Actuel / Le poison qui tue la presse: la redondance
La presse romande s'étiole, faute de se démarquer. © DR
Oui, quoi que l’on pense de ce titre, la disparition du «Matin» est un événement qui blesse la Suisse romande. Ce journal populaire est lu dans tous les cantons. Or, les médias qui font circuler informations et débats à travers cet espace se font plus rares. Chacun est invité à se recentrer peu à peu sur son horizon régional. Comme autrefois. Au-delà des arguments économiques cent fois rabâchés sur les raisons d’arrêter tel ou tel titre, éditeurs et journalistes pourraient s’interroger davantage sur la substance de leurs publications. A-t-elle évolué avec l’envahissement des gratuits et de l’internet? Par tradition, par habitude, les rédactions ne seraient-elles pas passées à côté de certaines attentes non dites du public? L’indignation et la solidarité s’imposent dans une telle situation, mais le moment est venu aussi de réfléchir plus avant. Notamment au phénomène des rédactions industrielles.
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Peu audible d’ailleurs chez lui et chez ses partenaires, guère enthousiastes de cette prétention au leadership. En termes exaltés et alarmistes, le président français en appelle au renforcement massif de la défense européenne. Non sans raisons. Mais pour quoi faire? Affronter la menace de la Russie? Voyons son armée. Elle s’escrime autour de quelques villages dans l’est de l’Ukraine, à quelques kilomètres de chez elle, elle peine à prendre la ville voisine de Karkhiv malgré d’horribles destructions. Elle n’est manifestement pas de taille à s’en prendre aux pays de l’OTAN, ni matériellement ni humainement. Les divers pays européens sont loin d’être démunis de moyens militaires. Même si leur base industrielle a des lacunes. On le sait aussi au Kremlin, où, quoi qu’on en dise, on est réaliste, on n’a pas la folie des grandeurs. Point effectivement à soulever: il est vrai que les Européens feraient bien de se préoccuper davantage de la défense anti-drones et anti-missiles. Ces engins, peu coûteux à produire mais ruineux pour s’en défendre, jouent un rôle-clé dans les conflits d’aujourd’hui. Et les Russes ne sont pas seuls à en disposer. Dans la cybersécurité aussi, il y a aussi de sérieux efforts à faire. Comme en Suisse, où le Département de la Défense confie cette tâche à son entreprise boiteuse Ruag qui s’appuie elle-même sur l’entité issue de Crypto AG, célèbre pour le scandale de ses tricheries. La Confédération a misé en plus sur une société bernois brinquebalante, Xplain, et admet aujourd’hui le désastre. Même des informations confidentielles sur les Conseillers fédéraux ont été balancés dans le «darknet». </span></p> <p><span>Mais nos militaires et leur cheffe ne rêvent que d’acquérir toujours plus d’avions, de blindés et de canons… à acheter aux Etats-Unis bien sûr. Viola Amherd se frotte les mains: une curieuse proposition agite le Parlement. Il s’agit de faire sauter la limite aux dépenses fédérales et de consacrer dix milliards supplémentaire pour l’armée et cinq pour l’Ukraine d’ici à 2030. C’est un groupe inhabituel de femmes parlementaires alémaniques qui est à la besogne. Dont une centriste, Marianne Tinder («Je suis en mesure d'évaluer la gravité de la menace même sans jours de service militaire»), sa collègue de parti entrée au Parlement en décembre dernier («Quand j'entends que l'armée n'a même pas assez de gilets de protection, cela me fait réfléchir»), la socialiste Franziska Roth («Nous ne pouvons pas nous cacher constamment derrière des lignes rouges»). A compter aussi dans ce que le <em>Tagesanzeiger</em> appelle les «dealmakers»: une autre centriste, Andrea Gmür, la socialiste Sarah Wyss, la verte libérale Corina Gredig. Etonnant, ce quarteron féminin, inter-partis, prônant l’urgence des armes.</span></p> <p><span>Bien que le président du PS Cedric Wermuth et la Fédération des sociétés militaires – curieux attelage! – applaudissent l’idée, celle-ci passe mal. Le patron du Centre Gerhard Pfister tousse, les radicaux, derrière Karin Keller-Suter, préoccupés par l’endettement, s’y opposent. Et il se trouvera sans doute des socialistes pour refuser cet emballement. Quant au petit peuple à qui on ne demandera pas son avis, il sait que de telles dépenses supplémentaires entraîneront inévitablement des coupes là où cela lui fait mal. </span></p> <p><span>Il vaut la peine de s’interroger sur les ressorts de cette outrance militariste. Que ce soit dans le mode déclamatoire d’un Macron ou dans les chuchotements du Palais fédéral. La politique sort alors du champ rationnel, de l’analyse froide des réalités, elle entre dans l’escalade des émotions morales, détermine dans le mode binaire, gagner ou perdre la guerre. Or l’histoire récente donne tant d’exemples où les conflits ont fini par des pourparlers. Plus ceux-ci ont tardé, plus se sont inutilement prolongées les souffrances.</span></p> <p><span>Rester fidèles à nos principes? Bien sûr. Mais alors pourquoi ne pas s’activer plutôt au chapitre de la paix? Pourquoi ne pas tirer toutes les ficelles en vue de véritables négociations dans le conflit Ukraine-Russie? Dans son emportement Emmanuel Macron n’a même pas prononcé ces mots. Et en l’occurence helvétique, les chantres féminins du pactole aux armes n’en ont eu aucun dans ce sens. Et le grand raout prévu au Bürgenstock, direz-vous? L’intention est certes louable mais le cadrage est défini par un seul des camps en présence et par les Etats-Unis. Cela en fait un simulacre de négociations. Qui pourrait bien en rajouter une couche à la frénésie belliqueuse. Alors même que le moment approche où les belligérants, plus ou moins épuisés, devront bien se résoudre à cesser le feu et à engager des pourparlers. Plus ils attendront, plus la malheureuse Ukraine sera mal prise. Regrettant que l’accord à bout touchant du tout début de la guerre ait été sabordé.</span></p> <p><span>Quant à l’autre guerre qui nous bouleverse, au Moyen Orient, elle est promise à durer longtemps, très longtemps, sous une forme ou une autre. Totalement dépassée et discréditée, la Suisse ne songe même pas à proposer une négociation, ni sur l’immédiat, ni sur le fond. Peu dit: un autre pays tente discrètement cet effort, non sans expérience. La Norvège.</span></p> <p><span>Mais le Conseil fédéral paraît tenir à réaffirmer son alignement sur la ligne d’Israël. Après avoir concédé une aide réduite, la commission parlementaire des Affaires étrangères propose de supprimer à terme tout soutien à l’UNRWA. 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Quel parcours pour cet autodidacte fou de cinéma, travailleur acharné, si bellement doté d’empathie créatrice! ', 'content' => '<p><span>Quel parcours pour cet autodidacte fou de cinéma, travailleur acharné, si bellement doté d’empathie créatrice! Ces trente dernières années, son entreprise, sise à Lausanne, CAB-Productions, a permis à de nombreux cinéastes, locaux et internationaux, de s’exprimer librement. Tournant en Suisse, avec des comédiens, des techniciens d’ici et d’ailleurs. De Francis Reusser à Dominique de Rivaz, d’Alain Tanner à Jean-François Amiguet, de Marcel Schüpbach à Pierre-Yves Borgeaud, de Greg Zlingski à Olivier Assayas, de Benoît Mariage à Claude Chabrol, et tant d’autres. Dernier en date, Roman Polanski. Avec le tournage à Gstaad de <em>The Palace</em>, en coproduction avec l’Italie et la Pologne. </span></p> <p><span>Lié d’amitié avec cette grande figure du cinéma européen, Porchet a tout fait, trois ans durant, pour que ce film se fasse. Contre vents et tempêtes. Face aux campagnes des ultra-féministes qui rabâchent et déforment une histoire vieille de quarante ans, aux Etats-Unis, impliquant une jeune fille qui aujourd’hui est dans les meilleurs termes avec le prétendu coupable. L’offensive «wokiste» a mis Polanski au ban. En Suisse comme en France, aucun soutien public n’a été apporté au film. Une fois terminé, au début de cette année, il a pu être présenté à Venise mais n’a été diffusé que dans quelques rares salles, les distributeurs et les exploitants craignant des manifestations féministes. Il est même totalement proscrit en France. </span></p> <p><span>Pour Jean-Louis Porchet les difficultés du début ont tourné à la descente aux enfers. Faute de rentabiliser les droits d’exploitation, sous le poids des dettes contractées pour boucler le financement du tournage, son entreprise est menacée de faillite. 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La presse dite de boulevard, tant décriée par les âmes sensibles – et hypocrites –, est un outil de liberté. Mais sous cette étiquette, tant de réalités différentes. Le Matin ne ressemble pas au Blick qui lance des campagnes, met en scène la politique avec panache, joue avec les émotions mais éclaire aussi des dossiers compliqués. Son cousin romand est plus «soft», comme on dit. Mais outre sa couverture remarquable du sport, il a su maintes fois raconter petites et grandes «affaires» avec une liberté de ton que les journaux «sages» avaient peine à trouver. Néanmoins, ses chances de survie ont fondu dès lors qu’apparut la puissante machine de 20minutes. Le gratuit, c’est autre chose. C’est la platitude absolue. La futilité érigée en système. Pas d’enquêtes, pas d’idées, pas d’émotions fortes non plus, ni coups de gueule ni coups de cœur. Un magma de nouvelles d’agences et de potins, un choix de faits divers minuscules et pasteurisés. A noter: les trois quarts des infos «people» sont nord-américaines, fournies précuites par les agences. Comme si c’était notre monde. Comme s’il manquait, près de chez nous, d’histoires et de personnages piquants.
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Sauter pour mieux reculer
Et là, on touche à un point crucial de l’évolution de la presse suisse. Les éditeurs ses sont mis en tête, il y a plusieurs années déjà, qu’il fallait, pour réduire les coûts et mieux utiliser les compétences, construire des «newsrooms», de grandes fabriques rédactionnelles livrant leur matière à plusieurs titres. Le pas a été fait en Suisse romande chez Tamedia, le processus s’étend outre-Sarine. Des rapprochements étaient parfois nécessaires. Mais là, on en est au stade de la potée universelle. On vit ainsi Le Matin se rapprocher de plus en plus de son concurrent-maison gratuit. Il suffit de comparer les sujets retenus sur l’un et l’autre site: plus de la moitié sont les mêmes.
Cette obsession de la rationalité industrielle ne fait qu’accélérer le déclin de la presse. Parce qu’elle tend à émousser l’identité propre de chaque titre (print ou net). Parce qu’elle crée un effet mortel pour les médias: la redondance. Le public, bombardé de toutes parts, a l’impression qu’on lui offre partout et à longueur de journée, sur tous les supports, les mêmes informations, les mêmes tonalités. D’où une impression de banalité. D’inutilité. Alors, pour vibrer un peu, on file sur les réseaux sociaux où là, c’est l’inverse, le règne des éclats de voix, des formules simplistes, des clins d’œil personnalisés.
La politique des rédactions industrielles n’a de loin pas fait ses preuves. Economies? C’est à voir. Un journaliste impliqué à fond dans une petite équipe se sent responsable de ce qui paraîtra. Dans une usine à journaux, il se ressent tel un rouage, remplit sa case et laisse le bateau flotter. Et à bord, les officiers et sous-officiers se multiplient sur les passerelles, alors qu’en soute les matelots sont de moins en moins nombreux. Quant aux frais techniques, ils dévorent une part sans cesse croissante du budget avec le développement des rédactions online, et leur armée d’informaticiens et de brasseurs d’infos sur écran. Tout cela ne rapproche pas du terrain mais en éloigne. C’est en arpentant villes et campagnes, en tendant l’oreille partout, que les journalistes trouvent de bons thèmes hors du champ des mastodontes googliens, pas en restant le nez collé à l’ordinateur toute la journée.
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Gueule de bois et peur au ventre
Enfin Le Temps est toujours là, plus indispensable que jamais. Il parle beaucoup de ses succès online. Très bien. Mais lui non plus n’échappera pas à une remise en question de sa manière de faire, de ses exigences éditoriales. Certains chuchotent qu’il pourrait, comme Le Matin, ne plus paraître sur papier la semaine et se concentrer sur le net. Ce serait un suicide. A preuve, tous les titres, dans le monde, qui ont fait ce pas ont échoué et sont réduits à la mendicité. Les éditeurs rappellent peu que la manne publicitaire, même en raréfaction, reste beaucoup plus importante sur le papier que sur leurs sites journalistiques.
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Peu audible d’ailleurs chez lui et chez ses partenaires, guère enthousiastes de cette prétention au leadership. En termes exaltés et alarmistes, le président français en appelle au renforcement massif de la défense européenne. Non sans raisons. Mais pour quoi faire? Affronter la menace de la Russie? Voyons son armée. Elle s’escrime autour de quelques villages dans l’est de l’Ukraine, à quelques kilomètres de chez elle, elle peine à prendre la ville voisine de Karkhiv malgré d’horribles destructions. Elle n’est manifestement pas de taille à s’en prendre aux pays de l’OTAN, ni matériellement ni humainement. Les divers pays européens sont loin d’être démunis de moyens militaires. Même si leur base industrielle a des lacunes. On le sait aussi au Kremlin, où, quoi qu’on en dise, on est réaliste, on n’a pas la folie des grandeurs. Point effectivement à soulever: il est vrai que les Européens feraient bien de se préoccuper davantage de la défense anti-drones et anti-missiles. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
6 Commentaires
@Cachalot 12.06.2018 | 09h09
«Entièrement d'accord avec vous. Nous, journalistes, avons trop vite cédé à l'information "kleenex" sans nous apercevoir que nous en avions perdu le monopole. Pourtant, les autres pouvoirs n'attendent que notre esprit critique pour mieux fonctionner. La qualité sauvera ce magnifique métier que je pratique depuis trente ans... »
@Jack MacHost 12.06.2018 | 09h45
«Que cette lecture fait du bien. Une lueur d'espoir et un peu de baume au moral.
Cela fait trois journaux que j'enterre.
Je lisais Le Matin depuis la mort de La Suisse.
Et au début de l'année passée il y a eu la fin de L'Hebdo.
Série en cours? J'espère que non!
Et pour le commentaire sur le site internet du Matin, 100% d'accord.
J'y suis allé la première fois samedi pour voir ce qui nous attend, et j'en suis vite parti.
20 Minutes occupe aussi ce terrain et ne le lâchera pas.
Heureusement qu'il reste des gens comme vous M. Pilet.
»
@Pari 12.06.2018 | 16h25
«Eh oui. Je suis fatigué de lire toujours les mêmes textes d’un site de journal à un autre. Les mêmes dépêches, froides. L’emballage change. C’est tout. Et comment se fait-il que 75% des News des « Peoples » soient nord-américaines ? Après ce conformisme, j’entends les gens en attente de proximité, de contextualisation, de reconquête de leur territoire. Peut-être est-ce une autre interprétation du résultat du refus des JO de ce week-end, de l’acceptation massive de la loi sur les jeux d’argent. Que celui-ci revienne ici pour les projets culturels et sportifs.
La digitalisation permet un transport quasi instantané. La fabrication des textes est diantrement plus complexe. Merci @Jacques Pilet pour cet article.»
@HCC 17.06.2018 | 16h40
«J'ai déjà eu cette impression que c'est partout la même chose, les mêmes gens interviewés ... y compris RTS, journaux Migros et Coop !
Merci pour BPLT, continuez !»
@Eggi 17.06.2018 | 23h03
«Reste la dure réalité de la clientèle potentielle de la presse écrite: elle s'en désintéresse car elle a l'impression (excusez ce mauvais jeu de mots) qu'elle est informée sur la toile, notamment par les réseaux sociaux.
"Le Monde" semble avoir réussi -aussi sur le plan économique- une synthèse: du papier pour la minorité qui en veut encore et le quotidien électronique pour les "modernes", celui-ci étant de qualité équivalente. Mais il y faut du courage, de la compétence et du financement (celui-ci a été assuré pour le "quotidien de référence" par une poignée de mécènes non désintéressés, car ils veillent à la rentabilité de l'opération).»
@Pieroc 20.06.2018 | 12h35
«Je partage votre analyse. Reste à se poser quelques questions fondamentales. Qu'est-ce que l'information? Que signifie-t-elle sans être placée dans un contexte qui lui donne sens? Un sens peut-il émerger sans un point de vue? Sans une opinion?
Les informations qui nous tombent dessus à longueur de journée se ressemblent pratiquement toutes et cette soupe est insipide. Mais ce n'est pas innocent pour autant: cela façonne notre vision du monde et conditionne nos réactions. A qui profite ce décervelage, ce manque de distance critique? Empêcher les gens de penser, les divertir, les distraire, cela permet de combiner discrètement de grandes opérations, financières, de prise de pouvoir occulte...
Alors espérons que les vrais journalistes ne viennent pas allonger la liste des espèces en voie de disparition!»