapper à la police. Il est catastrophé car il a laissé dedans des papiers et de l’argent. Et il ne peut pas aller le rechercher car il risquerait l’arrestation. Du coup trois bénévoles partent à sa recherche: une aiguille dans une botte de foin! Mais on y croit. Au fur et à mesure de leur progression, ils m’envoient par WhatsApp des photos des lieux que je montre au migrant. Et il finit par reconnaître l’endroit. Je renvoie les photos avec des flèches et… miracle: le sac est retrouvé. Dans le Refuge tout le monde applaudit.
Enregistrement des mineurs au poste de police de Briançon. © Yves Magat
Un nouveau venu anglophone: c’est un jeune Gambien athlétique et bavard qui bredouille quelques mots d’allemand. Il m’explique qu’il les a appris à la prison de Berne! Moussa a cherché deux fois à aller d’Italie en Allemagne avec la mauvaise idée de vouloir passer par la Suisse. La première fois il est détenu deux semaines avant d’être renvoyé en Italie, mais la deuxième fois il écope de deux mois car il y a récidive. «C’est absurde, dit-il, on m’a fait voyager en wagon cellulaire privé comme un président pour me mettre ensuite dans un avion de Zurich à Milan. Il suffisait de me laisser passer en Allemagne; cela aurait coûté moins cher à la Suisse!»
Lorsque des migrants arrivent tout au long de la journée et surtout la nuit, ils sont épuisés et assoiffés: c’est toujours un moment très fort. Un très jeune mineur solitaire apparaît et s’affale sur sa chaise. Je lui donne une petite tape sur l'épaule en lui disant: «Bravo tu as réussi!». Il sourit avec fierté. Mais pour lui comme pour beaucoup d’autres, je me demande si tous ces risques encourus, l'argent investi et les souffrances endurées ont vraiment un sens par rapport à ce qui les attend dans cette Europe vieillissante qui se referme. A part les mineurs reconnus, la plupart n’obtiendront pas le statut de réfugiés. Ils seront refoulés en Afrique s’ils ne réussissent pas à passer dans la clandestinité et la précarité qui lui est associée.
Yves Magat, avec Elisabeth Zurbriggen
Le Refuge Solidaire de Briançon : une réponse à l’urgence
Soyons clairs: les bénévoles du Refuge Solidaire de Briançon, auxquels nous avons apporté une modeste collaboration de deux semaines avec ma femme, n’ont en aucun cas l’objectif de favoriser les migrations de l’Afrique vers l’Europe ni de jouer aux passeurs de bonne volonté. Leur seul but est d’agir matériellement «ici et maintenant», auprès de personnes en situation d’urgence dont quatre ont déjà trouvé la mort dans la montagne au cours de l’année écoulée.
Briançon est une petite ville de 12'000 habitants mais son histoire de bourg de montagne et de population immigrée venue d’autres régions de France a rendu ses habitants sensibles aux difficultés des migrants qui arrivent d’Italie. Au Refuge, personne ne cherche à bercer d’illusion ceux qui y séjournent en route pour Paris, Marseille, Lyon ou parfois l’Espagne. La quasi-totalité des Africains de l’Ouest n’obtiendront jamais le statut de réfugié en France, d’autant moins que leur passage par l’Italie les rend expulsables sans autre considération que l’application aveugle des accords de Dublin.
Au Refuge Solidaire, il est hors de question d’instrumentaliser les migrants à des fins politiques comme viennent à nouveau de le faire samedi des groupuscules irresponsables qui se prétendent anarchistes. Ce n’est pas en saccageant le golfe transfrontalier du Montgenèvre que la condition des migrants va s’améliorer. Au contraire, cela crée l’amalgame dans les esprits et une militarisation accrue de la frontière.
Observatoire de la migration
Cela dit, Briançon est un point d’observation privilégié du phénomène migratoire actuel. Comme vient de le répéter lundi soir, lors des Rencontres Internationales de Genève sur le thème «Exils et refuges», la politologue française Catherine Wihtol de Wenden, (auteure de l’Atlas des Migrations, édit. Autrement, Paris, mai 2018): «Les gens du Sud nous ressemblent de plus en plus, ils sont mobiles. Mais le droit à la mobilité est inégal; deux tiers des habitants de la planète ne l’ont pas.» Et de rappeler qu’aujourd’hui sur la Terre, un milliard d’habitants (sur un total de 7 milliards) sont en situation de mobilité. Les trois quarts d’entre eux sont toutefois des migrants internes à leur pays.
Lorsque on partage au Refuge Solidaire les corvées de cuisine avec des migrants, on constate que leurs motivations de départ sont variées. Il y a bien sûr ceux qui fuient les guerres, les dictatures, les changements climatiques et la misère causée par la malgouvernance et la corruption. Mais d’autres veulent s’échapper du carcan de traditions désuètes et cruelles dans un monde globalisé où on peut se comparer d’un continent à l’autre depuis le fond de la brousse. Les mariages forcés, la maltraitance des enfants, le décès précoce des parents, les mutilations sexuelles des filles ou les épidémies mettent aussi sur le chemin de l’exil de nombreux Africains souvent très jeunes. Sans compter le désir d’étudier et la part de rêve inhérente à l’être humain qui fait croire à beaucoup de garçon qu’ils deviendront un jour en Europe de grands footballeurs…
Yves Magat
Retrouvez le dossier complet de l’opération migrations sur #OpérationMigrations
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Le bâtiment fait partie d’une ancienne caserne des CRS en face de la gare. Il est mis à disposition par la Communauté de commune qui règle aussi les factures d’eau et d’électricité. «La Mairie nous a dit: le lieu est à votre disposition mais c’est à vous de le gérer», explique Pauline Rey, la seule personne ayant une fonction institutionnelle dans le Refuge. Elle est aussi jeune qu’efficace: «C’est un accueil d’urgence de quelques jours. On reçoit tout le monde et on ne pose pas de questions.» </p><p>La cuisine est l’ancien garage des véhicules. Il sert de réfectoire et la nuit, on plie les tables pour ajouter des matelas, car le bâtiment n’était prévu que pour quinze personnes. Pour le premier repas que nous préparons nous sommes quatre bénévoles et quatre migrants: ce n’est pas de trop car il y a 104 convives à table! Au menu, deux fois par jour le riz est l’aliment de base. Cela correspond au goût des migrants dont les 90% viennent d’Afrique de l’Ouest: Côte d’Ivoire, Sénégal (souvent de Casamance), Mali, Nigéria, Sierra Leone, Gambie.</p><p>Le plus grand nombre vient de Guinée Conakry. Comme Ousmane qui arbore en permanence un large sourire. Lui aussi est passé par le cauchemar libyen. Il y est resté trois ans, dont 8 mois en prison: «On était 8 à 9000 détenus. C’était diabolique, on n’avait rien. On m’obligeait à travailler comme maçon. Je ne croyais pas que j’arriverais un jour en France. Et encore maintenant je me réveille la nuit en croyant que je suis toujours dans la prison.» Finalement, son frère déjà en France lui fait parvenir de l’argent pour payer sa libération et sa place sur un zodiac. Ousmane est sauvé de justesse du naufrage par un bateau espagnol puis amené en Sicile. Il me montre des photos prises par les secouristes en pleine mer: «je suis juste derrière cette rangée».<br><br><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w800/1538752650_ousman.jpg"><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;"></span></p><p style="text-align: center;"><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;">Dans le groupe, Ousmane est photographié par ses sauveteurs espagnols. © Yves Magat</span></p> <p>Chaque jour des habitants de Briançon amènent de la nourriture. Un couple de maraîchers passe en coup de vent et dépose des caisses de légumes invendus. Une heure plus tard, un vieux monsieur amène trois plaques de beurre: «C’est pour le petit déjeuner!» Denis, le plombier du quartier, tente de réparer l’autocuiseur pour le riz. </p><p>Marie-Odile, infirmière retraitée est un pilier du Refuge: elle gère les stocks, ce qui n’est pas une mince affaire car on ne sait jamais à l’avance ce qu’il y aura le lendemain. «Si c’était mes enfants, je serais bien contente que des gens s’en occupent. Et sans nous, les migrants seraient à la rue; on ne sait pas ce qui pourrait se passer.» Les autorités locales l’ont d’ailleurs bien compris; il faut garder une bonne image de Briançon qui vit en partie grâce à la station de ski de Serre-Chevalier où on peut accéder directement en télécabine. Le Refuge permet de gérer le flux des migrants, une vingtaine par jour, qui arrivent et qui partent. Et un accord tacite avec les forces de police: le bâtiment est un sanctuaire où on ne vient pas chercher les migrants pour les expulser vers l’Italie. Une règle qui se limite à quelques mètres carrés. Tous les jours, comme d’autres bénévoles, je fais donc la navette jusqu’à la gare voisine afin d’acheter des billets de train pour ceux qui partent. S’ils le font eux-mêmes, ils risquent l’arrestation. <br><br><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w800/1538570345_img_2049.jpg"><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;"></span></p><p style="text-align: center;"><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;">Coiffeur improvisé devant le Refuge. © Yves Magat</span></p><p>Un Malien me demande: «Je n’ai que 9 euros, est-ce que ça suffit pour Marseille?... » Il a de la chance, le lendemain c’est la Journée du Patrimoine et on peut voyager dans toute la région Provence-Côte d’Azur pour 5 euros! Le Refuge ne finance jamais les billets. C’est aux migrants de se faire envoyer de l’argent. C’est d’ailleurs une autre de mes tâches: aller réceptionner pour eux au centre-ville la maigre somme envoyée par des proches. </p><p>Ce matin un couple de vacanciers vient aider en cuisine. C'est en allant à la messe qu'ils ont entendu parler du Refuge. Ici collaborent une centaine de bénévoles de tous âges et tous milieux sans engagement politique apparent: étudiants, stagiaires, chômeurs, actifs, retraités, etc. Des compagnons d'Emmaüs rejoignent régulièrement l'équipe pour quelques jours. En fonction des envies et des compétences, chacun a un ou plusieurs rôles. Les bénévoles sont naturellement aidés par les migrants. Depuis l’ouverture du Refuge il y a un an, 40'000 repas ont été servis. Près de 6000 personnes sont passées par ici. <br><br><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w800/1538570572_img_2125.jpg"><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;"></span></p><p style="text-align: center;"><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;">Au réfectoire 60 à 100 repas sont préparés deux fois par jour. © Yves Magat</span></p><p>Nouvelle journée, nouveau menu. Et en cette saison un sacré cadeau: les cagettes de radis! Progress, un Nigérian filiforme avec une patience infinie, nous aide à les couper en rondelles. Il a fait le tour de l’Europe et est passé par tous les pays scandinaves ainsi que la Suisse. A chaque fois c’est «back to Italy» au nom des accords de Dublin qui assignent un demandeur d’asile dans le premier pays où il a mis les pieds en débarquant du bateau. </p><p>Comme chaque soir nous amenons des migrants au train de Paris. Cette fois ils sont une vingtaine et sur le quai de Briançon certains ont les larmes aux yeux. Comme Maryan lorsqu’elle monte avec sa fille de dix ans. Partie du Mali, elle est sur les chemins de l'exil depuis 11 ans. Sa fille est née en Libye où elle a pu se séparer de son mari qui lui avait été imposé avant son départ. On apprend le lendemain qu’à la gare de Paris Austerlitz la police a pincé six d’entre eux pour les renvoyer en Italie. Heureusement Maryan et sa fille y ont échappé. </p><p>Nathalie est une enseignante dynamique qui fonce au Refuge à la sortie de sa classe: «Un jour je ramenais des jeunes et j’ai été traquée par la police comme si j’avais commis un délit. J’ai eu super peur et je me suis dit que mon cœur allait lâcher! Mais maintenant si je me fais arrêter, je suis capable d’assumer, je sais que je suis dans mon droit. En montagne on doit le secours aux gens.» <br><br><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w800/1538570928_img_2188.jpg"><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;"></span></p><p style="text-align: center;"><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;">A travers la frontière, des habits ou des marques indiquent les chemins aux migrants. © Yves Magat</span></p><p>Un jour je vais rechercher aux urgences un jeune Ivoirien soigné pour une entorse. Il a 16 ou 17 ans et dans la voiture il se confie. Il est parti car il était maltraité par son beau-père et s’est retrouvé à la rue. Au Refuge, une permanence médicale est aussi assurée le matin par des bénévoles ou par Médecins du Monde. Le médecin de garde confirme que les blessures articulaires sont le problème le plus fréquent. Lorsqu’un policier surprend des migrants au passage de la frontière la nuit dans la forêt, il dégaine et les somme de s’arrêter. Pris de panique, ces migrants qui ont entre 16 et 30 ans s’enfuient en courant dans le noir sur des chemins escarpés. Les chutes sont fréquentes; il y a déjà eu quatre morts en une année. </p><p>Ibrahim n’est pas originaire d’Afrique de l’Ouest: il a fui le Yémen en guerre. Lors de son passage en Libye il a contracté une infection à la jambe et marche depuis avec une canne. La course poursuite à travers le col de Montgenèvre était donc exclue. Alors il a fait du stop du côté italien et s’est fait prendre par un couple français de la région. Ibrahim explique qu’il a fondu en larmes lorsqu’il a appris que le conducteur risquait la prison et une lourde amende s’il se faisait arrêter. «Et il ne m’a même pas demandé d’argent», ajoute-t-il… Deux jours plus tard, lorsque nous l’amenons au train de Paris et qu’il trottine avec sa canne sur le quai de la gare, il explique que son séjour en Italie était très dur. Il a même téléphoné à la maison pour dire qu'il voulait rentrer au pays. Mais son père l'a encouragé à continuer. Ibrahim monte dans le wagon en route vers l’inconnu… et c’est nous qui avons le blues! </p><blockquote>«Si j’ai une fille je ne veux pas qu’elle soit comme moi excisée», <br>jeune ivoirienne.</blockquote><p>Un couple est arrivé. Ce n’est pas fréquent. Ils sont ivoiriens et éperdument amoureux! Je les surnomme Roméo et Juliette, ce qui les arrange car ils ne veulent pas que leur famille sache où ils se trouvent. La jeune femme de 22 ans est enceinte de huit mois. C’est un miracle qu’elle n’ait pas accouché en montagne, car elle a fait une chute sur son ventre en courant. Ses parents voulaient qu’elle épouse un vieux bonhomme qui avait déjà deux femmes. Son compagnon me montre une blessure au bras infligée par le patriarche en question. Dans un français parfait les tourtereaux expliquent que «à notre époque, on épouse quelqu’un qu’on aime et pas qu’on nous oblige». En plus, ajoute la Juliette ivoirienne, «si j’ai une fille je ne veux pas qu’elle soit comme moi excisée». </p><p>Ce soir c’est la fête. Le propriétaire d’un camion-pizza finit sa saison. Il a proposé de venir au refuge servir 80 repas. A la file indienne chacun compose sa pizza avec les ingrédients proposés et les passe au pizzaiolo.</p><h4> <img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w800/1538569831_img_2131.jpg"><p style="text-align: center;"><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;">Un pizzaiolo est venu cuire 80 pizzas pour les migrants. © Yves Magat</span></p></h4><p>Autre jour, autre tâche. Nous amenons quinze migrants s’enregistrer au commissariat de police. Ce sont des jeunes qui se déclarent mineurs et seront transférés à Gap où, en l’absence de papiers d’identité, on déterminera leur âge. Certains ont un visage de poupons, mais en général à peine 20% seront reconnus comme mineurs. Les autres risqueront le renvoi vers l’Italie. </p><p>Branle-bas de combat. Coulibaly le Malien a jeté son sac dans un buisson la veille au-dessus de Briançon pour échapper à la police. Il est catastrophé car il a laissé dedans des papiers et de l’argent. Et il ne peut pas aller le rechercher car il risquerait l’arrestation. Du coup trois bénévoles partent à sa recherche: une aiguille dans une botte de foin! Mais on y croit. Au fur et à mesure de leur progression, ils m’envoient par WhatsApp des photos des lieux que je montre au migrant. Et il finit par reconnaître l’endroit. Je renvoie les photos avec des flèches et… miracle: le sac est retrouvé. Dans le Refuge tout le monde applaudit.<br><br><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w800/1538571677_img_2154.jpg"><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;"></span></p><p style="text-align: center;"><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;">Enregistrement des mineurs au poste de police de Briançon. © Yves Magat</span></p><p>Un nouveau venu anglophone: c’est un jeune Gambien athlétique et bavard qui bredouille quelques mots d’allemand. Il m’explique qu’il les a appris à la prison de Berne! Moussa a cherché deux fois à aller d’Italie en Allemagne avec la mauvaise idée de vouloir passer par la Suisse. La première fois il est détenu deux semaines avant d’être renvoyé en Italie, mais la deuxième fois il écope de deux mois car il y a récidive. «C’est absurde, dit-il, on m’a fait voyager en wagon cellulaire privé comme un président pour me mettre ensuite dans un avion de Zurich à Milan. Il suffisait de me laisser passer en Allemagne; cela aurait coûté moins cher à la Suisse!»</p><p>Lorsque des migrants arrivent tout au long de la journée et surtout la nuit, ils sont épuisés et assoiffés: c’est toujours un moment très fort. Un très jeune mineur solitaire apparaît et s’affale sur sa chaise. Je lui donne une petite tape sur l'épaule en lui disant: «Bravo tu as réussi!». Il sourit avec fierté. Mais pour lui comme pour beaucoup d’autres, je me demande si tous ces risques encourus, l'argent investi et les souffrances endurées ont vraiment un sens par rapport à ce qui les attend dans cette Europe vieillissante qui se referme. A part les mineurs reconnus, la plupart n’obtiendront pas le statut de réfugiés. Ils seront refoulés en Afrique s’ils ne réussissent pas à passer dans la clandestinité et la précarité qui lui est associée. </p><h4>Yves Magat, avec Elisabeth Zurbriggen </h4><p></p><hr><p></p><h2>Le Refuge Solidaire de Briançon : une réponse à l’urgence </h2> <p>Soyons clairs: les bénévoles du Refuge Solidaire de Briançon, auxquels nous avons apporté une modeste collaboration de deux semaines avec ma femme, n’ont en aucun cas l’objectif de favoriser les migrations de l’Afrique vers l’Europe ni de jouer aux passeurs de bonne volonté. Leur seul but est d’agir matériellement «ici et maintenant», auprès de personnes en situation d’urgence dont quatre ont déjà trouvé la mort dans la montagne au cours de l’année écoulée. </p><p>Briançon est une petite ville de 12'000 habitants mais son histoire de bourg de montagne et de population immigrée venue d’autres régions de France a rendu ses habitants sensibles aux difficultés des migrants qui arrivent d’Italie. Au Refuge, personne ne cherche à bercer d’illusion ceux qui y séjournent en route pour Paris, Marseille, Lyon ou parfois l’Espagne. 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Le bâtiment fait partie d’une ancienne caserne des CRS en face de la gare. Il est mis à disposition par la Communauté de commune qui règle aussi les factures d’eau et d’électricité. «La Mairie nous a dit: le lieu est à votre disposition mais c’est à vous de le gérer», explique Pauline Rey, la seule personne ayant une fonction institutionnelle dans le Refuge. Elle est aussi jeune qu’efficace: «C’est un accueil d’urgence de quelques jours. On reçoit tout le monde et on ne pose pas de questions.» </p><p>La cuisine est l’ancien garage des véhicules. Il sert de réfectoire et la nuit, on plie les tables pour ajouter des matelas, car le bâtiment n’était prévu que pour quinze personnes. Pour le premier repas que nous préparons nous sommes quatre bénévoles et quatre migrants: ce n’est pas de trop car il y a 104 convives à table! Au menu, deux fois par jour le riz est l’aliment de base. Cela correspond au goût des migrants dont les 90% viennent d’Afrique de l’Ouest: Côte d’Ivoire, Sénégal (souvent de Casamance), Mali, Nigéria, Sierra Leone, Gambie.</p><p>Le plus grand nombre vient de Guinée Conakry. Comme Ousmane qui arbore en permanence un large sourire. Lui aussi est passé par le cauchemar libyen. Il y est resté trois ans, dont 8 mois en prison: «On était 8 à 9000 détenus. C’était diabolique, on n’avait rien. On m’obligeait à travailler comme maçon. Je ne croyais pas que j’arriverais un jour en France. Et encore maintenant je me réveille la nuit en croyant que je suis toujours dans la prison.» Finalement, son frère déjà en France lui fait parvenir de l’argent pour payer sa libération et sa place sur un zodiac. Ousmane est sauvé de justesse du naufrage par un bateau espagnol puis amené en Sicile. Il me montre des photos prises par les secouristes en pleine mer: «je suis juste derrière cette rangée».<br><br><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w800/1538752650_ousman.jpg"><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;"></span></p><p style="text-align: center;"><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;">Dans le groupe, Ousmane est photographié par ses sauveteurs espagnols. © Yves Magat</span></p> <p>Chaque jour des habitants de Briançon amènent de la nourriture. Un couple de maraîchers passe en coup de vent et dépose des caisses de légumes invendus. Une heure plus tard, un vieux monsieur amène trois plaques de beurre: «C’est pour le petit déjeuner!» Denis, le plombier du quartier, tente de réparer l’autocuiseur pour le riz. </p><p>Marie-Odile, infirmière retraitée est un pilier du Refuge: elle gère les stocks, ce qui n’est pas une mince affaire car on ne sait jamais à l’avance ce qu’il y aura le lendemain. «Si c’était mes enfants, je serais bien contente que des gens s’en occupent. Et sans nous, les migrants seraient à la rue; on ne sait pas ce qui pourrait se passer.» Les autorités locales l’ont d’ailleurs bien compris; il faut garder une bonne image de Briançon qui vit en partie grâce à la station de ski de Serre-Chevalier où on peut accéder directement en télécabine. Le Refuge permet de gérer le flux des migrants, une vingtaine par jour, qui arrivent et qui partent. Et un accord tacite avec les forces de police: le bâtiment est un sanctuaire où on ne vient pas chercher les migrants pour les expulser vers l’Italie. Une règle qui se limite à quelques mètres carrés. Tous les jours, comme d’autres bénévoles, je fais donc la navette jusqu’à la gare voisine afin d’acheter des billets de train pour ceux qui partent. S’ils le font eux-mêmes, ils risquent l’arrestation. <br><br><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w800/1538570345_img_2049.jpg"><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;"></span></p><p style="text-align: center;"><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;">Coiffeur improvisé devant le Refuge. © Yves Magat</span></p><p>Un Malien me demande: «Je n’ai que 9 euros, est-ce que ça suffit pour Marseille?... » Il a de la chance, le lendemain c’est la Journée du Patrimoine et on peut voyager dans toute la région Provence-Côte d’Azur pour 5 euros! Le Refuge ne finance jamais les billets. C’est aux migrants de se faire envoyer de l’argent. C’est d’ailleurs une autre de mes tâches: aller réceptionner pour eux au centre-ville la maigre somme envoyée par des proches. </p><p>Ce matin un couple de vacanciers vient aider en cuisine. C'est en allant à la messe qu'ils ont entendu parler du Refuge. Ici collaborent une centaine de bénévoles de tous âges et tous milieux sans engagement politique apparent: étudiants, stagiaires, chômeurs, actifs, retraités, etc. Des compagnons d'Emmaüs rejoignent régulièrement l'équipe pour quelques jours. En fonction des envies et des compétences, chacun a un ou plusieurs rôles. Les bénévoles sont naturellement aidés par les migrants. Depuis l’ouverture du Refuge il y a un an, 40'000 repas ont été servis. Près de 6000 personnes sont passées par ici. <br><br><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w800/1538570572_img_2125.jpg"><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;"></span></p><p style="text-align: center;"><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;">Au réfectoire 60 à 100 repas sont préparés deux fois par jour. © Yves Magat</span></p><p>Nouvelle journée, nouveau menu. Et en cette saison un sacré cadeau: les cagettes de radis! Progress, un Nigérian filiforme avec une patience infinie, nous aide à les couper en rondelles. Il a fait le tour de l’Europe et est passé par tous les pays scandinaves ainsi que la Suisse. A chaque fois c’est «back to Italy» au nom des accords de Dublin qui assignent un demandeur d’asile dans le premier pays où il a mis les pieds en débarquant du bateau. </p><p>Comme chaque soir nous amenons des migrants au train de Paris. Cette fois ils sont une vingtaine et sur le quai de Briançon certains ont les larmes aux yeux. Comme Maryan lorsqu’elle monte avec sa fille de dix ans. Partie du Mali, elle est sur les chemins de l'exil depuis 11 ans. Sa fille est née en Libye où elle a pu se séparer de son mari qui lui avait été imposé avant son départ. On apprend le lendemain qu’à la gare de Paris Austerlitz la police a pincé six d’entre eux pour les renvoyer en Italie. Heureusement Maryan et sa fille y ont échappé. </p><p>Nathalie est une enseignante dynamique qui fonce au Refuge à la sortie de sa classe: «Un jour je ramenais des jeunes et j’ai été traquée par la police comme si j’avais commis un délit. J’ai eu super peur et je me suis dit que mon cœur allait lâcher! Mais maintenant si je me fais arrêter, je suis capable d’assumer, je sais que je suis dans mon droit. En montagne on doit le secours aux gens.» <br><br><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w800/1538570928_img_2188.jpg"><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;"></span></p><p style="text-align: center;"><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;">A travers la frontière, des habits ou des marques indiquent les chemins aux migrants. © Yves Magat</span></p><p>Un jour je vais rechercher aux urgences un jeune Ivoirien soigné pour une entorse. Il a 16 ou 17 ans et dans la voiture il se confie. Il est parti car il était maltraité par son beau-père et s’est retrouvé à la rue. Au Refuge, une permanence médicale est aussi assurée le matin par des bénévoles ou par Médecins du Monde. Le médecin de garde confirme que les blessures articulaires sont le problème le plus fréquent. Lorsqu’un policier surprend des migrants au passage de la frontière la nuit dans la forêt, il dégaine et les somme de s’arrêter. Pris de panique, ces migrants qui ont entre 16 et 30 ans s’enfuient en courant dans le noir sur des chemins escarpés. Les chutes sont fréquentes; il y a déjà eu quatre morts en une année. </p><p>Ibrahim n’est pas originaire d’Afrique de l’Ouest: il a fui le Yémen en guerre. Lors de son passage en Libye il a contracté une infection à la jambe et marche depuis avec une canne. La course poursuite à travers le col de Montgenèvre était donc exclue. Alors il a fait du stop du côté italien et s’est fait prendre par un couple français de la région. Ibrahim explique qu’il a fondu en larmes lorsqu’il a appris que le conducteur risquait la prison et une lourde amende s’il se faisait arrêter. «Et il ne m’a même pas demandé d’argent», ajoute-t-il… Deux jours plus tard, lorsque nous l’amenons au train de Paris et qu’il trottine avec sa canne sur le quai de la gare, il explique que son séjour en Italie était très dur. Il a même téléphoné à la maison pour dire qu'il voulait rentrer au pays. Mais son père l'a encouragé à continuer. Ibrahim monte dans le wagon en route vers l’inconnu… et c’est nous qui avons le blues! </p><blockquote>«Si j’ai une fille je ne veux pas qu’elle soit comme moi excisée», <br>jeune ivoirienne.</blockquote><p>Un couple est arrivé. Ce n’est pas fréquent. Ils sont ivoiriens et éperdument amoureux! Je les surnomme Roméo et Juliette, ce qui les arrange car ils ne veulent pas que leur famille sache où ils se trouvent. La jeune femme de 22 ans est enceinte de huit mois. C’est un miracle qu’elle n’ait pas accouché en montagne, car elle a fait une chute sur son ventre en courant. Ses parents voulaient qu’elle épouse un vieux bonhomme qui avait déjà deux femmes. Son compagnon me montre une blessure au bras infligée par le patriarche en question. Dans un français parfait les tourtereaux expliquent que «à notre époque, on épouse quelqu’un qu’on aime et pas qu’on nous oblige». En plus, ajoute la Juliette ivoirienne, «si j’ai une fille je ne veux pas qu’elle soit comme moi excisée». </p><p>Ce soir c’est la fête. Le propriétaire d’un camion-pizza finit sa saison. Il a proposé de venir au refuge servir 80 repas. A la file indienne chacun compose sa pizza avec les ingrédients proposés et les passe au pizzaiolo.</p><h4> <img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w800/1538569831_img_2131.jpg"><p style="text-align: center;"><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;">Un pizzaiolo est venu cuire 80 pizzas pour les migrants. © Yves Magat</span></p></h4><p>Autre jour, autre tâche. Nous amenons quinze migrants s’enregistrer au commissariat de police. Ce sont des jeunes qui se déclarent mineurs et seront transférés à Gap où, en l’absence de papiers d’identité, on déterminera leur âge. Certains ont un visage de poupons, mais en général à peine 20% seront reconnus comme mineurs. Les autres risqueront le renvoi vers l’Italie. </p><p>Branle-bas de combat. Coulibaly le Malien a jeté son sac dans un buisson la veille au-dessus de Briançon pour échapper à la police. Il est catastrophé car il a laissé dedans des papiers et de l’argent. Et il ne peut pas aller le rechercher car il risquerait l’arrestation. Du coup trois bénévoles partent à sa recherche: une aiguille dans une botte de foin! Mais on y croit. Au fur et à mesure de leur progression, ils m’envoient par WhatsApp des photos des lieux que je montre au migrant. Et il finit par reconnaître l’endroit. Je renvoie les photos avec des flèches et… miracle: le sac est retrouvé. Dans le Refuge tout le monde applaudit.<br><br><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w800/1538571677_img_2154.jpg"><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;"></span></p><p style="text-align: center;"><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;">Enregistrement des mineurs au poste de police de Briançon. © Yves Magat</span></p><p>Un nouveau venu anglophone: c’est un jeune Gambien athlétique et bavard qui bredouille quelques mots d’allemand. Il m’explique qu’il les a appris à la prison de Berne! Moussa a cherché deux fois à aller d’Italie en Allemagne avec la mauvaise idée de vouloir passer par la Suisse. La première fois il est détenu deux semaines avant d’être renvoyé en Italie, mais la deuxième fois il écope de deux mois car il y a récidive. «C’est absurde, dit-il, on m’a fait voyager en wagon cellulaire privé comme un président pour me mettre ensuite dans un avion de Zurich à Milan. Il suffisait de me laisser passer en Allemagne; cela aurait coûté moins cher à la Suisse!»</p><p>Lorsque des migrants arrivent tout au long de la journée et surtout la nuit, ils sont épuisés et assoiffés: c’est toujours un moment très fort. Un très jeune mineur solitaire apparaît et s’affale sur sa chaise. Je lui donne une petite tape sur l'épaule en lui disant: «Bravo tu as réussi!». Il sourit avec fierté. Mais pour lui comme pour beaucoup d’autres, je me demande si tous ces risques encourus, l'argent investi et les souffrances endurées ont vraiment un sens par rapport à ce qui les attend dans cette Europe vieillissante qui se referme. A part les mineurs reconnus, la plupart n’obtiendront pas le statut de réfugiés. Ils seront refoulés en Afrique s’ils ne réussissent pas à passer dans la clandestinité et la précarité qui lui est associée. </p><h4>Yves Magat, avec Elisabeth Zurbriggen </h4><p></p><hr><p></p><h2>Le Refuge Solidaire de Briançon : une réponse à l’urgence </h2> <p>Soyons clairs: les bénévoles du Refuge Solidaire de Briançon, auxquels nous avons apporté une modeste collaboration de deux semaines avec ma femme, n’ont en aucun cas l’objectif de favoriser les migrations de l’Afrique vers l’Europe ni de jouer aux passeurs de bonne volonté. Leur seul but est d’agir matériellement «ici et maintenant», auprès de personnes en situation d’urgence dont quatre ont déjà trouvé la mort dans la montagne au cours de l’année écoulée. </p><p>Briançon est une petite ville de 12'000 habitants mais son histoire de bourg de montagne et de population immigrée venue d’autres régions de France a rendu ses habitants sensibles aux difficultés des migrants qui arrivent d’Italie. Au Refuge, personne ne cherche à bercer d’illusion ceux qui y séjournent en route pour Paris, Marseille, Lyon ou parfois l’Espagne. La quasi-totalité des Africains de l’Ouest n’obtiendront jamais le statut de réfugié en France, d’autant moins que leur passage par l’Italie les rend expulsables sans autre considération que l’application aveugle des accords de Dublin. </p><p>Au Refuge Solidaire, il est hors de question d’instrumentaliser les migrants à des fins politiques comme viennent à nouveau de le faire samedi des groupuscules irresponsables qui se prétendent anarchistes. Ce n’est pas en saccageant le golfe transfrontalier du Montgenèvre que la condition des migrants va s’améliorer. Au contraire, cela crée l’amalgame dans les esprits et une militarisation accrue de la frontière. </p><h3>Observatoire de la migration </h3><p>Cela dit, Briançon est un point d’observation privilégié du phénomène migratoire actuel. Comme vient de le répéter lundi soir, lors des Rencontres Internationales de Genève sur le thème «Exils et refuges», la politologue française Catherine Wihtol de Wenden, (auteure de l’<em>Atlas des Migrations</em>, édit. Autrement, Paris, mai 2018): «Les gens du Sud nous ressemblent de plus en plus, ils sont mobiles. Mais le droit à la mobilité est inégal; deux tiers des habitants de la planète ne l’ont pas.» Et de rappeler qu’aujourd’hui sur la Terre, un milliard d’habitants (sur un total de 7 milliards) sont en situation de mobilité. Les trois quarts d’entre eux sont toutefois des migrants internes à leur pays. </p><p>Lorsque on partage au Refuge Solidaire les corvées de cuisine avec des migrants, on constate que leurs motivations de départ sont variées. Il y a bien sûr ceux qui fuient les guerres, les dictatures, les changements climatiques et la misère causée par la malgouvernance et la corruption. Mais d’autres veulent s’échapper du carcan de traditions désuètes et cruelles dans un monde globalisé où on peut se comparer d’un continent à l’autre depuis le fond de la brousse. Les mariages forcés, la maltraitance des enfants, le décès précoce des parents, les mutilations sexuelles des filles ou les épidémies mettent aussi sur le chemin de l’exil de nombreux Africains souvent très jeunes. 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Je m’inclus modestement parmi ces derniers pour avoir couvert pour la RTS plusieurs événements antérieurs à cette crise. </p> <p>Flashback et premier acte: j’étais en Ossétie du Sud en 2008 lorsque le président géorgien Saakachvili a voulu récupérer militairement ce territoire. Ses habitants avaient été instrumentalisés, en même temps que ceux d’Abkhazie, par une indépendance orchestrée de Moscou à la chute de l’URSS. Le président géorgien espérait naïvement un soutien militaire occidental. Et comme les Ossètes détestent les Géorgiens pour des raisons que l’histoire et les grandes puissances leur ont imposées, ils ont cru brièvement à leur salut par la Russie. Tous les habitants de ce territoire que j’ai rencontrés se réjouissaient alors de leur nouveau passeport russe distribué largement. Pour eux, l’agresseur qui les bombardait était l’armée géorgienne. J’ai pu voir les tanks russes arriver à leur rescousse par le tunnel de Roki depuis l’Ossétie du Nord qui fait partie de la Fédération de Russie. On a donc tous fermé les yeux. Après tout, si les Ossètes du Sud veulent se réunifier avec les Ossètes du Nord au sein de la Russie…</p> <h3>Les «petits hommes verts» en Crimée</h3> <p>Deuxième acte: j’étais en Crimée en 2014 le jour de l’invasion par les «petits hommes verts». On appelait ainsi les soldats sans identification envoyés par Moscou. Mais les bidasses russes n’ont plus la discipline d’antan. Certains soldats avaient oublié de dévisser les plaques russes de leur véhicule… Il faut reconnaître que Sébastopol est une ville fondamentalement russe par son histoire et sa culture. Elle forme une division administrative à part. Quant à la majorité russe du reste de la Crimée, elle a accueilli avec satisfaction la réincorporation de la péninsule dans la Russie dont elle faisait partie jusqu’à son transfert en 1954 par Nikita Krouchtchev dans la république socialiste soviétique d’Ukraine.</p> <p>A l’époque, ce changement, commémorant un anniversaire historique, était sans importance puisque tout se passait au sein de l’URSS. Et les Russes de Crimée n’étaient pas mécontents de se débarrasser des vexations administratives que leur infligeait le gouvernement de Kiev. Quant aux Ukrainiens de Crimée, ils étaient eux-mêmes essentiellement russophones et n’ont guère réagi. Seuls les Tatars ont exprimé leurs craintes. Du coup leurs chaînes de télévision et radio de Bakhtchissaraï ont été aussitôt fermées par le nouveau pouvoir russe. A priori je continue de penser que la Crimée n’est pas plus ukrainienne que russe ou tatar. Néanmoins ce n’est pas aux chars de Poutine, ni à la parodie de référendum organisé en deux semaines, de décider de l’avenir de cette péninsule qui a vu le passage de plus de vingt-cinq peuples dans son histoire. Finalement l’Occident a condamné mollement.</p> <p>Troisième acte: le Donbass. Les difficultés économiques provoquées par le déclin des mines de charbon et l’indifférence du pouvoir central de Kiev ont pu être instrumentalisées facilement par Moscou. Même si le gouvernement ukrainien a commis de graves bévues, notamment en déclassant le statut de la langue russe, le problème n’est pas ethnique ou linguistique. Ici comme dans le reste du pays, un nombre infini de familles ont une double origine, russe et ukrainienne. Les affrontements sanglants qui s’y déroulent depuis 2014 ne sont qu’un moyen de plus du système Poutine pour faire pression sur un pays soupçonné de vouloir quitter la sphère d’influence russe. Les heurts violents avec l’armée ukrainienne ont pu donner l’impression qu’il y avait des torts des deux côtés. Et le gouvernement de Kiev a trainé les pieds pour accorder plus d’autonomie à cette région, comme le stipulaient les accords de Minsk de 2014 et 2015 que personne n’a respectés. Malaise et donc absence de réaction de l’Occident.</p> <p>On peut ajouter à tout cela la situation de la Transnistrie, cette bande de territoire, également autoproclamé indépendant au sein de la Moldavie, le long de la frontière ukrainienne (ce n’est pas un hasard). On y trouve évidemment des bases militaires russes. L’Occident s’en est désintéressé totalement, regardant cette affaire avec commisération, comme s’il s’agissait de la Syldavie de Tintin. La boucle est bouclée. L’Ukraine pouvait être attaquée, avec l’aide du vassal biélorusse dont le territoire complète une bonne partie du verrou.</p> <h3>Rêve de puissance eurasiatique</h3> <p>Les hommes vieux et paranoïaques qui encadrent Poutine croient maintenant rejouer une version de la «Grande guerre patriotique». Ces purs produits des services de sécurité soviétiques peuvent au passage museler enfin la Russie. Peu importe que leur pays soit devenu un «Etat-paria». Poutine a coupé définitivement les ponts avec l’Occident en prenant ses rêves de grande puissance eurasiatique pour la réalité. Il menace le monde d’une guerre atomique, ce que même les dirigeants soviétiques n’ont jamais osé faire en quarante-cinq ans de guerre froide. 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Chacune des expéditions de cette époque est une victoire humaine et politique dont on cache soigneusement les tragédies: engelures, avalanches, crevasses et infections ont leur compte de victimes mortelles. Le matériel est sommaire, même pour les standards de l’époque, mais les alpinistes font la une des journaux soviétiques. Leurs photos apparaissent en première page avec des visages blancs de crème lanoline, corde de chanvre à l’épaule, lunettes noires et lèvres gercées. Ils accomplissent un devoir, une mission d’Etat: «L’enjeu de l’ascension du pic Staline, c’était de remplacer Dieu par le marxisme, sur l’autel de la Terre»<em>,</em> écrit Cédric Gras. C’est ainsi que les sommets se succèdent: pic Staline, pic Lénine, pic du Communisme, pic Karl Marx…</p> <h3><strong>Un Suisse au pays des Soviets</strong></h3> <p>L’auteur a épluché les archives soviétiques et exploré sur place les terrains de conquête des alpinistes soviétiques de l’époque. Ces sommets étaient négligés par leurs confrères occidentaux, intéressés surtout par les Alpes et l’Himalaya. Avec de rares exceptions toutefois, celles de quelques Suisses. L’écrivaine Ella Maillart aurait aimé participer à l’une de ces ascensions, comme elle le mentionne dans <em>Des monts célestes aux sables rouges,</em> que cite Cédric Gras. Sans succès toutefois. Sa lucidité face au stalinisme la rendait probablement suspecte. Par contre le militant communiste soleurois Lorenz Saladin parvient à s’infiltrer dans le cercle très fermé des alpinistes soviétiques. Il devient un ami inséparable des deux frères Abalakov et de leurs compagnons de cordée. A ses talents de montagnard expérimenté, le Suisse en ajoute un autre précieux, il est un photographe hors-pair. Ses expéditions au pays des Soviets se succèdent: Caucase, Pamir, Altaï, Tien-Shan. Ses clichés, disparus pendant de nombreuses années, sont époustouflants et ne se limitent pas aux montagnes. Ils documentent abondamment les populations de ces régions asiatiques et sont visibles au <em>Musée alpin suisse</em> de Berne. Pour raconter au passage les aventures de l’alpiniste suisse, Cédric Gras s’inspire du livre de l’émouvante Annemarie Schwarzenbach : <em>Lorenz Saladin, ein Leben für die Berge</em>. Cette autre grande écrivaine voyageuse suisse avait été impressionnée par le Soleurois et avait cherché, autant que possible à son époque, à en retrouver le parcours, en se rendant même jusqu’à Moscou pour cela.</p> <p>Lorenz Saladin finit pourtant tragiquement. En 1936, il participe à une expédition délicate dans le Tien-Shan. C’est un massif très septentrional et en raison des difficultés administratives d’obtention de son visa, le départ de la colonne est retardé jusqu’à fin août. Trop tard car les conditions météorologiques sont alors cauchemardesques. Les accidents se succèdent lors de la descente du sommet du Khan Tengri. Vitali Abalakov et d’autres compagnons de cordée perdent plusieurs doigts des mains et des pieds. Il faut encore zigzaguer vingt kilomètres entre les crevasses et les moraines du glacier Inyltchek. Lorenz Saladin, malgré son équipement de qualité «suisse», subit lui aussi de graves engelures. Ses doigts sont noirs et puent la charogne. Vitali tente de le soigner en ouvrant au couteau les chairs mortes qu’il désinfecte avec le pétrole des lampes. Le 17 septembre 1936, l’alpiniste communiste suisse meurt dans d’atroces souffrances, probablement de septicémie.</p> <h3><strong>Victimes de la Grande Terreur</strong></h3> <p>Une année plus tard, inévitablement, le couperet de la <em>Grande Terreur</em> finit par tomber aussi sur les alpinistes soviétiques comme sur le reste de la société. Une purge du NKVD vise la prétendue <em>Organisation contre-révolutionnaire facho-terroriste des alpinistes et randonneurs</em>… Le 4 février 1938, Vitali Abalakov est arrêté chez lui à Moscou. Il est torturé puis accusé d’avoir participé à une tentative d’assassinat du camarade Staline lors du défilé du Premier Mai. Comme tout le monde il avoue n’importe quoi et dénonce n’importe qui. Le défunt Lorenz Saladin devient un espion suisse pour lequel il aurait travaillé. On ne saura jamais pourquoi l’autre frère Abalakov, Evgueni, n’a jamais été inquiété, ni pourquoi Vitali est finalement libéré deux ans plus tard.</p> <p>Puis la <em>Grande guerre patriotique</em> utilise les compétences des rares alpinistes ayant échappé au goulag, comme Evgueni Abalakov. Grâce à eux, en 1943, les troupes allemandes sont chassées du Mont Elbrouz, le sommet de l’Europe. Mais ce prodigieux alpiniste, qui rêvait d’être le premier à escalader un jour l’Everest, meurt piteusement en 1948 dans sa salle de bain, intoxiqué par le chauffe-eau à gaz, une version que sa veuve et son fils réfuteront toute leur vie, sans preuve.</p> <p>Pendant ce temps, Vitali, partiellement handicapé, développe du matériel d’escalade. Mais malgré ses amputations, il cède à nouveau au virus de la montagne. Avec une force de volonté hors du commun, il reprend du service en serrant les dents lorsque ses moignons sont trop douloureux. Il est nommé à la tête de la section d’alpinisme du club sportif <em>Spartak</em> et mène avec une discipline de fer une succession d’expéditions. Son dernier sommet, le 30 août 1956, est le pic de la Victoire, le seul 7000 d’URSS encore vierge. La montagne est face au Khan Tengri qui lui a couté ses doigts et la moitié d’un pied trente ans plus tôt. 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Le troisième collier définit précisément la quantité d’eau à laquelle chaque membre du consortage a droit en fonction de ses prairies. Depuis les premiers documents du XVè siècle qui prouvent l’existence des bisses en Valais, le système a quand même passablement évolué, même s’il garde sa philosophie communautaire originelle. Aujourd’hui, l’intervention financière ou logistique des communes, voire du canton, est fréquente. Et le branchement des bisses sur des systèmes modernes d’arrosage est maintenant courant.</p> <p>A Ausserberg, il n’y a plus que vingt-cinq agriculteurs à temps partiel et une agricultrice à plein temps. Mais dans ce village, comme ailleurs dans le canton, tout le monde est attaché à ses bisses. On en dénombre actuellement 188 en Valais, totalisant 742 km. Tous ne sont toutefois pas fonctionnels pour l’agriculture. De nombreux bisses ont acquis une vocation touristique et sont longés par des sentiers de randonnée très fréquentés en été. 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Les jeunes rescapés racontent leur histoire avec l’aide d’un interprète bénévole. Comme tant d’autres en ce moment, ils ont fui l’Afghanistan, où la guerre est sans fin entre l’armée gouvernementale, les islamistes talibans et de nombreuses factions rivales politico-maffieuses. Malheureusement, dans la violence de la traversée d’une autre frontière, entre la Bosnie-Herzégovine et la Croatie, ils ont perdu de vue leurs parents et ont décidé de continuer sans eux. Parmi les migrants qui arrivent ces derniers mois ici à Briançon, les nombreuses histoires de violences perpétrées par les gardes-frontières croates font froid dans le dos.</p> <p>Le réseau solidaire organise rapidement une prise en charge des trois adolescents afin de les amener à Paris où des amis de leur famille devraient les recevoir. 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La maman m’explique qu’ils sont de religion protestante. «L’Iran est un pays musulman, on nous considère comme des apostats. C’était de plus en plus difficile pour nous.»</p> <p>La famille décide alors il y a quatre ans de quitter Téhéran avec une des grand-mères et de s’installer en Turquie. Mais elle ne s’y sent guère mieux dans un environnement musulman exacerbé par la politique de renouveau religieux du président Erdoğan. Ces protestants iraniens reprennent alors la route et arrivent dans les Balkans. «En Serbie, nous n’avions pas de problème car c’est un pays chrétien, m’explique tant bien que mal la maman. Mais les conditions de vie étaient très difficiles. J’ai fait une fausse couche et ma mère qui nous accompagnait est décédée.»</p> <p>Les parents et leur fille se décident alors pour un nouveau départ. Cette fois, leur objectif est la France où ils n’ont toutefois pas de point de chute. L’errance est sans fin mais ils semblent garder confiance.</p> <h3><strong>Décision contestée</strong></h3> <p>Le Refuge solidaire de Briançon voit depuis le début de l’été un nombre croissant d’arrivées en provenance d’Italie: 150 en juin, 250 en juillet, 350 en août, 450 en septembre….</p> <p>«Nous atteignons des chiffres semblables à ceux d’il y a trois ans, lorsque nous avons ouvert le refuge», m’explique Philippe Wyon.</p> <p>Ce Briançonnais d’adoption est un ancien accompagnateur en montagne et un des fondateurs du Refuge solidaire. Depuis la menace de fermeture annoncée de façon inattendue le mois dernier par Arnaud Murgia, le nouveau maire de Briançon, Philippe Wyon est une des personnes qui se mobilisent sans compter pour renverser cette décision.</p> <p>«Le maire a mal apprécié la situation. Il croyait avoir affaire à un petit groupe de gauchistes mais il s’aperçoit que ce n’est pas si simple. Quand on ne veut pas accueillir les gens, ça se passe mal, continue Philippe Wyon de son habituel ton posé, plus proche du guide montagnard que du militant. Mais ici à Briançon, il n’y a jamais eu de problème. Ce n’est pas Calais, on est sur du flux, les exilés n’ont aucun désir de rester, alors que Calais, c’est une impasse.»</p> <p>Le maire de Briançon est aussi président de la Communauté de communes et donc doté d’un pouvoir important. Membre du parti Les Républicains, il a battu au second tour des élections législatives en juin dernier son prédécesseur à la suite d’une division des listes de gauche. Elles ont refusé de fusionner et n’ont pas fait le poids face à la liste unique de droite.</p> <h3><strong>Image touristique menacée</strong></h3> <p>L’attitude du maire est incompréhensible pour beaucoup de monde et on se demande si ce n’est pas juste un coup d’esbroufe pour rallier les sympathies d’extrême-droite et propulser sa carrière. La fermeture du refuge ne faisait même pas partie de son programme électoral. La ville de Briançon est reliée par télécabine à Serre Chevalier. C’est une station de ski en hiver et une base de randonnée en été. Une bonne partie de son électorat travaille dans le commerce et le tourisme, des Briançonnais qui n’ont pas du tout envie de voir ternir l’image de leur ville par des familles de migrants dormant dans la rue ou la gare de départ de la télécabine.</p> <p>La menace du maire a déclenché de vives réactions à travers toute la France, emmenées par les plus importantes associations humanitaires du pays: Abbé Pierre, Emmaüs, Médecins du Monde. Une pétition de protestation a recueilli en quelques semaines plus de 37 000 signatures à la tête desquelles se trouvent celles de Mgr Xavier Malle, évêque de Gap, ainsi que du sociologue Edgar Morin.</p> <p>La trêve hivernale qui commence le 1<sup>er</sup> novembre devrait, selon la règle, empêcher de mettre à la rue les personnes hébergées, mais ce n’est qu’un répit. Les membres du collectif qui gère le refuge espèrent en profiter pour faire passer à la mairie une proposition de commission qui étudierait des solutions pour remplacer l’actuel bâtiment vétuste car c’est une ancienne caserne des CRS totalement inappropriée à ses fonctions actuelles. En attendant il reste à savoir qui va payer la facture du fuel pour le chauffage qui était jusqu’à présent prise en charge par la mairie. 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Ce récit de vie, sous forme d’abécédaire à la première personne, raconte les discriminations dont sont victimes les handicapés en Afrique. 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