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Actuel / Evian, juillet 1938: la conférence honteuse sur les réfugiés juifs

Jacques Pilet

31 juillet 2018

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Depuis les lois raciales de Nüremberg (1935) qui faisaient des Juifs des citoyens de seconde zone et les privaient de leurs droits, toute l’Europe sut que ceux-ci étaient menacés dans leur existence. Des centaines de milliers d’entre eux tentèrent de fuir le Reich, en particulier après l’Anschluss de l’Autriche. Pour la plupart d’entre eux, ils n’obtenaient nulle part des visas d’accueil. A la demande des Etats-Unis, une conférence fut convoquée pour examiner la question. A Evian, en juillet 1938. Un épisode longtemps maintenu dans l’ombre. Parce que honteux. Un moment de l’histoire qui résonne dans l’actualité.



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Une partie de l’opinion publique américaine s’alarmait du sort réservé aux Juifs dans le Reich nazi et de l’obstination du gouvernement à refuser d’accueillir les émigrés. Sous cette pression, le président F.D. Roosevelt demanda à la Société des Nations, à Genève, d’organiser une rencontre entre toutes les démocraties du monde pour trouver une solution. La Suisse accepta l’invitation… mais pas chez elle. Elle répondait ainsi le 13 avril 1938: «En ce qui concerne la suggestion du gouvernement des Etats-Unis que la première réunion de ce Comité ait lieu dans une ville suisse, le Conseil fédéral croit devoir émettre l’avis qu’il serait préférable que la conférence se réunisse dans un autre pays, dont la situation est plus appropriée aux problèmes particuliers qu’elle aura à débattre.» 

C’est donc dans le bel hôtel Royal d’Evian que les délégués de 27 pays se réunirent du 6 au 15 juillet 1938. Ce fut un festival d’hypocrisie. Chacun dit sa préoccupation devant le sort des Juifs mais tous expliquèrent que malheureusement, il ne leur était pas possible d’accepter des réfugiés. Chacun avait sa raison. Le représentant helvétique, Heinrich Rothmund, du département fédéral de la police, invoqua la surpopulation étrangère en Suisse (9% à l’époque). Le chantre du combat contre la «Überfremdung» et la «Verjüdung» (judaïsation) était habitué à ce discours. C’est lui qui avait fait demander à l’Allemagne d’apposer le timbre «J» (pour Jude) sur les papiers des réfugiés juifs échappés d’Allemagne. Ce dont le président de la Confédération Kaspar Villiger s’excusa en 1995.

Le bal des poltrons

L’ambassadeur australien eut ce mot: «Nous n’avons pas de problèmes de racisme chez nous, nous ne voulons pas en créer.» Les Canadiens, les Brésiliens et les Argentins envisageaient d’accorder l’asile à certains demandeurs, à condition qu’ils soient agriculteurs. Le représentant britannique loua la générosité humanitaire de son pays mais rappela que ce ne pouvait être que «dans d’étroites limites», car le Royaume-Uni n’est pas un pays d’immigration». Le Français, Henry Bérenger, qui présidait les débats, trouva une circonvolution fleurie: «… l’accord de principe le plus entier et la volonté de réalisation la plus sincère, compte tenu des possibilités de ma patrie et de ce qu’elle a déjà fait jusqu’à l’épuisement de ses propres ressources qui ne sont, hélas, pas aussi illimitées que son ardeur à servir la communauté des hommes.» Ainsi de suite. Tous les pays insistèrent sur le fait qu’il n’était pas question d’imposer des quotas d’accueil à quiconque. 

La vingtaine d’ONG, dont plusieurs associations juives, qui s’étaient invitées eurent droit à de brèves interventions (trois minutes chacune) devant une commission. Une certaine Golda Meir, nommée «observateur juif de Palestine», devenue plus tard Première ministre d’Israël, n’oublia jamais cette humiliation. 

Mais les diplomates accourus à Evian gardèrent un bon souvenir de leur séjour. «Ils ont fait des promenades en bateau, raconta le concierge à un journaliste britannique. La nuit ils ont joué au casino. Ils ont pris des bains minéraux et des massages. Certains sont allés à Chamonix faire du ski d’été. D’autres ont fait de l’équitation, du golf… Oui, certains ont assisté aux réunions. Mais il est bien difficile de s’asseoir à l’intérieur pour écouter des discours quand tous les plaisirs qu’offre Evian sont à l’extérieur.»

Hitler jubilait (...) il s’exclamait: «Regardez, personne n’en veut!»

Finalement, il fut décidé de créer un vague «comité intergouvernemental pour les réfugiés» qui se réunit le 3 août à Londres, sous la présidence de Lord Winterton, antisémite notoire. Et ce machin s’enlisa aussitôt. 

Hitler jubilait. Il avait songé, comme d’autres, à envoyer les Juifs à Madagascar, ce que refusaient les Français, et même en Palestine, ce qui ne plaisait pas aux Britanniques. Il avait même proposé de payer le voyage outre-Atlantique ou ailleurs «en première classe» aux gens de cette «race» détestée. Et là, il s’exclamait: «Regardez, personne n’en veut!»

La fuite des persécutés allait se poursuivre par tous les moyens. Le 13 mai 1939, le paquebot allemand Saint-Louis embarquait à Hambourg 967 personnes, des Juifs en fuite, à destination de Cuba qui avait accepté de les accueillir avant de se raviser. Le bateau tenta alors d’aller en Floride, les lumières de Miami étaient en vue mais les autorités américaines refusèrent tout débarquement. Ce fut le retour en Europe où les passagers furent finalement acceptés en Grande-Bretagne, en France et en Belgique. Dans ces deux pays, bientôt occupés, la plupart d’entre eux furent plus tard arrêtés et déportés. L’écrivain cubain Leonardo Padura a admirablement raconté l’histoire dans Les Hérétiques (Editions Points).


Source: La conférence de la honte de Raphaël Delpard (Edition Michalon).

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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@miwy 01.08.2018 | 13h30

«merci pour ce rappel»


@Marianne W. 06.08.2018 | 02h17

«Indispensable texte de Jacques Pilet qui nous rappelle cette monstrueuse indignité que fut la Conférence d'Evian. D'autant plus nécessaire aujourd'hui, alors que nous renvoyons les migrants parvenus jusque chez nous se faire torturer en Lybie, mourir de soif et de faim dans le désert, ou se noyer en Méditerranée...
Nous avons eu notre part de responsabilité dans la Shoah, nous commençons tout juste à nous en souvenir. Prenons garde à ne pas léguer davantage de dénis et de lâchetés à nos enfants.
»


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