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Culture / Il était une fois des passionnés de la Prohibition

Jonas Follonier

25 décembre 2018

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Ils sont cinq jeunes hommes et femmes. Eparpillés en Suisse et dans la France voisine, ces hurluberlus ont en commun la passion de la reconstitution historique. Et plus particulièrement de l’esthétique des années 1920-1930, du temps de la Prohibition américaine. Ce qui a donné lieu à un shooting habilement mené par le photographe et ancien journaliste Yves Lassueur. Il fallait en savoir plus en allant les rencontrer.



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Une petite maison située dans la vieille ville de Monthey, en Valais. Quelques mètres à marcher en montée et voilà que j’arrive à destination. J’y ai rendez-vous avec Thomas Escher, l’une des cinq personnes à avoir posé pour Il était une fois Chicago, le shooting d’Yves Lassueur mettant en scène la période américaine de la Prohibition. Le jeune homme m’accueille avec un franc sourire et me mets tout de suite à l’aise. Sa petite-amie, alsacienne, nous accompagne. Nous commençons à discuter de tout et de rien. Léonard Widmer, un autre gangster imaginaire de ce drôle de «club des cinq», nous rejoint un peu plus tard. L’interview peut alors débuter, dans une ambiance décontractée, mais sérieuse.


Vous deux faites partie d’une clique de cinq passionnés issus de différentes villes. Comment vous êtes-vous rencontrés?

Thomas Escher: Personnellement, j’ai commencé dans le reconstitution militaire de la Seconde Guerre mondiale avant de passer à quelque chose de civil. Je faisais partie d’une association basée en France, à Livron-sur-Drôme. Dans ce cadre, je me suis rendu à une manifestation à Uffheim, en Alsace. C’est là-bas que j’ai rencontré Léonard, ici présent, qui habite à cinq minutes du lieu en question. Après avoir appris à se connaître, on a développé parallèlement et simultanément un intérêt pour le civil.

Ce monde de la reconstitution, ça paraît dément. Etes-vous des marginaux, ou y a-t-il plus de personnes que l’on pense qui s’adonnent à cette activité?

T. E.: C’est difficile à dire. Quand on est dans ce cercle, on a l’impression qu’il y a énormément de personnes.

Léonard Widmer: Il y a un certain nombre de gens qui seraient intéressés à vivre l’histoire comme nous le faisons mais je ne pense que tous ceux-ci ne savent pas forcément que la reconstitution historique, ça existe. Personnellement, comme je suis quelqu’un qui souhaite vivre ses passions, c’était sûr que j’allais le faire. Mais je pense qu’avec davantage d’informations, beaucoup plus de personnes participeraient à ce genre d’aventures.

Comment êtes-vous entrés dans ce monde? Est-ce que c’est une histoire de familles, un hasard de la vie, une démarche personnelle?

L. W.: Pour ma part, j’ai toujours nagé dans ce qu’on pourrait appeler «l’ancienneté». Comme mes parents chinent souvent en brocante, j’ai été baigné depuis tout petit dans les objets historiques, les vieux meubles, les vêtements de l’époque, les jouets du XIXe siècle, etc. Tout ça m’est resté. En plus, j’adore le monde du spectacle, de la représentation. La reconstitution m’a donc évidemment plu, étant donné qu’elle marie ces deux univers.

T. E.: En ce qui me concerne, mes parents ne comprennent pas du tout pourquoi je fais ça. De même que mon entourage. Pour moi, c’est simplement parti d’une passion de l’histoire. J’ai commencé tout petit par la collection de fossiles et de minéraux. Après, je suis parti dans la Seconde Guerre mondiale, et ce qui m’a plu dans le civil, c’est tout un univers relevant d’une élégance, d’une mentalité et d’un respect des choses qu’on ne retrouve plus maintenant.

L. W.: C’est Thomas qui m’a initié à l’univers civil des années 30. Au départ, je voulais m’intéresser aux années 40 mais j’ai découvert que ce qu’il y a juste avant, des années 10 aux années 30, est mille fois plus passionnant. Ce sont des années civiles que j’aime beaucoup et que je regrette.

A vous écouter, il y a presque quelque chose de l’admiration voire de la nostalgie de cette époque. C’est donc plus que de la reconstitution?

L. W.: Oui, totalement. Quand je suis venu en train avant depuis l’Alsace, dès que reconnaissais sur des bâtiments de la région de Lausanne une architecture des années 20 ou 30, je me disais: «magnifique»…

Léonard Widmer © Yves Lassueur, Il était une fois Chicago

L’architecture fait donc partie de ce qui vous passionne durant ces années-là. Quels autres éléments?

L. W. : Les vêtements, les voitures, les bijoux…

T. E. : … l’art aussi! C’était une période plus créative que maintenant. Bien sûr, pas besoin d’aller jusque dans les années 30 pour trouver un monde très différent de maintenant; comme toute passion, il y a quelque chose d’irrationnel, on ne peut pas tellement l’expliquer.

Ce qui a frappé le photographe Yves Lassueur, c’est votre souci du détail. Etes-vous le genre de types à vous énerver quand il y a de légères erreurs historiques dans un film mettant en scène la Prohibition par exemple?

T. E. : Oui, voilà (rires). Je dois dire que d’une manière générale, le peu d’œuvres que j’ai vues où il est question de la Prohibition respectent très bien les codes de l’époque. Mais si je regarde un film où il y a des détails flagrants, je vais me fixer là-dessus. Je ne sais pas si c’est le souci du détail suisse ou si c’est juste dû à mon caractère. Dans la vie de tous les jours, je m’attache aux détails et j’aime bien que les choses soient bien faites. Je préfère payer quelque chose de cher plutôt que d’acquérir quelque chose de bon marché mais de moins bonne qualité.

Thomas Escher © Yves Lassueur, Il était une fois Chicago

Comment avez-vous connu Yves Lassueur?

T. E.: Yves s’était intéressé de prêt à une ancienne demeure de la Broye laissée à l’abandon et décorée de peintures du XVIIIe siècle dans laquelle il avait pu pénétrer et prendre des photos, que le journal 24 heures a reproduites dans un article sur l’urbex paru récemment. Suite à la publication de ce papier, j’ai contacté le photographe pour en savoir plus sur la bâtisse. J’ai profité de lui signaler que je faisais partie d’une petite équipe de jeunes désireux de participer à des tournages et passionnés notamment par la période américaine de la Prohibition.

Suite à son idée de mettre en scène des «gangsters de Chicago», Yves vous a ensuite sollicité, Thomas, pour savoir si votre équipe était intéressée à participer au shooting. Qu’est-ce qui vous a convaincu?

T. E.: J’ai été séduit par les clignotants de la voiture que Yves a réussi à dénicher. Sans doute mon souci du détail dont nous venons de parler. Personnellement, je n’avais jamais trouvé une voiture qui avait les vrais clignotants de l’époque en question. Le décor qu’il nous a proposé, une fabrique désaffectée à Moudon, nous a aussi plu. Et puis, j’ai ressenti qu’Yves avait le souci du détail. On y revient toujours.

Mise en situation d’une prise d’otage © Yves Lassueur, Il était une fois Chicago

Dans ces photos, le mouvement est très présent. Le rendu de la prise d’otage, par exemple, est particulièrement réussi. On s’y croirait. Faire des tournages, est-ce aussi quelque chose qui vous attire?

T. E.: Complètement. Nous avons déjà tourné quelques scénettes pour RMC Découverte, dans le rôle de flics. J’ai personnellement été coupé en montage, mais Léonard, dans le rôle du commissaire, a eu la chance d’être souvent présent à l’écran. J’ai aussi endossé le rôle d’un soldat allemand pour Winter War, un film français. Des tournages futurs sont également au programme, à Belfort notamment. Mon rêve personnel est de tourner un court métrage qui mette en scène la vie quotidienne des gens de l’époque.


C’est ensuite lors d’un repas auquel participèrent d’autres convives, dont Yves Lassueur lui-même, que j’ai appris à encore mieux connaître ces deux êtres fort intéressants, qui m’avaient déjà appris beaucoup de choses sur un monde que j’ignorais de bout en bout. Leur démarche s’est même avérée émouvante quand j’ai compris que la reconstitution historique leur permettait de s’échapper de la grisaille du quotidien. Une façon inactuelle de remplir son présent. Et de rêver.

La preuve que leur passion n’est pas l’apanage de quelques originaux, une soirée années 30 s’est tenue ce soir-là à Monthey. Tandis que l’équipe réarrangée d’Il était une fois Chicago s’y est rendue, je suis rentré chez moi (il eût fallu être habillé en tenue d’époque pour les accompagner) en visionnant un western que j’apprécie particulièrement et qui, même si Thomas et Léonard m’ont dit ne l’avoir jamais vu, fait écho à leur shooting Prohibition tant par le contenu du film que par son titre: Il était une fois en Amérique, l’œuvre testamentaire du grand Sergio Leone.

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