Culture / L’art brut, au bord de l’extinction?
Jean Dubuffet en 1959, fondateur de La Collection de l'Art Brut de Lausanne qui reste la référence mondiale de cet art en dehors du temps.
© John Craven / Archives Fondation Dubuffet, Paris
Michael Glotz à l’inauguration de son exposition à la Collection de l'Art Brut, le 8 juin 2017 à Lausanne. © Catherine Borgeaud-Papi / Collection de l'Art Brut
Michael Glotz à l’inauguration de son exposition à la Collection de l'Art Brut, le 8 juin 2017 à Lausanne. © Catherine Borgeaud-Papi / Collection de l'Art Brut
Michael Golz: Rockband mit Karin Kindermann. © DR
Michael Golz: Carte géographique de son pays imaginaire, Athos, 1977 - 2016 (14m x 17m). © Mirjam Wanner
Anna Zemánková: sans titre, entre 1975 et 1980, stylo à bille, crayon de couleur et gouache, collage et broderie sur papier, (62,6 x 45 cm). © Collection de l’Art Brut, Lausanne
Anna Zemánková: sans titre, entre 1960 et 1986, stylo à bille rouge et noir sur papier fin. © Collection de l’Art Brut, Lausanne
Anna Zemánková: portrait vers 1980, photo. © Jan Reich / Collection de l’Art Brut, Lausanne
La distinction entre art et art brut toucherait à sa fin. Inventé pour qualifier une expression artistique virginale, l’art brut se dissoudrait dans l’inter-connectivité de notre époque et dans l’attribution trop libérale du label.
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Mais le fait d’avoir autant de talent pourrait les faire basculer du côté des artistes. </strong></p><h3>L’héritage Dubuffet </h3><p>Dans son crédo de 1949, Jean Dubuffet lançait le concept de l’art brut: </p><p>«Nous entendons par là [art brut] des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique… l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions.» </p><p>Les auteurs de l’art brut (terme préféré à celui d’artiste) étaient ces individus dont l’échappatoire à la solitude, la folie ou au désarroi était une expression artistique hors-norme. 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Les surréalistes se sont beaucoup amusés dans les fêtes foraines, comme dans les photomatons.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1714625866_christianmarclayvideostillfromphotomatoncollectionphotoelyse.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Christian Marclay, Video still from Photomaton © Collection Photo Elysée</em></h4> <p><strong>Dans votre œuvre minuscule présentée à Lausanne et réalisée à partir des milliers de tirages du photomaton installé à Photo Elysée, vous faites déferler les images à la vitesse d’un film.</strong></p> <p>Comme les films de Man Ray nous le rappellent, nous étions au début du cinéma. C’était encore le début de la peinture abstraite et on peut dire que Man Ray faisait déjà de la photographie abstraite.</p> <p>Prenons le temps de réfléchir à ce que cela voulait dire d’avoir une caméra devant soi à l’époque. Ce que faisait Man Ray avec l’appareil photo était d’autant plus remarquable. Aujourd’hui, c’est devenu banal, tout le monde a une caméra dans son téléphone.</p> <p><strong>Et vous, que faites-vous pour échapper à la banalité?</strong></p> <p>J'estime que le rapport physique à la photo est très important. C’est pourquoi j’ai choisi ce thème du photomaton lorsque j’ai été approché pour ce projet de collaboration avec les élèves de l’Ecal.</p> <p>Dans mon travail, la présence du spectateur est essentielle. Sans spectateur, l’image n’existe pas.</p> <blockquote> <p><a href="https://ecal.ch/en/feed/events/1716/christian-marclay-ecal-photomaton/" target="_blank" rel="noopener"><em>L’exposition</em></a><em> présentée à Photo Elysée comprend également un ensemble d’œuvres et d’installations d’une grande créativité par des étudiant·e·s Bachelor Photographie de l’Ecal: Hector Codazzi, Carla Corminboeuf, Sarah Marachly, Yves Möhrle, Léo Paschoud, Cyriane Rawyler, Phinn Salin-Mason et Noé Vercaemst.</em></p> <p> </p> <p><em><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1714625764_ecal_sara_de_brito_faustino_gaetan_uldry_04.jpg__0x1280_q85_subsampling2.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></em></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Christian Marclay x Ecal – Photomaton, Photo Elysée </em></h4> </blockquote> <p><strong>Marcel Duchamp disait que la photo est arrivée quand on s’est lassés de la peinture. Et après la photo?</strong></p> <p>Je suis persuadé que l’art redevient tactile, je dirais, même, analogique. Les portraits de Cindy Sherman sont intéressants car, depuis sa plongée dans le numérique, elle introduit des éléments en couleur qui sont collés directement sur la photo, en relief.<em></em></p> <blockquote> <p><em>L’artiste américaine, <a href="https://elysee.ch/expositions/cindy-sherman/" target="_blank" rel="noopener">Cindy Sherman (1954)</a></em><em> commençait dans les années 1970 ses travaux sur la représentation et l’identité en se prenant comme seul sujet. Ses autoportraits tiennent d’un étrange équilibrisme entre le soi et l’extravagance artistique. Depuis 2010, elle s’autorise les exagérations du numérique.</em></p> </blockquote> <p><strong>A l’ère digitale, pourquoi privilégier le lien physique?</strong></p> <p>Plus que jamais! Mon travail cherche ce rapport physique à l’image, comme avec le son. Même mes peintures établissent un rapport au son, ce sont des collages d’onomatopées qui fonctionnent comme des partitions, comme si on pouvait entendre le peintre en train de peindre.</p> <p>La façon dont on perçoit les images m’intéresse. Pour la petite anecdote, j’ai vu l’autre jour un jeune qui tentait d’élargir une image sur papier dans un magazine comme sur l’écran de son téléphone…</p> <p><strong>Dans vos montages vidéo, vous utilisez souvent des images anciennes. Pour quelle raison?</strong></p> <p>Je leur donne une nouvelle vie, je les fais revivre. En même temps, je m’en sers pour ce rapport à la physicalité, je crée une rencontre avec le spectateur. Je compte sur sa présence pour l’amener ailleurs. Il devient l’acteur principal, l’œuvre n’existe pas tant qu’il n’y a pas cette interaction.</p> <p>Dans «Doors», qui sera présenté en septembre dans le cadre du <a href="https://www.images.ch/en/biennale/" target="_blank" rel="noopener">Festival Images de Vevey</a>, j’utilise la répétition et les bifurcations de scènes de films pour déstabiliser le public et créer une tension. Je jongle avec la temporalité, puisque les séquences ne sont pas linéaires: une même porte permet d’accéder à des suites différentes.</p> <p><strong>Qu’en est-il de la performance, lorsque vous vous mettez en scène, on pourrait même dire en musique, puisque vous êtes également compositeur et musicien?</strong></p> <p>Cela tient de la même dynamique, au même rapport au physique. J’attache de l’importance à la rencontre sociale qui permet le partage et au passage d’un temps en commun. 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Dès son jeune âge, il a cherché à convaincre ses parents adoptifs d’avoir confiance en son choix de devenir artiste, malgré les réticences du père qui voulait qu’il devienne ingénieur, comme lui.</p> <p><strong>Par artiste, entendez-vous peintre? </strong></p> <p>Pas seulement. On se rend compte dans ses écrits de jeunesse, alors qu’il est en train de se constituer en tant qu’artiste peintre, que l’écriture reste très importante puisqu’il décrit toutes ses sensations.</p> <p>Dans une édition récente des textes qu’il a écrits lors d’un voyage au Maroc et qui n’ont que récemment été trouvés (<em>Le voyage au Maroc</em>, Nicolas de Staël, Editions Arléa, 2023), on découvre qu’à 23 ans il était déjà capable d’exprimer un profond sentiment de la vie et qu’il percevait toutes les possibilités de la lumière. On voit la présence de sa future palette dans ses textes. 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Son intérêt pour les musiques vivantes le conduisait aux concerts du domaine musical tenu par Suzanne Tézenas à Paris avec Pierre Boulez. Sa dernière toile, <em>Le Concert</em>, 1955, immense (6 m de large), inachevée, a du reste été réalisée au retour d’un concert de musique contemporaine, juste avant sa mort.</p> <p><strong>Sa vaste correspondance, donne-t-elle des clés pour le comprendre?</strong></p> <p>C’est assez particulier, c’est comme s’il avait inventé sa propre langue tellement il voulait dire les choses exactement, comme il les ressentait. Il écrivait au rythme de sa pensée. Il se passe dans ses lettres exactement ce qui se passe dans sa peinture: il nous donne un moyen très précis d’entrer dans ses motivations intérieures. Il nous donne à lire, exactement comme il nous donne à voir.</p> <p><em>Ndlr: </em>Lettres 1926-1955 de Nicolas de Staël<em> (présentation, commentaires et notes de Germain Viatte), édition augmentée 2016, Le Bruit du Temps. 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Par exemple, avec son ami Jean Bauret, à qui il montrait ce qu’il avait peint pour avoir son avis.</p> <p><strong>Comment expliquez-vous sa singularité?</strong></p> <p>Il a trouvé des rapports de couleur que personne ne savait faire. 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Le public, lui, n’a jamais été dérangé par le fait que de Staël n’appartenait à aucune école.</p> <p><strong>Son retour à la figuration, après sa période d’abstraction, en a pourtant dérouté plus d’un.</strong></p> <p>Pour moi, il s’agissait d’une évolution naturelle de sa peinture, pas forcément d’un retour à la figuration, mais d’une exploration de formes. Du reste, chez ce peintre-là, même l’abstraction reste ancrée d’une façon très particulière dans le réel, dans l’observation de la lumière et de la structure d’un espace réel. C’est vraiment le propre de son abstraction. Il était toujours à la limite de quelque chose de très concret.</p> <p><strong>Quelle était la place du dessin dans ses explorations?</strong></p> <p>Il travaillait le dessin et la peinture concomitamment, c’était vraiment un dialogue, sans que le croquis ne soit nécessairement préparatoire. Si le trait du dessin contient toute l’énergie de sa peinture, cela tient à sa capacité de synthèse – cette synthèse que l’artiste sait établir. On la retrouve dans ses dessins.</p> <p>Il cherchait toujours cette lumière qui surgit du fond de la toile, ou du fond de la page du dessin. On peut dire que la simplicité du trait va lui permettre de travailler ce rapport à la lumière qu’il va poursuivre à travers la peinture.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w678c16-9/1710969110_destaeletudedepaysageitaliedessinesurlemotif1953stylofeutresurpapier322x262cmcollectionparticuliere.jpg" /></p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w678c16-9/1710969062_destaelsiciliedessinesurlemotif1953stylofeutresurpapier322x262collectionparticuliere.jpg" /></p> <h4>Lors d’un voyage en Italie réalisé en août 1953 avec sa famille, et deux amies, dont Jeanne Polge, de Staël ne peint pas, il dessine. 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C’était quelqu’un de très enthousiaste qui parlait tout le temps de joie, y compris dans sa correspondance. S’il rencontrait des moments de remise en question, la peinture l’entrainait vers la grande énergie qu’il recherchait, qu’il percevait et dont il a su nous rendre compte. Les spectateurs le sentent très bien aujourd’hui encore.</p> <p><strong>Comment se comportait-il avec son entourage?</strong></p> <p>Il y avait beaucoup de bonheur dans son couple avec Françoise <em>(Ndlr: de Staël épousa Françoise Chapouton en 1946 après le décès de Jeannine Guillou, et avec laquelle il eut trois autres enfants)</em>, des déjeuners passionnants, des sujets toujours essentiels, enflammés, donc je pense que ça crée une vie extraordinairement dense et enlevée pour ceux qui vivent dedans.</p> <p>En même temps, il pouvait être très colérique, voulant les choses telles qu’il les concevait au moment-même, et s’il y avait de la résistance, il le supportait mal. Comme l’explique ma mère, Anne de Staël, il était toujours en effraction, il forçait les choses. Ça, c’est un trait de caractère qui peut rendre les choses difficiles pour l’entourage.</p> <p><strong>Ce qui frappe dans sa correspondance, c’est combien il se préoccupait des autres.</strong></p> <p>Il avait une grande tendresse pour s’adresser à la mère de Françoise et à sa grand-mère; en fait, il les adoptait, pour sans doute se faire adopter lui-même, en tant qu’orphelin… Il était absolument charmant. Tout le monde l’aimait beaucoup. Il n’était pas du tout le genre d’artiste à qui on ne pouvait pas s’adresser, qui restait dans son mutisme. Il donnait énormément à tous ceux qui l’entouraient.</p> <p><strong>N’a-t-il jamais eu un sentiment d’échec pendant ses années de misère?</strong></p> <p>Jamais, il était comme tiré par la direction dans laquelle il allait. Le déroulement était très logique. Même dans le dénuement le plus total pendant la guerre, il n’en a jamais dévié.</p> <p><strong>Ressentez-vous sa présence dans sa peinture?</strong></p> <p>C’est curieux comme question, mais il est vrai que l’on peut avoir l’impression d’être en sa présence devant ses tableaux. Sans doute est-ce l’effet d’une émotion indéfinissable face à un élan artistique qui ne ressemble à aucun autre.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w678c16-9/1710969451_destaelpaysageavecfiguresdetail1952huilesurcarton12x22cm.jpg" /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Nicolas de Staël, "Paysage avec figures" (détail) 1952, huile sur carton, 12 x 22 cm</em></h4> <p><strong>Aidez-nous à comprendre ce qui a mené à son suicide. Votre maman, Anne de Staël – qui n’avait que 13 ans quand son père est mort et à qui il a adressé sa dernière lettre – explique que l’histoire d’amour malheureuse avec Jeanne Polge était une clé, mais pas la cause de sa disparition.</strong></p> <p>Nicolas de Staël n’était jamais dans la gratuité, il tendait toujours vers l’essentiel. Une telle intensité pouvait-elle durer? C’est fatiguant dix ans de recherches constantes, tous les jours sans répit.</p> <p><em>Ndlr: plus de 1'000 tableaux et autant de dessins, dont 250 par année juste avant sa mort.</em></p> <p>On peut comprendre son épuisement.</p> <p>Le suicide était présent dans sa vie, il en était fasciné. Peut-être ne se voyait-il pas en vieux peintre. Il avait bien préparé son départ; il était passé chez le notaire avant son départ pour protéger sa fille, Anne, née en dehors du mariage. Peut-on parler d’un acte désespéré?</p> <p><strong>Il écrivait dans sa note d’adieu à son marchand, Jacques Dubourg, le jour de sa mort, le 16 mars 1955, qu’il n’avait plus la force de parachever ses tableaux.</strong></p> <p>Contrairement aux peintres qui ne nous donnent pas les mots pour comprendre, Nicolas de Staël s’est exprimé jusqu’au bout.</p> <p><strong>De Staël est-il resté plus intemporel que les autres? </strong></p> <p>C’est vrai, de Staël a cette chose étonnante, c’est qu’il reste éternellement jeune. Il est d’ailleurs mort jeune et c’est comme si sa jeunesse était restée imprimée dans sa peinture. 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Eternel exilé de sa Russie natale, issu de l’aristocratie militaire qui a fui la révolution en 1917, orphelin à sept ans, de Staël a mené une vie d’une frénésie extrême avec comme seule boussole son besoin de créer.</p> <p>«C’est notre James Dean à nous», avance Pierre Wat, commissaire avec Charlotte Barat-Mabille des expositions de Staël au Musée d’art moderne de Paris et la Fondation de l’Hermitage.</p> <p>D’une beauté sauvage, photogénique, immense avec son 1m97, le mythe de Staël a dévoré l’homme. «L’enjeu était de ramener le regard sur sa peinture».</p> <p>Si la récente exposition de Paris se prêtait à la vénération d’un artiste que le public a toujours aimé, celle de Lausanne nous rapproche de l’intimité de l’homme, aidée par le charme de l’Hermitage.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1709151058_stael_parcdesprinces_1952scaled.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Le 10 avril 1952, de Staël et sa femme Françoise assistent au premier match de foot éclairé en nocturne au Parc des Princes. «Entre ciel et terre, sur l’herbe rouge ou bleue une tonne de muscles voltige en plein oubli de soi avec toute la présence que cela requiert en toute invraisemblance. Quelle Joie! René, quelle joie!» Lettre à René Char. Plusieurs tableaux sont nés du choc ressenti et marquent le retour du peintre à la peinture figurative après une période d'abstraction de plusieurs années. </em></h4> <h4 style="text-align: center;">Nicolas de Staël, "Parc des Princes", 1952. Huile sur toile, 200 × 350 cm. Collection particulière. Photo Christie’s © 2023, ProLitteris, Zurich</h4> <p>«Ce n’est pas une adaptation, mais une réinvention», précise Wat. Le nombre des œuvres présentées en Suisse a été réduit de 200 à 105, dont 67 qui sortent de collections privées pour la première fois, une rareté. De petites compositions prises sur le vif, à peine plus grandes qu’une feuille de papier, veillent sur d’immenses réalisations, telles que les célèbres <em>Le Parc des Princes</em> et <em>Nu couché bleu</em>.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1709151113_stael_lelavandou_1952scaled.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>En mai 1952, de Staël voyage dans le sud de la France. «La lumière est tout simplement fulgurante ici, bien plus que je m’en souvenais. Je vous ferai des choses de mer, de plage, en menant l’éclat jusqu’au bout si tout va bien, et des choses d’ombres nocturnes». Lettre à son marchand, Jacques Dubourg, Le Lavandou, 31 mai 1952.</em></h4> <h4 style="text-align: center;">Nicolas de Staël, "Le Lavandou", 1952. Huile sur carton, 12 × 22 cm. Collection particulière. Photo Jean-Louis Losi © 2023, ProLitteris, Zurich</h4> <p>L’harmonie de l’accrochage ne laisse pas percevoir l’urgence insensée d’un artiste qui a produit 90% de ses 1'100 tableaux et autant de dessins en dix ans, dont un quart vers la fin de sa vie. Au lieu de cela, nous entrons, comme par invitation, dans une apaisante sensorialité.</p> <p>«Ce sont des tableaux qu’il faut voir en vrai <em>car ils échappent à la photo</em>. Il y a chez de Staël une immense qualité de surface qui peut devenir sèche, grasse, ou charnelle. Il n’est pas dans l’image, il est dans la couleur, il anime la matière», rappelle le commissaire.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1709151640_stael_agrigente_19541scaled.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>La série de tableaux «Agrigente» réalisée à partir de croquis fulgurants de simplicité ramenés d’un voyage en Sicile en août 1953 marquera une rupture dans sa peinture et dans sa vie: il quitte sa famille pour vivre une histoire d’amour impossible, s’enfonce dans la solitude, peint sans cesse, rencontre le succès et voyage souvent à l’occasion de ses nombreuses expositions.</em><em></em></h4> <h4 style="text-align: center;">Nicolas de Staël, "Agrigente", 1954. Huile sur toile, 73 × 92 cm. Collection particulière. Photo Jean-Louis Losi © 2023, ProLitteris, Zurich</h4> <p>Sans jamais se répéter, Nicolas de Staël est resté un homme libre. Il n’était pas attaché à ses œuvres – qu’il laissait partir comme un passé déjà oublié – comme si le seul fait de les avoir réalisées lui suffisait. Ses innombrables lettres, d’une qualité d’écrivain, sont celles d’un être fébrile, exigeant, loyal, amoureux, insupportable, mais généreux, se préoccupant des autres et, paradoxalement, ne se comportant jamais en héros. Il se lit comme un livre ouvert.</p> <p>«C’est la plus belle exposition consacrée à Nicolas de Staël que j’aie jamais vue» déclarait l’artiste Elena Prentice, à Lausanne. Accompagnée de son époux, Gustave de Staël, le dernier enfant du peintre (qu’il n’a pas eu le temps de connaître), elle suit le travail du peintre depuis les années soixante quand elle le découvrait aux Etats Unis, pays dont elle est originaire. «A la Fondation de l’Hermitage, les tableaux respirent». </p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1709151778_stael_lesmouettes_1955scaled.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Dans un atelier loué sur les remparts d’Antibes, de Staël passera ses derniers mois à peindre comme un fou, seul, face à la mer. «Je deviens un cyclone en peinture», écrit-il en mai 54 à Jeanne Polge, la femme qui refusera son amour.</em></h4> <h4 style="text-align: center;">Nicolas de Staël, "Les Mouettes", 1955. Huile sur toile, 195 × 130 cm. Collection particulière. Photo Thomas Hennocque © 2023, ProLitteris, Zurich</h4> <p>Seule critique, le superbe catalogue de l’exposition termine avec une analyse du déclin de la reconnaissance du peintre dès son retour à la figuration au début des années cinquante – après son passage par l’abstraction – et face à l’émergence de l’Expressionisme américain (Pollock, Rothko, Rauschenberg…), comme si le monde de l’art pouvait lui dicter ce qu’il devait devenir. Peut-on encore imaginer un peintre plus proche de sa propre vérité sans l’interférence de chapelles artistiques? De Staël est resté fidèle à lui-même, restant libre à jamais.</p> <p>«<span>L’homme était désespéré, </span>mais l’artiste est resté jusqu’à la fin face à la beauté», observe Pierre Wat.</p> <p>L’échec d’une histoire d’amour a trop longtemps alimenté la légende romanesque du suicide de l’artiste. 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Réalisée au moyen de caméras multispectrales et de capteurs ultrasoniques, le film d’une durée de 74 minutes donne à voir des images et à entendre des sons qui sont en dehors de nos champs de perception.</p> <h3>Photo / Art</h3> <p>«Je cherche les lignes de faille de la photographie documentaire pour trouver de nouvelles façons de raconter des histoires», expliquait Mosse lors du vernissage. Il estime que l’art permet aux images de durer, contrairement à un reportage trop vite éteint quand il devient insupportable.</p> <blockquote> <p><em>«Je fais appel à l’art pour donner de la puissance aux images, car la beauté est un outil efficace, elle dépasse l’horreur et devient une arme contre l’indifférence».</em><em></em></p> <p><em><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1704798071_richard_mosse_capture_tiree_de_broken_spectre_rondonia_sig_aerien_multispectral_richard_mosse.2.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></em></p> <h4><em>Les terres de la forêt sont dégagées par des incendies sauvages, dont celles pour faire place aux cultures intensives, essentiellement de soja. Près de 20% de la surface de la forêt amazonienne est déjà scalpée. 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Des scènes effroyables – tournées en noir et blanc analogique pour son effet velouté – d’abattage d’arbres centenaires, de bêtes issues d’élevages ultra-intensifs, de mercure utilisé pour l’extraction d’or versée dans les cours d’eau, d’incendies provoqués au pétrole pour dégager les sols, sont entrecoupées d’images technicolor et de sons magnifiées du lit de la forêt, de tapis à l’infini de la canopée captée à l’infrarouge (où la chlorophylle se traduit par des teintes de rouge et rose vifs), autant de chefs-d’œuvre de la nature invisibles à l’œil nu – et de tableaux abstraits.</p> <blockquote> <p><em>La clé est dans le montage, précise Mosse, «passer d’une dimension à l’autre pour créer une dissonance visuelle, c’est là où la magie opère.»</em><em></em></p> <p><em><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1704798162_richard_mosse_vue_exposition_de_broken_spectre_national_gallery_of_victoria_tom_ross.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></em></p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705486767_richardmossebrokenspectrevuedexposition.bw.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4><em>Les scènes qui illustrent les ravages perpétrés par l’homme sont filmées en noir et blanc.</em></h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1704798223_richard_mosse_vue_exposition_de_broken_spectre_national_gallery_of_victoria_tom_ross.2.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705486865_richardmossebrokenspectrevuedexposition.couleur.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4><em>Les scènes qui documentent l’état de la forêt amazonienne sont filmées avec des caméras multispectrales qui permettent d'enregistrer en une seule prise de vue plusieurs longueurs d'onde du spectre lumineux et ensuite de choisir quelles couleurs rendre visibles pour révéler les détails. Cette technique est au cœur de la pratique de Richard Mosse.</em></h4> </blockquote> <p>Le titre «Broken Spectre» (Spectre brisé) s’inspire du spectre de Brocken, ce phénomène rare quand l’ombre d’un sujet proche est projetée au loin sur un nuage et parfois auréolée d’un halo arc-en-ciel.</p> <p>Pour autant, les observations visuelles de Richard Mosse restent empreintes d’humanité. Le degré d’intimité établi avec les prédateurs de la déforestation pris sur le vif peut surprendre. Depuis 1972, l’année de la construction de la voie transamazonienne, la surface de la forêt a diminué de près d’un quart. Le point de bascule, au-delà duquel la forêt ne pourra plus se regénérer et servir d’absorbeur de CO<sub>2</sub> de la planète sera bientôt atteint. Les hommes et femmes qui participent à cette destruction ne sont pourtant pas des démons, ils travaillent pour des cercles mafieux de plus en plus puissants au service du commerce international, prévient Mosse, qui les filme sans hostilité; il n’est pas indifférent à leur sort.</p> <h3>Art / Politique</h3> <p>«Mon travail consiste à partager, à communiquer, non pas à juger». Mosse s’appuie sur les thèses du philosophe Walter Benjamin pour expliquer qu’une œuvre d’art ne doit pas servir de propagande.</p> <blockquote> <p><em>«A mon avis, l’art ne vous dit pas ce que vous devez penser. Mon intention est de désorienter le spectateur (visiteur) pour qu’il décide de lui-même. Je me contente de donner la texture des crimes environnementaux»</em>, rappelle Mosse.</p> </blockquote> <p>Son film a cependant pris une tournure politique imprévue par le hasard d’une actualité tragique. Le lendemain d’une fusillade par des <em>garimpeiros</em> (chercheurs d’or) contre une communauté indigène de Yanomamis qui avait empêché la livraison et brûlé l’essence nécessaire à leur campement, Mosse et son équipe arrivaient sur place et tombaient sur Adneia.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705487011_richardmossecapturetireedebrokenspectreroraimasigaerienmultispectralrichardmosse.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4><em>La rivière Uraricoera dans l’état de Rondônia, berceau de la communauté Yanomami, est au cœur de la ruée pour l’or cautionnée du temps de Bolsonaro et combattue par Lula.</em></h4> <p>Pendant de longues minutes ininterrompues (à part pour le changement de pellicules par Tweeten pris au dépourvu et en manque de stock), la jeune <em>mater dolorosa</em> livre une diatribe cinglante. «Bolsonaro, cette terre n’est pas la tienne, ce n’est pas toi qui a mis la rivière là. Espèce de parasite, reprends toute ta saleté. Tu nous fais souffrir. Envoie-nous l’armée pour nous protéger des envahisseurs, nous voulons que nos enfants dorment la nuit.» Malaria, diarrhée, le mercure qui pollue l’eau, les Yanomamis n’ont même plus de centre médical. La mortalité enfantine est élevée.</p> <p>Puis, le regard droit dans l’objectif, elle s’adresse à nous: «Vous les blancs, ouvrez les yeux, ouvrez vos cerveaux. Nos enfants souffrent, ça fend le cœur!» La caméra continue de tourner autour d’elle pendant qu’elle se ressaisit dans la douleur. La scène est bouleversante.</p> <p>Mosse admet que «Broken Spectre» est son premier film activiste. Il n’a pas la certitude d’un lien de cause à effet, mais quand John Kerry, l’envoyé spécial des Etats-Unis pour le climat de l’administration Biden, a rencontré Luiz Inácio Lula da Silva le président brésilien fraîchement élu, il a demandé à recevoir le lien du film de Mosse qu’il venait de découvrir à Londres (le film a été présenté en Angleterre, Australie et les EU). Très peu de temps après, l’armée brésilienne est intervenue pour empêcher l’activité des <em>garimpeiros</em> dans la région.</p> <p>«C’est précisément ce que demandait Adneia! Cela démontre le pouvoir de l’art», dit Mosse, enthousiaste.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705487284_richardmosselausannenovembre2023.jpg" class="img-responsive img-fluid center " width="461" height="412" /></p> <blockquote> <h4><em>Richard Mosse, Lausanne, novembre 2023.</em></h4> </blockquote> <p>Issu d’une famille Quaker irlandaise et pacifiste, Mosse, la quarantaine juvénile, vit à présent à New York. Il qualifie ce film difficile, filmé sur 3 ans de 2019 à 2022, par épisodes de six à huit semaines, son «chemin de croix». </p> <blockquote> <p><em>«La déforestation se produit en direct. 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Deux expositions simultanées à la Collection de l’Art Brut de Lausanne dégagent un parfum de fin d’époque. Auteurs d’univers improbables, Michael Golz et Anna Zemánková auraient le profil d’auteurs d’art brut. Mais le fait d’avoir autant de talent pourrait les faire basculer du côté des artistes.
L’héritage Dubuffet
Dans son crédo de 1949, Jean Dubuffet lançait le concept de l’art brut:
«Nous entendons par là [art brut] des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique… l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions.»
Les auteurs de l’art brut (terme préféré à celui d’artiste) étaient ces individus dont l’échappatoire à la solitude, la folie ou au désarroi était une expression artistique hors-norme. Ils avaient en commun de ne pas être conscients de la valeur de leur travail.
Penser aux Suisses Aloïse et Adolf Wölfli et à l’Américain, Henry Darger dont les œuvres sont parmi les premières à être entrées dans la collection de Dubuffet, offerte à la ville de Lausanne en 1971 et qui forme le socle de la Collection de l’Art Brut.
L’après Dubuffet
Entretemps, le marché de l’art s’est emparé de l’art brut, présenté sous les diverses appellations de: art cru (raw art), art visionnaire, outsider art, «création franche».
Plus d’une dizaine de musées et d’innombrables galeries sont consacrés à ce volet de l’art, qui comprend à présent la photo et le numérique.
Pour élargir le champ de l'art brut, certains incluent l'art primitif ou naïf, alors que Dubuffet avait pris le soin de les identifier à part dans sa propre collection.
Comment, dès lors, découvrir de nouveaux auteurs d'art brut et les protéger de la soif du marché qui veut de la production, et vite. Car il ne suffit pas d’être «indemne de culture»: les autodidactes ne sont pas forcément des artistes et l'art-thérapie reste un outil. Encore faut-il avoir la capacité d’exprimer un monde mental unique et de le faire sans interférence et sans influence.
Les psychotropes
Un deuxième facteur est venu brouiller les pistes: la détresse de ces individus est fréquemment soulagée par les antipsychotiques et les antidépresseurs qui agissent sur les récepteurs de la dopamine, les écluses de la créativité.
Si la schizophrénie d’Aloïse avait été maîtrisée par les médicaments, aurait-elle pu s’extasier dans ses rêveries de princes charmants à la gouache rose-bonbon?
«Il est peu probable qu'Aloïse aurait été institutionnalisée de nos jours», déclarait Pascale Jeanneret, commissaire de l'exposition qui lui était consacrée à la Collection de l'Art Brut en 2012 (également co-commissaire de l'exposition Zemánková actuelle). Sa schizophrénie aurait été soulagée par des médicaments. Or, l’environnement protégé dans lequel elle se trouvait avait permis à son art de s’épanouir.
Artistes ou auteurs
En réalité, la définition de l’art en opposition à l’art brut s’estompe car les «auteurs» sont de moins en moins cernables et identifiables.
A Lausanne, nous découvrons deux démarches artistiques très différentes, mais mues par une même nécessité, celle de l’expression pure d’univers invraisemblables. Le problème, ou le bonheur, c’est que Michael Golz et Anna Zemánková ont du talent (voir ci-dessous). Ils nous obligent à réfléchir au statut et libellé d’auteurs d’art brut et si cela leur convient. Ou si nous ne sommes pas tout simplement en présence de véritables artistes.
Une époque touche à sa fin. Mais en créant le temple d'une créativité autre, devenue référence mondiale dans ce domaine, Jean Dubufffet a assuré la pérennité de l'art brut tel qu'il le concevait. La Collection de l’Art Brut et les 70 000 œuvres qu’elle contient reste la gardienne de ces étranges talents qui n’étaient pas encore happés par leur temps.
Michael Golz – jusqu’au 1er octobre 2017
Coproduction avec le Kunstmuseum de Thurgovie
Le fantasmagorique Michael Golz (né en 1957) présente «Athosland» (le pays d’Athos) un pays inventé de toutes pièces. Sur deux étages, ses carnets et dessins foisonnent de scènes imaginaires peuplées de personnes aux cheveux longs (comme lui) et où il fait très chaud.
Sur les places publiques à proximité des gares, les passants se trempent dans les piscines pour se rafraîchir. Tout est prévu pour rendre la vie moins brutale et plus poétique, comme si elle s’était arrêtée avec le Flower Power des années 70 (comme lui).
Et pourtant, il y a de l’ordre dans l’univers de Michael Golz, un ordre dicté par la précision de la perspective et la profusion de gares et chemins de fer; les moyens de transport figurent fréquemment dans les œuvres des êtres isolés.
Atteint d’une méningite à l’âge de 5 ans, Michael a été privé de ses capacités de développement, mais pas de son âme d’artiste, ni de son génie pour l’urbanisme.
Anna Zemánková – jusqu’au 26 novembre 2017
Exposition réalisée en collaboration avec Terezie Zemánková, sa petite fille.
Anna Zemánková (1908 – 1986) réalise une œuvre qui aurait pu être confinée à un statut de trompe-l’ennui d’une bourgeoise de Prague. Elle renonce à un métier de technicienne dentaire pour élever ses trois enfants et ne revient au dessin qu’à l’âge de 50 ans, sur l’insistance de ses fils.
Elle se met alors à explorer les couleurs et formes dans une inventivité aux limites de l’incandescence et qu’elle qualifie de musicale. «Je ne peux pas créer en silence. La musique m’aide beaucoup. C’est comme si j’attrapais les tonalités et les traduisais en dessin.»
Atteinte d’un sévère diabète, elle est amputée des jambes et développe un glaucome, mais la création l’habite: «J’appelle mes dessins, mes médicaments naturels.»
Deux films captivants diffusés en continu dans les expositions
Athosland, de Philippe Lespinasse et Andress Alvarez (durée 33’, version originale allemande, sous-titrée en français), co-produit par la Collection de l’Art Brut et le Kunstmuseum de Thurgovie.
Le jardin botanique d'Anna Zemánková, de Philippe Lespinasse et Andress Alvarez (30 min, 2017), produit par Lokomotiv film et la Collection de l’Art Brut.
Publications
Michael Golz, Athosland/ Le pays d'Athos, Kunstmuseum de Thurgovie, 2017.
Anna Zemánková, sous la direction de Terezie Zemánková, Prague: Kant, ABCD, 2017.
A lire aussi: Ce qu’il faut savoir de l’art brut, par Yves Tenret
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Le surréalisme est trop approprié; en revanche, je m’intéresse à Dada et suis très content que ma vidéo soit présentée à proximité du travail de Man Ray.<em></em></p> <blockquote> <p><em>L’exposition «<a href="https://elysee.ch/expositions/man-ray/" target="_blank" rel="noopener">Man Ray, libérer la photographie</a>» </em><em>présente 188 clichés d’une collection privée qui retrace les expérimentations de l’ami de Duchamp, qui réalisa parmi les portraits les plus iconiques du siècle dernier. 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Aujourd’hui, c’est devenu banal, tout le monde a une caméra dans son téléphone.</p> <p><strong>Et vous, que faites-vous pour échapper à la banalité?</strong></p> <p>J'estime que le rapport physique à la photo est très important. C’est pourquoi j’ai choisi ce thème du photomaton lorsque j’ai été approché pour ce projet de collaboration avec les élèves de l’Ecal.</p> <p>Dans mon travail, la présence du spectateur est essentielle. Sans spectateur, l’image n’existe pas.</p> <blockquote> <p><a href="https://ecal.ch/en/feed/events/1716/christian-marclay-ecal-photomaton/" target="_blank" rel="noopener"><em>L’exposition</em></a><em> présentée à Photo Elysée comprend également un ensemble d’œuvres et d’installations d’une grande créativité par des étudiant·e·s Bachelor Photographie de l’Ecal: Hector Codazzi, Carla Corminboeuf, Sarah Marachly, Yves Möhrle, Léo Paschoud, Cyriane Rawyler, Phinn Salin-Mason et Noé Vercaemst.</em></p> <p> </p> <p><em><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1714625764_ecal_sara_de_brito_faustino_gaetan_uldry_04.jpg__0x1280_q85_subsampling2.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></em></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Christian Marclay x Ecal – Photomaton, Photo Elysée </em></h4> </blockquote> <p><strong>Marcel Duchamp disait que la photo est arrivée quand on s’est lassés de la peinture. Et après la photo?</strong></p> <p>Je suis persuadé que l’art redevient tactile, je dirais, même, analogique. Les portraits de Cindy Sherman sont intéressants car, depuis sa plongée dans le numérique, elle introduit des éléments en couleur qui sont collés directement sur la photo, en relief.<em></em></p> <blockquote> <p><em>L’artiste américaine, <a href="https://elysee.ch/expositions/cindy-sherman/" target="_blank" rel="noopener">Cindy Sherman (1954)</a></em><em> commençait dans les années 1970 ses travaux sur la représentation et l’identité en se prenant comme seul sujet. Ses autoportraits tiennent d’un étrange équilibrisme entre le soi et l’extravagance artistique. Depuis 2010, elle s’autorise les exagérations du numérique.</em></p> </blockquote> <p><strong>A l’ère digitale, pourquoi privilégier le lien physique?</strong></p> <p>Plus que jamais! Mon travail cherche ce rapport physique à l’image, comme avec le son. Même mes peintures établissent un rapport au son, ce sont des collages d’onomatopées qui fonctionnent comme des partitions, comme si on pouvait entendre le peintre en train de peindre.</p> <p>La façon dont on perçoit les images m’intéresse. Pour la petite anecdote, j’ai vu l’autre jour un jeune qui tentait d’élargir une image sur papier dans un magazine comme sur l’écran de son téléphone…</p> <p><strong>Dans vos montages vidéo, vous utilisez souvent des images anciennes. Pour quelle raison?</strong></p> <p>Je leur donne une nouvelle vie, je les fais revivre. En même temps, je m’en sers pour ce rapport à la physicalité, je crée une rencontre avec le spectateur. Je compte sur sa présence pour l’amener ailleurs. Il devient l’acteur principal, l’œuvre n’existe pas tant qu’il n’y a pas cette interaction.</p> <p>Dans «Doors», qui sera présenté en septembre dans le cadre du <a href="https://www.images.ch/en/biennale/" target="_blank" rel="noopener">Festival Images de Vevey</a>, j’utilise la répétition et les bifurcations de scènes de films pour déstabiliser le public et créer une tension. Je jongle avec la temporalité, puisque les séquences ne sont pas linéaires: une même porte permet d’accéder à des suites différentes.</p> <p><strong>Qu’en est-il de la performance, lorsque vous vous mettez en scène, on pourrait même dire en musique, puisque vous êtes également compositeur et musicien?</strong></p> <p>Cela tient de la même dynamique, au même rapport au physique. J’attache de l’importance à la rencontre sociale qui permet le partage et au passage d’un temps en commun. 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Dès son jeune âge, il a cherché à convaincre ses parents adoptifs d’avoir confiance en son choix de devenir artiste, malgré les réticences du père qui voulait qu’il devienne ingénieur, comme lui.</p> <p><strong>Par artiste, entendez-vous peintre? </strong></p> <p>Pas seulement. On se rend compte dans ses écrits de jeunesse, alors qu’il est en train de se constituer en tant qu’artiste peintre, que l’écriture reste très importante puisqu’il décrit toutes ses sensations.</p> <p>Dans une édition récente des textes qu’il a écrits lors d’un voyage au Maroc et qui n’ont que récemment été trouvés (<em>Le voyage au Maroc</em>, Nicolas de Staël, Editions Arléa, 2023), on découvre qu’à 23 ans il était déjà capable d’exprimer un profond sentiment de la vie et qu’il percevait toutes les possibilités de la lumière. On voit la présence de sa future palette dans ses textes. C’est comme s’il constituait le tissu de sa perception.</p> <p><strong>Votre monographie nous apprend son immense culture, qui n’était pas réservée à la peinture.</strong></p> <p>Lecteur vorace, il aimait lire à voix haute à sa famille, Rimbaud, Baudelaire, Racine, Mallarmé… Il demandait même à sa fille Anne, ma mère, de faire comme lui. Il avait ce rapport à l’oralité et depuis toujours.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w678c16-9/1710970128_vuedexpositiondestaelfondationdelhermitage.jpg" /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Vue d'exposition de Staël, Fondation de l'Hermitage, Poèmes. © M.L.</em></h4> <p><strong>En 1951, de l’amitié intense entre de Staël et René Char naîtra <em>Poèmes</em>, un livre où quatorze gravures sur bois de l’artiste dialoguent avec les textes du poète, ici dans l'exposition.</strong></p> <p>La musique a également beaucoup compté pour lui, même si, curieusement, il ne peignait jamais en l’écoutant. Son intérêt pour les musiques vivantes le conduisait aux concerts du domaine musical tenu par Suzanne Tézenas à Paris avec Pierre Boulez. Sa dernière toile, <em>Le Concert</em>, 1955, immense (6 m de large), inachevée, a du reste été réalisée au retour d’un concert de musique contemporaine, juste avant sa mort.</p> <p><strong>Sa vaste correspondance, donne-t-elle des clés pour le comprendre?</strong></p> <p>C’est assez particulier, c’est comme s’il avait inventé sa propre langue tellement il voulait dire les choses exactement, comme il les ressentait. Il écrivait au rythme de sa pensée. Il se passe dans ses lettres exactement ce qui se passe dans sa peinture: il nous donne un moyen très précis d’entrer dans ses motivations intérieures. Il nous donne à lire, exactement comme il nous donne à voir.</p> <p><em>Ndlr: </em>Lettres 1926-1955 de Nicolas de Staël<em> (présentation, commentaires et notes de Germain Viatte), édition augmentée 2016, Le Bruit du Temps. 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Par exemple, avec son ami Jean Bauret, à qui il montrait ce qu’il avait peint pour avoir son avis.</p> <p><strong>Comment expliquez-vous sa singularité?</strong></p> <p>Il a trouvé des rapports de couleur que personne ne savait faire. Son intérêt pour les mosaïques byzantines – ces tesselles où les couleurs s’expriment sur celles qui sont sous-jacentes, qui sont constamment mises en rapport les unes avec les autres – cela a donné une mobilité à ses œuvres.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w678c16-9/1710969008_destaelfleursdetailparis1952huilesurtoilecollectionparticuliere.jpg" /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Nicolas de Staël, "Fleurs" (détail), Paris, 1952, Huile sur toile, collection particulière</em></h4> <p><strong>Cette singularité, a-t-elle posé un problème aux conservateurs et aux historiens de l’art?</strong></p> <p>De Staël a toujours suscité des doutes de la part des conservateurs qui se sentent mal à l’aise face à une singularité et à un propos pictural absolument unique, inclassable. Mais, les choses sont en train de changer avec ces rétrospectives. Le public, lui, n’a jamais été dérangé par le fait que de Staël n’appartenait à aucune école.</p> <p><strong>Son retour à la figuration, après sa période d’abstraction, en a pourtant dérouté plus d’un.</strong></p> <p>Pour moi, il s’agissait d’une évolution naturelle de sa peinture, pas forcément d’un retour à la figuration, mais d’une exploration de formes. Du reste, chez ce peintre-là, même l’abstraction reste ancrée d’une façon très particulière dans le réel, dans l’observation de la lumière et de la structure d’un espace réel. C’est vraiment le propre de son abstraction. Il était toujours à la limite de quelque chose de très concret.</p> <p><strong>Quelle était la place du dessin dans ses explorations?</strong></p> <p>Il travaillait le dessin et la peinture concomitamment, c’était vraiment un dialogue, sans que le croquis ne soit nécessairement préparatoire. Si le trait du dessin contient toute l’énergie de sa peinture, cela tient à sa capacité de synthèse – cette synthèse que l’artiste sait établir. On la retrouve dans ses dessins.</p> <p>Il cherchait toujours cette lumière qui surgit du fond de la toile, ou du fond de la page du dessin. On peut dire que la simplicité du trait va lui permettre de travailler ce rapport à la lumière qu’il va poursuivre à travers la peinture.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w678c16-9/1710969110_destaeletudedepaysageitaliedessinesurlemotif1953stylofeutresurpapier322x262cmcollectionparticuliere.jpg" /></p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w678c16-9/1710969062_destaelsiciliedessinesurlemotif1953stylofeutresurpapier322x262collectionparticuliere.jpg" /></p> <h4>Lors d’un voyage en Italie réalisé en août 1953 avec sa famille, et deux amies, dont Jeanne Polge, de Staël ne peint pas, il dessine. A son retour, ces croquis formeront la base des paysages d’Agrigente et Syracuse réalisés avec des aplats de teintes éclatantes.</h4> <h4 style="text-align: center;"><em>Nicolas de Staël, Sicile, dessiné sur le motif, 1953, Stylo-feutre sur papier, 32,2 x 26,2, collection particulière</em></h4> <p><strong>Peut-être que je me trompe, mais je n’ai trouvé aucune ombre dans ses tableaux.</strong></p> <p>Si on prend <em>Les Poissons</em>, 1955, comme exemple, il y a des tâches noires qui pourraient être des ombres. Mais, c’est vrai, s’il y a ombre, elle prend une forme qu’on ne reconnait pas; elle devient un écho, un ricochet à l’objet, elle ne sert pas à l’inscrire par rapport à une position. J’ai l’impression qu’il avait une façon de poser les objets d’une façon finalement assez métaphysique: il transpose notre réel dans un espace pictural, il réussit à faire exister ces formes <em>dans le monde de la peinture.</em></p> <p><strong>Il mesurait 1m97 et pourtant il travaillait sans chevalet.</strong></p> <p>Oui, il était toujours replié, accroupi, pour peindre ses toiles au sol. C’est très particulier et c’est une réflexion qu’on peut avoir sur son rapport à la toile et même au réel. Il y a un lien en permanence au sol. Il avait d’ailleurs toujours très mal au dos.</p> <p><strong>Les photos réalisées par Denise Colomb en 1954, devenues iconiques, nous laissent avec l’image d’un homme élégant, presque détaché.</strong></p> <p>Cela peut surprendre, mais il avait en réalité une personnalité rayonnante et très joyeuse. C’est pour cela d’ailleurs qu’on ne peut pas parler d’un peintre désespéré. C’était quelqu’un de très enthousiaste qui parlait tout le temps de joie, y compris dans sa correspondance. S’il rencontrait des moments de remise en question, la peinture l’entrainait vers la grande énergie qu’il recherchait, qu’il percevait et dont il a su nous rendre compte. Les spectateurs le sentent très bien aujourd’hui encore.</p> <p><strong>Comment se comportait-il avec son entourage?</strong></p> <p>Il y avait beaucoup de bonheur dans son couple avec Françoise <em>(Ndlr: de Staël épousa Françoise Chapouton en 1946 après le décès de Jeannine Guillou, et avec laquelle il eut trois autres enfants)</em>, des déjeuners passionnants, des sujets toujours essentiels, enflammés, donc je pense que ça crée une vie extraordinairement dense et enlevée pour ceux qui vivent dedans.</p> <p>En même temps, il pouvait être très colérique, voulant les choses telles qu’il les concevait au moment-même, et s’il y avait de la résistance, il le supportait mal. Comme l’explique ma mère, Anne de Staël, il était toujours en effraction, il forçait les choses. Ça, c’est un trait de caractère qui peut rendre les choses difficiles pour l’entourage.</p> <p><strong>Ce qui frappe dans sa correspondance, c’est combien il se préoccupait des autres.</strong></p> <p>Il avait une grande tendresse pour s’adresser à la mère de Françoise et à sa grand-mère; en fait, il les adoptait, pour sans doute se faire adopter lui-même, en tant qu’orphelin… Il était absolument charmant. Tout le monde l’aimait beaucoup. Il n’était pas du tout le genre d’artiste à qui on ne pouvait pas s’adresser, qui restait dans son mutisme. Il donnait énormément à tous ceux qui l’entouraient.</p> <p><strong>N’a-t-il jamais eu un sentiment d’échec pendant ses années de misère?</strong></p> <p>Jamais, il était comme tiré par la direction dans laquelle il allait. Le déroulement était très logique. Même dans le dénuement le plus total pendant la guerre, il n’en a jamais dévié.</p> <p><strong>Ressentez-vous sa présence dans sa peinture?</strong></p> <p>C’est curieux comme question, mais il est vrai que l’on peut avoir l’impression d’être en sa présence devant ses tableaux. Sans doute est-ce l’effet d’une émotion indéfinissable face à un élan artistique qui ne ressemble à aucun autre.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w678c16-9/1710969451_destaelpaysageavecfiguresdetail1952huilesurcarton12x22cm.jpg" /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Nicolas de Staël, "Paysage avec figures" (détail) 1952, huile sur carton, 12 x 22 cm</em></h4> <p><strong>Aidez-nous à comprendre ce qui a mené à son suicide. 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Peut-on parler d’un acte désespéré?</p> <p><strong>Il écrivait dans sa note d’adieu à son marchand, Jacques Dubourg, le jour de sa mort, le 16 mars 1955, qu’il n’avait plus la force de parachever ses tableaux.</strong></p> <p>Contrairement aux peintres qui ne nous donnent pas les mots pour comprendre, Nicolas de Staël s’est exprimé jusqu’au bout.</p> <p><strong>De Staël est-il resté plus intemporel que les autres? </strong></p> <p>C’est vrai, de Staël a cette chose étonnante, c’est qu’il reste éternellement jeune. Il est d’ailleurs mort jeune et c’est comme si sa jeunesse était restée imprimée dans sa peinture. 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Eternel exilé de sa Russie natale, issu de l’aristocratie militaire qui a fui la révolution en 1917, orphelin à sept ans, de Staël a mené une vie d’une frénésie extrême avec comme seule boussole son besoin de créer.</p> <p>«C’est notre James Dean à nous», avance Pierre Wat, commissaire avec Charlotte Barat-Mabille des expositions de Staël au Musée d’art moderne de Paris et la Fondation de l’Hermitage.</p> <p>D’une beauté sauvage, photogénique, immense avec son 1m97, le mythe de Staël a dévoré l’homme. «L’enjeu était de ramener le regard sur sa peinture».</p> <p>Si la récente exposition de Paris se prêtait à la vénération d’un artiste que le public a toujours aimé, celle de Lausanne nous rapproche de l’intimité de l’homme, aidée par le charme de l’Hermitage.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1709151058_stael_parcdesprinces_1952scaled.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Le 10 avril 1952, de Staël et sa femme Françoise assistent au premier match de foot éclairé en nocturne au Parc des Princes. «Entre ciel et terre, sur l’herbe rouge ou bleue une tonne de muscles voltige en plein oubli de soi avec toute la présence que cela requiert en toute invraisemblance. Quelle Joie! René, quelle joie!» Lettre à René Char. Plusieurs tableaux sont nés du choc ressenti et marquent le retour du peintre à la peinture figurative après une période d'abstraction de plusieurs années. </em></h4> <h4 style="text-align: center;">Nicolas de Staël, "Parc des Princes", 1952. Huile sur toile, 200 × 350 cm. Collection particulière. Photo Christie’s © 2023, ProLitteris, Zurich</h4> <p>«Ce n’est pas une adaptation, mais une réinvention», précise Wat. Le nombre des œuvres présentées en Suisse a été réduit de 200 à 105, dont 67 qui sortent de collections privées pour la première fois, une rareté. De petites compositions prises sur le vif, à peine plus grandes qu’une feuille de papier, veillent sur d’immenses réalisations, telles que les célèbres <em>Le Parc des Princes</em> et <em>Nu couché bleu</em>.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1709151113_stael_lelavandou_1952scaled.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>En mai 1952, de Staël voyage dans le sud de la France. «La lumière est tout simplement fulgurante ici, bien plus que je m’en souvenais. Je vous ferai des choses de mer, de plage, en menant l’éclat jusqu’au bout si tout va bien, et des choses d’ombres nocturnes». Lettre à son marchand, Jacques Dubourg, Le Lavandou, 31 mai 1952.</em></h4> <h4 style="text-align: center;">Nicolas de Staël, "Le Lavandou", 1952. Huile sur carton, 12 × 22 cm. Collection particulière. Photo Jean-Louis Losi © 2023, ProLitteris, Zurich</h4> <p>L’harmonie de l’accrochage ne laisse pas percevoir l’urgence insensée d’un artiste qui a produit 90% de ses 1'100 tableaux et autant de dessins en dix ans, dont un quart vers la fin de sa vie. Au lieu de cela, nous entrons, comme par invitation, dans une apaisante sensorialité.</p> <p>«Ce sont des tableaux qu’il faut voir en vrai <em>car ils échappent à la photo</em>. Il y a chez de Staël une immense qualité de surface qui peut devenir sèche, grasse, ou charnelle. Il n’est pas dans l’image, il est dans la couleur, il anime la matière», rappelle le commissaire.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1709151640_stael_agrigente_19541scaled.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>La série de tableaux «Agrigente» réalisée à partir de croquis fulgurants de simplicité ramenés d’un voyage en Sicile en août 1953 marquera une rupture dans sa peinture et dans sa vie: il quitte sa famille pour vivre une histoire d’amour impossible, s’enfonce dans la solitude, peint sans cesse, rencontre le succès et voyage souvent à l’occasion de ses nombreuses expositions.</em><em></em></h4> <h4 style="text-align: center;">Nicolas de Staël, "Agrigente", 1954. Huile sur toile, 73 × 92 cm. Collection particulière. Photo Jean-Louis Losi © 2023, ProLitteris, Zurich</h4> <p>Sans jamais se répéter, Nicolas de Staël est resté un homme libre. Il n’était pas attaché à ses œuvres – qu’il laissait partir comme un passé déjà oublié – comme si le seul fait de les avoir réalisées lui suffisait. Ses innombrables lettres, d’une qualité d’écrivain, sont celles d’un être fébrile, exigeant, loyal, amoureux, insupportable, mais généreux, se préoccupant des autres et, paradoxalement, ne se comportant jamais en héros. Il se lit comme un livre ouvert.</p> <p>«C’est la plus belle exposition consacrée à Nicolas de Staël que j’aie jamais vue» déclarait l’artiste Elena Prentice, à Lausanne. Accompagnée de son époux, Gustave de Staël, le dernier enfant du peintre (qu’il n’a pas eu le temps de connaître), elle suit le travail du peintre depuis les années soixante quand elle le découvrait aux Etats Unis, pays dont elle est originaire. «A la Fondation de l’Hermitage, les tableaux respirent». </p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1709151778_stael_lesmouettes_1955scaled.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Dans un atelier loué sur les remparts d’Antibes, de Staël passera ses derniers mois à peindre comme un fou, seul, face à la mer. «Je deviens un cyclone en peinture», écrit-il en mai 54 à Jeanne Polge, la femme qui refusera son amour.</em></h4> <h4 style="text-align: center;">Nicolas de Staël, "Les Mouettes", 1955. Huile sur toile, 195 × 130 cm. Collection particulière. Photo Thomas Hennocque © 2023, ProLitteris, Zurich</h4> <p>Seule critique, le superbe catalogue de l’exposition termine avec une analyse du déclin de la reconnaissance du peintre dès son retour à la figuration au début des années cinquante – après son passage par l’abstraction – et face à l’émergence de l’Expressionisme américain (Pollock, Rothko, Rauschenberg…), comme si le monde de l’art pouvait lui dicter ce qu’il devait devenir. Peut-on encore imaginer un peintre plus proche de sa propre vérité sans l’interférence de chapelles artistiques? De Staël est resté fidèle à lui-même, restant libre à jamais.</p> <p>«<span>L’homme était désespéré, </span>mais l’artiste est resté jusqu’à la fin face à la beauté», observe Pierre Wat.</p> <p>L’échec d’une histoire d’amour a trop longtemps alimenté la légende romanesque du suicide de l’artiste. 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Réalisée au moyen de caméras multispectrales et de capteurs ultrasoniques, le film d’une durée de 74 minutes donne à voir des images et à entendre des sons qui sont en dehors de nos champs de perception.</p> <h3>Photo / Art</h3> <p>«Je cherche les lignes de faille de la photographie documentaire pour trouver de nouvelles façons de raconter des histoires», expliquait Mosse lors du vernissage. Il estime que l’art permet aux images de durer, contrairement à un reportage trop vite éteint quand il devient insupportable.</p> <blockquote> <p><em>«Je fais appel à l’art pour donner de la puissance aux images, car la beauté est un outil efficace, elle dépasse l’horreur et devient une arme contre l’indifférence».</em><em></em></p> <p><em><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1704798071_richard_mosse_capture_tiree_de_broken_spectre_rondonia_sig_aerien_multispectral_richard_mosse.2.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></em></p> <h4><em>Les terres de la forêt sont dégagées par des incendies sauvages, dont celles pour faire place aux cultures intensives, essentiellement de soja. Près de 20% de la surface de la forêt amazonienne est déjà scalpée. 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Des scènes effroyables – tournées en noir et blanc analogique pour son effet velouté – d’abattage d’arbres centenaires, de bêtes issues d’élevages ultra-intensifs, de mercure utilisé pour l’extraction d’or versée dans les cours d’eau, d’incendies provoqués au pétrole pour dégager les sols, sont entrecoupées d’images technicolor et de sons magnifiées du lit de la forêt, de tapis à l’infini de la canopée captée à l’infrarouge (où la chlorophylle se traduit par des teintes de rouge et rose vifs), autant de chefs-d’œuvre de la nature invisibles à l’œil nu – et de tableaux abstraits.</p> <blockquote> <p><em>La clé est dans le montage, précise Mosse, «passer d’une dimension à l’autre pour créer une dissonance visuelle, c’est là où la magie opère.»</em><em></em></p> <p><em><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1704798162_richard_mosse_vue_exposition_de_broken_spectre_national_gallery_of_victoria_tom_ross.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></em></p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705486767_richardmossebrokenspectrevuedexposition.bw.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4><em>Les scènes qui illustrent les ravages perpétrés par l’homme sont filmées en noir et blanc.</em></h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1704798223_richard_mosse_vue_exposition_de_broken_spectre_national_gallery_of_victoria_tom_ross.2.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705486865_richardmossebrokenspectrevuedexposition.couleur.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4><em>Les scènes qui documentent l’état de la forêt amazonienne sont filmées avec des caméras multispectrales qui permettent d'enregistrer en une seule prise de vue plusieurs longueurs d'onde du spectre lumineux et ensuite de choisir quelles couleurs rendre visibles pour révéler les détails. Cette technique est au cœur de la pratique de Richard Mosse.</em></h4> </blockquote> <p>Le titre «Broken Spectre» (Spectre brisé) s’inspire du spectre de Brocken, ce phénomène rare quand l’ombre d’un sujet proche est projetée au loin sur un nuage et parfois auréolée d’un halo arc-en-ciel.</p> <p>Pour autant, les observations visuelles de Richard Mosse restent empreintes d’humanité. Le degré d’intimité établi avec les prédateurs de la déforestation pris sur le vif peut surprendre. Depuis 1972, l’année de la construction de la voie transamazonienne, la surface de la forêt a diminué de près d’un quart. Le point de bascule, au-delà duquel la forêt ne pourra plus se regénérer et servir d’absorbeur de CO<sub>2</sub> de la planète sera bientôt atteint. 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Le lendemain d’une fusillade par des <em>garimpeiros</em> (chercheurs d’or) contre une communauté indigène de Yanomamis qui avait empêché la livraison et brûlé l’essence nécessaire à leur campement, Mosse et son équipe arrivaient sur place et tombaient sur Adneia.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705487011_richardmossecapturetireedebrokenspectreroraimasigaerienmultispectralrichardmosse.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4><em>La rivière Uraricoera dans l’état de Rondônia, berceau de la communauté Yanomami, est au cœur de la ruée pour l’or cautionnée du temps de Bolsonaro et combattue par Lula.</em></h4> <p>Pendant de longues minutes ininterrompues (à part pour le changement de pellicules par Tweeten pris au dépourvu et en manque de stock), la jeune <em>mater dolorosa</em> livre une diatribe cinglante. «Bolsonaro, cette terre n’est pas la tienne, ce n’est pas toi qui a mis la rivière là. Espèce de parasite, reprends toute ta saleté. Tu nous fais souffrir. Envoie-nous l’armée pour nous protéger des envahisseurs, nous voulons que nos enfants dorment la nuit.» Malaria, diarrhée, le mercure qui pollue l’eau, les Yanomamis n’ont même plus de centre médical. La mortalité enfantine est élevée.</p> <p>Puis, le regard droit dans l’objectif, elle s’adresse à nous: «Vous les blancs, ouvrez les yeux, ouvrez vos cerveaux. Nos enfants souffrent, ça fend le cœur!» La caméra continue de tourner autour d’elle pendant qu’elle se ressaisit dans la douleur. La scène est bouleversante.</p> <p>Mosse admet que «Broken Spectre» est son premier film activiste. Il n’a pas la certitude d’un lien de cause à effet, mais quand John Kerry, l’envoyé spécial des Etats-Unis pour le climat de l’administration Biden, a rencontré Luiz Inácio Lula da Silva le président brésilien fraîchement élu, il a demandé à recevoir le lien du film de Mosse qu’il venait de découvrir à Londres (le film a été présenté en Angleterre, Australie et les EU). Très peu de temps après, l’armée brésilienne est intervenue pour empêcher l’activité des <em>garimpeiros</em> dans la région.</p> <p>«C’est précisément ce que demandait Adneia! Cela démontre le pouvoir de l’art», dit Mosse, enthousiaste.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705487284_richardmosselausannenovembre2023.jpg" class="img-responsive img-fluid center " width="461" height="412" /></p> <blockquote> <h4><em>Richard Mosse, Lausanne, novembre 2023.</em></h4> </blockquote> <p>Issu d’une famille Quaker irlandaise et pacifiste, Mosse, la quarantaine juvénile, vit à présent à New York. Il qualifie ce film difficile, filmé sur 3 ans de 2019 à 2022, par épisodes de six à huit semaines, son «chemin de croix». </p> <blockquote> <p><em>«La déforestation se produit en direct. 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