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Chronique

Chronique / Prudence ou méfiance? Telle est la question…


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La plume qui caresse ou qui pique sans tabou, c’est celle d’Isabelle Falconnier, qui s’intéresse à tout ce qui vous intéresse. La vie, l’amour, la mort, les people, le menu de ce soir.



J’ai assisté à ma première altercation Covid-19: dans le bus, deux femmes se sont retrouvées côte à côte, debout, devant les portes, leurs épaules se frôlant presque. L’une se met à tancer l’autre, «Arrêtez de vous coller à moi!» Et l’autre de lui répondre, «Vous n’avez qu’à mettre un masque!» Aucune des deux ne faisant mine d’abdiquer, il a fallu attendre l’arrêt suivant pour que toutes deux sortent du bus comme des furies et partent en grommelant chacune de leur côté.

Nous avons été prudents, restant chez nous semi-confinés durant de longues semaines, télé-travaillant, télé-étudiant, télé-draguant, nous promenant seuls dans les bois. Nous voilà méfiants. Très méfiants.

La carte du menu au restaurant? Méfiance! La voilà désormais plastifiée et désinfectée dès que tu as choisis ta pizza. Les livres de la bibliothèque? Méfiance! Les voilà mis en quarantaine durant 72 heures lorsque tu les ramènes, de peur que tu aies léché ton doigt pour tourner les pages. Les journaux du jour au café? Méfiance! Interdits, bannis, ces objets collectifs feuilletés par tous les clients. Les robes et pantalons que tu essaies au magasin avant de les reposer parce que tu n’entres plus dedans? Méfiance! Ils attendront deux jours avant d’être remis en rayon. Le tapis de course du fitness? Méfiance! Ta transpiration est suspecte!

Nous pensions reprendre une vie normale, ou presque, le 11 mai. Tout a l’air normal, d’ailleurs. Nous retrouvons nos lieux habituels: le bureau, la cafétéria du bureau, le bus, le train, la gare, le café du quartier, la boutique de fringues, le fitness, notre pizzeria préférée. Tout a l’air normal, mais plus rien ne l’est. Les gestes les plus simples, les objets les plus banals, sont à reconsidérer. Pour le naturel, vous repasserez. Mais il y a plus grave: nous avons été prudents, nous voilà méfiants. La prudence est une vertu mais la méfiance fait régner la peur, et la peur est toujours mauvaise conseillère.

La preuve par les masques. Pendant des semaines, nos autorités et experts ont expliqué que le masque n’était réellement utile qu’aux personnes malades souhaitant éviter de transmettre le virus. Désormais, le port du masque est «recommandé» pour «tous». Ce qui nous met dans une double incertitude: le porter, ou non? Et ceux qui le portent, sont-ils malades ou se protègent-ils des malades? Ainsi, entre ceux qui se méfient des porteurs de masques, potentiellement malades, et ceux qui se méfient des non-porteurs de masques, inconscients et indisciplinés à leurs yeux, tout le monde se méfie de tout le monde.

Etre prudent, c’est régler sa conduite de manière à éviter de se mettre en danger.

Se méfier, c’est estimer d’office que l’autre, ou le monde, va me nuire, dans une absence totale, par principe, de confiance. Vous êtes prudent en vous approchant d’un chien ou d’un feu? Vous avancez, doucement mais vous avancez. Vous êtes méfiant? Vous reculez devant le chien ou le feu.

La prudence nous garde en vie et nous permet d’avoir plaisir à nous retrouver et reconstruire ensemble. La méfiance nous garde en vie mais transforme le monde en un lieu hostile et inamical.

Choisis ton camp, camarade.

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