Actuel / Le problème avec les grosses
Doit-on se réjouir que les grosses soient grosses? Doit-on déplorer que les grosses soient grosses? “Les Trois Grâces“, Pierre Paul Rubens, c. 1635 (détail) © Museo del Prado
D'un côté, les voix du «body positive» s'insurgent contre la dictature de la minceur. De l'autre, médecins et OMS alertent sur la gravité de l'épidémie mondiale d'obésité, porteuse de son lot de maladies cardio-vasculaires, de cancers et de diabète. Et au milieu, les ni grosses, ni minces, qui regardent passer les balles... Oui, nous avons un problème avec les grosses.
D’un côté, des chanteuses, actrices ou influenceuses du monde entier, comme la chanteuse Lizzo, l’actrice Melissa McCarthy, la Youtubeuse française Juliette Katz, la blogueuse mode Gaëlle Prudencio ou Gabrielle Deydier, auteure du livre On ne naît pas grosse, proclament fièrement «Big is beautiful». Porte-voix d’un mouvement «body positive» qui entraine tout sur son passage, elles pointent du doigt la dictature délétère de la «diet culture» qui fait rimer bonheur avec minceur et épinglent sans relâche tout signe de grossophobie dans les médias, sur les réseaux sociaux, à la télévision ou dans les discours politiques. Même la simple expression «être en surpoids» les irrite au plus haut point, puisqu’elle implique qu’il y aurait un poids «normal» et un poids «anormal», donc stigmatisant. Dernière victime en date: l’animatrice Karine Lemarchand qui, croyant rendre service aux grosses en leur offrant une opération bariatrique de réduction de l’estomac gratuite dans une émission de téléréalité intitulée «Opération Renaissance», s’est retrouvée vouée aux gémonies par la communauté même qu’elle pensait soutenir.
De l’autre côté, d’autres femmes, tout aussi grosses, mais qui n’y voient rien de positif, passent leur temps à vouloir maigrir. Des obèses en grande détresse déplorent qu’en Suisse, leur maladie ne soit toujours pas prise en charge par les assurances maladie. Des rapports de l’OFSP chiffrent en milliards de francs le prix payé au surpoids et à l’obésité rien que dans notre pays. L’Organisation Mondiale de la Santé alerte sur une épidémie mondiale d’obésité, qu’elle considère officiellement depuis 1997 comme une «maladie chronique» résultant de multiples facteurs et pouvant entrainer des «complications»: diabète, maladies cardiovasculaires, maladies hépatiques ou rénales, problèmes articulaires, cancers. Les médecins dénoncent une sous-médicalisation de l'obésité, de nombreuses personnes en surpoids ou obèses n'osant pas parler de leurs problèmes dans une société qui valorise la minceur jusqu’à l’obsession.
Alors, doit-on se réjouir que les grosses soient grosses? Doit-on déplorer que les grosses soient grosses? Doit-on célébrer ou s’inquiéter? Etre grosse, au final, est-ce bien — version body positive — ou mal — version médicale et OMS?
Nous qui souhaitons bien faire, ne savons pas comment ni parler des grosses, ni leur parler.
Nous nous trouvons pris au cœur de ce que les psys appellent deux injonctions paradoxales, soit deux affirmations, ou demandes, qui se contredisent. Exemples faciles: «Soyez spontané!» ou «Ne lisez pas cette phrase!».
C’est un vrai sujet. En 2019, le mot grossophobie, qui désigne les «comportements stigmatisants et discriminants envers celles et ceux qui sont obèses ou en surpoids», a fait son entrée dans le dictionnaire. Tout comme les gender studies ont fait leur entrée dans la recherche et l’enseignement universitaire depuis les années 1980, les fat studies, qui étudient de manière interdisciplinaire la discrimination basée sur le poids dans les sociétés occidentales, sont désormais au programme des universités anglo-saxonnes. Depuis 2020, l’obésité a sa Journée mondiale unifiée contre l'obésité, le 4 mars. But: faire évoluer la vision du public en luttant contre les idées reçues. Mais quelles idées reçues? Qu’être grosse, c’est bien et ça rend heureuse? Ou qu’être grosse, c’est mal et ça rend malheureuse? Lorsqu’au travail, ou chez des amis, ou dans un groupe de parole, nous nous trouvons en compagnie d’une personne obèse, doit-on la féliciter pour sa bonne mine ou l’encourager dans son combat contre la maladie? Comment se comporter «normalement» puisque justement, le «normal» change de définition suivant le camp, que l’on soit «body positive» ou médecin à l’OMS? Si chacune est libre de définir la «norme» qui convient à son épanouissement personnel, pourquoi notre société ne parle-t-elle que de cela — l’apparence, le poids — et pourquoi les troubles des conduites alimentaires explosent-ils dans le monde entier?
Nous qui ne sommes ni maigres, ni obèses, mais banalement banales, regardons passer les balles. Nous aimions nous penser les héritiers du slogan cartésien «Je pense, donc je suis». Désormais, nous vivons sous la devise «Je mange, donc je suis.»
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Dans ma vie, aux toilettes: je me suis changée, je me suis maquillée, j’ai brossé mes dents, j’ai pleuré de chagrin, j’ai vomi, j’ai révisé, j’ai sorti ma feuille de triche, j’ai tenu des conseils de guerre avec des amies, j’ai débriefé au téléphone des rancarts en cours, j’ai consolé d’autres amies, j’ai fumé en cachette, j’ai quémandé des tampons hygiéniques, j’ai embrassé des garçons qui ne devaient pas être là, j’ai attendu que le temps passe, je me suis cachée.</p> <h3>«Laissez-nous ces lieux dénués de testostérone, de pipis sur la lunette, de drague hétéro lourde»</h3> <p>Des toilettes de filles, pour une fille, c’est un lieu où, imperceptiblement, inconsciemment, on se relâche, on baisse la garde, un pseudo-gynécée intermédiaire entre l’intimité et le monde extérieur. 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Il faudrait lui dire merci parce que grâce à lui et à son journal, <em>La Liberté</em>, on peut savoir ce que pense Paul Clément de Fribourg et tous les autres Paul Clément du monde.</p> <p>Je suis abonnée à plusieurs lettres d’information qui ne reflètent pas ma vision du monde. Je lis des publications émanant de milieux dont je ne partage pas les opinions. Je lis des livres qui ne me plaisent pas mais dont je sais qu’ils plaisent à d’autres, à beaucoup d’autres. Je lis les lettres de lecteurs et lectrices des journaux d’ici et d’ailleurs parce qu’elles me donnent l’occasion de savoir ce que pensent non seulement les journalistes mais également leur lectorat, mes semblables, mes frères.</p> <h3>Savoir comment pense son voisin</h3> <p>Je considère que connaître l’Autre est la base de toute vie en société. 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Sans le vouloir, tout fiérot de sa prose printanière guillerette et coquine, les sens en émoi après quelques rayons de soleil, héritier d’une culture de lubricité machiste la plupart du temps inoffensive mais très agaçante, Paul Clément s’est retrouvé exposé d’une manière qu’il n’imaginait pas. Que sa lettre de lecteur mérite ou pas le torrent de haine qu’elle suscite depuis sa publication lundi dans <em>La Liberté</em>, elle nous donne l’occasion d’exprimer à notre tour ce que nous pensons des gambettes des «nymphettes». Savoir ce que pense Paul Clément est utile. Cela nous apprend à réagir, à dire à nos filles de se méfier, et surtout nous permet de réaffirmer ce à quoi nous croyons. Encourageons la liberté de toutes les expressions, même celles qui nous déplaisent, pour mieux affuter les nôtres! Et, peut-être, si possible, convaincre.</p> <p>Car que voulons-nous? Voulons-nous couper le caquet à tous les Paul Clément du monde? Ne pas les entendre? Ou leur faire changer d’avis? Préférons-nous ne pas savoir que nous ne voyons pas tous et toutes le monde de la même manière ou changer le monde, le faire évoluer dans le sens que nous souhaitons?</p> <h3>Débattre plutôt qu'interdire </h3> <p>Je suis de la culture du débat. La pédagogie ne passe jamais par l’interdiction, ni par l’intimidation, bien au contraire. Interdisez à un homme ou à une femme d’exprimer une opinion, ou même de la penser en son for intérieur: il ou elle n’en sortira que renforcée dans cette opinion. Quelle erreur que de se priver de savoir ce que pense les gens, tous les gens, même ceux qui pensent mal selon nous! La liberté d’expression permet justement la confrontation des opinions. Si nous ne voulons pas entendre l’Autre, c’est que nous ne supportons pas la différence, fût-elle insupportable. Si nous voulons changer le monde, le rendre meilleur à nos yeux, il faut commencer par l’entendre, le comprendre pour ensuite le critiquer et l’amener, si possible, là où nous voulons. C’est long, cela demande patience, abnégation, humilité et tolérance, même pour l’intolérable. Vivre ensemble, ce n’est pas vivre l’un contre l’autre. Il ne s’agit pas de vaincre mais de convaincre. Paul Clément est symboliquement mort. Il a été ridiculisé, insulté, renié même par son cher journal <em>La Liberté</em> qui a exprimé ses «profonds regrets» pour avoir publié sa lettre − mais est-il convaincu? A-t-il compris pourquoi certaines de ces femmes qu’il semble tant apprécier se sont senties injuriées? Quelqu’un, quelqu’une lui a-t-il, lui a-t-elle parlé? 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
2 Commentaires
@SylT 04.04.2021 | 18h02
«Avez-vous réellement vu cette émission: "Karine Lemarchand qui, croyant rendre service aux grosses en leur offrant une opération bariatrique de réduction de l’estomac gratuite dans une émission de téléréalité" ? Je ne peux pas croire, qu'avec votre finesse d'analyse, vous n'ayez pas constaté le voyeurisme et l'exploitation du corps de ces femmes. Absolument rien n'est offert dans une telle émission qui ne soit payé par une dose d'humiliation publique des participants et participantes. Le dégoût fasciné des "ni grosses ni minces" par rapport aux corps obèses et les discriminations qui en résultent sont bien réels eux, à tel point que nombreuses sont celles qui préfèreraient avoir un cancer que d'être obèse. L'orthorexie si fréquente actuellement est aussi un trouble du comportement alimentaire.
Donc le problème c'est celui-là: "Nous qui souhaitons bien faire, ne savons pas comment ni parler des grosses, ni leur parler." Ce n'est donc pas le problème des grosses, mais plutôt celui de ceux ou celles qui craignent de projeter une image défavorable. Et si on leur fichait la paix plutôt que de croire devoir intervenir d'une manière ou d'une autre:?
Et n'oublions pas le paradoxe de la graisse: Plus de maladies, moins de morts ... basé sur une très large étude portant sur 2.9 millions de personnes:
Un surplus de poids, fût-il léger, augmente le risque de souffrir d'une longue liste de problèmes de santé. Or curieusement, il semble que l'embonpoint, ou même une obésité légère, diminue les taux de mortalité.
Risques de décès toutes causes et tous âges confondus par rapport au poids santé:
-----------------------------------------------------------------------------------------------
Maigreur (IMC 18 et moins): +30%
Poids santé (IMC 18-25): ---
Embonpoint (IMC 25-30): -6%
Obésité modérée Grade I (IMC 30-35): + 0%
Obésité sévère et morbide Grade II et III (IMC 35-40 et plus): +29%»
@HCC 07.04.2021 | 11h00
«Bonjour,
La seule fois que j'ai grossi, c'est quand je me trouvais à travailler dans une place où l'eau n'était pas bonne. Mais j'avais découvert que le thé que je faisais pour le petit déjeuner était buvable, donc je n'ai bu que du thé : chaud, puis froid, et quand c'était fini je refaisais une théière, probablement 3 ou 4 par jour (il faisait chaud).
A l'époque je prenais du sucre dans mon thé, et mes habits sont devenus trop petits, j'étais pataude, mal dans ma peau ...
J'ai réalisé que je mangeais beaucoup trop de sucre, J'ai diminué jusqu'à m'habituer à boire sans sucre, et mes habits sont redevenus normaux ...
L'industrie alimentaire met du sucre partout, les boissons sucrées en contiennent 10% (usine visitée, j'ai vu !), alors ???
A bon entendeur ...»