Culture / On se la raconte comme jamais
Moulins à vent à Campo de Criptana (La Mancha, Espagne). © Lourdes Cardenal - CC BY-SA 3.0
Sélectionné au Prix du Làc 2023, «Le Comte foudroyé», premier roman du Montreusien Francisco Arenas Farauste, nous emmène dans l'Andalousie de la fin du XIXème, début du XXème, sur les traces d'un comte qui n'est pas sans évoquer Don Quichotte. Entretien.
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Après avoir critiqué ce livre, j’ai été mis au défi d’en écrire un meilleur.</p> <p><strong>Votre roman a pour thème principal la perception de la réalité. Les appareils de télécommunication ont-ils amplifié le phénomène que vous illustrez dans ce récit ou l’être humain a-t-il de tout temps vécu dans un monde d’illusion?</strong></p> <p>Il a toujours vécu selon le principe de l’illusion vitale de Nietzsche qui trouve le monde tellement moche qu’on est obligé de l’embellir, mais les télécoms ont amplifié le phénomène. 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Cet ouvrage paru chez 5 sens Editions surprend aussi bien par l'intrigue que par la manière dont les histoires se rejoignent. Une intéressante réappropriation de ce thème intemporel, agrémentée de réflexions instructives sur la langue, comme l'étymologie du mot bagnard, dans un style agréable et un peu désuet où le subjonctif imparfait s’intègre naturellement.
Sabine Dormond: Dans votre biographie, vous mentionnez en premier lieu vos origines espagnoles. Est-ce que vous avez voulu leur rendre hommage à travers ce premier roman?
Francisco Arenas Farauste: J’ai un pied dans chaque culture et j’écris aussi en espagnol. Généralement, un premier roman est encore plus autobiographique que les autres. On a tendance à se raccrocher à ce qu’on connaît. Il m’a semblé que l’Andalousie, c’était plus évocateur que Lausanne: ça fait rêver et je la connais bien, puisque je suis de Séville.
Vous occupez actuellement un poste important chez Sunrise. Qu’est-ce qui amène un directeur des télécommunications à écrire et comment trouvez-vous le temps?
Tout est question de priorité dans la vie. Pour cette interview, je prends deux heures sans mettre mon travail en danger. Je vise un maximum d’efficacité pour dégager du temps. Ce roman, je l’ai écrit en quatre semaines. J’ai pris l’habitude d’écrire vite en répondant à des appels d’offre. Ce qui m’a amené à l’écriture, c’est la lecture d’un très mauvais roman. J’étais le conseiller littéraire de plusieurs amis. Après avoir critiqué ce livre, j’ai été mis au défi d’en écrire un meilleur.
Votre roman a pour thème principal la perception de la réalité. Les appareils de télécommunication ont-ils amplifié le phénomène que vous illustrez dans ce récit ou l’être humain a-t-il de tout temps vécu dans un monde d’illusion?
Il a toujours vécu selon le principe de l’illusion vitale de Nietzsche qui trouve le monde tellement moche qu’on est obligé de l’embellir, mais les télécoms ont amplifié le phénomène. Elles nous amènent à acheter des choses qu’on n’a jamais vues, à discuter avec des inconnus, parfois même à tomber amoureux d’une image, à partir en vacances sur la base d’un décor, etc. Mon héros nous semble crétin, mais son histoire illustre ce qu’on fait tous au quotidien.
Les grandes décisions de notre vie ne sont-elles pas toujours guidées par notre narratif personnel, l’histoire qu’on se raconte?
Oui bien sûr, tout le monde est dans le storytelling de sa vie, on a tous une vie extraordinaire sur Instagram et le pire, c’est qu’on y croit.
Votre expérience de la vie d’écrivain correspond-elle à ce que vous aviez projeté?
Pas du tout, j’ai été frappé de voir à quel point le milieu littéraire est un petit monde: même des gens relativement connus font ce qu’ils peuvent pour promouvoir leur bouquin, tout en gagnant leur vie autrement. Je n’imaginais pas que les auteurs se préoccupaient autant du nombre d’exemplaires vendus. Et même les maisons d’édition vivotent, j’ai l’impression qu’on est des intermittents du spectacle.
Les rêves, l’imagination, sont-ils forcément un encombrement dont il faut essayer de se débarrasser ou présentent-ils aussi des avantages?
Ils ont forcément des avantages. Pour moi, ce sont des encombrements quand ils ne deviennent pas des buts. Si tu ne fais que rêver de partir, tu ne partiras jamais. Mon premier bouquin est l’histoire de quelqu’un qui vit dans l’illusion sans s’en apercevoir. Le deuxième met en scène quelqu’un qui s’en aperçoit et qui décide d’y rester. Nos plus beaux jours sont des mensonges.
Vous situez votre intrigue en 1923. Comment vous êtes-vous documenté pour reconstituer l’époque, ses valeurs, la durée des déplacements, etc. sans commettre d’anachronismes?
Il y a les lecteurs qui vont tout vérifier et ceux qui se laissent emporter par l’histoire. Pour l’instant, personne ne m’a signalé d’erreur. Pourtant, je me suis contenté de vérifier trois points: si l’inox existait bien en 1923, si Gustav Eiffel était déjà mort en septembre de cette année (ce n’était pas le cas, j’ai dû rectifier un passage) et si les appels téléphoniques européens étaient possibles à cette époque. Pour le reste, je me suis fié à mes connaissances du contexte politique, avec Mussolini au pouvoir et le putsch de Primo de Rivera. Je suis quelqu’un qui lit pas mal.
Aujourd’hui, il n’y a plus tellement de romans écrits au passé simple et subjonctif imparfait. Est-ce que l’usage de ces temps vous a aidé à reconstituer une époque?
Pour rendre l’histoire plus crédible, j’ai tenté au maximum d’écrire selon l’esprit de l’époque, à travers le choix du vocabulaire et l’usage de ces temps qui évoquent un conte.
Dans Le Comte foudroyé, on sent bien le poids des conventions sociales. Sont-elles moins pesantes aujourd’hui ou est-ce juste une impression due au fait qu’on les a totalement intégrées?
Je pense qu’il y a autant de conventions qu’avant, mais qu’elles ont parfois été inversées. Ainsi, la librairie Basta n’a pas voulu de moi pour une séance de dédicace, parce que je suis directeur. Si je m’étais présenté avec un t-shirt troué en étant au social, ils m’auraient accueilli. La présence sur les réseaux sociaux est une convention. Le féminisme est aussi en train d’en devenir une: bien que je n’aie jamais harcelé personne, je suis suspect d’office en tant qu’homme de 50 ans.
Vous avez un personnage très machiavélique qui a trouvé un moyen de gravir les échelons sociaux. Est-ce vraiment la soif de réussite qui l’anime ou plutôt une espèce de curiosité sociologique?
Les deux, ou plutôt une soif de revanche. Etienne est persuadé que les travers de la société vont l’aider à grimper. Il les observe très froidement. Chaque personne a un hot button, un besoin de compensation lié à ses failles. Il en va de même de la société et de ses macro-tendances. Si on est LGBTQIA+, ça nous confère un statut d’exception qui devient l’alibi.
Etienne se donne pour mission de répertorier les absurdités de son époque. Et vous, quelles sont celles qui vous frappent le plus parmi celles du XXIème siècle?
Pour moi, la plus grande absurdité est de faire croire à chaque individu qu’il est unique et important. Chacun nourrit cette illusion à travers les réseaux sociaux. Maintenant, on passe tous à la télé. Et on pense tous avoir quelque chose à apporter. Plus on en est persuadé, plus on a tendance à alimenter cette croyance, par exemple en s’inventant 97 genres différents. Pour se différencier, parce qu’on a l’illusion d’être intéressant. C’est devenu plus important d’avoir beaucoup de followers et de like que de faire la fierté de notre maman. On est dans le personal branding.
Qu’est-ce que le Prix du Làc et comment votre livre s’est-il retrouvé dans cette sélection?
Aucune idée, je ne connais personne dans ce comité. C’est un festival assez récent qui se tient à Collonge-Bellerive. J’ai reçu sur Insta un message de la présidente qui me disait que j’avais été sélectionné. Ça a boosté les ventes de mon livre: comme le prix se base sur l’avis de 90 lecteurs, j’en ai vendu 90 ;-).
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