Culture / Un dictionnaire à dévorer de A à Z
© Mr Cup / Fabien Barral via Unsplash
Paru en avril de cette année aux éditions Pour ainsi dire, «La zizanie des mots» est une sorte de dictionnaire des homonymes signé Christine Grobéty. Un dictionnaire dont l’auteure se met en scène et prend le lecteur à parti. Didactique comme il se doit d’un dictionnaire, mais sans le côté rébarbatif et austère. Bien au contraire. Pétillant d'humour, subtil et de facétieux, il jongle avec les mots pour dire tout l'amour que l'auteure porte à sa langue maternelle.
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Il m’est finalement apparu que les autres personnages étaient plus intéressants en creux. Parce que c’est clairement autour d’un personnage que je construis ma narration pour un roman: en l’occurrence autour de Noah, dit le puceron, avec la problématique du mensonge et de la prison. La nouvelle en revanche s’articule plutôt autour d’une thématique, parce qu’on a moins de temps pour développer les personnages. Il faut les rendre très clairs en peu de lignes.</p> <p><strong>Qu’est-ce qui vous a inspiré l’envie de parler de la situation des proches de délinquants?</strong></p> <p>Une émission à la radio où Viviane Schekter de la fondation REPR (Relai Enfant Parents Romands) parlait des familles de détenus. La prison m’intéresse depuis longtemps, mais je n’avais jamais pensé à ce que la détention pouvait impliquer pour les familles. J’ai ensuite été bénévole pour Repère pendant des années au Bois-Mermet. 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Les proches sont au premier front pour encaisser les jugements. Mais à la fondation Repère, j’ai aussi rencontré des gens très à l’aise avec l’idée d’avoir un proche derrière les barreaux, et très décomplexés.</p> <p><strong>Votre narratrice a parfois l’air plus adulte que ses parents. Est-elle parentalisée ou est-ce juste une impression due au fait que le lecteur n’a que son point de vue?</strong></p> <p>Un peu des deux. Quand j’avais encore trois points de vue, j’essayais de montrer comment chacun pense avoir raison. C’est intéressant de chercher l’angle d’interprétation à partir duquel les gens estiment faire ce qu’il faut. Oriane a ce rôle de grande sœur réconfortante.</p> <p><strong>Vous décrivez un lien très fort et très touchant entre la grande sœur et son petit frère. Est-ce que les circonstances les amènent à mettre de côté les disputes habituelles au sein d’une fratrie?</strong></p> <p>Non, je pense que leur relation serait la même en d’autres circonstances. Cet amour très fort et cet agacement ultime existent avant l’incarcération du père. S’y ajoutent ensuite l’inquiétude et le besoin de protéger le petit frère. Oriane en veut à ses parents de devoir porter leur mensonge.</p> <p><strong>Votre narratrice est gardienne de foot dans une équipe mixte: le prétexte pour ajouter une petite touche féministe à votre livre?</strong></p> <p>Oui clairement. Je me suis demandée ce qu’on faisait à cet âge comme activité extrascolaire. J’ai voulu choisir quelque chose d’éloigné de mes propres activités pour éviter qu’Oriane ne devienne une sorte d’alter ego. C’était un bon moyen de prendre de la distance.</p> <p><strong>Comment avez-vous réussi à restituer de façon aussi convaincante les tics de langage, l’attitude très entière propre à l’adolescence, mais aussi une forme de mal-être, de crainte du jugement sans doute exacerbée par ce qu’elle vit?</strong></p> <p>C’est venu très naturellement. J’avais beaucoup travaillé la voix de Noah: dans tous les ateliers d’écriture, j’essayais de faire parler un enfant. J’ai construit Oriane par antithèse en m’inspirant de la façon de parler des gens qui m’entourent. J’avais vingt-et-un ans à l’époque, j’étais encore assez proche de l’adolescence. J’ai aussi pris soin d’éviter un vocabulaire trop précisément daté. J’y ai plus réfléchi comme un souffle que comme une langue.</p> <p><strong>Et la logorrhée de l’enfant?</strong></p> <p>C’est comme une pelote qu’on déroule et qui part dans tous les sens sans jamais se censurer.</p> <p><strong>Pourquoi avoir choisi de fondre les dialogues dans la narration?</strong></p> <p>Les dialogues ont eu beaucoup de formes différentes. Dans les premières versions, j’étais dans cette idée de flux de pensée rendue sous forme de monoblocs avec des dialogues juste marqués par des tirets. Ensuite j’ai quand même ajouté des retours à la ligne, mais comme Oriane a de la peine à dire tout ce qu’elle pense, je trouvais intéressant de maintenant le flou entre dialogue et pensée, pour que le lecteur puisse se demander si elle l’a réellement dit ou juste pensé et si elle a été entendue. Ce qu’elle dit s’inscrit dans une continuité par rapport à son flux de pensée.</p> <p><strong>L’histoire se déroule dans un milieu social très modeste: est-ce que la précarité économique excuse en partie le dérapage du père?</strong></p> <p>Je ne pense pas qu’elle l’excuse, mais elle l’explique. J’avais quand même envie qu’il y ait d’autres solutions, par exemple solliciter l’aide de la grand-mère. Mais les alternatives sont maigres. Maintenant que j’ai travaillé comme assistance sociale, je développerais ces problématiques autrement. Je pourrais imaginer un texte centré sur Léonore (la mère) qui montre la complexité du système social.</p> <p><strong>Y a-t-il là aussi une volonté militante de votre part, montrer par exemple que la pauvreté se transmet d’une génération à l’autre, puisque la fille exclut d’emblée la voie des études?</strong></p> <p>J’ai montré par petites touches que la situation économique cloisonne toute la famille, mais les enfants pourraient en pâtir beaucoup plus. Léonore fait parapluie et préserve sa fille. Je voulais creuser la manière dont un parent doit jongler pour faire face aux besoins de base des enfants et la frustration de devoir le priver. </p> <p><strong>L’art en général, le théâtre en l’occurrence a-t-il un effet rédempteur?</strong></p> <p>Oui, c’est là que Léonore retrouve une place et une famille. 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Une langue qu’elle décrit comme un puits d’étonnements sans fin. Un océan avec ses vagues et ses remous imprévisibles, ses courants sous-marins invisibles. L’ouvrage de Christine Grobéty illustre la chance que nous avons «de la sentir couler dans nos veines dès le berceau plutôt que d’avoir à l’apprendre.»
Le moins qu'on puisse dire de cette auteure membre de l'Association vaudoise des écrivains et des Dissidents de la pleine lune (un cercle de férus d’écriture), c'est qu'elle ne manque jamais de se renouveler. Chacun de ses livres explore un genre spécifique qu’elle s’approprie à sa manière, la prosopopée avec Moi le Gange, la fable moderne avec Drôle d'oiseau, le photoreportage avec L’Inde de tous les instants, le récit témoignage avec Quelque chose s’est absenté et le dictionnaire ludique avec La zizanie des mots. Seuls points communs de ces différents livres, la richesse du lexique, l’élégance des tournures, la pertinence des métaphores, le rythme du phrasé, bref tout ce qui souligne et sublime la beauté de notre langue.
Illustré par les chats pitres d’Anne-Sophie Hellard, La zizanie des mots propose une double entrée pour chaque substantif puisé dans cet océan au gré des inspirations de l'auteure, à raison d’un par lettre de l’alphabet: sous Somme, on y lit par exemple que la narratrice n'additionne pas ses problèmes. Elle les prend un à un. «Si bien que de n'être jamais additionnés, ils semblent plus légers et, tout bien considéré, trouvent leur propre solution en se soustrayant à son attention.»
Voilà pour LA somme. Mais il y a aussi LE somme.
«Habituellement petit comme une mignardise. Une sorte de gâterie fugitive. Une meringue de détente. Une bavaroise de repos. Une madeleine de délassement.»
La lettre U est dédiée à l’unité, «cet étalon bien ennuyeux pour qui la physique et la métrologie ne permettent pas de galoper plus facilement à travers prés et forêts sur son cheval. Fût-il un étalon lui aussi». Mais sous son autre acception, l’unité «peut relier les besoins des uns aux capacités des autres pour la plus grande équité entre les hommes, exalter les dons de chacun, afin de rendre à l’art son unique raison d’être, la beauté.»
Tout l'ouvrage est à l'avenant. Délicieux, drôle et déconcertant. Instructif au passage. Jamais pédant. Il y a une dimension contemplative dans la plume de Christine Grobéty. Un coquet brin de désuétude dans l’usage du subjonctif imparfait et une façon bien personnelle d’éloigner le pronom relatif du nom auquel il se rapporte. Un sens de la chute et de la transition qui fait que chaque définition se clôt presque à la manière d’une nouvelle. De la légèreté même et surtout quand elle aborde les sujets les plus graves. Du jeu à chaque page. Et de la poésie.
«La zizanie des mots», Christine Grobéty, Editions Pour ainsi dire, 124 pages.
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Les proches sont au premier front pour encaisser les jugements. Mais à la fondation Repère, j’ai aussi rencontré des gens très à l’aise avec l’idée d’avoir un proche derrière les barreaux, et très décomplexés.</p> <p><strong>Votre narratrice a parfois l’air plus adulte que ses parents. Est-elle parentalisée ou est-ce juste une impression due au fait que le lecteur n’a que son point de vue?</strong></p> <p>Un peu des deux. Quand j’avais encore trois points de vue, j’essayais de montrer comment chacun pense avoir raison. C’est intéressant de chercher l’angle d’interprétation à partir duquel les gens estiment faire ce qu’il faut. Oriane a ce rôle de grande sœur réconfortante.</p> <p><strong>Vous décrivez un lien très fort et très touchant entre la grande sœur et son petit frère. Est-ce que les circonstances les amènent à mettre de côté les disputes habituelles au sein d’une fratrie?</strong></p> <p>Non, je pense que leur relation serait la même en d’autres circonstances. Cet amour très fort et cet agacement ultime existent avant l’incarcération du père. S’y ajoutent ensuite l’inquiétude et le besoin de protéger le petit frère. Oriane en veut à ses parents de devoir porter leur mensonge.</p> <p><strong>Votre narratrice est gardienne de foot dans une équipe mixte: le prétexte pour ajouter une petite touche féministe à votre livre?</strong></p> <p>Oui clairement. Je me suis demandée ce qu’on faisait à cet âge comme activité extrascolaire. J’ai voulu choisir quelque chose d’éloigné de mes propres activités pour éviter qu’Oriane ne devienne une sorte d’alter ego. C’était un bon moyen de prendre de la distance.</p> <p><strong>Comment avez-vous réussi à restituer de façon aussi convaincante les tics de langage, l’attitude très entière propre à l’adolescence, mais aussi une forme de mal-être, de crainte du jugement sans doute exacerbée par ce qu’elle vit?</strong></p> <p>C’est venu très naturellement. J’avais beaucoup travaillé la voix de Noah: dans tous les ateliers d’écriture, j’essayais de faire parler un enfant. J’ai construit Oriane par antithèse en m’inspirant de la façon de parler des gens qui m’entourent. J’avais vingt-et-un ans à l’époque, j’étais encore assez proche de l’adolescence. J’ai aussi pris soin d’éviter un vocabulaire trop précisément daté. J’y ai plus réfléchi comme un souffle que comme une langue.</p> <p><strong>Et la logorrhée de l’enfant?</strong></p> <p>C’est comme une pelote qu’on déroule et qui part dans tous les sens sans jamais se censurer.</p> <p><strong>Pourquoi avoir choisi de fondre les dialogues dans la narration?</strong></p> <p>Les dialogues ont eu beaucoup de formes différentes. Dans les premières versions, j’étais dans cette idée de flux de pensée rendue sous forme de monoblocs avec des dialogues juste marqués par des tirets. Ensuite j’ai quand même ajouté des retours à la ligne, mais comme Oriane a de la peine à dire tout ce qu’elle pense, je trouvais intéressant de maintenant le flou entre dialogue et pensée, pour que le lecteur puisse se demander si elle l’a réellement dit ou juste pensé et si elle a été entendue. Ce qu’elle dit s’inscrit dans une continuité par rapport à son flux de pensée.</p> <p><strong>L’histoire se déroule dans un milieu social très modeste: est-ce que la précarité économique excuse en partie le dérapage du père?</strong></p> <p>Je ne pense pas qu’elle l’excuse, mais elle l’explique. J’avais quand même envie qu’il y ait d’autres solutions, par exemple solliciter l’aide de la grand-mère. Mais les alternatives sont maigres. Maintenant que j’ai travaillé comme assistance sociale, je développerais ces problématiques autrement. Je pourrais imaginer un texte centré sur Léonore (la mère) qui montre la complexité du système social.</p> <p><strong>Y a-t-il là aussi une volonté militante de votre part, montrer par exemple que la pauvreté se transmet d’une génération à l’autre, puisque la fille exclut d’emblée la voie des études?</strong></p> <p>J’ai montré par petites touches que la situation économique cloisonne toute la famille, mais les enfants pourraient en pâtir beaucoup plus. Léonore fait parapluie et préserve sa fille. Je voulais creuser la manière dont un parent doit jongler pour faire face aux besoins de base des enfants et la frustration de devoir le priver. </p> <p><strong>L’art en général, le théâtre en l’occurrence a-t-il un effet rédempteur?</strong></p> <p>Oui, c’est là que Léonore retrouve une place et une famille. 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