Culture / L’art dans l’urgence climatique
Shroud, Rhône Glacier, Switzerland, 2018 Un linceul couvre le Glacier du Rhône pour ralentir la fonte, un effort désespéré capté par le collectif Project Pressure. Simon Norfolk + Klaus Thymann Project Pressure
Que penser de l’intervention des artistes dans le débat qui secoue la planète sur sa propre destruction? Deux projets récents en Suisse romande nous donnent des indices. Bref survol de l’activisme qui les a précédés pour s’arrêter sur le nouveau pouvoir de sensibilisation de l’art quand les discours et les photos choc ont perdu leur efficacité.
L’activisme des artistes dans le débat écologique ne date pas d’hier. La sensibilité artistique touchée par l’environnement s’exprime dès la fin de la deuxième guerre mondiale et les débuts de l’art contemporain, il y a soixante ans déjà. D’une interactivité mesurée, les artistes sont passés à un militantisme plus affirmé avec des actions médiatiques portées par les nouvelles technologies. Mais les enjeux présents transforment leurs engagements en défi. L’exposition Plastiques Etienne Krähenbühl, visible jusqu’au 20 octobre, et le FESTIVAL ALT. + 1000, qui vient de se terminer, en sont les illustrations.
Art & environnement
Les premières interventions directes sur l’environnement remontent aux années soixante. Dans «le land art», Robert Smithson et Richard Long façonnaient des sculptures avec les éléments déjà présents dans le paysage, pendant que Joseph Beuys, à partir de 1982, plantait 7'000 chênes dans la ville à l’occasion de la Documenta de Kassel. Flanqués d’une stèle en basalte, ils devenaient des «sculptures sociales», capables d’éveiller notre sensibilité à l’écosystème. La même année, Agnes Denes faisait un pied de nez au capitalisme en plantant un champ de ‘blé’ sur un terrain vague de Wall Street.
Plus les artistes s’approchaient de la nature, plus ils s’éloignaient du mercantilisme de l’art. C’était une première.
Art & écologie
L’art écologique est ensuite apparu avec une intention de restauration et de réhabilitation. Le terme «ecovention» pour signifier l’intervention écologique résume assez bien le travail récent d’artistes comme Paul Chaney, qui cultive des projets in situ à portée écologique et Vera Thaens dont les actions dénoncent l’industrie agro-chimique.
Art & climat
Un art plus militant en relation avec la dégradation de l’environnement et du climat est apparu avec l’agitateur climatique Olafur Eliasson. Depuis 20 ans ses actions coup-de-poing sur la fonte des glaciers et les énergies renouvelables (on se souviendra de son «Weather project» au Tate de Londres) sont portées par des intentions nobles. Il s’égare cependant lorsqu’il crée de spectaculaires chutes d’eau artificielles (à New York et Versailles) dévoreuses d’énergie.
Plus récemment, le plasticien et ingénieur environnemental Andreco s’est produit dans des sites à risque comme Venise ou Delhi pour dénoncer des dommages bientôt irréversibles. Il œuvre dans un alarmisme assez inquiétant. Mais le pompon revient au bâlois Klaus Littmann pour l’actuelle plantation d’une forêt éphémère de 300 arbres dans un stade de football à Klagenfurt en Autriche, une opération aussi vaniteuse que dispendieuse.
Art & déchets
Sur le plan plus léger, un mouvement récent consiste à faire de l’art avec des déchets recyclés. Sous le joli nom de «trashion», Marina DeBris (cela ne s’invente pas!) trouve sur les plages des débris amenés par les vagues et en fait des vêtements et sculptures, tandis qu’Aurora Robson redonne une nouvelle vie aux plastiques dans des compositions florales. Mais au bout du compte, on reste dans l’anecdotique avec le danger que ce genre de réappropriation un peu cheap soit réduite à la case «art féminin».
Art & plastiques
Face au catastrophisme qui gagne les esprits, certains artistes empoignent le thème à contre-courant. C’est le cas du sculpteur vaudois Etienne Krähenbühl qui répond à la destruction par la beauté, certes, une beauté perverse et paradoxale. Dans l’exposition Plastiques, Etienne Krähenbühl au Centre d’art contemporain d’Yverdon-les-Bains (jusqu’au 20 octobre), l’artiste ne s’enlise pas dans des discours, il nous ouvre les yeux: regardez à quoi ressemble la consommation annuelle de deux personnes. La voici, étalée sur les murs sous forme d’estampes.
Etienne Krähenbühl dans "Le temps s'emballe".
Artisan de la fluidité, connu pour des sculptures bluffantes qui apprivoisent le mouvement, Etienne Krähenbühl est un explorateur-né. Sa longue collaboration avec le laboratoire de la mémoire des formes de l’EPFL a produit des œuvres, certaines monumentales, qu’un seul souffle arrache à l’immobilité. Les sculptures «Big Bang» (voir vidéos) au Château de Vullierens et devant le Art Lab de l’EPFL s’écoutent autant qu’elles se regardent.
(Ses recherches sur les matériaux sont à l’origine de toutes ses découvertes. Voir le beau documentaire «Un art qu’il faut toucher»).
Quant aux plastiques, ils se sont invités dans son travail de manière accidentelle lors d’un atelier d’impression avec le légendaire Roland Meyer. A la fin d’un repas, le maître invita l’élève à inclure un pot de yaourt en plastique dans l’estampe qu’il était en train de réaliser. Le voyage initiatique commençait.
«J’étais fasciné par la transparence et fluidité du plastique. C’est un matériau noble issu des énergies fossiles que la terre a pris des millions d’années à produire».
Il explique son projet dans «Le temps s’emballe».
Pendant un an, de septembre 2017 à septembre 2018, l’artiste a réalisé deux estampes (recto/verso) par jour à partir de la consommation quotidienne en plastiques alimentaires de son couple, 26 kilos au total.
«Je prenais conscience de l’énorme surface qu’occupe la consommation annuelle d’un seul ménage».
Etienne Krähenbühl décide alors d’intégrer dans ce travail un thème qui traverse son œuvre: le temps. Chaque jour, il interprétait la météo dans la couleur des encres utilisées, introduisant ainsi une référence au réchauffement climatique.
Plastiques Etienne Krähenbühl au CACY. © Claude Cortinovis CACY
Plastiques Etienne Krähenbühl (détail d'estampe). © Etienne Krähenbühl
Les 730 estampes qui tapissent l’ancienne halle aux grains de CACY (prononcer kaki) deviennent ainsi un appel visuel à l’omniprésence du plastique, un matériau aussi lisse qu'indestructible.
Le militantisme n’a pourtant jamais été une fin en soi pour l’artiste vaudois. A l’origine de ses prises de conscience se trouvent toujours des plongées savantes dans les sciences. L’artiste est un militant par ricochet: il nous aide à digérer l’insupportable à l’aide de son art, mais il n’en reste jamais là.
Une nouvelle collaboration avec Rudy Koopmans qui dirige le Plastics Innovation Competence Center (PICC), rattaché à la Haute école d’ingénierie et architecture de Fribourg, devra déboucher en mai 2020 sur «Le rêve d’Icare». Etienne Krähenbühl ne manque pas d’humour: sa sculpture sera réalisée avec … des plumes. Plus précisément: avec un polymère issu de la biomasse organique que le laboratoire de Rudy Koopmans extrait de déchets de plumes. L’industrie des volailles en génère 800 mille tonnes chaque année, qui partent essentiellement en fumée. Une pierre trois coups: la science, l’écologie et l’art s’associent autour d’Icare.
Art & montagnes
La photo n’est pas en reste: l’édition haute en couleur du Festival de photographie ALT.+1000 qui vient de se terminer dans le Jura neuchâtelois - après quatre éditions à Rossinière dans le Pays d’Enhaut - participe de cette même dynamique d’éveil. Les images suffisent à elles-mêmes: la montagne, thème du festival, montre sa fragilité.
«Je défends un art qui nous concerne et des artistes qui sont impliqués dans la société», explique Nathalie Herschdorfer, Directrice du Musée des beaux-arts du Locle après des années au Musée de l’Élysée - pendant lesquelles elle a organisé des expositions inoubliables. Le thème rabâché de la montagne majestueuse se plie à son regard. Elle a réalisé un travail de spéléologue dans les archives de Magnum, l’agence des photographes engagés, pour extraire les chemins de montagne empruntés par Werner Bischof, Robert Capa, Henri Cartier-Bresson, parmi tant d’autres, et qui témoignent de l’appropriation de la montagne par l’homme (à voir jusqu’au 13 octobre au Locle).
«Même Martin Parr, qui montre comment l’homme se comporte, comment il consomme, a sa place dans cette forme de photographie engagée», précise la directrice, et d’ajouter, «Il n’y a pas si longtemps encore, les photographes parcouraient la planète pour découvrir des lieux qui n’étaient pas encore visités. A présent nous sommes en permanence sur internet. Lorsque les photographes n’ont plus le pouvoir de nous amener à découvrir, ils gardent celui de nous sensibiliser», nous prévient-elle.
Art & glaciers
Et qui dit montagne, dit glaciers. L’effet du réchauffement climatique est entré de plein pied dans ALT.+ 1000 avec le collectif Project pressure – Visualizing Climate Change, invité à présenter les œuvres de onze artistes à la Brévine. Fondé en 2008 par Klaus Thymann, le collectif mandate des photographes pour témoigner, à leur façon, de la disparition des glaciers. Mais -ô surprise!- la démarche est pleine de poésie, comme pour créer la nostalgie par la beauté, surtout celle de Noémie Goudal: devant une large photo d’un glacier en péril, elle suspend son duplicata dont l’image se dissout graduellement dans l’eau de pluie.
La directrice du Festival ALT.+1000, Nathalie Herschdorfer devant l'oeuvre de Noémie Goutal. © Michèle Laird.
Ni plaidoyer, ni procès, ces témoignages installent la photo dans un rôle plus efficace que celui des discours culpabilisants. Ces images décalées, souvent humoristiques et invariablement captivantes sont diablement efficaces pour secouer les consciences.
Dorénavant le festival Alt.+ 1000 aura lieu en alternance avec son partenaire le Festival Images de Vevey, qui n’a pas non plus la langue dans la poche lorsqu’il s’agit de donner la parole à la photo.
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Il s’égare cependant lorsqu’il crée de spectaculaires chutes d’eau artificielles (à New York et Versailles) dévoreuses d’énergie.</p> <p>Plus récemment, le plasticien et ingénieur environnemental Andreco s’est produit dans des sites à risque comme Venise ou Delhi pour dénoncer des dommages bientôt irréversibles. Il œuvre dans un alarmisme assez inquiétant. Mais le pompon revient au bâlois Klaus Littmann pour l’actuelle plantation d’une forêt éphémère de 300 arbres dans un stade de football à Klagenfurt en Autriche, une opération aussi vaniteuse que dispendieuse.</p> <h3><strong>Art & déchets</strong></h3> <p>Sur le plan plus léger, un mouvement récent consiste à faire de l’art avec des déchets recyclés. Sous le joli nom de «trashion», Marina DeBris (cela ne s’invente pas!) trouve sur les plages des débris amenés par les vagues et en fait des vêtements et sculptures, tandis qu’Aurora Robson redonne une nouvelle vie aux plastiques dans des compositions florales. Mais au bout du compte, on reste dans l’anecdotique avec le danger que ce genre de réappropriation un peu cheap soit réduite à la case «art féminin».</p> <h3><strong>Art & plastiques</strong></h3> <p>Face au catastrophisme qui gagne les esprits, certains artistes empoignent le thème à contre-courant. C’est le cas du sculpteur vaudois Etienne Krähenbühl qui répond à la destruction par la beauté, certes, une beauté perverse et paradoxale. Dans l’exposition <strong>Plastiques, Etienne Krähenbühl </strong>au <a href="http://centre-art-yverdon.ch/index.php?id=2076">Centre d’art contemporain d’Yverdon-les-Bains</a> (jusqu’au 20 octobre), l’artiste ne s’enlise pas dans des discours, il nous ouvre les yeux: regardez à quoi ressemble la consommation annuelle de deux personnes. La voici, étalée sur les murs sous forme d’estampes.</p> <p> </p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1569392863_etiennekranbhlportrait.png" class="img-responsive img-fluid normal " /></p> <h4>Etienne Krähenbühl dans "Le temps s'emballe".</h4> <p>Artisan de la fluidité, connu pour des sculptures bluffantes qui apprivoisent le mouvement, Etienne Krähenbühl est un explorateur-né. Sa longue collaboration avec le laboratoire de la mémoire des formes de l’EPFL a produit des œuvres, certaines monumentales, qu’un seul souffle arrache à l’immobilité. Les sculptures «Big Bang» (voir vidéos) au <a href="https://www.youtube.com/watch?v=M3rQYYH0iGM&feature=youtu.be">Château de Vullierens</a> et devant le <a href="http://www.ekl.ch/video/bb.MOV">Art Lab de l’EPFL</a> s’écoutent autant qu’elles se regardent.</p> <p>(Ses recherches sur les matériaux sont à l’origine de toutes ses découvertes. Voir le beau documentaire <a href="https://www.rts.ch/play/tv/couleurs-locales/video/de-lart-quil-faut-toucher--etienne-kraehenbuehl-est-un-sculpteur-atypique--il-travaille-le-metal-et-lui-insuffle-la-vie?id=10030028">«Un art qu’il faut toucher»</a>).</p> <p>Quant aux plastiques, ils se sont invités dans son travail de manière accidentelle lors d’un atelier d’impression avec le légendaire Roland Meyer. A la fin d’un repas, le maître invita l’élève à inclure un pot de yaourt en plastique dans l’estampe qu’il était en train de réaliser. Le voyage initiatique commençait.</p> <p>«J’étais fasciné par la transparence et fluidité du plastique. C’est un matériau noble issu des énergies fossiles que la terre a pris des millions d’années à produire».</p> <p>Il explique son projet dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=5bLmYGKWSp0&feature=youtu.be">«Le temps s’emballe»</a>.</p> <p>Pendant un an, de septembre 2017 à septembre 2018, l’artiste a réalisé deux estampes (recto/verso) par jour à partir de la consommation quotidienne en plastiques alimentaires de son couple, 26 kilos au total.</p> <p>«Je prenais conscience de l’énorme surface qu’occupe la consommation annuelle d’un seul ménage».</p> <p>Etienne Krähenbühl décide alors d’intégrer dans ce travail un thème qui traverse son œuvre: le temps. Chaque jour, il interprétait la météo dans la couleur des encres utilisées, introduisant ainsi une référence au réchauffement climatique.</p> <p> </p> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1569393788_copyrightclaude_cortinovis_cacy_2019_plastiques_etiennekrahenbuhl_4.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " /></h4> <h4>Plastiques Etienne Krähenbühl au CACY. © Claude Cortinovis CACY</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1569391972_lesplastiques.png" class="img-responsive img-fluid normal " /></p> <h4>Plastiques Etienne Krähenbühl (détail d'estampe). © Etienne Krähenbühl</h4> <p>Les 730 estampes qui tapissent l’ancienne halle aux grains de CACY (prononcer kaki) deviennent ainsi un appel visuel à l’omniprésence du plastique, un matériau aussi lisse qu'indestructible.<span></span></p> <p>Le militantisme n’a pourtant jamais été une fin en soi pour l’artiste vaudois. A l’origine de ses prises de conscience se trouvent toujours des plongées savantes dans les sciences. L’artiste est un militant par ricochet: il nous aide à digérer l’insupportable à l’aide de son art, mais il n’en reste jamais là.</p> <p>Une nouvelle collaboration avec Rudy Koopmans qui dirige le <a href="https://picc.center/Pages/default.aspx">Plastics Innovation Competence Center</a> (PICC), rattaché à la Haute école d’ingénierie et architecture de Fribourg, devra déboucher en mai 2020 sur «Le rêve d’Icare». Etienne Krähenbühl ne manque pas d’humour: sa sculpture sera réalisée avec … des plumes. Plus précisément: avec un polymère issu de la biomasse organique que le laboratoire de Rudy Koopmans extrait de déchets de plumes. L’industrie des volailles en génère 800 mille tonnes chaque année, qui partent essentiellement en fumée. Une pierre trois coups: la science, l’écologie et l’art s’associent autour d’Icare.</p> <h3><strong>Art & montagnes</strong></h3> <p>La photo n’est pas en reste: l’édition haute en couleur du Festival de photographie <a href="http://plus1000.ch/fr">ALT.+1000 </a> qui vient de se terminer dans le Jura neuchâtelois - après quatre éditions à Rossinière dans le Pays d’Enhaut - participe de cette même dynamique d’éveil. Les images suffisent à elles-mêmes: la montagne, thème du festival, montre sa fragilité.</p> <p> «Je défends un art qui nous concerne et des artistes qui sont impliqués dans la société», explique Nathalie Herschdorfer, Directrice du <a href="http://www.mbal.ch/">Musée des beaux-arts du Locle</a> après des années au Musée de l’Élysée - pendant lesquelles elle a organisé des expositions inoubliables. Le thème rabâché de la montagne majestueuse se plie à son regard. Elle a réalisé un travail de spéléologue dans les archives de Magnum, l’agence des photographes engagés, pour extraire les chemins de montagne empruntés par Werner Bischof, Robert Capa, Henri Cartier-Bresson, parmi tant d’autres, et qui témoignent de l’appropriation de la montagne par l’homme (à voir jusqu’au 13 octobre au Locle).</p> <p>«Même Martin Parr, qui montre comment l’homme se comporte, comment il consomme, a sa place dans cette forme de photographie engagée», précise la directrice, et d’ajouter, «Il n’y a pas si longtemps encore, les photographes parcouraient la planète pour découvrir des lieux qui n’étaient pas encore visités. A présent nous sommes en permanence sur internet. Lorsque les photographes n’ont plus le pouvoir de nous amener à découvrir, ils gardent celui de nous sensibiliser», nous prévient-elle.</p> <h3><strong>Art & glaciers</strong></h3> <p>Et qui dit montagne, dit glaciers. L’effet du réchauffement climatique est entré de plein pied dans ALT.+ 1000 avec le collectif <a href="https://www.project-pressure.org/about/">Project pressure – Visualizing Climate Change</a>, invité à présenter les œuvres de onze artistes à la Brévine. Fondé en 2008 par Klaus Thymann, le collectif mandate des photographes pour témoigner, à leur façon, de la disparition des glaciers. Mais -ô surprise!- la démarche est pleine de poésie, comme pour créer la nostalgie par la beauté, surtout celle de Noémie Goudal: devant une large photo d’un glacier en péril, elle suspend son duplicata dont l’image se dissout graduellement dans l’eau de pluie.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1569318365_img_2858.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " /></p> <h4>La directrice du Festival ALT.+1000, Nathalie Herschdorfer devant l'oeuvre de Noémie Goutal. © Michèle Laird.</h4> <p>Ni plaidoyer, ni procès, ces témoignages installent la photo dans un rôle plus efficace que celui des discours culpabilisants. Ces images décalées, souvent humoristiques et invariablement captivantes sont diablement efficaces pour secouer les consciences.</p> <p>Dorénavant le festival Alt.+ 1000 aura lieu en alternance avec son partenaire le Festival Images de Vevey, qui n’a pas non plus la langue dans la poche lorsqu’il s’agit de donner la parole à la photo.</p> <p> </p> <p> </p>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'l-art-dans-l-urgence-climatique', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-12', 'like' => (int) 978, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1913, 'homepage_order' => (int) 2172, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 131, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4892, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Christian Marclay: «L’art a besoin d’un public pour exister»', 'subtitle' => 'De passage à Lausanne pour vernir une exposition à Photo Elysée sur le thème du photomaton, l’artiste Christian Marclay nous parle de sa pratique artistique dans le cadre de la célébration des 100 ans du surréalisme. 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Le surréalisme est trop approprié; en revanche, je m’intéresse à Dada et suis très content que ma vidéo soit présentée à proximité du travail de Man Ray.<em></em></p> <blockquote> <p><em>L’exposition «<a href="https://elysee.ch/expositions/man-ray/" target="_blank" rel="noopener">Man Ray, libérer la photographie</a>» </em><em>présente 188 clichés d’une collection privée qui retrace les expérimentations de l’ami de Duchamp, qui réalisa parmi les portraits les plus iconiques du siècle dernier. 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Les surréalistes se sont beaucoup amusés dans les fêtes foraines, comme dans les photomatons.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1714625866_christianmarclayvideostillfromphotomatoncollectionphotoelyse.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Christian Marclay, Video still from Photomaton © Collection Photo Elysée</em></h4> <p><strong>Dans votre œuvre minuscule présentée à Lausanne et réalisée à partir des milliers de tirages du photomaton installé à Photo Elysée, vous faites déferler les images à la vitesse d’un film.</strong></p> <p>Comme les films de Man Ray nous le rappellent, nous étions au début du cinéma. C’était encore le début de la peinture abstraite et on peut dire que Man Ray faisait déjà de la photographie abstraite.</p> <p>Prenons le temps de réfléchir à ce que cela voulait dire d’avoir une caméra devant soi à l’époque. Ce que faisait Man Ray avec l’appareil photo était d’autant plus remarquable. Aujourd’hui, c’est devenu banal, tout le monde a une caméra dans son téléphone.</p> <p><strong>Et vous, que faites-vous pour échapper à la banalité?</strong></p> <p>J'estime que le rapport physique à la photo est très important. C’est pourquoi j’ai choisi ce thème du photomaton lorsque j’ai été approché pour ce projet de collaboration avec les élèves de l’Ecal.</p> <p>Dans mon travail, la présence du spectateur est essentielle. 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Et après la photo?</strong></p> <p>Je suis persuadé que l’art redevient tactile, je dirais, même, analogique. Les portraits de Cindy Sherman sont intéressants car, depuis sa plongée dans le numérique, elle introduit des éléments en couleur qui sont collés directement sur la photo, en relief.<em></em></p> <blockquote> <p><em>L’artiste américaine, <a href="https://elysee.ch/expositions/cindy-sherman/" target="_blank" rel="noopener">Cindy Sherman (1954)</a></em><em> commençait dans les années 1970 ses travaux sur la représentation et l’identité en se prenant comme seul sujet. Ses autoportraits tiennent d’un étrange équilibrisme entre le soi et l’extravagance artistique. Depuis 2010, elle s’autorise les exagérations du numérique.</em></p> </blockquote> <p><strong>A l’ère digitale, pourquoi privilégier le lien physique?</strong></p> <p>Plus que jamais! Mon travail cherche ce rapport physique à l’image, comme avec le son. Même mes peintures établissent un rapport au son, ce sont des collages d’onomatopées qui fonctionnent comme des partitions, comme si on pouvait entendre le peintre en train de peindre.</p> <p>La façon dont on perçoit les images m’intéresse. Pour la petite anecdote, j’ai vu l’autre jour un jeune qui tentait d’élargir une image sur papier dans un magazine comme sur l’écran de son téléphone…</p> <p><strong>Dans vos montages vidéo, vous utilisez souvent des images anciennes. Pour quelle raison?</strong></p> <p>Je leur donne une nouvelle vie, je les fais revivre. En même temps, je m’en sers pour ce rapport à la physicalité, je crée une rencontre avec le spectateur. Je compte sur sa présence pour l’amener ailleurs. Il devient l’acteur principal, l’œuvre n’existe pas tant qu’il n’y a pas cette interaction.</p> <p>Dans «Doors», qui sera présenté en septembre dans le cadre du <a href="https://www.images.ch/en/biennale/" target="_blank" rel="noopener">Festival Images de Vevey</a>, j’utilise la répétition et les bifurcations de scènes de films pour déstabiliser le public et créer une tension. Je jongle avec la temporalité, puisque les séquences ne sont pas linéaires: une même porte permet d’accéder à des suites différentes.</p> <p><strong>Qu’en est-il de la performance, lorsque vous vous mettez en scène, on pourrait même dire en musique, puisque vous êtes également compositeur et musicien?</strong></p> <p>Cela tient de la même dynamique, au même rapport au physique. J’attache de l’importance à la rencontre sociale qui permet le partage et au passage d’un temps en commun. 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Une illumination sans précédent </em>(2003), coordinatrice du Comité Nicolas de Staël et conseillère scientifique de l’exposition, est la fille d’Anne de Staël (1942), la fille que Nicolas de Staël (1914-55) a eue avec Jeannine Guillou (1909-46), une artiste française qu’il avait rencontrée au Maroc en 1937 et qui a joué un rôle déterminant dans la vocation et l’évolution du peintre.</p> <p>Cet article complète <a href="https://bonpourlatete.com/culture/nicolas-de-stael-la-lumiere-vorace" target="_blank" rel="noopener">Nicolas de Staël, la lumière vorace,</a> paru le 8 mars.</p> <p><strong>Michèle Laird: A force de chercher, de toujours se renouveler, Nicolas de Staël manquait-il de confiance en lui-même?</strong></p> <p><strong>Marie du Bouchet</strong>: Non, il était très sûr de lui. Il avait le don de la certitude: il savait qu’il avait quelque chose en lui. Dès son jeune âge, il a cherché à convaincre ses parents adoptifs d’avoir confiance en son choix de devenir artiste, malgré les réticences du père qui voulait qu’il devienne ingénieur, comme lui.</p> <p><strong>Par artiste, entendez-vous peintre? </strong></p> <p>Pas seulement. On se rend compte dans ses écrits de jeunesse, alors qu’il est en train de se constituer en tant qu’artiste peintre, que l’écriture reste très importante puisqu’il décrit toutes ses sensations.</p> <p>Dans une édition récente des textes qu’il a écrits lors d’un voyage au Maroc et qui n’ont que récemment été trouvés (<em>Le voyage au Maroc</em>, Nicolas de Staël, Editions Arléa, 2023), on découvre qu’à 23 ans il était déjà capable d’exprimer un profond sentiment de la vie et qu’il percevait toutes les possibilités de la lumière. On voit la présence de sa future palette dans ses textes. 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Son intérêt pour les musiques vivantes le conduisait aux concerts du domaine musical tenu par Suzanne Tézenas à Paris avec Pierre Boulez. Sa dernière toile, <em>Le Concert</em>, 1955, immense (6 m de large), inachevée, a du reste été réalisée au retour d’un concert de musique contemporaine, juste avant sa mort.</p> <p><strong>Sa vaste correspondance, donne-t-elle des clés pour le comprendre?</strong></p> <p>C’est assez particulier, c’est comme s’il avait inventé sa propre langue tellement il voulait dire les choses exactement, comme il les ressentait. Il écrivait au rythme de sa pensée. Il se passe dans ses lettres exactement ce qui se passe dans sa peinture: il nous donne un moyen très précis d’entrer dans ses motivations intérieures. Il nous donne à lire, exactement comme il nous donne à voir.</p> <p><em>Ndlr: </em>Lettres 1926-1955 de Nicolas de Staël<em> (présentation, commentaires et notes de Germain Viatte), édition augmentée 2016, Le Bruit du Temps. 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Par exemple, avec son ami Jean Bauret, à qui il montrait ce qu’il avait peint pour avoir son avis.</p> <p><strong>Comment expliquez-vous sa singularité?</strong></p> <p>Il a trouvé des rapports de couleur que personne ne savait faire. Son intérêt pour les mosaïques byzantines – ces tesselles où les couleurs s’expriment sur celles qui sont sous-jacentes, qui sont constamment mises en rapport les unes avec les autres – cela a donné une mobilité à ses œuvres.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w678c16-9/1710969008_destaelfleursdetailparis1952huilesurtoilecollectionparticuliere.jpg" /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Nicolas de Staël, "Fleurs" (détail), Paris, 1952, Huile sur toile, collection particulière</em></h4> <p><strong>Cette singularité, a-t-elle posé un problème aux conservateurs et aux historiens de l’art?</strong></p> <p>De Staël a toujours suscité des doutes de la part des conservateurs qui se sentent mal à l’aise face à une singularité et à un propos pictural absolument unique, inclassable. Mais, les choses sont en train de changer avec ces rétrospectives. 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Si le trait du dessin contient toute l’énergie de sa peinture, cela tient à sa capacité de synthèse – cette synthèse que l’artiste sait établir. On la retrouve dans ses dessins.</p> <p>Il cherchait toujours cette lumière qui surgit du fond de la toile, ou du fond de la page du dessin. On peut dire que la simplicité du trait va lui permettre de travailler ce rapport à la lumière qu’il va poursuivre à travers la peinture.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w678c16-9/1710969110_destaeletudedepaysageitaliedessinesurlemotif1953stylofeutresurpapier322x262cmcollectionparticuliere.jpg" /></p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w678c16-9/1710969062_destaelsiciliedessinesurlemotif1953stylofeutresurpapier322x262collectionparticuliere.jpg" /></p> <h4>Lors d’un voyage en Italie réalisé en août 1953 avec sa famille, et deux amies, dont Jeanne Polge, de Staël ne peint pas, il dessine. A son retour, ces croquis formeront la base des paysages d’Agrigente et Syracuse réalisés avec des aplats de teintes éclatantes.</h4> <h4 style="text-align: center;"><em>Nicolas de Staël, Sicile, dessiné sur le motif, 1953, Stylo-feutre sur papier, 32,2 x 26,2, collection particulière</em></h4> <p><strong>Peut-être que je me trompe, mais je n’ai trouvé aucune ombre dans ses tableaux.</strong></p> <p>Si on prend <em>Les Poissons</em>, 1955, comme exemple, il y a des tâches noires qui pourraient être des ombres. Mais, c’est vrai, s’il y a ombre, elle prend une forme qu’on ne reconnait pas; elle devient un écho, un ricochet à l’objet, elle ne sert pas à l’inscrire par rapport à une position. J’ai l’impression qu’il avait une façon de poser les objets d’une façon finalement assez métaphysique: il transpose notre réel dans un espace pictural, il réussit à faire exister ces formes <em>dans le monde de la peinture.</em></p> <p><strong>Il mesurait 1m97 et pourtant il travaillait sans chevalet.</strong></p> <p>Oui, il était toujours replié, accroupi, pour peindre ses toiles au sol. C’est très particulier et c’est une réflexion qu’on peut avoir sur son rapport à la toile et même au réel. Il y a un lien en permanence au sol. Il avait d’ailleurs toujours très mal au dos.</p> <p><strong>Les photos réalisées par Denise Colomb en 1954, devenues iconiques, nous laissent avec l’image d’un homme élégant, presque détaché.</strong></p> <p>Cela peut surprendre, mais il avait en réalité une personnalité rayonnante et très joyeuse. C’est pour cela d’ailleurs qu’on ne peut pas parler d’un peintre désespéré. C’était quelqu’un de très enthousiaste qui parlait tout le temps de joie, y compris dans sa correspondance. S’il rencontrait des moments de remise en question, la peinture l’entrainait vers la grande énergie qu’il recherchait, qu’il percevait et dont il a su nous rendre compte. Les spectateurs le sentent très bien aujourd’hui encore.</p> <p><strong>Comment se comportait-il avec son entourage?</strong></p> <p>Il y avait beaucoup de bonheur dans son couple avec Françoise <em>(Ndlr: de Staël épousa Françoise Chapouton en 1946 après le décès de Jeannine Guillou, et avec laquelle il eut trois autres enfants)</em>, des déjeuners passionnants, des sujets toujours essentiels, enflammés, donc je pense que ça crée une vie extraordinairement dense et enlevée pour ceux qui vivent dedans.</p> <p>En même temps, il pouvait être très colérique, voulant les choses telles qu’il les concevait au moment-même, et s’il y avait de la résistance, il le supportait mal. Comme l’explique ma mère, Anne de Staël, il était toujours en effraction, il forçait les choses. Ça, c’est un trait de caractère qui peut rendre les choses difficiles pour l’entourage.</p> <p><strong>Ce qui frappe dans sa correspondance, c’est combien il se préoccupait des autres.</strong></p> <p>Il avait une grande tendresse pour s’adresser à la mère de Françoise et à sa grand-mère; en fait, il les adoptait, pour sans doute se faire adopter lui-même, en tant qu’orphelin… Il était absolument charmant. Tout le monde l’aimait beaucoup. Il n’était pas du tout le genre d’artiste à qui on ne pouvait pas s’adresser, qui restait dans son mutisme. Il donnait énormément à tous ceux qui l’entouraient.</p> <p><strong>N’a-t-il jamais eu un sentiment d’échec pendant ses années de misère?</strong></p> <p>Jamais, il était comme tiré par la direction dans laquelle il allait. Le déroulement était très logique. Même dans le dénuement le plus total pendant la guerre, il n’en a jamais dévié.</p> <p><strong>Ressentez-vous sa présence dans sa peinture?</strong></p> <p>C’est curieux comme question, mais il est vrai que l’on peut avoir l’impression d’être en sa présence devant ses tableaux. Sans doute est-ce l’effet d’une émotion indéfinissable face à un élan artistique qui ne ressemble à aucun autre.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w678c16-9/1710969451_destaelpaysageavecfiguresdetail1952huilesurcarton12x22cm.jpg" /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Nicolas de Staël, "Paysage avec figures" (détail) 1952, huile sur carton, 12 x 22 cm</em></h4> <p><strong>Aidez-nous à comprendre ce qui a mené à son suicide. Votre maman, Anne de Staël – qui n’avait que 13 ans quand son père est mort et à qui il a adressé sa dernière lettre – explique que l’histoire d’amour malheureuse avec Jeanne Polge était une clé, mais pas la cause de sa disparition.</strong></p> <p>Nicolas de Staël n’était jamais dans la gratuité, il tendait toujours vers l’essentiel. Une telle intensité pouvait-elle durer? C’est fatiguant dix ans de recherches constantes, tous les jours sans répit.</p> <p><em>Ndlr: plus de 1'000 tableaux et autant de dessins, dont 250 par année juste avant sa mort.</em></p> <p>On peut comprendre son épuisement.</p> <p>Le suicide était présent dans sa vie, il en était fasciné. Peut-être ne se voyait-il pas en vieux peintre. Il avait bien préparé son départ; il était passé chez le notaire avant son départ pour protéger sa fille, Anne, née en dehors du mariage. Peut-on parler d’un acte désespéré?</p> <p><strong>Il écrivait dans sa note d’adieu à son marchand, Jacques Dubourg, le jour de sa mort, le 16 mars 1955, qu’il n’avait plus la force de parachever ses tableaux.</strong></p> <p>Contrairement aux peintres qui ne nous donnent pas les mots pour comprendre, Nicolas de Staël s’est exprimé jusqu’au bout.</p> <p><strong>De Staël est-il resté plus intemporel que les autres? </strong></p> <p>C’est vrai, de Staël a cette chose étonnante, c’est qu’il reste éternellement jeune. Il est d’ailleurs mort jeune et c’est comme si sa jeunesse était restée imprimée dans sa peinture. 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Accompagnée de son époux, Gustave de Staël, le dernier enfant du peintre (qu’il n’a pas eu le temps de connaître), elle suit le travail du peintre depuis les années soixante quand elle le découvrait aux Etats Unis, pays dont elle est originaire. «A la Fondation de l’Hermitage, les tableaux respirent». </p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1709151778_stael_lesmouettes_1955scaled.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Dans un atelier loué sur les remparts d’Antibes, de Staël passera ses derniers mois à peindre comme un fou, seul, face à la mer. «Je deviens un cyclone en peinture», écrit-il en mai 54 à Jeanne Polge, la femme qui refusera son amour.</em></h4> <h4 style="text-align: center;">Nicolas de Staël, "Les Mouettes", 1955. Huile sur toile, 195 × 130 cm. Collection particulière. Photo Thomas Hennocque © 2023, ProLitteris, Zurich</h4> <p>Seule critique, le superbe catalogue de l’exposition termine avec une analyse du déclin de la reconnaissance du peintre dès son retour à la figuration au début des années cinquante – après son passage par l’abstraction – et face à l’émergence de l’Expressionisme américain (Pollock, Rothko, Rauschenberg…), comme si le monde de l’art pouvait lui dicter ce qu’il devait devenir. Peut-on encore imaginer un peintre plus proche de sa propre vérité sans l’interférence de chapelles artistiques? De Staël est resté fidèle à lui-même, restant libre à jamais.</p> <p>«<span>L’homme était désespéré, </span>mais l’artiste est resté jusqu’à la fin face à la beauté», observe Pierre Wat.</p> <p>L’échec d’une histoire d’amour a trop longtemps alimenté la légende romanesque du suicide de l’artiste. 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Réalisée au moyen de caméras multispectrales et de capteurs ultrasoniques, le film d’une durée de 74 minutes donne à voir des images et à entendre des sons qui sont en dehors de nos champs de perception.</p> <h3>Photo / Art</h3> <p>«Je cherche les lignes de faille de la photographie documentaire pour trouver de nouvelles façons de raconter des histoires», expliquait Mosse lors du vernissage. 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Des scènes effroyables – tournées en noir et blanc analogique pour son effet velouté – d’abattage d’arbres centenaires, de bêtes issues d’élevages ultra-intensifs, de mercure utilisé pour l’extraction d’or versée dans les cours d’eau, d’incendies provoqués au pétrole pour dégager les sols, sont entrecoupées d’images technicolor et de sons magnifiées du lit de la forêt, de tapis à l’infini de la canopée captée à l’infrarouge (où la chlorophylle se traduit par des teintes de rouge et rose vifs), autant de chefs-d’œuvre de la nature invisibles à l’œil nu – et de tableaux abstraits.</p> <blockquote> <p><em>La clé est dans le montage, précise Mosse, «passer d’une dimension à l’autre pour créer une dissonance visuelle, c’est là où la magie opère.»</em><em></em></p> <p><em><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1704798162_richard_mosse_vue_exposition_de_broken_spectre_national_gallery_of_victoria_tom_ross.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></em></p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705486767_richardmossebrokenspectrevuedexposition.bw.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4><em>Les scènes qui illustrent les ravages perpétrés par l’homme sont filmées en noir et blanc.</em></h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1704798223_richard_mosse_vue_exposition_de_broken_spectre_national_gallery_of_victoria_tom_ross.2.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705486865_richardmossebrokenspectrevuedexposition.couleur.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4><em>Les scènes qui documentent l’état de la forêt amazonienne sont filmées avec des caméras multispectrales qui permettent d'enregistrer en une seule prise de vue plusieurs longueurs d'onde du spectre lumineux et ensuite de choisir quelles couleurs rendre visibles pour révéler les détails. Cette technique est au cœur de la pratique de Richard Mosse.</em></h4> </blockquote> <p>Le titre «Broken Spectre» (Spectre brisé) s’inspire du spectre de Brocken, ce phénomène rare quand l’ombre d’un sujet proche est projetée au loin sur un nuage et parfois auréolée d’un halo arc-en-ciel.</p> <p>Pour autant, les observations visuelles de Richard Mosse restent empreintes d’humanité. Le degré d’intimité établi avec les prédateurs de la déforestation pris sur le vif peut surprendre. Depuis 1972, l’année de la construction de la voie transamazonienne, la surface de la forêt a diminué de près d’un quart. Le point de bascule, au-delà duquel la forêt ne pourra plus se regénérer et servir d’absorbeur de CO<sub>2</sub> de la planète sera bientôt atteint. 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Le lendemain d’une fusillade par des <em>garimpeiros</em> (chercheurs d’or) contre une communauté indigène de Yanomamis qui avait empêché la livraison et brûlé l’essence nécessaire à leur campement, Mosse et son équipe arrivaient sur place et tombaient sur Adneia.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705487011_richardmossecapturetireedebrokenspectreroraimasigaerienmultispectralrichardmosse.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4><em>La rivière Uraricoera dans l’état de Rondônia, berceau de la communauté Yanomami, est au cœur de la ruée pour l’or cautionnée du temps de Bolsonaro et combattue par Lula.</em></h4> <p>Pendant de longues minutes ininterrompues (à part pour le changement de pellicules par Tweeten pris au dépourvu et en manque de stock), la jeune <em>mater dolorosa</em> livre une diatribe cinglante. «Bolsonaro, cette terre n’est pas la tienne, ce n’est pas toi qui a mis la rivière là. Espèce de parasite, reprends toute ta saleté. Tu nous fais souffrir. Envoie-nous l’armée pour nous protéger des envahisseurs, nous voulons que nos enfants dorment la nuit.» Malaria, diarrhée, le mercure qui pollue l’eau, les Yanomamis n’ont même plus de centre médical. La mortalité enfantine est élevée.</p> <p>Puis, le regard droit dans l’objectif, elle s’adresse à nous: «Vous les blancs, ouvrez les yeux, ouvrez vos cerveaux. Nos enfants souffrent, ça fend le cœur!» La caméra continue de tourner autour d’elle pendant qu’elle se ressaisit dans la douleur. La scène est bouleversante.</p> <p>Mosse admet que «Broken Spectre» est son premier film activiste. Il n’a pas la certitude d’un lien de cause à effet, mais quand John Kerry, l’envoyé spécial des Etats-Unis pour le climat de l’administration Biden, a rencontré Luiz Inácio Lula da Silva le président brésilien fraîchement élu, il a demandé à recevoir le lien du film de Mosse qu’il venait de découvrir à Londres (le film a été présenté en Angleterre, Australie et les EU). Très peu de temps après, l’armée brésilienne est intervenue pour empêcher l’activité des <em>garimpeiros</em> dans la région.</p> <p>«C’est précisément ce que demandait Adneia! Cela démontre le pouvoir de l’art», dit Mosse, enthousiaste.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705487284_richardmosselausannenovembre2023.jpg" class="img-responsive img-fluid center " width="461" height="412" /></p> <blockquote> <h4><em>Richard Mosse, Lausanne, novembre 2023.</em></h4> </blockquote> <p>Issu d’une famille Quaker irlandaise et pacifiste, Mosse, la quarantaine juvénile, vit à présent à New York. Il qualifie ce film difficile, filmé sur 3 ans de 2019 à 2022, par épisodes de six à huit semaines, son «chemin de croix». </p> <blockquote> <p><em>«La déforestation se produit en direct. C'est maintenant qu'il faut l’arrêter».</em></p> </blockquote> <h3>Après-propos</h3> <p>Dans un article du <em><a href="https://www.theguardian.com/world/2023/dec/27/mining-on-rise-again-in-amazon-says-yanomami-leader" target="_blank" rel="noopener">Guardian </a></em> du 27 décembre 2023, David Kopenawa, l’activiste shaman Yanomami, se lamente du retour des mineurs malgré la campagne d’éviction du gouvernement. Les antennes paraboliques Starlink permettraient aux criminels d’y échapper. Lula a depuis commandé une intensification des efforts.</p> <p><strong>Témoignage de David Frost, le compositeur de la bande sonore à la fois organique et spectrale de «Broken Spectre»</strong></p> <p>«Au cours des trois dernières années, Richard Mosse, Trevor Tweeten et moi-même avons parcouru l'Amazonie pour documenter sa destruction. Les résultats de cette documentation sont devenus le nouveau film de Richard, Broken Spectre.</p> <p>Durant cette période, j’ai été témoin d’incendies si vastes qu’ils masquaient le soleil. J'ai vu des bûcherons illégaux abattre des arbres vieux de 700 ans et j'ai entendu le silence troublant de la forêt qui a suivi. J’ai vu des rivières empoisonnées par le mercure et de vastes étendues de forêt décimées pour la promesse de quelques grains d’or par de jeunes mineurs cherchant illégalement fortune dans les territoires autochtones. J'ai enregistré des vétérinaires bénévoles traitant des brûlures au troisième degré sur les pattes d'un Jaguar anesthésié; des blessures infligées par des éleveurs enhardis cherchant à produire davantage de bœuf destiné à l'exportation sur les restes fumants de sa maison dans une zone humide. 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