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Analyse


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Voilà, on ne les entend presque plus, les paysans. L’agitation semble finie. Est-ce parce que leurs revendications ont été entendues? Non, ce sont juste les contre-feux et les demi-mesures des appareils politiques et syndicaux qui ont montré leurs effets et ont réussi à calmer la grogne.



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De fait, plusieurs problèmes de notre système agroalimentaire restent sans réponse et devraient être débattus rapidement, sinon le répit de la révolte ne sera que momentané.

Les raisons de la colère

Le grand public entretien une vision faussée de la paysannerie, qui va d’images romantiques, à des images un tantinet méprisantes. Vu que les paysans dépendent de manière importante de paiements directs, certains les considèrent comme des sortes de fonctionnaires à leur service. Ainsi, si ces citadins pensent qu’il faut faire place au loup dans les montagnes au loin, les paysans n’ont qu’à s’exécuter. D’autres considèrent les paysans comme des paysagistes, ou pensent qu’ils sont carrément inutiles vu que la Suisse aurait les moyens d’acheter à l’étranger ce dont sa population a besoin. Ceux qui ne les connaissent pas peuvent avoir été surpris ou dérangés par les manifestations que les paysans ont organisées depuis le début de l’année.

Lorsqu’ils ont commencé à manifester ils ont simplement retourné des panneaux à l’entrée de villages, pour dire que le monde marche sur la tête. Plus tard ils se sont réunis autour de feux avec leurs tracteurs, et ont explicité leur appel, leur SOS. Au dire des organisateurs les manifestations avaient pour objectif de rompre l’isolement, demander une plus grande reconnaissance, et rassembler afin de souder une profession traditionnellement morcelée, ainsi qu’établir un dialogue avec la population. Il s’est donc agi d’un appel pour attirer l’attention sur une situation ressentie comme difficile. Ce n’était pas une plainte, ni une demande de moyens. Cet appel quelque peu vague laisse transparaître un malaise profond, que les revendications plus précises, transmises au Conseil fédéral et à quatre détaillants, ne capturent pas complètement, même si elles ont été soutenues par 65'000 signatures récoltées en seulement 15 jours. L’appel demande une réflexion d’ensemble pour une refonte du système. Outre la reconnaissance pour le travail et les efforts accomplis, notamment pour l’environnement, les revendications portent sur les revenus, et dénoncent le poids du travail administratif. 

Le système agroalimentaire suisse

De fait, même si les paysans ne représentent qu’environ 3% de la population active (soit environ 200'000 personnes), pour répondre à leurs inquiétudes il faut considérer le système agroalimentaire dans son ensemble. Le système suisse n’est pas très différent des autres systèmes agroalimentaires, par exemple européens. Dans ces systèmes aussi l’agriculture est très contrôlée par une réglementation serrée et des paiements nécessaires pour assurer la viabilité de la plupart des exploitations. Partout, le besoin d’avoir une approche de plus en plus soutenable en matière d'environnement est source de tensions. Malgré leur adhésion aux principes du libre marché, les pays exercent des contrôles aux douanes et pratiquent par exemple des tarifs préférentiels pour le gasoil agricole. Une caractéristique importante de notre système est le droit foncier rural, qui a jusqu’ici contribué à éviter une trop grande concentration des exploitations agricoles et à faire en sorte que les propriétaires des terres agricoles soient les agriculteurs eux-mêmes.

On peut dire que le système suisse fonctionne convenablement, tout en exerçant une grande pression sur les paysans. Le système est efficace: la production agricole indigène couvre près de la moitié de le demande intérieure. Ceci est remarquable dans la mesure où la population suisse n’est pas obligée de consommer des produits nationaux, qui sont souvent plus chers que les produits étrangers. Rappelons que même avec le Plan Wahlen lancé pendant la Deuxième Guerre mondiale le taux d’auto-ravitaillement n’a pas dépassé 60%. De plus, le système est efficient: depuis les années 1960, la productivité du travail agricole a beaucoup augmenté et même davantage que dans d’autres secteurs de l’économie. Ainsi par exemple de nos jours dans une ferme certifiée bio la traite d’une centaine de vaches ne nécessite presqu’aucune intervention humaine, vu qu’elle peut être assurée par un robot. 

Il y a pourtant un revers à cette success story. Le taux de suicides est plus élevé dans le monde agricole, la solitude y est plus répandue, et les conditions de travail y sont très contraignantes. C’est un monde soumis à de nombreuses tensions. La réglementation changeante, les nombreux contrôles, les relations difficiles avec la grande distribution ajoutent de la pression à un travail déjà largement dépendant des conditions météorologiques et des aléas liés au vivant. Les difficultés ne sont pas les mêmes pour tout le monde, mais le système doit davantage ménager tous ses acteurs de base.

Demi-mesures et contre-feux

La politique et les organisations agricoles ont bien sûr réagi afin d’éviter une escalade des manifestations. Il fallait que les paysans se rangent. Le président de l’Union suisse des paysans s’est inquiété pour l’image des agriculteurs. Une conseillère d’Etat a donc promis de réduire d’un tiers la charge administrative pour les paysans de son canton. Dans un autre canton des aides pour les vignerons ont été décidées. Au niveau fédéral des gestes ont été faits pour les producteurs de lait, et le Conseiller fédéral Parmelin a reçu les paysans en colère. Par ailleurs, le secteur agricole a été préservé dans le cadre du récent accord de libre-échange signé avec l’Inde, et malgré que cela aille à l’encontre des engagements pris pour le réduire les émissions de CO2, le prix du gasoil agricole n’a pas été augmenté. Rien ne semble pourtant avoir bougé sur le front des marges de la grande distribution, qui restent très importantes et peu transparentes. En somme, le système actuel n’a pas été remis en question, en tout cas pas avec l’intérêt des paysans en tête. Il y a plutôt eu des tentatives de récupération politique de la grogne, et l’allumage de quelques contre-feux. Ainsi, les agrariens ont joué sur l’ambiguïté de leur appellation, et certains libéraux en ont profité pour proposer de libéraliser davantage la production agricole. Certains ont joué les paysans contre les écologistes, laissant croire que les déboires des premiers sont causés par des exigences exagérées des seconds. (Ces manœuvres ont été plus explicites au niveau de l’Union européenne.) Parmi les contre-feux on peut compter la publication d’un rapport du Conseil fédéral sur le revenu des familles paysannes, qui fait suite à une commande du Parlement datant de 2021. Le rapport se veut rassurant, et indique une évolution positive des revenus au cours de ces dernières années, bien qu’il y ait des situations très disparates. De manière analogue il y a eu ceux qui ont souligné que les paysans se sont rendus à leur rencontres nocturnes avec des tracteurs dernier cri, sous-entendant par là que les moyens ne doivent donc pas leur manquer…

Comment répondre à l'appel?

Il ne suffit pas de simplement essayer de préserver l’actuel en l’ajustant quelque peu. Il faut affronter les questions de fond. Les agriculteurs déplorent une perte de sens et de respect. Il se sentent incompris, bien que – comme cela a été rappelé lors des manifestations – derrière ce que nous avons dans notre assiette il y a toujours un paysan. La multiplication des initiatives populaires de ces dernières années – pour une eau potable propre, contre les pesticides de synthèse, sur l’élevage intensif, pour la biodiversité, etc. – pousse la population à mettre en question les pratiques paysannes, et à méconnaître les efforts fournis pour améliorer les conditions d’élevage, la qualité des produits, et la préservation de l’environnement. La consommation de produits transformés change les produits agricoles en matières premières. Vu qu’il suffit d’ajouter de l’eau à des flocons pour obtenir une purée de pommes de terre, où est le lait? Les habitudes alimentaires imposent des règles et standards toujours plus stricts, de la taille des côtes de bœuf à la forme des pommes. 

Il faudrait donc agir sur deux fronts. L’un est celui promu au niveau planétaire par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), à savoir prendre en compte les coûts cachés de notre système agroalimentaire. Ceci permettrait en particulier de justifier clairement la nécessité de tenir compte de l’impact environnemental de l’agriculture. L’autre est celui du clivage ville-campagne, qui dans notre pays, où trois-quarts de la population vit dans des agglomérations urbaines, est particulièrement marqué. Il est important de le dépasser pour faire que paysans et consommateurs se comprennent davantage, et travaillent ensemble pour promouvoir un système agroalimentaire plus responsable, qui permette à tous de bénéficier d’une alimentation saine.

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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

3 Commentaires

@Rewe 26.04.2024 | 22h34

«Et que faut-il retenir de cet article?»


@Chan clear 28.04.2024 | 15h34

«la Suisse a toujours eu un rapport fort avec la terre, et à observer autour de nous la majeur partie des consommateurs achètent le meilleur marché même si le produit a traversé toute la planète ou l’Europe en camion ou bâte au etc… C’est un choix individuel de choisir ce que l’on met dans sa bouche, son estomac…mon beau-père disait, on creuse sa tombe avec ses dents. A voir tous les produits chimiques et hormones de croissances pour la viande…importée et les mutations sur les individus ….c’est vite vu et vite décidé nous faisons totalement confiance aux règles d’ici et quitte à payer un peu plus et éviter les cancers, libre de choisir»


@LEFV024 02.05.2024 | 16h58

«Bel article, merci!»


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